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vendredi, 28 novembre 2003 - 2 -

Mise en ligne : 20 mai 2004

Texte de l'article :

vendredi, 28 novembre 2003

Cette première promenade est enfin passé, me revoici de nouveau dans ma cellule, mais cette fois ci accompagné de quatre bleus, un hématome et la lèvre inférieure dans un état que je ne pourrais décrire. Je m’allonge sur mon lit et attends que le temps passe. Cela fait quatre jours, en comptant la garde à vue que je suis privé de liberté, de loisirs. Si au moins j’avais une télé pour pouvoir me changer les idées ou même du papier et un stylo pour pouvoir écrire à ceux qui m’aiment dans le but de les rassurer. Bien évidemment, je ne raconterai pas ce qu ‘ il se passe réellement mais j’aimerais tant pouvoir leur écrire ou avoir de leurs nouvelles pour ressentir la sensation de liberté ! Quand je pense qu’un fait de trente secondes peut vous faire vivre un enfer de six mois minimum... L’œillet bascule, un surveillant ouvre. C’est l’heure de la ‘gamelle’. Je retire le plastique recouvrant cette barquette.

Quelques pâtes. Sans sel, sans sauce.

Je suis affamé, mais je ne peux déguster ce repas que par petites bouchées car à chaque fois que la nourriture entre en contact avec ma bouche, une douleur intense se déclare sur ma plaie au niveau de ma lèvre. Je me réinstalle prés de la fenêtre, et attends de nouveau que le temps passe. J’entends que l’on m’appelle, par la fenêtre, à gauche, à droite, je ne réponds pas. L’œillet bascule, un surveillant ouvre.

- « Il est 16h00 c’est l’heure de la promenade de l’ après midi, j’imagine que tu souhaite rester dans ta cellule.
- Non, je descends. »
Le surveillant me regarde bizarrement, il doit penser que je suis suicidaire. Je remets mon manteau, je garde le même pull et, après m’être fait fouiller me retrouve dans ce couloir. Les détenus me dévisagent de nouveau, mais cette fois ci d’une autre manière, moins moqueur. Nous nous retrouvons dans cette promenade, Kalidou avance vers moi, je m’attends au pire mais je ne bouge pas et le laisse s’approcher. Tous les regards sont fixés sur nous. Ils se bloquent en face de moi, me regarde dans les yeux, me serre la main et se présente. Voilà, je pense que maintenant ils ont pu réaliser que je ne suis pas une ‘victime’...

Kalidou me propose de marcher avec lui dans la promenade, puis, il m’ adresse la parole : « 

- Tu viens d’ où ?
- De Maurepas et toi ?
- Mantes la jolie, ton prénom ?
- Olivier. Toi ?...
- Kalidou. T’ as fait quoi pour être ici ?
- Et toi ?..
- Moi, j ai fait un braquage qui a mal tourné..
- Ah ok... ba moi j’ ai eu une embrouille avec un gars, qui a mal tourné...
- Comment ca ?
- Laisse tomber c’ est long à expliquer... sinon ca fait combien de temps que tu es là ?
- Ca fait 5 mois et 14 jours mais j en ai encore pour un an et toi t as pris combien ?
- 6 mois... »
La promenade est partagée en deux groupes de détenus, du côté Est, marchent les détenus qui sont détenus pour viol, et du côté Ouest, tous les autres détenus. Il n’ y a que des mineurs dans cette promenade et pourtant, les deux groupes sont de même nombre. Dans un coin de la promenade, je vois un Français, seul, le regard vide. Il semble amical, je décide donc d’ aller faire sa connaisance. « 
- Salut.. j’ m’ apelle Oliver et toi ?
- Aurélien, enchanté.
- T’ as quel age ?
- J ai 17 ans et toi ?
- 17 aussi, t’ as fait quoi pour être ici ?...
- Et bien en fait, j’ ai fait un cambriolage.
- Ok et tu as pris pour combien ?
- 3 ans ferme.
- 3 ans ferme pour un cambriolage ?!
- Oui parce que tu vois, pendant mon cambriolage, la personne chez qui j’ étais est rentré chez elle, quand je l ai vu cette salope de vieille, j’ ai pris mon flingue, je l’ ai tué puis je l’ ai violé.
- Ah ok »

Finalement, je pense qu’il est plus sain pour moi de discuter avec des braqueurs plutôt qu’avec un fou. Je retourne parmis le groupe Ouest et à ce moment, deux surveillants se mettent devant la porte et nous font signe de rentrer. Tout le monde fait un dernier tour de cour. Nous remontons en direction de nos celulles, je suis déjà habitué à l’odeur de ces couloirs interminables. Un surveillant ouvre ma cellule, me refouille et ferme la porte derrière moi. Je suis de nouveau dans ma cellule, seul. Sans télé. Sans livre. Sans papiers. Sans cigarettes. Sans rien en fait... Le temps passe, j’ entends mon voisin qui regarde ‘Beverly hills’, la musique du générique me remémore les moments où j’ étais tranquille dans mon salon avec mes sœurs en train de regarder cette série américaine. Si j’avais su que je serais ici un jour, je pense que j’aurai plus profit de ma liberté. Ce n’est que mon deuxième jour ici, et je suis déjà en manque de liberté... et de cigarettes aussi d’ailleurs, et là il faut vraiment que je trouve une solution. J’avais vu la veille, la technique utilisé par les détenus pour appeler un surveillant lorsque l’on est enfermé dans sa cellule, ils prennent un bout de papier et le font passer à travers la porte, comme cela, lorsqu’un surveillant passe, il apercoit le papier flotter sur le haut de la porte et il entre dans la cellule. Mais, je n’ ai pas de papiers. Je prends donc du papier toilette et le fais passer à travers la porte de ma cellule. Une heure et demi passe, il est maintenant 18h15. Les surveillants ne possèdent plus les clés d’aucune cellule à partir de 19h00, ils font donc un dernier tour dans le couloir avant de rendre les clés vers 18h30. Un surveillant remarque mon drapeau, il jette un œil dans l’œillet, puis entre dans ma cellule.
« 
- Tu veux quoi Soz ?
- Heu... j’ai un gros problème...
- Quoi ?
- En fait, j’ai vraiment un besoin urgent de cigarettes, auriez vous une cigarette à me dépanner s’ il vous plait ?
- Tu te fous de ma gueule Soz ?
Apparemment, j’ai affaire à un homme enervé.
- Pas spécialement, mais bon c’etait à tout hasard... donc je supose que vous en avez pas, tant pis, merci. »

Le surveillant s’en va sans dire un mot.

Bon. Changement de plan.

Je me souviens avoir vu lors de ma promenade, de longs draps blancs déchirés qui étaient accrochés à quelques fenètres et qui pendaient. J’en avais déduis que c’étaient le moyen utilisé par les détenus pour s’echanger des choses de cellules en cellules. Je me mets donc à la fenètre et décide de trouver une cigarette par ce moyen. J’ai remarqué que les détenus, pour s’appeler de cellule en cellule, précédaient le prénom du destinateur et leur phrase par un ‘ Hééééé !’ pour permetre à la personne qui écoute de savoir que c’est à ce moment qu’il faut qu’il écoute ce que le destinataire dit et pour eviter que les cris se croisent. Je m’adapte, et me mets donc à la recherche de cette cigarette. « 
- Héééééé Kalidou ?
Pas de réponse. Est il de ce côté du batiment ?
Je retente. Mais cette fois ci moins timidement et en prenant une grosse voix.
- Héééé KALIDOU !
Cette fois ci, j’ entends sa voix, qui est d’ailleurs complétement cassé à force de crier à la fenètre.
- Ouais, ouais ?? c’est qui là ?? - C’est Olivier. T’ aurais une cigarette ?
- Ah non non j’ai pas, je fume pas mais attends... Héééé Karim ?
La voix d’ un autre détenu, Karim, retentit.
- Ouais, ouais ?
- T’ as une cigarette pour Olivier ?
- C’est qui ca Olivier ? Un pointeur ?
Le mot ‘pointeur’ est le mot le plus utilisé pour dire ‘violeur’
- Nan, nan ! c’ est un gars tranquille. T’inquiète.
- Ok... Hééééé Olivier ?
- Ouais, ouais ?
- Vas y mets ton bras dehors que je vois où t’es. »

Je mets mon bras dehors et Karim regarde à l’aide de son miroir où je me situe. Son yoyo, qui est le drap déchiré, est trop petit pour m’atteindre, il appelle donc un detenus qui se trouve entre nous deux pour servir d’ intermédiaire. Puis, l’ autre détenu que je ne connais pas me demande de ressortir mon bras, je le fait et je recois le yoyo. Alors qu’ il tiens encore le bout, il me demande de le tirer le plus possible dans ma cellule. Je récupère donc les quatres cigarettes, les six allumettes et le grattoir qui m’étaient destinés, je remercie Karim et Kalidou et retourne m’assoir sur mon lit, cette fois ci, accompagné d’une cigarette que je consume lentement et avec dégustation. Un yoyo est fabriqué de cette facon : Il suffit de déchirer un drap ou un tee-shirt, et de le déchirer en plusieurs lamelles, puis de les attacher les unes aux autres. A une extrémité, on y mets le poids. C’est généralement une chaussette, avec à l’intérieur un savon. A l’ autre extrémité, on y mets un sac qui permetra d’y mettre la chose que l’on veut envoyer. Le système d’utilisation n’est pas compliquée, l’ envoyeur fait tourner le yoyo côté poids à sa fenètre, puis il le lache d’un coup en direction de son receveur, puis le receveur qui a le bras en dehors receptionne le yoyo, et tire jusqu’ à ce que le sac vienne jusqu’ à lui.

Cette cigarette m’a décidemment destressé. Je transforme mon blouson en coussin en le mettant dans mon tee-shirt, je me couche sur le dos, et pense. Qu’est ce que je fais là ?... Qu’est ce que je fais là ?... Qu’est ce que je fais là ?... J’espère que maman ne s’inquiète pas. Je revois les visages de toute ma famille lorsque je les ai vus au tribunal. J’ai envie de pleurer. Je me retiends. Puis je repense à Olivia, je préfère ne plus me retenir. Puis je me reprends, il faut que je tienne le coup, ce n’est que le début. C’est dur. Demain, il faut à tout prix que je trouve un moyen de leur écrire. De même que le soir précédent, je repense à Olivia et à nos moments pour réussir à m’endormir. Nous étions partis l’été précédent en vacances, avec Jérôme, Fabrice et Olivia dans le Sud-Ouest de la France, à St-Palais près de Royan. Alors que nous étions censés rentrer le 18 Aout, nous avions décidés, Olivia et moi, de rester un jour ou deux de plus. Nous avions dépensé pratiquement tout notre argent, nous étions donc partis du camping dans lequel on était pour aller faire du camping sauvage, dans les dûnes en face de la plage. C’ était... Paradisiaque. Le premier soir, juste après l’installation de la tente, nous avions décidé de dépenser nos derniers euros pour manger dans un restaurant de fruits de mers, et le lendemain nous étions restés toute la journée à se dorer au soleil sur les dunes tout en discutant de nos projets. Olivia m’avait proposé que l’on s’installe ensemble dès sa majorité, donc le 6 décembre de la même année. Aussi, d’après mes calculs, le 6 décembre, cela fera 2 mois et quelques jours que je serai en prison. Impossible de dormir. Je ne peux même pas savoir l’heure, je pense qu’il doit etre environs deux heures du matin. Je me tourne et me retourne dans mon lit sans réussir à dormir. Je m’endors finalement vers trois heures.

Je me réveille en sursaut suite à un cauchemar dont je n’ai aucun souvenir à six heures du matin, puis, vers sept heures, j’entends le surveillant qui réveille chaques détenus avec son fameux ‘bonjour’. Il arrive à ma cellule, regarde dans l’œillet puis ouvre ma porte. « Bonjour Monsieur Soz ! il est sept heures ! Prépare-toi, dans cinq minutes c’est la douche. » La douche... Je n’avais pas pensé à ce détail. La douche... lorsque l’on regarde un film concernant les prisons, les douches sont les lieux de viols, reglements de comptes, etc... Je ne suis pas rassuré. Je prends ma serviette, mon gel douche et attends devant ma porte. Le surveillant m’ouvre ma porte et me montre où se situe la douche. Elle est dans le même couloir. J’y vais, ainsi que cinq autres détenus que j’avais apercu à la promenade. Les douches sont collectives, mais séparés par un petit muret pour préserer un minimum d’ intimité et de pudeur, ces murets ne sont pas haut, on peut apercevoir chaques têtes des détenus. L’ eau est tellement calcaire que lorsque j’en mets dans le creux de ma main, cela donne l’impression qu’elle est blanche... Mis à part cela, tout s’est très bien passé, et finalement, il ne faut vraiment pas se fier aux films. Le surveillant nous raccompagne à notre cellule. Il arrive devant ma porte, et je me souviens qu’il me faut de quoi écrire à ma famille. « 

- Excusez moi, comment puis-je me procurer du papier, un stylo, des enveloppes et des timbres ?
- Tu n’ as pas eu ca encore ?? on en donne normalement à tous les arrivants, je t’apporte ca tout à l’heure.
- Ah ok... Merci. » J’attends que mon trésor me soit livré assis sur ma chaise, en face de mon bureau, reflechissant à ce que je pourrai bien écrire dans mes lettres. Déjà, les télés hurlent, les détenus s’appellent de cellule en cellule avec leurs voix cassés.
Enfin ! ce que j’attends est là ! Un surveillant viens de me déposer un bloc notes de 100 feuilles blanches, 2 enveloppes et deux timbres.