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Mise en ligne : 17 novembre 2004

Texte de l'article :

INTRODUCTION AU MONDE DE LA PRISON

"Mon plaisir n’est pas de créer l’ordre, mais le désordre au contraire au sein d’un ordre absurde, ni d’apporter la liberté, mais simplement de rendre la prison visible"

Paul Claudel

 Le monde pénitentiaire est présent au sein même de la société, il est pourtant un monde méconnu. Surpopulation, grèves, évasions, mutineries : la presse ne s’intéresse au sujet que lorsqu’il sort de l’ordinaire. Cet "ordinaire" n’y est pas pour autant banal.

Connaître le milieu carcéral reste encore, de nos jours, un difficile parcours pour qui n’y a aucun intérêt particulier. Les médias, avides d’événementiel, cédant à une certaine facilité, négligent ce milieu clos. Bibliothèques et revues ne privilégient pas une information qui reste confidentielle, et à l’heure du réseau mondial, Internet livre beaucoup plus d’informations sur les prisons américaines, canadiennes ou même européennes, que sur les prisons françaises. Ce défaut de transparence est à l’image d’une société encore passive face au sujet de l’enfermement. Récemment, lors d’une des trop rares émissions télévisées consacrées au problème des prisons, le garde des sceaux Elisabeth Guigou ne regrettait-elle pas que "la société se désintéresse complètement de ses prisons."

 Or, la prison est un milieu complexe et, comme on le verra, beaucoup plus en interaction avec la société que celle-ci ne le souhaiterait. Bien que close, la prison n’en est pas pour autant un milieu hermétique, son manque de transparence n’induit pas une imperméabilité. Le milieu carcéral est d’autant plus en interaction avec l’extérieur qu’il est en osmose avec celui-ci. On ne peut réduire aux surveillants et aux détenus la population impliquée, ce serait oublier que chaque détenu et chaque surveillant a une famille directement concernée. Près de 80 000 personnes chaque année sont condamnées à une peine de prison et même une fois libéré, on reste toujours un ancien "taulard".

 Un projet concernant la prison, qui évolue aussi vite qu’évolue une société, peut-il se contenter d’apporter une solution aux problèmes du présent ? Quel peut donc être le rôle d’un architecte, aujourd’hui, dans le sens d’une évolution ? Question bien innocente pensera-t-on, mais l’architecte n’est-il pas de ceux qui se doivent de penser à ce que sera demain ? C’est avec beaucoup d’humilité qu’on peut croire à la possibilité de corriger les erreurs du passé, mais c’est avec beaucoup de prétention qu’on doit songer à perfectionner l’existant.

On améliore le confort du logement, l’équipement des hôpitaux, l’esthétique des bâtiments publics, mais une prison reste une prison.

 "Les architectes, ceux qui conçoivent les prisons de demain. Coincés entre les contraintes de la sécurité et le désir de faire entrer dans les prisons un peu de chaleur humaine. Comment transformer les neuf mètres carrés rectangulaires réglementaires d’une cellule en une pièce ressemblant à une chambre, dont les toilettes ne seraient plus visibles des autres détenus tout en le restant des gardiens ? Voilà la quadrature du cercle à résoudre."

Si la société des hommes a choisi la prison pour traiter ses maux, c’est qu’entre le monde sauvage où il n’est pas de loi, et celui, virtuel, des robots où il n’est pas de déviance, celui des hommes nécessite punition et correction. L’évolution du monde des hommes implique donc l’évolution de ses prisons, mais au-delà du détail strictement architectural, ce dont il s’agit est d’améliorer la relation, vitale, entre la prison et la société.

 C’est un vaste chantier qui s’ouvre à l’aube de l’an 2000, pour l’administration pénitentiaire, pour l’ensemble de la société française, et bien sûr pour les architectes. Palais et cathédrales ont disparu des cartons à dessins, on est à même de penser que les prisons, telles que nous les connaissons actuellement, suivront, demain, le même chemin. C’est pourquoi il me semble nécessaire d’adapter la prison en tenant compte de cette considération. Mais quelles sont, aujourd’hui, les formes nouvelles que nous pouvons proposer dans le sens de cette évolution ? C’est un chemin difficile qui s’ouvre à nous, architectes. Je ne prétends pas avoir la solution aux problèmes actuels, je souhaite simplement apporter une ébauche de solution, allant dans le sens d’une évolution des mœurs, des lois et de l’Histoire...