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Une visite au parloir (2007-10) : quand la sécurité arpente le trottoir de nos peurs...

Mise en ligne : 24 octobre 2007

Texte de l'article :

Quand la sécurité arpente le trottoir de nos peurs, derrière le mini string social, coincé dans la grande république, on peut apercevoir son paradis liberticide, parfaitement épilé. Prêt à engloutir les dernières libertés du monde...

Tandis que sous le poids des actes dégradants et des humiliations, la glace se fendille, craque et fond, sous la banquise pénitentiaire grondent des océans d’amer aux vagues de rancune, des tsunamis de haine et de colères maintes fois refoulées, dont la violence nourrie de frustrations va tout dévaster sur son passage. Inonder les ravins d’injustices et les vallées de désespoir creusées par l’ère des sommets...du fric, noyer les montagnes de dédain et les forêts de mépris et araser toutes les inégalités.

Et sous l’iceberg, rongé de misère et de sang, poussent dans les cruelles ornières, profondément labourées, pensées chrysanthèmes, fleurs de révoltes et roseaux d’amitié. Et, tout au fond des cellules, dans les rêves d’évasion, s’envolent à bord de « libellule », tous les « Papillon »...

 

 

Week end ordinaire d’une maman qui va visiter son fils au parloir d’une prison.

 

J’attends depuis 12h30 dans la salle d’attente de la prison, j’ai parloir à 13h30 mais, il faut se présenter impérativement ¾ d’heure avant pour se faire enregistrer. C’est un copain de Cyril qui est venu me chercher dés 10h30, avec sa femme et ses enfants, en bas de chez moi pour m’accompagner à la prison de Meaux Chauconin. Avec les résidus de la grève d’avant-hier, je préfère anticiper vu que l’accès à la prison est très difficile et les bus, au départ de la gare de Meaux, disparates. Je n’ai évidemment pas dormi de la nuit après les évènements de ces derniers jours, durant lesquels Cyril a eu des tas de problèmes avec l’administration pénitentiaire, après que certains agents l’aient plaqué au sol et tordu sa jambe cassée à sa sortie de l’hôpital.

Derrière son guichet fermé, la surveillante, kit piéton greffé à l’oreille, discute tout en mangeant un sandwich, tandis qu’une femme lui réclame, en vain, un formulaire adéquat pour un dépôt de linge.

A moins dix passé la surveillante clôt sa conversation téléphonique, et nous jette un regard torve, dans lequel on peut lire toute la passion de son métier. La file d’attente s’est étoffée mais, je suis la première.

« Bonjour madame

« Nom du détenu

« Cyril khider

« Ah vous n’avez pas rendez vous madame !

« Oui bien sur, je suis venue ici par pur plaisir et ce ticket de rendez vous je l’ai fabriqué cette nuit ! »

Bien que pour l’administration pénitentiaire ce ne soit pas une preuve suffisante, je lui colle sous le nez le ticket que ma délivré la machine, sur laquelle on prend les rendez vous. J’ai l’impression de vivre un remake d’une veille de grève ou d’un samedi matin avant un pont de quatre jours, à la poste, quand un seul guichet fonctionne. Alors qu’elle finit par trouver le nom de Cyril sur sa petite liste d’une vingtaine de noms, elle s’approche de la vitre du guichet avec un sourire appuyé. Mais, je m’arme de patience.

« Ah madame vous n’avez pas de permis de visite pour la personne concernée !

« Non bien sur, ça fait d’ailleurs six ans ½ que je viens au parloir en esquivant tous les contrôles et en passant à travers les murs » !

Tandis qu’elle se lève, tout en faisant semblant de farfouiller dans un tiroir, dont elle ne sort rien, je lui dit que c’est elle qui m’a remis ma carte magnétique pour la prise de rendez vous, trois semaines auparavant, et que pour cela il me fallait avoir impérativement un permis.

« Madame votre fils est au mitard vous ne pouvez pas le voir.

« Il est sorti ce matin je l’ai eu au téléphone, et, quand bien même y serait il, la loi en vigueur indique que le premier rendez vous, pris avant le placement au quartier disciplinaire, doit être honoré ».

Malgré le froid, je sens des gouttes de sueur perler entre mes omoplates et couler le long de mes reins, mon cœur qui s’emballe et mes nerfs me lâcher, tandis que derrière moi les familles s’impatientent. Néanmoins, l’enjeu est trop important et le but de cette horrible femme, clairement affiché. Je refuse de perdre pied ou de jeter l’éponge, à l’image de ma cirrhose de foi en l’être humain, dans des moments comme celui-ci.

Puis, son collègue arrivé sur les lieux entre temps, beaucoup plus sympathique, lui fait comprendre de lâcher du lest, lui faisant remarquer que puisque j’avais eu mon fils au téléphone, il n’y avait pas de problème. Vexée, elle ne peut s’empêcher de rétorquer que ça ne veut rien dire. Elle s’empare du téléphone pour appeler dans la prison un collègue qui lui confirme ce que je viens de mettre 20 minutes à lui expliquer.

Les derniers miasmes de cette mésaventure s’effacent, à l’instant même où, Cyril, affublé de ses béquilles, entre dans la cabine du parloir. Nous sommes une heure plus tard.

Quand il me serre dans ses bras et qu’il m’embrasse dans le cou, la vie circule en moi à nouveau. Je lui demande comment va sa jambe, il me répond que ça va, bien qu’il faille l’opérer après la méchante torsion que les agents ont exercé sur sa cheville et qu’il a peur de rester handicapé, mais qu’il refuse de se faire opérer à l’hôpital de Meaux où on lui a changé trois ou quatre fois de plâtre et refusé de lui mettre de la résine qui aurait évité cette opération. Je ne peux m’empêcher de penser que si la loi était la même pour tous, il se ferait opérer dans l’hôpital de son choix après avoir bénéficié d’une libération conditionnelle. Je suis terriblement angoissée. Puis, il me demande de ne pas m’inquiéter que tout finira par s’arranger...C’est déjà l’heure de repartir, je suis à pied, il gèle et il n’y a pas de bus pour aller à la gare à plusieurs kilomètres de là et les amis sont partis. Je suis anéantie. Puis, un couple me propose de me ramener près de chez moi ce qui, en ce moment précis, me réconcilie avec le reste de l’humanité. Il est 18h30 passés lorsque je débarque chez moi, vidée mais heureuse d’avoir vu mon garçon...

A suivre

 

Et si Guy Moquet avait eu Cyril comme frère ?