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Suicide en prison : double langage, grille d’évaluation et guerre des chiffres

Mise en ligne : 2 novembre 2008

Accuser les mineurs détenus de "jouer" à se pendre ou de "chantage" au suicide est un renversement trompeur de l’action et de la réaction, de la réponse et de la question.

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Texte de l'article :

Accuser les mineurs détenus de "jouer" à se pendre ou de "chantage" au suicide est un renversement trompeur de l’action et de la réaction, de la réponse et de la question.sarah-kane-gier-4

Simulation ? Chantage ? Vraiment ?

Un jeune détenu de la prison de Metz s’est pendu dans sa cellule au début du mois. Aussitôt, les "responsables" lèvent leurs boucliers supposés protecteurs. L’administration et le pouvoir voudraient-ils se cacher derrière leur petit doigt ?

Nous entendons ainsi les interventions des syndicats de la pénitenciaire, des magistrats et les annonces de Mme R. Dati, ministre de la justice. Le jeune détenu est lynché une deuxième fois, sur la place publique cette fois. Les accusations à son encontre sont particulièrement tordues, elles marquent au mieux une méconnaissance de la réalité carcérale, au pire d’une manipulation abjecte de la signification de ce suicide.

Dans la masse de ces réactions, nous avons plusieurs tendances : l’affirmation erronée, la défausse cynique, la fausse interprétation.

1. l’affirmation erronée. R. Dati annonce une baisse du nombre de suicide en prison (“Contradictions pénales”, Le Monde, 11 10 2008) et son estimation est démentie à l’avance par l’Observatoire International des Prisons
2. la défausse cynique. "il n’avait pas été signalé comme dépressif ou suicidaire", selon Carlo Di Egidio, secrétaire régional de la CGT-pénitentiaire, “Quatrième suicide en cinq mois à la maison d’arrêt de Metz”, (Le Monde, 11 10 2008).
3. la fausse interprétation. D’après Jean-François Krill, délégué de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP) à la maison d’arrêt de Metz-Queuleu, il souhaitait changer de cellule pour être avec un codétenu et aurait utilisé le "chantage au suicide" pour y parvenir. "Il a été encouragé par la coursive et ça a mal tourné", ajoute le syndicaliste, qui explique que des détenus utilisent la pendaison comme moyen de pression auprès des surveillants”, “A la prison de Metz, un jeu qui a mal tourné”, (Le Monde, 09 10 2008)

Le détenu n’avait pas été signalé comme suicidaire ? Donc, il faudrait le dépister le plus tôt possible ? Voilà une idée qu’elle est bonne !

On ne l’a pas vu venir, alors guettons au loin l’arrivée du suicide ! C’est la politique que dénonce un magistrat : "R. Dati veut introduire des grilles d’évaluation du risque suicidaire dans les prisons. Mais, ce faisant, son langage est double : “ Ce souci serait louable s’il ne venait pas en décalage avec une politique qui, depuis six ans, va dans le sens d’un durcissement pénal. En 2002, la loi Perben 1 a introduit des sanctions éducatives à l’âge de 10 ans et le seuil de placement d’un mineur en détention provisoire a été abaissé à 13 ans. Depuis 2007, les peines planchers concernent les mineurs de 16 ans. La garde des sceaux reproche à des magistrats de mettre un jeune trop vite en prison et, en même temps, fait travailler une commission sur un durcissement des sanctions pénales, c’est-à-dire une banalisation de l’incarcération au détriment de l’éducation. Elle privilégie les coups de communication au détriment d’une politique pénale à la fois juste et efficace”, (Guéric Hénon, délégué régional de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), Le Monde, 11 10 2008).

Dati réclame plus d’évaluation et plus de sanctions. Elle souligne par là le lien étroit unissant la surveillance à la punition.

Sauf que le travail d’un surveillant est justement de guetter à longueur de journée. Que les actes du surveillé puissent échapper à l’observateur, voilà qui ne laisse pas de surprendre. Et souligne surtout la nature illisible de l’acte. On ne le voit pas venir car on ne sait pas le lire en somme. C’est tout le problème. Cela souligne l’aspect non inscriptible de ces actes. Non écrit, on ne peut le lire. La réponse politique est forcément hors-sujet dans la mesure où le suicide ne peut pas s’inscrire dans une grille d’évaluation. Il n’est pas évaluable, il ne prévient pas, on ne peut pas le classer.

Ce suicide serait un jeu qui a mal tourné ? On aurait encouragé le jeune détenu et il aurait cédé aux encouragements de ses camarades ? Alors là, je dis non !

Nul ne peut se suicider s’il n’a pas en lui des raisons (plus que) valables de le faire. L’encouragement de son entourage n’est qu’un pichenaude supplémentaire, mais il n’y suffit pas. Il y a aussi une tendance forte sous-jacente et le plus souvent inconsciente. C’est le sens des remarques de Freud : personne ne peut "trouver l’énergie psychique pour se tuer" sans une (très) bonne raison, (La psychogénèse d’un cas d’homosexualité). Ce n’est pas pour rien que ce jeune détenu s’est suicidé.

Les raisons du suicide de ce jeune détenu, nous ne les connaissons pas. Il aurait fallu pour cela se soucier un peu de ce que pensait ce jeune détenu et surtout entendre ce qu’il avait à dire au lieu de l’évaluer et le punir à l’avance de ce qu’il aurait pu dire.

Malheureusement, il est maintenant impossible de le savoir. Son suicide a refermé à jamais l’ouverture qui aurait permis de s’en soucier.

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