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La présomption d’innocence

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CEDH-Ribemont-15175-89

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Date : 19-07-2016

CEDH, Arrêt Allenet de Ribemont c/ France du 10 février 1995, requête n°15175/89

Le fait de désigner lors d’une conférence de presse, un homme comme instigateur d’un crime avant son inculpation, porte atteinte à la présomption d’innocence

Publication originale : 10 février 1995

Si les autorités peuvent renseigner le public sur les enquêtes en cours, cela nécessite qu’elles le fassent avec toute la discrétion et la réserve que commande la présomption d’innocence. A défaut, leurs déclarations pourront être comprises comme des déclarations de culpabilité, en violation de l’article 6 de la Convention.

Texte de l'article :

Le 24 décembre 1976, Monsieur Jean de Broglie, député de l’Eure et ancien ministre, fut assassiné devant le domicile du requérant. Une information fut ouverte contre X du chef d’homicide volontaire. Les 27, 28 et 29 décembre 1976, la brigade criminelle de la préfecture de police de Paris procéda à plusieurs interpellations dont celle de Monsieur Allenet de Ribemont.

Le 29 décembre 1976, à l’occasion d’une conférence de presse, le ministre de l’Intérieur, le directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, et le chef de la brigade criminelle, évoquèrent l’enquête en cours. Cette conférence fut retransmise par au moins deux chaînes de télévision française. Parmi les éléments présentés au public afin de leur expliquer l’affaire, on retiendra notamment cette phrase : « Monsieur X et son acolyte Monsieur de Ribemont sont les instigateurs de l’assassinat. »

Le 14 janvier 1977, M. Allenet de Ribemont fut inculpé de complicité d’homicide volontaire et placé sous mandat de dépôt. Il fut libéré le 1er mars 1977 et bénéficia d’un non-lieu le 21 mars 1980.

Sur l’application de l’article 6 de la Convention :

Lors de la conférence de presse du 29 décembre 1976 Monsieur Allenet de Ribemont venait tout juste d’être arrêté par la police. La Cour estime que bien qu’il ne se trouvait pas encore inculpé de complicité d’homicide volontaire, son interpellation et sa garde à vue s’inscrivaient dans le cadre de l’information judiciaire ouverte quelques jours plus tôt par un juge d’instruction de Paris et lui conféraient la qualité d’"accusé" au sens de l’article 6 §2. Les deux hauts fonctionnaires de police étaient en l’occurrence chargés de conduire les investigations. Leurs propos s’expliquent par l’existence de l’information judiciaire ouverte et présentent un lien direct avec elle. L’article 6 §2 s’applique donc en l’espèce.

Sur la violation de l’article 6 de la Convention :

Rappelant que si les autorités peuvent renseigner le public sur les enquêtes en cours, cela nécessite qu’elles le fassent avec toute la discrétion et la réserve que commande la présomption d’innocence ; « la Cour constate qu’en l’espèce, certains des plus hauts responsables de la police française désignèrent M. Allenet de Ribemont, sans nuance ni réserve, comme l’un des instigateurs, et donc le complice, d’un assassinat. »

Dès lors, elle considère qu’il s’agissait d’une déclaration de culpabilité qui incitait le public à croire en celle-ci et préjugeait de l’appréciation des faits par les juges compétents. Elle conclut donc à une violation de l’article 6 §2.