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Voter en prison

Mise en ligne : 9 avril 2007

Dernière modification : 17 décembre 2007

Texte de l'article :

 Le 22 avril prochain a lieu le 1er tour des élections présidentielles, suivi, le 6 mai, du second tour. Puis, les 10 et 17 juin, se déroulent les élections législatives, et en 2008, les élections municipales. Peuvent voter tous les citoyens qui ne sont pas privés de leurs droits civiques, qu’ils soient incarcérés ou non.

 Avant 1994, une condamnation pour crime, une condamnation à une peine d’emprisonnement supérieure à un mois prononcée avec sursis pour certains délits comme le vol, l’attentat aux mœurs ou l’escroquerie et une condamnation à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou plus de six mois avec sursis entraînaient automatiquement la privation des droits civiques à vie. Le relèvement de ces interdictions est envisageable si la personne en fait la demande expresse. Le nouveau code pénal fixe à 10 ans, maximum, la privation des droits civiques en cas de condamnation pour crime et à 5 ans maximum en cas de condamnation pour délit. Cette privation de droits civiques n’est plus automatique ; elle doit être explicitement prononcée au moment du jugement. Il existe cependant deux exceptions : la suppression du droit de vote est automatique en cas de condamnation pour manquement au devoir de probité ou atteinte à l’administration publique (corruption, soustraction et détournement de biens...). Il est à noter que l’article 131-29 du code pénal dispose que : " Lorsque l’interdiction d’exercer tout ou partie des droits énumérés à l’article 131-26, ou l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, accompagne une peine privative de liberté sans sursis, elle s’applique dès le commencement de cette peine et son exécution se poursuit, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin." Autrement dit, une privation de droits civiques de 7 ans qui accompagne une condamnation à une peine privative de liberté dont l’exécution correspond à 13 années passées en prison conduit en fait à une privation des droits civiques de 20 ans. Pourtant l’exercice de la citoyenneté, dans toutes ses déclinaisons (droit de vote mais aussi droit d’être éligible à toutes les instances représentatives, prud’homales, syndicales, de conseil d’administration, de délégation du personnel) contribue de manière évidente à la réintégration dans la communauté.

 Quand la personne incarcérée a conservé ses droits civiques, l’exercice effectif de ces droits est pourtant difficile. D’abord faute d’information ; l’idée selon laquelle une personne privée de liberté ne peut pas voter est ancrée dans les mentalités. Ensuite il faut faire la démarche d’inscription sur les listes électorales ce qui souvent suppose de refaire ses papiers d’identité. Enfin, il faut trouver un mandataire ou bien bénéficier d’une permission de sortir le jour du scrutin. Tout cela explique sans doute le chiffre de 500 personnes qui, au dernier scrutin (référendum de 2005), avaient pu exercer leur droit de vote, alors même qu’environ un tiers des presque 60 000 personnes incarcérées sont des personnes prévenues ou des personnes non jugées définitivement (la privation de droits civiques n’ayant donc pu être prononcées). Même en excluant les personnes n’ayant pas la nationalité française, la proportion d’inscrits sur les listes électorales est très faible. Indiscutablement, il y a une responsabilité et un devoir d’explication, de sensibilisation de la population carcérale sur ce que sous-tend l’exercice de son droit de vote ; la population carcérale est en général caractérisée par un faible niveau d’étude et la prise en compte de cette donnée est essentielle. En outre l’installation de bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires auraient un double avantage ; celui de rendre plus perceptible aux yeux des personnes incarcérées la possibilité d’exercer leur droit de vote et celui de s’affranchir de la difficulté à trouver un mandataire (lequel doit être inscrit dans la même commune et ne peut recevoir qu’un seul mandat). Par ailleurs, exercer soi-même son droit de vote a une signification autre que de donner un mandat à une personne, qui, dans le contexte de la prison peut même être une personne que l’on ne connaît pas. Certes, l’administration pénitentiaire a saisi le ministère de l’Intérieur pour étudier la question de l’installation de bureaux de vote dans les prisons, en vue de l’élection présidentielle. Mais cette démarche n’a été engagée que courant février 2007.

 Qu’il s’agisse d’exercer leur droit de vote quand les personnes incarcérées n’en sont pas privées, qu’il s’agisse du temps réel dont les personnes sont privées de leur droit de vote (le temps réel est égal au temps prononcé par la juridiction de jugement pour cette interdiction plus le temps passé en prison) il est tangible que le parcours est semé d’embûches. En outre, pour les personnes condamnées avant 1994 et qui avaient perdu de façon automatique leurs droits civiques le relèvement de cette interdiction consiste en des démarches compliquées, qui n’aboutissent pas toujours et que peu de personnes engagent, faute d’informations et également faute de moyens (au sens large). L’exercice de la citoyenneté, en prison comme à l’extérieur, doit être préservé dans les meilleures conditions possibles ; cet exercice doit être plein et entier, incluant donc, non seulement le droit de vote, mais aussi celui d’être éligible. S’agissant de la prison, cet exercice doit s’accompagner de la mise en place de processus de délégation et de consultation régulières sur tous les aspects de la vie carcérale comme cela se pratique dans certains pays d’Europe.

La rédaction
Ban Public
(Avril 2007)