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S’évader de prison

Publié le mardi 25 septembre 2007 | https://banpublic.org/s-evader-de-prison/

La liberté est sans doute une des choses les plus précieuses qui caractérise l’Homme. En être privé ne peut donc qu’engendrer des stratégies d’adaptation, plus ou moins efficaces, voire des envies d’évasion ou des évasions, comme cela s’est par exemple produit cet été, le 14 juillet (Pascal Payet ayant été arrêté et reconduit en prison ces derniers jours). Il ne s’agit pas d’encourager qui que ce soit à s’évader ; il ne s’agit pas de justifier telle ou telle attitude. Il s’agit simplement d’essayer de comprendre un tel geste et d’en appréhender certaines conséquences.

 L’allongement des peines, loin de n’être imputable qu’à la seule abolition de la peine de mort, l’augmentation du nombre et de la durée des périodes de sûreté prononcées induisent des peines de plus en plus longues, qui, une fois tous les recours épuisés, donnent le vertige. Quelle issue possible quand la perspective de 22 années à passer en prison se profile à l’horizon ? Quelle perception de sa propre vie peut-on avoir après 20, 25 voire 30 années passées derrière les barreaux ? Quelles que soient les conditions de détention, aucune prison n’enlèvera sans doute l’envie de retrouver sa liberté. Quelles qu’aient été les circonstances de l’appel des 10 de Clairvaux, il est difficile de rester indifférent au problème soulevé. Dans un communiqué, daté du 16 janvier 2006, 10 personnes incarcérées au CP de Clairvaux réclament, pour elles-mêmes, plutôt qu’une "mort lente programmée" le rétablissement de la peine de mort, tant leur peine de réclusion criminelle à perpétuité est insupportable. Elles qui se nomment "emmurés vivants", "enterrés vifs" et écrivent : "ne nous reste-t-il pas mieux à trouver plus rapidement dans la mort notre liberté ?" En ce sens, l’obsession de l’évasion devient un instinct de survie. Pour certains, il s’agit véritablement d’une obsession, qui sans doute aide à vivre. Pour d’autres, plus patients peut-être, l’attente de la fin de la peine paraît possible, ce qui n’exclut probablement pas de s’évader en pensée.

 En 2005, 921 personnes se sont évadées de prison ou ne sont pas revenus à l’issue d’une permission de sortir (source : chiffres-clés de la Justice, octobre 2006). Quelques évasions marquantes jalonnent ces dernières années : le 8 mai 1978 l’évasion de la MA de la Santé de Jacques Mesrine, le 26 mai 1986 l’évasion de Michel Vaujour de la même MA, le 11 septembre 1992 l’évasion de 8 personnes de la maison centrale de Clairvaux, le 7 mars 2003 l’évasion de José Menconi du CP de Borgo, le 12 mars 2003 l’évasion d’Antonio Ferrara de la MA de Fresnes... L’administration pénitentiaire trouve des parades, à commencer par les fréquents changements d’affectation des personnes particulièrement signalées (DPS), c’est-à-dire les personnes considérées comme dangereuses, les personnes qui auraient déjà tenté de s’évader, ou qui se seraient déjà effectivement évadées. Les quartiers d’isolement, souvent décrits comme les héritiers des anciens quartiers de haute sécurité, sont également une façon de limiter les risques. Mais, naturellement, le risque zéro n’existe pas. Les prisons pourraient ressembler à des forteresses que le risque resterait entier, tant la fertilité de l’intelligence humaine est sans limite quand la liberté est en jeu. Il y a d’ailleurs un risque à trop surprotéger certains établissements ou certains quartiers : celui de l’évasion avec le recours à une violence grandissante, par exemple l’évasion d’Antonio Ferrara de la MA de Fresnes qui sans aucun doute a marqué les esprits. De telles évasions, particulièrement violentes, remettent en cause la sécurité des personnes incarcérées et des personnels pénitentiaires. La tentation pour les personnels pénitentiaires d’utiliser les armes est grande, y compris si le fugitif n’est pas lui-même armé ; on peut y voir des risques de dérives importants. Les évasions en hélicoptères ont conduit à l’idée que des filins anti-hélicoptères pourraient équiper les établissements ; l’utilisation des téléphones portables pour organiser ou minuter une évasion a conduit à l’idée que des brouilleurs de portables pourraient équiper les établissements. Cette surenchère est-elle justifiée ? D’autant plus que se poserait un problème de coût, l’investissement dans la sécurité se faisant au détriment des politiques de réintégrations.

 Faire des choix dans le sens de la réintégration, de la prévention, plus que dans celui de la répression assurerait sans doute une sécurité durable pour tous les citoyens. Quoi qu’il en soit, l’Homme est ainsi fait qu’enfermé, il cherche à s’évader. Ce n’est pas un constat d’échec ; c’est le constat de la nature humaine.

La rédaction
Ban Public
Septembre 2007