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Pour Micha de Duskza son épouse

Mise en ligne : 12 septembre 2003

Dernière modification : 15 mai 2005

Texte de l'article :

A Micha

« Le couple dont l’un des deux est en prison peut-il vivre autrement qu’au rythme de la prison ? La société qui a quelque part mauvaise conscience, va faire pression sur la femme du taulard. On lui tient un double discours : "Reste, il a besoin de toi" et par ailleurs : "Vis, bouge, ne t’enferme pas avec lui". On nous parle de dépendance quand on comptabilise les heures et les kilomètres consacrés aux parloirs. Mais le foyer du prisonnier est au parloir. Si la maudite table qui nous sépare peut avoir quelque valeur de symbole c’est en la comparant à la table familiale. Elle est aussi le lit d’amour, ô dérision ! Mais il faut faire avec. J’ai toujours été étonnée de l’incohérence de la société vis-à-vis de ses prisonniers. Elle leur impose un temps de non-vie qui se déroule, immuable, sur des années. Et sous prétexte d’ouverture elle introduit dans ce temps inexorable le temps des gens libres avec ses caractéristiques qui ne peuvent avoir leur raison d’être que dans le fait qu’ils sont libres. Par exemple l’enseignement en prison qui ne se fait, par les instituteurs détachés, que pendant le temps qui est imparti aux enfants à l’extérieur : aux vacances scolaires, plus d’enseignement en prison. Pour les prisonniers c’est le retour à la cellule et à l’inactivité. Comment ne voit-on pas ou ne veut-ont pas voir une telle incohérence ? Ce sont les femmes de parloirs que l’on taxe d’incohérence car elles viennent partout les temps et même pendant les sacro-saintes vacances de la société de consommation, impassibles au temps des autres ; et ça dérange cette constance hors du temps, hors des règles, hors du commun. Quelle cohérence y a-t-il à suivre dans le temps-prison l’homme que j’aime enfermé ? C’est ça aimer un prisonnier. »

Duskza

Extrait du Mémoire "Ecrire pour survivre" de Anne-Julie Auvert