Publié le dimanche 23 mars 2008 | https://banpublic.org/l-importance-de-la-place-de-la/ JOURNEE NATIONALE PRISON DU 22 JUIN 2007 Intervention de Charlotte Paradis, Ban Public 1 La situation d’une personne incarcérée atteinte par le VIH et/ou les hépatites Lors de cette intervention, je citerai plusieurs témoignages de Didier Robert, membre de Ban Public, incarcéré, avec qui j’ai préparé mon intervention d’aujourd’hui. Didier, malade du sida, a connu plusieurs incarcérations. Nous allons mettre en avant l’importance des liens familiaux, amicaux et sociaux pour les personnes incarcérées. 1 La situation d’une personne incarcérée atteinte par le VIH et/ou les hépatites Je vais commencer par un rappel du vécu des personnes incarcérées atteintes du VIH et/ou des hépatites (VHC , VHB ) car on ne peut faire l’impasse sur ce quotidien pour parler de la sortie de prison. « Etre malade du sida en prison, être séropositif au VIH et au VHC en 2007 En arrivant en 2005, j’ai été placé dans une cellule de trois, j’ai donc été obligé de cacher aux autres ma maladie et la prise de médicaments, le matin et le soir. Je m’étais alors inventé une maladie « un diabète et un problème rénal ». De plus, je n’avais rien à manger, ce qui est indispensable pour la prise de certains médicaments et limiter ainsi les effets secondaires (surtout les nausées et les brûlures d’estomac). Pour les douleurs musculaires liées aux neuropathies, je ne pouvais rien faire d’autres que de me masser et boire au maximum, mais l’eau du robinet est dégueulasse et tellement calcaire. Elle a un goût de brûlé ou un truc de ce genre. Grâce à l’aide des mandats envoyés par mes amis, je peux acheter des denrées alimentaires faciles à manger, faute d’appétit... je dirais même « à la place », de ce qui est servi par l’Administration Pénitentiaire. Suite à mon incarcération, j’ai perdu 7 kg en l’espace d’un mois. J’essaye de manger même si l’appétit me manque, mais l’alimentation est vraiment trop immangeable voir inexistante selon le positionnement de la cellule. En effet, la distribution du repas commence les jours pairs par un côté, les jours impairs par l’autre, défavorisant les uns ou les autres. A 17h30, en prison, la journée est finie. Reste à affronter la soirée et la nuit. C’est au moment où je veux me coucher et dormir que je rencontre mes démons. Mon horloge biologique est restée sur l’horaire d’un homme libre. Heureusement, je vois un psychologue chaque semaine pour en parler. Et puis, il y a cette maladie silencieuse que l’on appelle le SIDA, qui me ronge les CD4 et la santé en silence, sournoisement, en tueur impitoyable. Les médicaments, je dois les prendre à des heures fixes, toutes les 12 heures, mais en prison, c’est extrêmement compliqué. Il faudrait que les repas soient distribués à des heures de repas et non pas en fonction des horaires administratifs. Le café est servi à 7h15-7h30, le déjeuner à 11h45 et le dîner à 17h45. Qui mange à ces heures ? Personne. Or, manger au moment de la prise des médicaments assure la bonne efficacité du traitement et permet d’éviter les nausées et autres effets secondaires. Sinon c’est l’enfer dans toute sa splendeur. A propos de nutrition, on devrait absorber normalement entre 1800 à 2000 calories par jour, et 10% de plus pour les personnes séropositives aux VIH et VHC. Ici, les repas ne les contiennent pas en quantité suffisante. Depuis mon incarcération, on m’a diagnostiqué un cancer bénin de la peau, « la maladie de Bowen », ce qui m’a valu 3 opérations pour m’ôter des tumeurs et des tâches sur la peau, j’ai fait un infarctus et une péricardite, ma vue a baissé (je porte maintenant des lunettes), j’ai été mis sous Fuzéon (une injection sous-cutanée toutes les 12 heures) avec tous les soucis liés aux autorisations d’injection du médicament en cellule car l’UCSA n’est pas ouvert sur une amplitude de 12 heures... Dire que dehors, de mon SIDA, « je ne m’en faisais vraiment pas une maladie ». En prison, vous devenez la maladie. Je dois subir tous les effets secondaires que j’arrivais à palier dehors... Malgré tout, ne dit-on pas qu’il ne faut « jamais baisser les bras » ? Mais en vérité, confronté à la réalité du quotidien carcéral, il y a des jours où je me dis « à quoi bon se bourrer le mou sur une espérance de vie plus longue » ? Jusqu’à quel prix dois-je payer pour gagner quelques années que je vais certainement passer en prison ? » 2 Se préparer à la sortie pour une personne incarcérée séropositive ou malade 2.1 La perception de la personne face à la sortie C’est dans ces conditions, que les personnes incarcérées doivent penser à leur sortie et la préparer... Le retour dans la vie libre ne se prépare pas quelques semaines avant la libération, mais bien en amont, c’est-à-dire, dès que la condamnation devient définitive et que l’on connaît, à quelques jours près, sa date de sortie et ce, que l’on soit atteint d’une pathologie lourde ou pas. Certains prisonnier(e)s ont passé plusieurs mois en prison, voire plusieurs années, souvent seul(e)s et gravement malades, puisque l’on parle aujourd’hui de VIH/ Sida. Il faut donc bien prendre conscience que l’esprit et le corps ont, alors, d’énormes carences, tant physiques qu’affectives. Les repères et les notions ont été oubliés. Durant des mois et des années, nous n’avons pas uniquement lutté contre le système carcéral qui est, à lui tout seul, dévastateur, nous avons lutté contre la maladie, lutter pour rester en vie. Cette lutte, malheureusement, nous l’avons vécue seuls. Il ne faut pas se voiler la face, les associations de lutte contre le SIDA ou d’aide sociale et les institutions sont toujours trop peu présentes, pour ainsi dire quasiment absentes, dans un grand nombre de prisons. La situation du VIH/Sida dans les prisons françaises rappelle celle que l’on a connue lors de la découverte de cette maladie en 1983 : exclusion, absence de réponse, manque de soins complémentaires, manque d’information, malnutrition, etc... C’est le lot quotidien de toute personne tout au long de son incarcération. 2.2 Les démarches administratives, le suivi médical, la qualité de vie Les démarches à faire pour la sortie portent sur plusieurs volets : Le constat est fait que ces actions sont toutes essentielles et dans des champs d’actions extrêmement vastes, et qu’elles portent sur des personnels souvent peu transversaux du fait même de l’organisation des différents services entre deux Ministères (Justice et Santé) avec pour chacun des priorités éloignées les unes des autres. En effet, les démarches administratives et sociales dépendent des travailleurs sociaux des SPIP , alors que les démarches médicales dépendent des professionnels de l’UCSA. 2.3 Le guichet unique Encore en 2007, c’est lors de la sortie de prison que les démarches administratives sont faites, très peu sont initiés en détention. Il existe de nombreuses associations caritatives, de nombreux organismes pouvant assurer un logement provisoire, des agences ANPE et missions locales, des points ressource santé... pouvant apporter une aide d’urgence (logement, alimentaire, etc...) mais la situation actuelle de précarité dans la population ne laisse que peu de places possibles pour les personnes sortant de prison. Pour que la personne venant d’être libérée puisse bénéficier de tous ces droits, il est nécessaire d’initier les demandes avant la sortie. Dans cette perspective, la création de points d’accès à tout type d’information en un lieu unique doit se développer en prison. De tels lieux rassembleraient l’ANPE , la CAF , le ministère de l’emploi de la cohésion sociale et du logement, le ministère de la Santé et toute structure susceptible d’apporter des éléments utiles à la construction globale et cohérente d’un projet de réintégration dans la communauté. 2.4 La place de la famille Face aux difficultés rencontrées, il est essentiel de soutenir les liens familiaux, amicaux et sociaux de la personne incarcérée, de créer ou recréer du lien. Il est, en effet, impossible de prévoir une sortie dans de bonnes conditions lorsque les conjoints et les parents n’ont pas eu d’accès systématiques aux UVF . Dans les UVF, les personnes incarcérées peuvent, sous conditions (comportement en détention, ne pas bénéficier de permission de sortie, permis de visite) retrouver leurs proches, pendant plusieurs heures, dans un cadre plus familial que carcéral. En effet, il faut rappeler que les visites sont au maximum de 3 par semaine d’une ½ heure, voir de ¾ heures, selon les maisons d’arrêt, représentant 70% de la population carcérale. En centres de détention ou maisons centrales, les visites sont sur des plages horaires de plusieurs heures réparties sur le week-end. Il ne faut pas oublier que le temps de visite accordé aux personnes incarcérées pour voir leurs proches est extrêmement limité par rapport à celui accordé pour les intervenants extérieurs. Concernant la qualité de vie, elle repose aujourd’hui essentiellement sur la famille et les proches de la personne incarcérée, par l’envoi régulier de mandats permettant entre autre l’amélioration de la nourriture. Je vous rappelle qu’il n’y a très peu de travail en maisons d’arrêt et lors de l’affectation en centre de détention ou en maison centrale, l’accès au travail reste difficile et les salaires sont très bas. Même si des commissions d’indigence attribuent une aide matérielle en fonction des situations individuelles, la famille et les proches restent toujours le soutien le plus important. Les aides fournies par ces commissions concernent : 3 La sortie de prison 3.1 L’aménagement de peine Préparer la sortie et bénéficier d’un suivi médical et d’une prise en charge après une incarcération peut se faire dans le cadre d’un aménagement de peine. Aujourd’hui d’autres personnes sont déjà intervenues sur l’aménagement de peine pour raison médicale, mais je voudrais mettre l’accent sur certains points qui nous semble essentiel. Pour une personne qui touchée par le VIH, la phase SIDA est considérée comme la phase terminale de la maladie. Une personne va bien et dans les jours qui suivent, à cause d’une infection opportuniste, sa vie peut ne plus durer que quelques jours. Cette personne doit bénéficier d’une prise en charge médicale digne de ce nom et dans les conditions les plus humaines possibles. 3.2 La place de la famille De leurs côtés, les familles sont, elles aussi, condamnées à une peine, vivant douloureusement l’absence de la personne incarcérée. La famille, ayant déjà à gérer son quotidien, avec, entre autre des difficultés liées à la précarité pour beaucoup d’entre elles, se trouve souvent empêchée dans le maintien du lien familial, entraînant son désengagement au fur et à mesure des mois, des années, tellement le maintien de ce lien est synonyme de parcours du combattant... Or, les familles et les proches des personnes incarcérées seront souvent la seule solution à la sortie, le seul relais dans l’attente de la mise en place des processus de prises en charge d’hospitalisation ou autres. Un grand nombre d’aménagements de peine pour raisons médicales ne sont pas accordées, malgré des expertises concordantes reconnaissant des états de santé extrêmement graves, notamment du fait de la pénurie d’établissements d’accueils adaptés. 4 Conclusion Pour conclure, je vais vous faire part de quelques propositions de Didier. Plaçons-nous dans la situation d’une personne détenue atteint du VIH et qui n’a pas obligatoirement de famille ou de proches qui l’attendent de l’autre côté du mur. Comment et que faire pour que cette personne, à sa sortie, ne se retrouve pas dans une situation de rupture de suivi médical et de traitement ? Deux aspects sont à prendre en compte : l’aspect sanitaire et l’aspect social L’aspect sanitaire : Dans l’idéal, il faudrait que la personne libérée puisse avoir son traitement pour au moins 15 jours ou 1 mois, afin qu’elle puisse avoir le temps de prendre contact avec un spécialiste du VIH dans un hôpital à l’extérieur, près du lieu d’habitation ou de domiciliation. Le médecin traitant de l’UCSA doit participer à la préparation à la sortie en faisant le lien entre la personne incarcérée qui va être libérée et le médecin à l’extérieur, pouvant envoyer directement le dossier médical de son patient à son collègue qu’il aura lui-même conseillé. L’aspect social : La carte nationale d’identité est le document administratif indispensable, sans lui aucune démarche n’est possible. Certaines personnes détenues n’avaient pas de papiers d’identité avant leur incarcération, ou ces derniers sont périmés. Il serait intéressant et vraiment utile que des documents administratifs puissent être établis lors de l’incarcération. Nous parlons ici de trouver des solutions pour des personnes malades, pour certaines dans une incapacité ou une très grande difficulté pour se déplacer. Certaines démarches pour retrouver les droits sociaux pourraient également être entreprises lors de l’incarcération, comme les droits à la Cotorep. Il faut savoir que certaines personnes détenues apprennent leur maladie pendant leur incarcération. Une prise en charge médicale minimale est assurée, mais aucune en ce qui concerne l’aspect social. Pourquoi ? La réponse est simple : les personnels sociaux des UCSA ou des SPIP sont peu nombreux et n’ont pas le temps d’entreprendre ces démarches, qui pourtant sont importantes, avec une personne détenue malade. Il est important de souligner que les associations venant en aide aux personnes sortant de prison devraient être présentes bien en amont de la sortie. Une sortie de prison réussie est une sortie qui a été préparée avant et non après la libération. Etre lâché dans la nature sans savoir où et à qui s’adresser, de n’être attendu nulle part, est le meilleur moyen pour faire de la sortie un échec. Il est essentiel de prendre en compte ces propositions pour placer la personne malade dans les meilleures conditions afin que sa sortie de prison ne soit pas vécue comme un moment extrêmement préoccupant.
|