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> Edito

La mise en scène de l’arrestation et de l’incarcération de José Bové

Mise en ligne : 2 juillet 2003

Dernière modification : 3 juillet 2003

Texte de l'article :

La course au trésor, Paris Dakar, Fort Boyard.
La mise en scène de l’arrestation et de l’incarcération de José Bové puise toute sa science dans le corpus de la société du jeu et de l’impudence.
A la réalisation : l’Elysée, la place Beauveau, le Ministère de la Justice.
Action / Réaction. L’affolement immédiat des nébuleuses progressistes autour d’un phénomène ordinaire, la simple mise en oeuvre d’une règle réservée au commun des mortels, l’application d’un jugement, démontre une nouvelle fois la puissance de manipulation déployée par les politiques à travers un contrôle de plus en plus efficace des médias.

Rappelons l’enjeu central du sketch.
Jacques Chirac, éternel Ministre de l’Agriculture, héraut mondial des joutes gouvernementales anti-OMC doit adresser un signe fort à l’opinion pour authentifier ses postures internationales. Quoi de plus symbolique qu’une bonne grâce, à la fois régalienne et révolutionnaire, décrétée sous le cagnard d’un 14 juillet pour taire le grondement de la rue ? Quoi de plus machiavélique que de l’accorder, magnanime, à un martyr fraîchement démoulé ? L’histoire est tendue de ce genre de ficelles.

Le scénario dépasse ici toutes les limites de la décence et de l’irresponsabilité.

Acte 1. L’hélicoptère, médium obligé des chasses au trésor télévisuelles permet de s’affranchir du temps, des distances, des inerties et influences terriennes, routes, réactions, oppositions. Pour frapper fort les esprits, formés à l’iconographie guerrière polie par le Pentagone, l’arrestation doit être réduite à son expression esthétique : extraction instantanée et déplacement du sujet, affichage spectaculaire de la puissance publique. Les militaires parlent d’exfiltration, technique destinée avant tout à protéger et récupérer la cible.

Acte 2. L’hélicoptère arrive à la prison. Quoi de plus simple pour entrer en prison qu’un aéronef ? C’est le traitement réservé aux symboles, les Papon et autres VIP. Cela permet de réduire l’univers carcéral au « passage par la case prison » du jeu de Monopoly. Le pion survole par enchantement l’aire de jeu, dépouillant la sanction de toute réalité, épargnant aux spectateurs le risque d’approcher concrètement l’usine à souffrance, le laboratoire permanent de la vengeance sociale.

Dans le Paris-Dakar, les caméras sont portées en rase motte au-dessus de contrées de pauvreté insondable, la « caravane » perfore avec indifférence histoires et cultures, innocences, dignités et détresses, écrasant parfois un ou deux gamins des déserts. L’opulence, le pouvoir, leurs serviteurs lancés en commandos du mépris, épluchent sans fin le sensible pour en extraire l’exotisme, perle narcotique rapportée en direct au cœur des foules immobiles. 

Afrique Banania. Prison bonnet d’âne.

Population tenue à distance sanitaire des interminables stations au soleil dans les cours immobiles, menottes au poignet, des centres de rétention, de la fin de l’hygiène, des fouilles à corps, du marathon des mouvements, de l’exil des transferts, de l’étuve des fourgons, des milliers de kilomètres avalés par les familles, femmes et enfants exténués, pour une demi-heure de parloir que deux minutes de retard annulent, de l’avalanche incessante des misères et rétorsions infligées aux anonymes que la geôle engloutit.

Acte 3. Fort Boyard. Derrière la lourde porte et l’écran de contrôle, le volontaire enfermé dans la cellule conserve le contact sonore avec son équipe. Le temps que l’eau ne s’écoule dans un sablier, il doit récupérer toutes les clefs cachées dans l’espace. Le spectateur vibre en direct au déroulement d’une épreuve éminemment symbolique, partageant l’angoisse du concurrent et celle de ses partenaires, tendue sur le fil résiduel du dialogue radiophonique. Pour triompher des pièges, personne ne peut se passer de la contribution de ses partenaires demeurés à l’extérieur qui, par le truchement de multiples caméras ont le privilège d’une vue d’ensemble du dispositif des contraintes.

Il y a une outrecuidance insondable et globale de toutes les parties dans la liberté d’expression totale accordée par l’Administration Pénitentiaire à un José Bové sortant de prison en toute simplicité ses réponses aux questions posées par le journal le Monde. 

Faut-il rappeler encore que dans cette zone de non-droit, des centaines de personnes passent des milliers de jours au quartier d’isolement pour avoir osé essayer de transmettre à l’extérieur pour leur survie physique et mentale, lettres, textes ou manuscrits ? Que dans le silence et la solitude des mitards, on se donne et on reçoit la mort plus souvent que devant les ventilateurs qui troublent l’écriture, à l’ombre des surveillants particuliers ?

Pour certains, la prison n’est qu’une péripétie, une étape relais sur le chemin de la légende. Comme dans un jeu d’enfant, l’efficacité éditoriale de José Bové laisse à tout le moins rêveur : à peine incarcéré, son interview est sous presse. L’élu complice de l’évasion verbale est passé avec des questions spontanées émanant du journal du soir, José, arraché presque nu à sa maison a eu le temps de cantiner papier et stylo, l’élu de revenir et de ressortir, zigzaguant entre les portiques.

Outrecuidance ou puissante avancée jurisprudentielle ?

Et si, dans le grand-guignol de cette saynète, une part de la scénographie était là pour décréter l’instauration d’une liberté d’expression intégralement bafouée en prison ?

D’une liberté de manifestation et d’occupation du public dans les no-man’s land qui ceinturent les établissements ?

D’une liberté de saisie immédiate des élus par les citoyens pour qu’ils transforment en devoir d’urgence leur droit d’incursion dans les établissements, sans prévenir, à toute heure du jour et de la nuit ?

D’une transparence sur toutes les conditions de détention ?

Un rêve ? Et pourquoi pas : 9000 prisonniers libérés le 14 juillet, c’est à peu près le différentiel de personnes incarcérées ex-nihilo en 6 mois à partir de juillet 2001, généralement pour des peines jamais appliquées, et mises au service des candidats de gouvernement pour la campagne présidentielle.

Comme si les prémices d’un souffle de dignité se levaient sur le monde politique et son système pénitentiaire…

JC Poisson
Ban Public
01 juillet 2003