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Date : 19-03-2006

Intervention de Véronique Dubarry - « Quand la sécurité prend le pas sur la justice et la société »

Mise en ligne : 27 mars 2006

Convention nationale des Verts « Sécurité, Justice et Société », Samedi 21 janvier 2006

Texte de l'article :

« Quand la sécurité prend le pas sur la justice et la société »

On reproche souvent aux Verts de ne pas reconnaître les souffrances des victimes de l’insécurité voire même de les nier et de faire de l’angélisme sur les questions de sécurité et d’insécurité. Mais qui est angélique ? Ceux qui postulent que l’insécurité et les violences tombent du ciel, ou ceux qui prétendent qu’elles trouvent leurs racines dans l’insécurité sociale produite par notre société ? Insécurité sociale en matière de citoyenneté, de logement, d’urbanisme, de précarité et de chômage, bien sûr. Dès lors que l’on se penche sur les problèmes d’insécurité ou de sentiment d’insécurité, c’est bien cette multitude de thématiques qu’il faut envisager, une approche globale, donc. Il faut ensuite parler d’un mieux vivre ensemble, dans le respect de tous et toutes, plutôt que de se replier dans la peur de l’autre, différent : les jeunes, les usagers de drogue, les SDF..., il paraît essentiel de les comprendre et surtout de comprendre comment notre société génère ces situations. De la même façon, il est tout aussi important d’entendre les paroles de souffrance, qu’elles soient le résultat d’agressions ou les symptômes d’un sentiment d’insécurité plus diffus mais parfois tout aussi douloureux. Et lorsque je parle de prévention, je ne parle pas seulement de prévention de la délinquance, je parle de prévention sanitaire, de prévention des conduites à risques, de prévention sociale...

Je tenais à faire ce préambule pour être bien sûre qu’il n’y ait pas de quiproquo sur ce que je vais dire ensuite. D’autres que moi l’ont bien dit, le sens des mots et leur utilisation sont importants et lorsque j’entends les déclarations de certains ministres il est évident que nous ne mettons pas les mêmes choses derrière les mêmes mots.

Dans le cadre de cette définition, quelle place l’élu(e) peut trouver et comment peut-il-elle agir ? L’un des premiers outils dont il-elle dispose est bien évidemment le Contrat Local de Sécurité. Les CLS datent de 1997, de Chevénement, et ont connu au fil des gouvernements et des ministres, de gauche comme de droite, des ajustements, des modifications pour finir par une circulaire de juillet 2002 de Sarkozy qui fixe les modalités précises d’organisation des comités de pilotage de ces CLS. J’avoue avoir été moi-même assez dubitative sur l’utilisation de ce dispositif et avoir craint les dérives sécuritaires. Contrairement à la logique de l’outil, précepte cher aux écolos, je crois que l’on peut "dénaturer" un outil et le rendre plus conforme à ses propres attentes. Ce qui m’a fait, entre autres, changer d’avis c’est que, la mise en place d’un CLS se fait sous la houlette du Maire, et donc de l’adjoint en charge de la délégation. Il permet de réunir autour de thématiques tous les acteurs de la prévention et de la sécurité d’un territoire donné. Et ça, pour un élu(e) local(e), c’est extrêmement utile. Rencontrer et faire se rencontrer des acteurs aussi différents que des associations de quartier et la police ou bien des habitant(e)s et des clubs de prévention, est une opportunité qui ne se refuse pas. Comme je le disais tout à l’heure, cela permet aussi de choisir puis de travailler, de réfléchir sur des problématiques qui relèvent de la prévention même si parfois cela peut en sembler éloigné. Prendre en compte le cadre de vie doit à mon sens relever d’un contrat Local de Sécurité, pareil pour les discriminations ou les conduites à risques.

Dans le 10e, après avoir refusé l’aide qu’était censé m’apporter un cabinet de conseil en sécurité, j’ai basé mon travail sur une démarche transversale d’études et de réflexions ainsi que sur un diagnostic sérieux, partagé par les différents acteurs concernés. Des groupes de travail thématiques ont réunis différents partenaires (associations, institutions, élu(e)s, police, justice) pendant près d’un an et ont permis de dresser un état des lieux complet des questions abordées. La synthèse de ces travaux a permis de dégager les pistes d’actions prioritaires. Le CSA du 10e est donc clairement axé sur la prévention ; ce que l’on me reproche souvent. Et ce reproche ne vient pas seulement d’élu(e)s de droite mais également d’élu(e)s de gauche, ce qui tend à prouver qu’il peut y avoir une parole spécifiquement verte sur cette question et qu’elle est différente de celle que peuvent avoir le PS ou le PC.

Il y a quand même un certain nombre de difficultés. La première, et pas la moindre, est la mise en place et le respect du secret partagé. Même si les choses sont dites dès le départ, j’ai pu constater à quel point il était difficile pour certain(e)s, plus particulièrement la police bien sûr, d’accepter ces règles et de jouer le jeu. Ce qui, et c’est bien compréhensible, rend les associations assez dubitatives sur une mise en place plus étendue de ce concept, comme d’aucuns le préconisent. Cette question importante est au coeur des projets de loi sur la prévention. Les professionnels s’en inquiètent à juste titre. Comment imaginer en effet que ses professionnels qui basent tout leur travail sur une relation de confiance et sur le respect puissent en venir à donner les noms et des détails sur la vie des personnes qu’ils suivent ? Ce n’est pas pour autant que des informations ne peuvent pas être échangées mais il faut qu’elles le soient dans un cadre précis, réglementé par un code de déontologie. C’est le cas dans le cadre de la protection de l’enfance en danger. Il est évidemment très tentant pour les policiers de tenter de se saisir de ces dispositifs comme d’un immense fichier vite constitué.

Je mentionnerais également la lourdeur de certaines administrations et le fait que cet édifice fragile ne repose en fait, et c’est ce à quoi sont souvent confrontés les élu(e)s locaux, que sur la bonne volonté des personnes puisqu’il n’y a pas de moyens spécifiques attribués aux CLS. De plus, et c’est là le point le plus important même si les CLS sont signés, comme leur nom l’indique, par le responsable de police local et que cette signature est censée l’engager, lui et ses services, il n’en reste pas moins que les décisions en matière de politique policière sont prises au niveau national. Ce qui donne donc des rapports avec la police qui dépendent de deux choses : d’abord la couleur politique de l’élu(e) local(e) par rapport à celle du gouvernement et puis, et c’est déjà ce que je disais tout à l’heure, la personnalité du personnel de police de la commune ou de l’arrondissement. De plus, il est difficile d’obtenir une adaptation au niveau local ou de la souplesse à partir d’une politique érigée à un niveau national. Et c’est ce que tout élu(e) local(e) vit au quotidien, des décisions prises au niveau national que l’on voit appliquées au niveau local et ce, parfois, au détriment même du travail réalisé par ailleurs sur ce territoire, j’y reviendrais.

Je crois que je viens quasiment de vous donner toutes les raisons qui expliquent, sans la justifier, la tentation que peut avoir un(e) élu(e) de mettre en place une police municipale ou des services s’y apparentant ou bien encore de faire appel à des sociétés de gardiennage ou de vigiles. Lorsque l’on voit les dégâts, et je pèse mes mots, que peuvent causer certaines interventions policières sur un territoire, on se prend parfois à souhaiter avoir la haute main sur un service d’ordre. Je vais quand même dire un mot de la situation parisienne parce qu’elle est assez emblématique de ce que je viens de dire. Le PS parisien l’a dit sur tous les toits, sur tous les tons, il n’y aura pas de police municipale à Paris. Sauf que. Se coltiner la Préfecture de Police, ses réponses négatives, ses réticences, et c’est un euphémisme, à mettre en place des dispositifs de régulation de la circulation, ou bien encore son refus de mettre en place le comité de suivi du contrat parisien de sécurité, il faut bien dire que c’est un peu énervant. Et donc, lentement mais à mon avis trop sûrement, on voit apparaître au sein des différentes directions de la ville, ici un corps spécialisé dans la répression des incivilités dans les jardins, là un renforcement d’un corps des inspecteurs de sécurité, là la création d’un nouveau service de surveillance, on vote des subventions à une structure montée par les bailleurs destinée à la surveillance des ensembles immobiliers, on supplée à la sécurisation des points écoles, etc. Et de fait, si l’on prend le temps de relever un peu le nez du guidon et de regarder les choses globalement, on voit poindre une sorte de police municipale qui ne dit pas son nom. Je trouve ça presque plus dangereux qu’une police municipale décidée parce qu’il n’y a aucune concertation, aucune visibilité, aucune règle de fixée, aucune logique connue... Malgré ce que je viens de dire et la compréhension des énervements des élu(e)s, je ne suis toujours pas favorable à la création de police municipale. Si il est déjà difficile d’obtenir un contrôle citoyen sur la police nationale, il est évident que c’est chose impossible sur des polices municipales éparpillées sur tout le territoire. La violence doit rester le monopole de l’état, par contre il est évident qu’il faut apprendre à travailler ensemble, en prenant en compte les spécificités de chacun et rester constamment vigilant. Car, depuis deux ans, la politique menée à Paris, mais de la même façon ailleurs sur le territoire national, n’est qu’une succession d’actions, d’opérations qui vont totalement à l’encontre de ce que certainEs éluEs essayent de construire. On assiste, notamment auprès des populations les plus fragilisées (SDF, prostitué(e)s, usager(e)s de drogues, exilé(e)s...), à des coups de force ou à des pressions qui s’apparentent à du harcèlement. Cette politique menée, sciemment, met à bas le travail de préventions sanitaires ou social mené par les associations de terrain. A Paris, c’est d’autant plus troublant que la même institution subventionne tant la Préfecture que ces associations. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle les élu(e)s Vert(e)s n’ont pas voté le budget de la préfecture de Police.

Je l’ai dit, je le rappelle, il me semble évident que toutes les composantes de ce l’on appelle la société civile doivent participer à la production de sécurité et de prévention. C’est valable pour les associations mais également pour les habitant(e)s. Les associations, du club de prévention à l’association de quartier, ont une connaissance des territoires, des gens incontournables. De la même façon, les habitantEs sont des relais d’informations, ont une parole particulière et il est nécessaire de les associer, de les écouter. Parce que prendre en compte ses différentes approches, c’est s’autoriser une pensée complexe sur des sujets sur lesquels, malheureusement, la pensée unique est toujours de rigueur.

Pour finir, il faut bien évidemment évoquer l’avenir et ce qui nous pend au nez : rapport Benisti, étude Inserm, Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance... On voit clairement les fondements d’une politique de sécurité et de « prévention » fondée sur une idéologie ultra-libérale de responsabilisation à outrance des individus et dédouanant notre système social. C’est vrai que c’est tellement plus confortable de se limiter à une analyse « comportementale » voire « neuro-biologique » des phénomènes de délinquance plutôt que de s’interroger sur ce qui fait norme dans notre société et sur la question de la production des règles sociales. Il est beaucoup plus simple de médicaliser un symptôme que de remettre en question le système qui a produit ce symptôme. Quand une société va mal, quand la "paix sociale", l’égalité des chances, ne sont plus garanties par un système suffisamment efficace de solidarité et de redistribution des richesses ; quand la souffrance, la colère s’expriment de façon parfois brutale et violente, soit on se donne les moyens d’écouter cette souffrance et d’en combattre les causes ou bien, comme le gouvernement le fait si bien, on fait taire ceux qui souffrent en les enfermant dans une identité de "malades sociaux" et on les réprime. Car, une fois l’ordre établit, il convient de le protéger, y compris en ayant recourir à la perpétuation de toutes les injustices et à la criminalisation collective des populations. Soigner ou punir est décidément la seule devise de l’idéologie ultra-libérale en marche.

Véronique Dubarry,
Conseillère de Paris,
Conseillère du 10e arrdt, déléguée à la prévention et à la sécurité [1]

Notes:

[1Mairie du 10e - 72, rue du Faubourg Saint Martin - 75010 Paris - 01 53 72 10 32 / 01 42 76 56 42 / 06 81 40 17 40 - veronique.dubarry@paris.fr / Collaboratrice : Sonia Pignot - 01 53 72 10 32 / 01 42 76 56 42 - sonia.pignot@paris.fr