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Colloque sur l’enseignement en milieu pénitentiaire organisé les 3 et 4 décembre 2001

10 Atelier 5 Productions d’écrits

Mise en ligne : 23 juin 2004

Texte de l'article :

Animation : Jean-Pierre Laurent (responsable de l’enseignement à la DAP)
Intervenants : Maguy Maurin et Christian Montémont (enseignants)

Introduction
Au cours de cet atelier, deux actions sont décrites, l’une menée par Maguy Maurin à la Maison centrale d’Arles et l’autre présentée par Christian Montémont à la Maison d’arrêt d’Épinal.
Au fur et à mesure des présentations respectives, questions et demandes de précisions sur les projets, échanges d’opinions, questionnement et réflexion sont exprimés au cours d’échanges très animés sur le sens des activités d’écriture et le positionnement des enseignants face à l’implication des personnes détenues. Pour la commodité de la lecture, les thèmes des débats seront regroupés en fin d’exposé.

Écrire en centrale : Reflets d’un atelier Expression
Maguy Maurin
Objectif général
Restaurer l’image de soi :
1. Apporter un certain épanouissement, un mieux-être dans la satisfaction du travail accompli ensemble,
2. Procurer quelques connaissances sur des auteurs et des oeuvres, des savoirs en écriture et lecture et des savoir-faire dans la réalisation d’une publication.
Valoriser la personne par le biais de ses productions, qu’elles soient écrites ou artistiques (avec les gens du voyage : tressage de raphia, collages, dessins)

Premier projet à la maison centrale d’Arles
Il s’agit d’une démarche de « réflexion-questionnement-échanges » dans un groupe, sur le thème de la quête de soi, à partir de la lecture d’un livre support : L’Alchimiste de Paul Coelho.
Ce projet faisait suite à celui réalisé au sein de l’atelier Expression « Senteurs ».
. public concerné : un groupe de 7 détenus volontaires tous lecteurs
. calendrier : durée prévue sur un trimestre à raison de deux heures hebdomadaires
. produit fini : un recueil collectant tous les échanges avec un volet illustrations, doublé d’une version audiophonique avec choix musical. Les deux versions ont été remises à chaque participant et à la bibliothèque de la maison centrale.
. déroulement : Basé sur le volontariat des participants et un contrat moral entre nous, il a intégré un petit groupe de cinq détenus « redemandeurs », deux élèves nouveaux (plutôt bons lecteurs et intéressés par la lecture).
Les consignes étaient les suivantes :
- lire le livre en un temps donné,
- noter les pistes de réflexion,
- établir un lien entre l’histoire et son propre vécu,
- accepter d’en parler entre nous, d’échanger opinions et arguments,
- élaborer un produit final « séduisant », fidèle à nos propos et qui donne envie à d’autres de lire l’oeuvre.
. objectifs :
- ouvrir les chemins à la réflexion,
- favoriser la communication dans le petit groupe (permettre l’écoute de l’autre, veiller au respect des opinions de chacun),
- favoriser le développement de l’esprit critique et argumenter son opinion,
- faire émerger des repères importants sur ce thème,
- gérer la réflexion individuelle dans un aller-retour entre vécu personnel et l’histoire lue,
. résultats :
Le travail a abouti à deux productions finales :
- une version audiophonique avec un support musical choisi reflète l’essentiel de notre questionnement et révèle la qualité des échanges oraux durant les rencontres,
- une version écrite, visant une plus large diffusion et rassemblant la totalité du travail, rend compte d’activités plurielles (calligraphie, création d’illustrations adaptées) ; elle a nécessité de longues heures de transcription, relecture/réécriture et synthèse des idées.
Avec le goût du partage, mobilisés par la tâche, tous les participants ont tenu à mener à bien ce projet. Cependant, le calendrier n’a pu être respecté. En effet, les participants s’étant répartis les tâches pour les productions finales, le transfert inopiné de deux détenus particulièrement impliqués dans la retranscription et la calligraphie a nécessité une régulation du projet (échéances, abandon de travaux prévus) et une remobilisation.
La réflexion personnelle fut d’une grande valeur tant par l’écoute et le respect de l’autre que par l’entrée dans la lecture, par le passage obligé aux références culturelles contenues dans l’oeuvre ou celle des participants, par l’ouverture sur d’autres auteurs, d’autres civilisations.
Même si leurs silences et leur « marche » intérieure, leurs rireset leur gravité, leurs hésitations et leur rigueur ne sont pas perceptibles à l’écrit, cette démarche a permis au groupe de s’élever dans le respect de la différence et a été génératrice d’enrichissement culturel partagé.
Quelques citations :
« La connaissance de soi passe par la confrontation des hommes. »
« Tout être humain a besoin d’un guide, que ce soit dans la famille, autour de soi, dans la foi ; le guide est indispensable. »
« Dans Les Misérables de Victor Hugo, on a le chandelier. Là, les deux pierres sont une force, une protection à ne pas perdre.
Elles n’ont aucune valeur commerciale, c’est nous qui donnons la valeur de l’objet. »
Des détenus sont allés à la bibliothèque de la maison centrale qui est en partenariat avec la Médiathèque de la ville d’Arles, on a pu parler de Théodore Monod, de J.-M. Durou à propos de L’exploration du Sahara, on a évoqué Saint-Exupéry avec Vol de nuit, on a échangé sur Jonathan Livingstone Le Goéland, on a parlé de Catherine Chabaud et de sa traversée avec Possibles rêves et puis d’un autre livre de Coelho Le manuel du guerrier de la lumière. C’était une sorte de petit Bouillon de culture !
Second projet à la Maison centrale d’Arles : intitulé « Regards ou une certaine vision des Impressionnistes ».
Il s’agit ici d’une écriture de textes accompagnant des tableaux de maîtres, oeuvres de Monet, Van Gogh, Turner, Renoir, Caillebotte et Pissaro.
Ce projet faisait suite à celui réalisé deux ans auparavant, qui avait consisté en un accompagnement des sculptures de Camille Claudel.
. supports :
- albums et vidéos sur les Impressionnistes ;
- la poésie de Paul Éluard (poèmes pouvant servir de textes « inducteurs »).
. public concerné : 20 à 25 détenus volontaires, sur la base d’un contrat moral établi entre l’enseignante et les participants ; un groupe hétérogène de lecteurs (CFG  [1] et post CFG) et de lecteurs débutants (gens du voyage).
L’implication des détenus lecteurs dont un avait la maîtrise de l’outil informatique (saisie des textes) et de ceux ne maîtrisant pas la lecture mais porteurs d’autres compétences (manuelles : tressage de raphia ou artistiques : dessin, calligraphie, peinture) a apporté un caractère fédérateur au projet.
De plus, les participants étaient d’une grande exigence envers leur enseignante, supportant difficilement un retard ou une annulation de la séance. Quant aux nouveaux, ils étaient enrôlés très vite par les anciens. Ils ne venaient pas en visiteurs. Dès qu’ils arrivaient ils entraient tout de suite dans la tâche.
. calendrier : durée prévue sur une année scolaire à raison de deux heures par semaine.
. produit fini : « forts » du succès du projet précédent, les élèves étaient désireux de valoriser leur travail par un recueil plus séduisant (photocopies couleurs des tableaux accompagnant les textes écrits) et la réalisation d’une exposition avec un volet Arts plastiques au Quartier Socio. De plus, un album collectant les photos des murs de l’exposition a été élaboré et est toujours feuilleté à ce jour...
. déroulement : C’était une sorte d’atelier d’écriture. Le contrat était d’échanger entre nous nos textes et nos idées et pourquoi pas d’aider l’autre à trouver un titre, d’aider l’autre à corriger ses fautes.
Si un détenu choisissait un tableau, il pouvait travailler tout seul dans sa cellule.
Les participants ont donné leur ressenti sur des tableaux choisis des Impressionnistes (Van Gogh, surtout Monet...), sur des poèmes de Paul Éluard. Écrire ces textes, fruit de la confrontation visuelle avec les oeuvres des peintres a donné des mots et des textes émotionnels en regard des tableaux. Chaque écrit renvoie à son auteur et lui-même à son regard.
. objectifs :
- regarder et dire avec ses propres mots,
- oser, vouloir réaliser des textes traduisant un autre quotidien,
- faire un effort, mettre son énergie dans une activité « autre » pour s’exprimer, s’approprier, se dire, libérer son ressenti, ses espoirs au-delà du vécu, ses doutes ou ses rêves, son attente, son émotion.
. résultats :
L’aboutissement a été marquant : l’exposition a eu lieu, ce fut un vif succès, cent personnes invitées, le maire de la ville est venu... Tout cela a donné une impulsion ; les détenus y ont cru ; ils se sont dit : « c’est vrai, on peut le faire... » ça.
Cette exposition a regroupé les productions écrites suivantes : Monet, Les quatre saisons, Latcho Drom !
Un volet Arts plastiques avec quelques peintures et travaux personnels enrichit aujourd’hui un mur-classe : « le coin des poètes ». Pour quatre participants, la pratique plastique a été inspirée par des compétences personnelles et Latcho Drom ! a laissé émerger une grande sensibilité... comme une trace indélébile d’un morceau de soi.

Quelques réflexions personnelles à propos de ces deux projets
- Régulation nécessaire : suite aux difficultés liées au découragement face à la tâche écrite, il y avait nécessité d’une remotivation et peu de place pour la lassitude de l’enseignant.
- Rappel du cadre : le fonctionnement avec un public mouvant était difficile (départ de certains, arrivée de nouveaux malgré tout très vite intégrés par des « anciens »).
- Rapports humains : des relations fortes se sont instaurées entre les membres du groupe avec partage d’instants poétiques et satisfaction du travail accompli ensemble. Les participants ont appris à mieux se connaître, à partager beaucoup de choses dans un climat de confiance et de grande cohésion. Et cette qualité des rapports humains est une richesse indéniable pour l’enseignant.
- Ouverture d’un « chemin » vers la bibliothèque.
- Possibilité d’avoir un autre regard sur l’Art et sur l’enseignement : on disait les Impressionnistes, on disait Rodin, on disait Camille Claudel, on disait Monet, Van Gogh... Les détenus ont appris la vie de Van Gogh qui a vécu à Arles et qui est allé à Saint-Rémy de Provence. Un petit peu de savoir s’est immiscé là.
- Valorisation du travail : cette démarche de création, cette spéléologieen soi-même, ce « voyage » de l’observation à l’écrit fut pour le groupe générateur d’un mieux-être, une aide à la restauration de l’image de soi, de l’estime de soi. C’est ce qui fait dire à Auguste, un des Manouches : « quand je sors de la classe, le mardi soir, je sais plus si je suis dans une Centrale, je sais plus »...
D’où le sentiment de plaisir de l’enseignante qui se sent dépositaire et « milliardaire » de toutes ces rencontres, de toutes ces richesses de vie.
Mon questionnement : quel réinvestissement ?
La réflexion personnelle et la confrontation lors des échanges en classe furent d’une grande valeur, tant pour l’authenticité, l’écoute et le respect de l’opinion de l’autre (même opposée) que par l’effort d’entrer en lecture-écriture, la recherche d’information et l’ouverture vers d’autres oeuvres ou auteurs. Il serait intéressant de procéder au suivi de ces détenus ayant participé pour évaluer globalement le réinvestissement des acquis (paramètres cognitifs, respect des règles de la communication orale et de son engagement, comportement et attitudes, notion d’effort soutenu, fidélisation) ainsi que des savoir-faire.
Une aide durable aura-t-elle été apportée au renforcement du mieux-être ressenti ?

Un atelier au long cours en quartier femmes à la MA d’Épinal
Christian Montémont

Des extraits du résultat de ce travail d’écriture ont été présentés lors de la table ronde Travailler sur le sens (voir les trois extraits en annexe).
. public : Katheline, une jeune femme de 22 ans, incarcérée pour infanticide
. horaires : une fois par semaine de 7 heures 45 à 8 heures 30.
. durée : deux ans et demi (sauf pendant les vacances scolaires), ce qui
a représenté un nombre non négligeable de rendez-vous (35 à 50 peut-être ?) avec au fond toujours une incertitude sur son retour, chaque cours, considéré de fait, à la fois comme le dernier et le premier.
. premières séances :
Un jour arrive au cours de français cette jeune femme criminelle qui vient d’être incarcérée. Dès la première séance, il fut évident que le travail ne passerait pas par une forme classique. Au cours suivant, Katheline apporte la première page de son journal.
Cet écrit provoque un choc. L’enseignant sent l’importance de cet acte et se sent incapable d’opposer une fin de non recevoir.
La scolarité de Katheline s’est déroulée en SES  [2] qu’elle a quittée sans avoir obtenu le CFG. L’écrit montre qu’elle n’est pas une experte de l’écriture, qu’elle est même dans un « flou d’illettrisme » et cependant elle écrit. Avec ses moyens, elle essaie de ne pas se noyer.
- Est-ce que t’as l’intention de continuer à écrire ?
- Est-ce que vous lirez ?
- Ah, oui, certainement je lirai, certainement.
- Mais j’avais déjà l’intention de continuer à écrire.
- Certainement, alors tu vas continuer à écrire ; rendez-vous la semaine prochaine et je te demande un nouveau texte...
Ce texte sera peut-être réduit à une ligne (mais une ligne, c’est un texte ; qu’il ait un verbe, un complément n’est pas le problème pourvu que cela veuille dire quelque chose pour la personne).
La fois suivante, Katheline apporte deux lignes sur lesquelles, elle et son enseignant ont beaucoup parlé... et cela a commencé comme ça... Il n’y avait pas d’urgence à écrire pourvu qu’elle écrive un petit peu à chaque fois... Et à chaque fois, quand elle partait, elle emportait avec elle un petit peu de savoir qui donnait un plus pour pouvoir écrire encore...
. type de texte : Ce n’est pas un texte exutoire ou signe de défoulement. Ce n’est pas un texte onirique, ni de la poésie. On est dans un genre littéraire cathartique parce qu’il s’agit pour Katheline de remonter le fil du temps et des actes pour les poser les uns après les autres.
Elle écrit en quelque sorte le livre de sa vie. Bien que l’enseignant ne se sente ni qualification, ni légitimité pour accompagner un tel travail d’écriture à la frontière du psychologique, il ne se sent pas de refuser cet accompagnement et le travail aboutit à un texte au long cours à caractère psychologique.
. le contrat : de part et d’autre une relation correcte entre les deux avec un respect du cadre, des horaires, de la parole donnée... Et de la part de l’enseignant, des exigences draconiennes, en particulier :
- un point non négociable, celui d’écrire toujours la vérité ; ce qui a été difficile pour elle car le mensonge aux dires de son enseignant est son « sport national personnel » ;
- retravailler les textes, après négociation, en cellule pour les rendre communicables
. un apprentissage au service du sens :
Le travail sur les textes a pu conduire à passer beaucoup de temps sur la force du futur simple ou du conditionnel, sur l’emploi d’un participe passé ou d’un infinitif : j’ai tuer « e r » ou j’ai tué « é »...
La grammaire a véritablement été travaillée pour le sens.
. liaison avec le psychologue :
Katheline est suivie par un psychologue. Lors d’une séance, elle apporte les textes travaillés en atelier au psychologue et cela s’est reproduit ensuite régulièrement. Au bout d’un an, le professeur de français et le psychologue ont abordé le sujet.
Dialogue :
- Ah ! Au fait, est-ce que vous savez que je vois Katheline ?
- Oui je le sais...
- Ah ! Et savez-vous qu’elle me passe les textes qu’elle écrit avec vous ?
- Oui je le sais aussi puisqu’elle me l’a dit.
- Ah bon ! Alors vous le savez, alors vous savez que je sais, je sais que vous savez, nous savons...
Le temps passe et le psychologue prend l’habitude de s’arrêter au bureau : « J’ai vu Katheline en séance mercredi dernier, je sais que vous l’avez eue lundi en séance d’écriture... ».
Ce rendez-vous devient hebdomadaire puis bi-hebdomadaire mais à aucun moment, il n’y eut ingérence de l’un dans le travail de l’autre et réciproquement. Par un accord tacite, chacun sait ce que fait l’autre et les bénéfices réciproques qu’ils en tirent tous les deux pour le plus grand bien de Katheline.
. produit fini : un manuscrit en quatre parties où la 1re partie est le journal de Katheline, témoignant d’une écriture de type cathartique qui l’a aidée à se construire/reconstuire pendant toute la durée du travail ; un texte coécrit avec autorisation réciproque pour les deux protagonistes de le diffuser ; les deux en ont copie.
. épilogue : aujourd’hui, Katheline est en libération conditionnelle ; la psychologue qui la suit depuis sa libération a manifesté son étonnement devant la maturité de cette jeune femme qui lui parle souvent du travail d’écriture qu’elle a fait en prison mais qui ne le lui a pas encore montré...

Échanges - Débat
Les interrogations et/ou remarques qui ont suivi ou entrecoupé chacun des deux exposés ont tourné, semble-t-il, autour de trois pôles : un pôle éducatif-pédagogique, un pôle axé sur l’écriture proprement dite et un pôle psychologique.

Pôle éducatif-pédagogique
La question du « turn over »
Maguy Maurin a émis certaines réserves dans la conduite de ses projets, en particulier concernant les transferts fréquents et imprévisibles de détenus. Dans le cadre d’un projet à long terme, ce phénomène peut entraîner des difficultés soit de réalisation (on comptait sur les compétences spécifiques d’un détenu en calligraphie et du jour au lendemain, il n’est plus là), soit de démotivation impliquant de « relancer la machine », d’où la nécessité de monter des projets à court terme ou bien de faire en sorte que l’activité ne pâtisse pas de ces transferts fréquents (par exemple : écrire un texte accompagnant des images peut s’enrichir de l’arrivée ou du départ de détenus...). pour pallier cet inconvénient, Christian Montémont avoue utiliser abondamment les « machines » pour photocopier, photographier, immédiatement tout ce qui est produit afin de mettre/remettre en chantier l’activité, même avec des nouveaux.
Le problème de l’empreinte laissée par ces activités
Que reste-t-il chez le détenu de ce qu’il a vécu au cours de cette expérience, par rapport à un mieux-être et/ou par rapport à des acquisitions : un certain respect des règles de communication dans le travail..., une ouverture vers l’Art, une curiosité pour des poètes ou des peintres... ? Il semble que ce soit plus facile à repérer en ce qui concerne des apprentissages de base comme la lecture. Sur cette question, Géraldine Babelot, psychologue en maison d’arrêt pendant quelque temps, est convaincue que ces expériences ont un effet durable, à plus ou moins long terme, sur les détenus, qu’ils se soient exprimés par l’écriture, la vidéo ou toute forme d’expression artistique. Ces actions leur ont permis à un moment donné de poser des mots sur des actes, d’ordonner des événements épars, de donner du sens à des morceaux de vie.
Mais il reste difficile d’avoir une certitude sur (voire de mesurer) l’impact final de toute action pédagogique et/ou éducative.
Cependant, cette incertitude fait partie intrinsèque de l’activité enseignante, non spécifique au milieu pénitentiaire et comme le rappelle Laurent Duhamel au cours de l’atelier : depuis Freud, on sait que « enseigner est un métier impossible ».

Pôle axé sur l’écriture
Qu’est-ce qu’écrire ?
C’est Pierre Plumerey qui a tenté de cerner cette question. Pour lui, « l’écriture est la trace de l’impossible rencontre de soi à soi... Plus qu’elle ne donne une véritable reconnaissance, elle met une distance de soi à soi... Elle ne confère pas une identité au détenu, elle le sépare de lui-même (tant il est d’un seul bloc, sans aucune distanciation), elle lui permet de s’authentifier, de se repérer ». Du coup, il est alors moins important de le faire écrire que de l’amener à cette distanciation par la réflexion ou la méditation. Et Pierre Plumerey décrit ses cours où il privilégie plutôt la parole et où, comme le remarque un détenu, « le seul qui prend des notes est le prof ! » Les productions écrites ici sont les paroles des détenus saisies oralement et mises en forme écrite par ses soins.

Donner ou non ses écrits aux autres ?
Plusieurs anecdotes sont rapportées sur ce sujet : un prisonnier qui écrit des textes superbes, qui les donne rarement, mais parfois à lire à l’enseignant et qui les détruit aussitôt après de retour en cellule ; un écrit imprimé et diffusé provoque la colère de son auteur pendant un cours tant il était peu prêt à le donner ; un détenu qui a une énorme envie de communiquer, y compris avec l’extérieur par le biais d’un forum de discussion sur Internet, accepte de le faire seulement sous couvert d’anonymat... De la destruction des traces au difficile partage de son texte et jusqu’à l’écrit anonyme, on voit que les rapports à l’écriture parcourent toute une gamme de comportements sans doute non spécifiques au milieu pénitentiaire mais plus exacerbés.

Intérêt du pédagogue et intérêt de l’écrivain
Yves Ughes relève ce qui peut se nouer d’étrange et de mystérieux entre le détenu et l’enseignant autour du travail sur la langue pour arriver à produire ce texte. Il évoque alors François Bon, écrivain animant des ateliers d’écriture en prison à Nancy. Celui ci a dit comment des détenus ont interpellé sa propre écriture, comment il s’est laissé traverser par leurs écrits et comment il n’a plus pu écrire comme dans le passé. C.Montémont reconnaît que son intérêt a été multiple : esthétique, littéraire par amour du texte et de la langue, pédagogique car il a fallu aider à la construction de cet écrit, psychologique car il s’est agi d’accompagner Katheline dans la découverte d’elle-même...

Pôle psychologique
Ce point est abordé, suite à l’exposé de Christian Montémont concernant le travail d’écriture avec Katheline.
La question des limites
Cette expérience d’écriture très singulière soulève de vives réactions parmi les participants. Pour certains d’entre eux, on est sorti du cadre professionnel, on est à la limite de l’activité enseignante, on a basculé sur un versant psychologique et la situation dérange. Conscient de cet aspect, C. Montémont avoue s’être posé beaucoup de questions au cours de cette aventure.

Du côté de l’enseignant
La question qui se pose est celle de la capacité ou non d’assumer la situation. Certains souligneront vivement leur réticence à se lancer dans une telle expérience, préférant faire appel à des professionnels plus compétents dans le domaine. Dans l’éventualité d’un engagement de leur part, d’autres attendront une collaboration explicite avec le psychologue ou le psychiatre. Concernant Katheline, la collaboration avec le psychologue fut plutôt implicite.

Du côté du détenu
C’est Géraldine Babelot qui conclura sur le sujet. Pour un psychologue, un tel travail est une mine d’or. Une thérapie est efficace dans la mesure où il y a parole, mise en mots et donc travail sur le sens. Or que ce soit par l’écrit ou grâce à n’importe quelle forme d’art, les expériences relatées ici montrent qu’on travaille bien à une élaboration mentale permettant à la personne de se construire/reconstruire (a minima participant à son mieux-être).
Et plutôt qu’utiliser les méthodes classiques d’entretien frontal dans les séances, il peut se révéler plus fructueux, pour un psychologue, de développer une approche indirecte des émotions des détenus en développant une collaboration plus étroite entre les enseignants et les psychologues.

Notes:

[1CFG : Certificat de formation générale, le premier diplôme proposé par l’Éducation nationale

[2Ses : Section d’enseignement spécialisé, ancienne appellation des actuelles Segpa (Section d’enseignement général et professionnel adapté)