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Un détenu malade du sida obtient in extremis le droit de mourir en liberté

Mise en ligne : 21 avril 2005

Texte de l'article :

LE MONDE | 29.01.05 | 13h08

Il ne lui reste plus guère de temps. Malade du sida en phase terminale, Jean-François G. a obtenu, mardi 25 janvier, le droit de sortir de prison pour mourir à l’hôpital. Cette décision humanitaire a été prise in extremis en vertu de la loi de mars 2002, qui autorise les suspensions de peine pour raisons médicales. Avant d’obtenir cette libération, le détenu a essuyé plusieurs refus incompréhensibles.

Le 21 janvier, le médecin expert qui a examiné Jean-François G. à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne) a constaté que cet homme de 51 ans, mesurant 1,77 mètre, "ne pèse plus que 49 kg" . Qu’ "il est en train de se nourrir de sa masse maigre, muscles, viscères et os, ce qui équivaut à la mort programmée" . Les soins "consciencieux" appliqués en prison seront incapables de le soulager. Totalement épuisé, "ce détenu n’a devant lui que deux à quatre semaines à venir tout au plus, a conclu le médecin. Le point de non-retour est franchi".

Ces mots clairs et forts étaient nécessaires pour convaincre la justice de libérer le condamné. Car celui-ci avait déposé en vain trois précédentes demandes de suspension de peine. Celle-ci peut être décidée si deux expertises concordantes déclarent "le pronostic vital engagé" ou l’état de santé du prisonnier "durablement incompatible avec la détention" . Mais les libérations anticipées pour raisons médicales (une centaine à ce jour) sont accordées avec parcimonie. D’autant qu’une circulaire récente de la chancellerie a limité la portée de la loi, appelant les parquets à "s’opposer à toute mesure qui leur paraîtrait de nature à compromettre l’ordre public" .

Pour son avocat, Me Etienne Noël, "le scandale réside dans la méconnaissance totale qu’ont les juges de la problématique de la suspension de peine, de la notion de pronostic vital engagé, et dans la vision idéalisée qu’ils ont du système de soins en milieu carcéral" .

Condamné par deux cours d’assises différentes à des peines de réclusion criminelle supérieures à vingt ans, le détenu G. est sous les verrous depuis 1994. Sa maladie s’est déclarée dix ans plus tôt.

UN NOUVEL ÉCHEC

Fin 2002, l’homme est incarcéré à la maison centrale de Clairvaux (Aube) quand il dépose une première demande. Mais son transfert en région parisienne interrompt la procédure. Il réitère sa requête en mai 2003 en arrivant à la maison d’arrêt de Fresnes. Le premier médecin désigné par la justice estime que les conditions d’une suspension de peine sont réunies. Le deuxième rencontre "un homme qui paraît dix ans de plus que son âge légal" , amaigri, édenté, tuberculeux, dont "l’état paraît précaire" .

Le malade, dépressif, refuse depuis longtemps déjà de se soigner. Et le praticien d’affirmer : le traitement lourd contre le virus du sida "ne peut être appliqué qu’en détention ou dans une structure contraignante" . Les juges décident néanmoins d’accorder la libération. C’est le procureur général de la cour d’appel de Paris qui s’y oppose. Le magistrat invoque un rapport d’expert psychiatre selon lequel "la dangerosité criminelle de Jean- François G. est toujours d’actualité" .

Les mois filent, et le malade, transféré à Poissy (Yvelines), dépose une troisième requête. Nouvel échec. Les médecins, pourtant, sont d’accord : le pronostic vital est engagé. "L’altération de l’état général de M. G. ne laisse que peu de temps, quelques mois" , affirme l’un. Ce "patient qui refuse totalement les soins" ne vivra pas plus d’un an, avertit l’autre. Le détenu continue de maigrir. Il passe ses journées allongé. Toute activité lui est devenue impossible. Le 6 décembre 2004, une fois encore, malgré l’accord des juges de l’application des peines, la juridiction régionale de libération conditionnelle oppose un refus. "M. G. est certes extrêmement malade. (...) Il a indiqué avoir recommencé à suivre son traitement. (...) Les experts indiquent que s’il prend régulièrement son traitement, il peut rester en milieu carcéral" , invoque-t-elle.

En janvier, il ne s’agit plus d’argumenter. L’avocat demande à la justice de se prononcer en urgence. C’est un mourant qui sortira de prison.

Nathalie Guibert
• ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU 30.01.05