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Un imbroglio bloque les obsèques d’Ashot Ghazarian, suicidé en prison sous un faux nom

Mise en ligne : 7 mars 2007

Texte de l'article :

Un imbroglio bloque les obsèques d’Ashot Ghazarian, suicidé en prison sous un faux nom.
L’impossible inhumation d’un sans-papiers d’Arménie
Par Nicolas de la CASINIERE

Le deuil de celui qui fut un sans-papiers arménien butte sur u inextricable imbroglio de papiers français. Mort le 29 janvier sous le fau nom qui lui a servi à faire régulariser sa situation d’exilé en France, Asho Ghazarian ne peut toujours pas être porté en terre. Procédures judiciaires logique administrative des services de l’état civil et du consulat, tou s’oppose à laisser sortir cet Arménien de la morgue et de France
Pour l’administration pénitentiaire, le corps retrouvé étranglé par un drap accroché à la télévision est celui d’Artur Grigorian, 31 ans, détenu depuis le 19 novembre dernier. Pour qu’il soit inhumé dignement, sous son vrai nom, Anna a révélé sa véritable identité, présentant son vrai passeport et le certificat de naissance. « C’était notre secret. Il m’avait demandé de ne rien dire, par sécurité pour nos vies », dit-elle. Arrivé à Nantes en 2001, le couple a deux enfants, qui ont aujourd’hui onze et neuf ans et sont scolarisés. Mais lui est arménien et elle azérie, de surcroît mineure il y a douze ans aux premiers temps de vie commune. Anna explique à demi-mot que cette double appartenance est jugée insupportable par les nationalistes arméniens, dans un pays où les tensions sont vives avec l’Azerbaïdjan voisin. Se sentant « menacés par des militaires qui ont fait la guerre », ils ont fui en passant par la Russie, pour arriver en France en 2001. Sous le nom de Grigorian, il obtient un titre de séjour, travaille comme peintre, taille la vigne... Jusqu’à ce qu’il soit arrêté en novembre pour une histoire de racket envers d’autres ressortissants arméniens, ce qu’il a toujours nié.
Comparaisons. Chargée de vérifier que les causes de la mort relèvent bien d’un suicide dans une cellule de la maison d’arrêt de Rennes, une juge d’instruction a ensuite voulu s’assurer de la véritable identité de cet Arménien. Après l’autopsie, des prélèvements d’ADN ont été réalisés, mais pas encore recoupés avec les empreintes génétiques des parents demeurant en Arménie. La procédure de comparaison d’ADN impose un accord des autorités arméniennes, avant que les prélèvements soient effectués, adressés en France, et analysés en labo. Ce qui risque de prendre des semaines. Le plus simple serait d’autoriser les parents à venir en France pour les obsèques, ce qui permettrait d’accélérer les comparaisons. Mais le consulat de France à Erevan ne leur délivre pas de visa, pour une raison administrative implacable : pas d’acte de décès, pas d’autorisation d’aller en France. A Rennes, le blocage est aussi simple : pas d’identité assurée, pas d’acte de décès. Le corps reste en chambre froide.
Pour débloquer la situation, la mairie de Rennes a insisté auprès du consul de France à Erevan, alors que le Quai d’Orsay a été interpellé par le consulat d’Arménie à Paris. Sans résultat. Vendredi, la juge d’instruction rennaise a fait une demi-avancée, délivrant un permis d’inhumer, mais sous le nom d’emprunt d’Artur Grigorian, le vrai nom n’étant mentionné qu’à titre d’alias. Avec ce document, les parents n’auront sans doute pas l’autorisation de faire le voyage en France. Ils y croyaient pourtant, et avaient déjà réservé un billet d’avion.
Le rapatriement est donc aussi impensable que l’enterrement impossible. Depuis trois semaines, Anna attend qu’on lui rende le corps de son compagnon, en tenant à ce que les parents le voient une dernière fois. « Je ne voudrais pas qu’on ferme le cercueil avant », dit la jeune femme.
Recoupement. Procureure adjoint de Rennes, Catherine Denis évoquait jeudi dernier une possible « inhumation provisoire » en France, en attendant les résultats de « l’analyse des papiers officiels, en cours par recoupement d’empreintes digitales ou génétiques. C’est l’obstacle à lever pour pouvoir délivrer un acte de décès. Ce n’est pas de la mauvaise volonté de la justice. Sans certitude sur l’état civil, il peut y avoir préjudice d’ayant droit ». Interpol et les autorités arméniennes ont aussi été interrogés. « Donnez-moi son corps. Il ne va pas revivre. Il est déjà mort », dit Anna, épuisée par tant de démarches encombrant un deuil impossible. Dans son pavillon à l’intérieur dépouillé, hormis des fleurs au sol et une bougie allumée, Anna guette le moindre coup de téléphone, face un portrait d’Ashot. Un tableau réalisé par un peintre au lendemain de la mort. D’après une petite photo d’identité.

Libération