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Date : 18-04-2005

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(2004) Saisine no 2004-53 pour connaitre les conditions de transfert de M.E. détenu

Mise en ligne : 19 avril 2005

Dernière modification : 12 avril 2006

Texte de l'article :

Saisine no 2004-53

AVIS ET RECOMMANDATION
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 2 juillet 2004, par M. Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône.

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 2 juillet 2004, par M. Robert Bret, sénateur des Bouches-du-Rhône, des conditions dans lesquelles M. E. a été transféré du centre de détention de Châteaudun à la maison d’arrêt de Fresnes, le 9 juin 2004
La Commission a procédé à l’audition de M. E. et entendu un des surveillants qui ont assuré son transfert de Châteaudun à Fresnes. Elle a recueilli les observations du docteur B., praticien hospitalier à l’établissement hospitalier de Fresnes.
Elle a examiné des pièces administratives transmises par le directeur du centre de détention de Châteaudun.

- LES FAITS

Incarcéré depuis 1992 dans plusieurs établissements pénitentiaires successifs, M. E., transféré de Gradignan, arrive au centre de détention de Châteaudun le 13 janvier 2004.
Il a exposé à la Commission avoir été victime tout au long de son emprisonnement d’agressions d’autres détenus et de mauvais traitements de la part des surveillants. Les nombreuses procédures disciplinaires que l’administration pénitentiaire a engagées à son encontre, ces dernières années, ont visé, selon lui, à le faire passer pour une personne violente et dangereuse. M. E. expose qu’à Châteaudun « il y a eu une destruction de mon projet de réinsertion pour ma libération ». Il se plaint d’une « attitude arbitraire » de la juge d’application des peines qui ne l’a fait bénéficier d’aucune remise de peine, et dit avoir entamé pour toutes ces raisons une grève de la faim, le 9 mai 2004.
Pendant cette période, il est avisé qu’il est convoqué devant la commission de discipline, le 9 juin 2004, sur une procédure qui, selon ses déclarations, visait la confiscation de son ordinateur. Considérant qu’il est victime une fois de plus de harcèlement de la part de l’administration pénitentiaire, M. E. prépare et ingère « un cocktail de médicaments », le 9 juin 2004. Transporté à l’hôpital de Châteaudun, un transfert à Fresnes lui est proposé par l’administration pénitentiaire qu’il accepte, dit-il, sous réserve qu’il soit définitif. Des investigations de la Commission, il ressort que M. E. a été conduit, le 9 juin 2004, à 11 heures aux urgences de l’hôpital de Châteaudun sur demande du docteur T., responsable de l’UCSA du centre de détention. C’est le docteur T. qui, après des échanges téléphoniques avec ses confrères du service des urgences, a demandé et organisé l’admission de M. E. au service hospitalier de Fresnes.
Sorti du service des urgences à 13 heures 15, M. E. est ramené au centre de détention de Châteaudun, en attendant son transfert qui a lieu à 14 heures 35. M. E. a demandé alors avec insistance à pouvoir emporter avec lui ses dossiers (25 classeurs de diverses procédures qu’il a engagées contre l’administration pénitentiaire). Cette demande refusée, il a menacé les surveillants de se « découper » avec une lame de rasoir. M. E. a expliqué à la Commission que, malgré toutes les fouilles qu’il a pu subir lors de ses douze ans d’incarcération, il a toujours réussi à cacher sur lui des lames de rasoir, qu’« il s’est découpé » à maintes reprises et qu’ayant projeté de le faire ce jour-là il portait « le tee-shirt déchiré que je mets à chaque fois que j’envisage de me couper ». Il a exposé avoir été monté dans un camion, sans ses affaires, « vêtu que d’un pantalon de survêtement et d’un tee-shirt déchiré, pieds nus, puis en chaussons », « attaché sur le siège, menotté dans le dos ». Il a réussi à un moment à faire passer ses mains devant, et a exhibé aux surveillants une lame de rasoir qu’il avait dissimulée sur lui. Les surveillants sont intervenus, récupérant la lame de rasoir, et l’ont ramené dans l’établissement pour une nouvelle fouille. Puis il est reconduit au camion, « entravé aux pieds et enchaîné avec un cadenas ».
Un surveillant aurait proposé au brigadier de maintenir M. E pour le surveiller tout au long du trajet
Des déclarations du surveillant M. M. et du rapport établi le 20 septembre 2004 à la demande du directeur de Châteaudun par le 1er surveillant M. A, il ressort que quatre surveillants, dont M. M. requis en renfort, ont effectué le transfert de M.E.
M. E. s’est automutilé sur le ventre avec une lame de rasoir qu’il avait probablement cachée dans sa bouche. L’infirmière de l’UCSA s’est déplacée pour soigner le détenu qui présentait des coupures superficielles. M. E. a été à nouveau fouillé puis rhabillé.
Les surveillants ont indiqué que le détenu M. E. avait été menotté dans le dos et entravé aux pieds dans le fourgon, selon les dispositions en la matière. M. E. a essayé de retirer ses menottes en faisant passer ses mains devant et, à la troisième tentative, il s’est pris le pied dans les menottes et a chuté. Au vu de l’agitation importante du détenu, le 1er surveillant a donc décidé de placer un agent à l’arrière qui a maintenu M. E. à l’aide d’une chaîne de conduite, menottes dans le dos, tout en le tenant assis sur son siège.
Le surveillant M. a déclaré qu’aucune violence n’avait été exercée sur ce détenu pendant le transfert. Il s’est tenu debout, derrière lui, une main sur son épaule. « M. E. a conversé avec nous durant tout le trajet. »
M. E. a été admis dans l’après-midi à l’établissement hospitalier de Fresnes. Selon M. E., examiné par un médecin, il lui fait part de son intention de recommencer à s’automutiler si son transfert était provisoire, s’il était question de le ramener à Châteaudun. Le médecin lui a alors indiqué qu’il allait être placé en surveillance constante derrière une vitre.
M.. E. voulait être incarcéré dans la division 2 de Fresnes pour y finir sa peine. Il est parvenu, selon ses déclarations, à se blesser à nouveau. Soigné, il a été affecté le lendemain dans la division 2. Le docteur B., un des deux praticiens hospitaliers de l’unité d’hospitalisation de Fresnes, qui a examiné M. E., à sa sortie du service hospitalier, a exposé à la Commission que son service reçoit les patients dont l’état de santé ne permet pas qu’ils retournent en détention, les suites d’hospitalisation et ceux qui ont encore besoin de soins.
Le mode de transport est choisi par le médecin qui adresse les patients. Soit il est assuré par un véhicule pénitentiaire, soit en transport médicalisé avec une escorte. Le docteur B. a précisé qu’il a été constaté par son service, assez rarement, que le mode de transport n’était pas le plus approprié par rapport à l’état de santé d’un détenu.
Concernant M. E., aucune observation particulière concernant son mode de transport n’a été mentionnée. Le motif d’admission était la grève de la faim et de la soif qu’il avait entamée. Des traces anciennes d’automutilation ont été relevées et d’autres plus récentes, superficielles. M. E. a été réhydraté et a repris rapidement son alimentation. Le jour de sa sortie, apprenant d’un chef de service pénitentiaire qu’il allait être ramené à Châteaudun, il s’est coupé superficiellement et a refusé à nouveau de boire et de s’alimenter.
M. E. a récupéré son paquetage le 25 juin. Il a été libéré le 17 septembre 2004.

- AVIS

Sur les conditions du transfert de M. E.
M. E. est un détenu qui s’est automutilé à plusieurs reprises depuis son incarcération, à l’occasion de contentieux avec l’administration pénitentiaire.
Sorti de l’hôpital de Châteaudun où il vient d’être pris en charge suite à une tentative de suicide par absorption de médicaments, il fait l’objet le jour même, sur demande de l’UCSA du centre de détention de Châteaudun d’un transfert en fourgon vers l’établissement hospitalier de Fresnes. Il n’a pas été prescrit par le médecin de transport sanitaire.
M. E. se procure une lame de rasoir et se blesse volontairement et superficiellement.
La Commission observe que le geste d’auto-agression de M. E. n’a pas remis en cause le mode de transport arrêté initialement pour son transfert. Le service médical de Fresnes n’a relevé aucune trace de violence autre que celle faite par M. E. sur lui-même.
La Commission constate que les surveillants, lors du transport de M. E. en fourgon, ont pris des mesures qui, si elles sont éloignées du traitement le plus approprié pour une personne présentant des troubles du comportement importants, ont répondu, en l’espèce, à un objectif prioritaire de sécurité ; ceux-ci, en la circonstance, ont assuré la sécurité de M. E. et la leur, le temps du trajet vers l’établissement hospitalier de Fresnes, qui a duré environ une heure.
La Commission ne voit aucun manquement imputable aux surveillants ayant assuré cette mission de transfert prévue aux articles D. 294 et D. 306 du Code de procédure pénale.

- RECOMMANDATION

La Commission souhaite attirer l’attention du ministère de la Santé sur le choix du moyen de transport pour les transfèrements des détenus résentant
des troubles du comportement graves (automutilation, tentative de suicide) et préconise une concertation sur cette question avec les services de la pénitentiaire.

Adopté le 8 novembre 2004

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et à M. Douste-Blazy, ministre de la Santé, dont la réponse a été la suivante :