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Voyage au bout de l’enfer

Mise en ligne : 14 janvier 2005

Texte de l'article :

Voyage au bout de l’enfer
rapport de visite à Borj El Amri
mercredi 12 janvier 2005, par Térésa Chopin

RAPPORT DE VISITE A MON FILS A LA PRISON DE BORJ EL AMRI - TUNIS

3 et 4 janvier 2005

Le Quai d’Orsay m’a organisé une visite à mon fils à la Prison de Borj El Amri avec pour mot d’ordre de me rendre à l’administration pénitentiaire pour avoir un laisser passer pour une visite à mon fils.

Le 3 janvier 2005 :

Je me rends à l’administration pénitentiaire , il est 8 h 45 ; la personne à l’accueil arrive en retard, plusieurs personnes attendent comme moi.

Quand mon tour arrive : je lui dis que je viens chercher l’autorisation spéciale que le Consulat de France a demandée pour moi.

La personne me répond qu’elle n’est au courant de rien et me conseille d’aller voir à la prison pour voir si eux, ont l’autorisation. J’appelle le Consulat de France à Tunis et je leur dis qu’à l’administration pénitentiaire, ils ne sont au courant de rien et que je refuse de me rendre à la prison si je n’ai pas un écrit car on ne me laissera pas passer.

La personne au Consulat de France me dit qu’elle appelle le directeur de la prison et me tient informée. 5 minutes plus tard, le Consulat a résolu le problème et m’informe que le directeur de la prison est informé de ma visite et que j’ai un accord pour 2 visites le 3 et 4 janvier 2005.

Je prends la direction de la prison, une heure plus tard, j’y suis. Pour une fois, l’amabilité des gardes est au rendez-vous ; ils étaient informés de ma visite.

Après une attente pour contrôle d’identité, on me fait entrer dans une pièce où se trouvaient quelques sièges et un bureau pour les gardes qui assistent à la visite.

J’ai demandé s’il était possible de remettre quelques vêtements à mon fils que j’avais apportés mais on m’a répondu que je n’avais pas le droit de lui remettre quoi que ce soit. Mais son père pourra les lui remettre lors de ses visites.

Après une attente de 15 minutes environ, mon fils arrive, entouré de 2 gardes . Je me dirige vers lui et enfin, je peux l’embrasser.

Remarques sur son état : en apparence le sourire, l’air de rien. Je lui demande de s’asseoir, 3 gardes occupent la pièce également, dont 2 viennent s’asseoir de part et d’autre auprès de mon fils et de moi pour mieux contrôler la conversation. Je m’aperçois que mon fils a beaucoup de difficultés à se mouvoir et est très abattu.

Il était relativement couvert et je ne pouvais voir que ses mains qui étaient rongées par la gale. Il a des coupures entre les doigts et la peau est très abîmée, avec beaucoup de plaies et il me dit que ses pieds ne vont pas bien non plus, qu’il a des ongles incarnés et qu’il a un gros problème au genou et surtout qu’il ne tiendrait pas 13 ans dans ce trou !

Nous avons continué notre conversation par des nouvelles de la famille et beaucoup d’autres sujets et il me dit avoir reçu mes cartes postales envoyées pour son anniversaire ainsi qu’une carte de la personne qui le parraine au niveau d’Amnesty International.

Je lui demande s’il voyait ses camarades, il me répond qu’ils ne se voyaient jamais, qu’il était strictement interdit pour eux de se rencontrer ; ils sont dans des secteurs différents.
Je lui demande : avez-vous une cour commune ou un réfectoire où vous pouvez vous rencontrer ? Il me répond qu’ils n’ont pas de lieu commun.

Pendant mon entretien avec mon fils, je lui cite le nom de toutes les ONG pour faire comprendre aux fonctionnaires présents que ces jeunes étaient suivis et défendus à l’extérieur de la Tunisie.

Mon fils me dit ironiquement : « maman, si nous étions de dangereux terroristes, est-ce que la France aurait accordé le statut de réfugié politique à Ayoub Sfaxi ? (condamné par contumace et résidant en France) »

Je m’adresse aux gardes présents et leur demande de transmettre un message au directeur en lui disant que j’étais prête à financer la visite d’un médecin ainsi que les médicaments pour mon fils, et surtout que je voulais le rencontrer. 15 à 20 minutes se sont écoulées et les gardes me font comprendre que la visite est terminée !

Je leur dis que je reviens demain matin à la même heure.

Le 4 janvier 2005 :

A mon arrivée, on me reconnaît et je demande au fonctionnaire s’il y a une possibilité de rencontrer le directeur ; il me répond qu’il va se renseigner. Il revient et me dit que la pièce qui sert de salle de visite spéciale est occupée par une autre visite. Je lui demande alors : puis-je rencontrer le directeur tout de suite ? Il me dit oui et m’accompagne jusqu’au bureau du directeur.

Entretien avec le directeur de la prison :

Je lui dis bonjour.

 « Monsieur, je présume que vous n’avez jamais reçu mes courriers concernant ma demande d’assistance médicale à mon fils »

 « Non, pas du tout »

 « Monsieur, mon fils m’a affirmé hier qu’il n’a jamais vu un médecin depuis qu’il est détenu »

 « Madame, tous les détenus disent à leur famille qu’ils sont tous malades pour que leur famille accélère leur procédure juridique. Tous les détenus ont vu un médecin car nous avons, dans cette prison, 3 médecins, un orthopédiste et un cardiologue et s’il le faut, nous les emmenons à l’hôpital car nous avons beaucoup d’hôpitaux à Tunis. »

Il n’a pas pu me prouver que mon fils ait eu des visites d’un médecin mais m’a dit « votre fils a eu la visite d’un médecin hier et nous avons constaté qu’il avait la gale ».
Je lui demande ce que comporte le rapport du médecin et il me dit que le médecin a indiqué que mon fils avait la gale, qu’il avait des ongles incarnés et un grand handicap au niveau d’un genou et qu’il lui faudra une opération. Il me dit « je vais faire une demande à l’administration ».

Je lui demande : « pouvez-vous me fournir la copie du rapport du médecin ? » mais il ne m’entend pas.

 « Monsieur, il y a combien de détenus par cellule ? »
Il n’a pas pu me répondre et s’est adressé au garde présent pour savoir ; celui-ci lui dit : 45 .
Je savais que c’était faux.

 « Monsieur, ne peut-on pas améliorer leurs conditions de vie, pour qu’ils soient moins d’individus par cellule ? »

 « Je note votre demande »

 « Monsieur, ne peut-on pas transférer mon fils dans un autre lieu de détention près du domicile du père ? »

 « Que votre fils en fasse la demande ».

 « Mon fils en a fait la demande depuis déjà plusieurs mois »

 « Oui, en effet, il me semble avoir vu cela...... , je renote votre demande »

 « Monsieur, vous êtes le maître en ces lieux, vous serait-il possible de m’accorder des droits de visite à mon fils ? »

 « Non madame, vous serez dans l’obligation de faire la même démarche auprès de vos autorités qui se mettront en rapport avec l’administration pénitentiaire pour avoir le droit de revoir votre fils. »

 « Monsieur, nous savons, vous et moi, que ces jeunes sont là injustement ! »

 « Madame, vous savez, moi je ne suis pas au courant de leurs dossiers , ils arrivent ici avec des peines à effectuer, c’est tout ! »

 « Monsieur, vous savez, au niveau international, tout le monde sait que ces jeunes n’ont rien à faire dans votre prison. Les pièces juridiques de cette affaire n’ont jamais démontré une quelconque culpabilité de ces jeunes. »

 « Madame, avez-vous des notions juridiques ? »

 « Parfaitement, Monsieur ! Mais ce n’est pas moi qui ait démontré que ces jeunes ne sont pas coupables, ce sont les avocats de la défense, qui sont tunisiens et qui appliquent la loi tunisienne et qui font un travail remarquable. »

 Monsieur, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour sortir ces jeunes de là ! Monsieur BARNIER, Ministre des affaire étrangères a déjà informé les autorités tunisiennes de la situation de ces jeunes et fin janvier, Monsieur RAFFARIN, premier Ministre, sera en visite en Tunisie et je l’ai informé également de cette affaire et espère qu’il interviendra au niveau de vos autorités. Ce qui est également valable pour la presse internationale.

 « Monsieur, je fais ce que vous auriez fait pour votre enfant si vous étiez dans ma situation et convaincu qu’il est innocent. »

 « Madame, il faut dire ça à l’administration pénitentiaire »

 « Madame, je fais faire le nécessaire concernant vos demandes et tant que votre fils sera détenu dans cette prison, il sera traité convenablement, comme le prévoit la loi. »

 « Monsieur, vous serait-il possible de me donner vos coordonnées pour avoir des nouvelles de mon fils ? »

Il s’adresse au garde et lui dit « donnez lui le n° du standard »

 « Monsieur, je ne vais pas vous faire perdre plus longtemps votre temps précieux et vous remercie de votre accueil ».

2ème visite à mon fils :

Je reviens voir Omar, il est déjà dans la pièce, je me blottis dans ses bras, il n’y a plus que 2 gardes dans la salle, dont un qui prend des notes avec un papier et un crayon.

L’ambiance est beaucoup plus favorable et détendue du fait que j’avais rencontré le directeur avant. Omar est content, il me dit « j’ai vu un médecin hier soir ! ».

Je lui demande : « combien vous êtes par cellule ? » Il me répond : « nous sommes plus de 100 dans ma cellule dans moins de 100 m2. » Un des gardes présents me confirme ce que mon fils venait de me dire.

J’ai demandé à mon fils d’enlever ses chaussures, que je puisse vérifier l’état de ses pieds, ainsi qu’une partie de son corps.

J’ai constaté que les ongles de ses pieds étaient incarnés et qu’un de ses genoux était complètement disloqué. Des traces de gale sur les mains, sur les jambes, les avant bras, mais pas de traces de maltraitances physiques apparentes.

Je lui ai demandé si on lui faisait de mauvais traitements, il m’a répondu que depuis un certain temps on le laissait tranquille.

Son état psychologique est très fragile, il est prêt à n’importe quoi pour sortir de là. Il me répétait sans arrêt « je ne veux pas rester 13 ans dans ce trou ! »

Mon fils me dit : « maman, j’ai demandé depuis 8 mois à continuer mes études en prison mais on ne m’a toujours rien accordé. »

Je dis aux gardes présents qu’il serait bien d’occuper l’esprit de ces jeunes pour qu’ils ne pensent pas à se détruire.

Je pose la question à Omar : « comment te nourris-tu » ? Il me répond : « avec la nourriture que papa m’apporte car la nourriture qu’on nous sert est immangeable mais nous n’avons pas le droit de recevoir de produits laitiers, ni sucre, ni gâteaux. Les légumes doivent être épluchés, lavés et coupés car nous n’avons pas de couteau. Seuls les fruits , légumes et viande sont autorisés, ainsi que les œufs durs dont la coquille ne doit pas être abîmée. Papa m’amène également des vêtements. »

« Nous pouvons acheter à l’intérieur certaines choses mais parfois on se fait voler notre argent, c’est ce qui m’est arrivé récemment. »

Il me dit que depuis peu il a eu droit à un matelas et des couvertures pour dormir. Auparavant, il dormait à même le sol et au début de sa détention, il dormait assis sur un seau renversé qui lui servait de siège.

Je lui demande : « sortez-vous de votre cellule durant la journée ? » Il me répond : « nous faisons 2 promenades par jour, le matin et l’après midi. » Ils ont également le droit de regarder un film une fois par semaine. Ceux dont l’état de santé le permet peuvent faire du football de temps en temps.

J’ai encore tellement de choses à lui dire et des questions à poser mais le garde nous fait comprendre que le temps de la visite est écoulé et qu’il me faut partir.

Il me dit : « maman, je t’écris toutes les semaines », je lui répond que je n’ai reçu qu’une seule de ses lettres depuis qu’il est en détention.

Je l’embrasse très fort et surtout je lui dis que je fais le maximum pour le sortir de là et qu’il ne perde pas patience et que tout le monde est avec lui.

Ma conclusion :

* aspect positif : j’ai pu voir mon fils, j’ai pu vérifier son état de santé, il a été vu par un médecin.

* aspect négatif : aucun contrôle de savoir si les promesses de meilleures conditions de détention vont être respectées ni s’il va obtenir des soins, ni même l’éventuelle demande d’opération.

Source : Le réveil tunisien