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Torture par emprisonnement jusqu’à la mort

Mise en ligne : 4 juillet 2002

Dernière modification : 29 avril 2003

Texte de l'article :

Combat face au Sida
N°28 – Juin 2002
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Torture par emprisonnement jusqu’à la mort

Le 7 mai, l’incarcéré n°8956 à Clairvaux s’est " suicidé ". Des Centaines l’ont précédé et des centaines suivront. Jusqu’à quand ?

Jean-Luc Guilhem

Gérard Gateau avait collaboré au n°27 de Combat : deux dessins de lui accompagnent l’entretien réalisé avec Loïc Wacquant. Il ne fera jamais plus de dessins. Il est mort le 7 mai 2002, prisonnier du centre pénitentiaire de Clairvaux. Il a été détruit par le système pénitentiaire.

Gérard Gateau était détenu depuis 1996, il faisait une peine de 15 ans, pour récidive d’attaque à main armée. Au départ il avait été condamné à 3 ans pour des vols à la tire. Un beau jour, il avait été condamné à 3 ans pour des vols à la tire. Un beau jour, il n’était pas rentré de permission… Puis il avait pris 9 ans pour attaque à main armée. Jugé multirécidiviste, il avait vu tous ses sursis tomber. Voilà comment quelqu’un se retrouve condamné à une longue peine, sans avoir commis les " pires " crimes.

Dans 18 mois, ayant exécuté la moitié de sa peine, il aurait pu demander sa libération conditionnelle… Très éloigné de sa famille en Dordogne, ou plus loin encore, il souffrait de cette situation et envisageait de demander un rapprochement…

La seule information que la famille a reçue, malgré ses demandes, se résume à l’annonce de son décès : "Votre frère s’est pendu dans sa cellule". Le corps a été ramené en Dordogne aux frais de la famille, en cercueil plombé. Cette façon de procéder ne permet pas aux proches de reconnaître le corps, par là même cela peut accroître leur souffrance et alimenter leurs soupçons…

Une information a été ouverte et le Parquet a ordonné une expertise toxicologique. La famille s’est constitué partie civile, elle pourrait porter plainte ultérieurement.

Nous aurons eu juste le temps d’échanger quelques courriers à propos de ses dessins. En décembre il avait pu récupérer d’anciens dessins de lui, notamment sur le thème du sida, et il avait le projet de nous les faire parvenir. Mais apparemment il avait des difficultés pour les faire (re)sortir : "Il me faudrait faire preuve au moins de patience et je crois avoir de plus en plus de mal avec la procédure administrative. (…) Les règlements ont ceci de particulier c’est qu’ils autorisent d’abord et avant tout des interdictions". Il écrivait cela dans sa dernière lettre. Depuis nous n’avions plus de nouvelles.

Quand ces dessins, dont nous avons le nombre et la description précise, auront été remis comme il se doit à la famille, une exposition pourra être organisée. C’est la volonté de sa sœur Evelyne. Tous les moyens seront utilisés pour qu’un maximum de personnes puisse les voir.

Nous rendons hommage à Gérard Gateau sans oublier qu’il ne sera qu’un nom sur la liste des quelques 130 " suicides " de détenus qui se sont produits en 2002 comme chaque année dans les prisons françaises. Les 13 et 14 avril derniers, l’association Ban public organisait une opération de sensibilisation sur cet aspect de la réalité carcérale : derrière les barreaux, un suicide tous les 3 jours. Dans des parloirs installés à ciel ouvert, place de la Bastille, des passants pouvaient parler avec d’anciens détenus ou des proches de détenus morts en prison. Dénonçant l’opaque comptabilité globale des " suicidés " en milieu carcéral, l’association Ban Public a créé un observatoire du suicide en prison afin de recenser, établissement pénitentiaire par établissement pénitentiaire, les " suicides " jusqu’à ce que l’Administration pénitentiaire accepte de publier des chiffres précis et vérifiés par des autorités extérieures.

Pour nous ce ne sera jamais classé. Jamais un trait ne sera tiré sur le nom de Gérard Gateau, ni sur aucun nom des victimes du système répressif, qu’il soit judiciaire et/ou carcéral et/ou policier et/ou beaucoup plus profond et masqué. C’est sur ce point précis que nous interpellons le système politique et la société civile : le Social est redevable de la vie de chaque individu.
Nous demandons des comptes. Nous nous " autorisons de nous-mêmes " à demander des comptes. Le passif ne sera jamais épongé et il s’accroît de jour en jour…

Je m’interpelle également en tant qu’individu, en me regardant dans une glace ou ailleurs : qu’ai-je fait pour que cesse cette barbarie, cette torture par emprisonnement jusqu’à la mort ?