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Les peines planchers peuvent-elles être facteur de récidive ?

Publié le vendredi 15 juin 2007 | https://banpublic.org/les-peines-planchers-peuvent-elles/

CENTRE D’HISTOIRE SOCIALE DU XXe siècle, UMR CNRS 8058
Groupe d’étude de la récidive en Europe (GÉRE) / 8 Juin 2007

Les peines planchers peuvent-elles être facteur de récidive ?
Comparaison des taux de nouvelle condamnation après une peine d’emprisonnement et après une peine non carcérale, pour des condamnés ayant déjà un passé judiciaire.

par Pierre V. Tournier

Dans l’avant projet de loi « tendant à renforcer la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs », que la Garde des Sceaux, Mme Rachida Dati, a soumis, pour avis, au Conseil d’Etat, l’article 2 concerne les délits commis en état de récidive légale par les majeurs :

 Article 2. « Pour les délits commis en état de récidive légale, la juridiction prononce une peine d’emprisonnement qui ne peut être inférieure aux seuils suivants :
 1° 1 an, si le délit est puni de 3 ans d’emprisonnement.
 2° 2 ans, si le délit est puni de 5 ans d’emprisonnement.
 3° 3 ans, si le délit est puni de 7 ans d’emprisonnement.
 4° 4 ans, si le délit est puni de 10 ans d’emprisonnement.
 
 Toutefois, le tribunal peut prononcer, par une décision spécialement motivée, une peine inférieure à ces seuils ou à une peine autre que l’emprisonnement en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou de ses garanties d’insertion ou de réinsertion ».

 Si ces peines planchers s’avèrent dissuasives, comme la Garde des Sceaux en fait l’hypothèse, tout va bien, les seuils prévus n’auront pas à être appliqués. Dans le cas contraire, le prononcé de peines alternatives à la détention sera l’exception et la peine d’emprisonnement la règle. 
 

 Et pourtant...
 
 Dans son avis sur les « Alternatives à la détention » adopté en Assemblée plénière le 14 décembre 2006, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), affirme [...] que les alternatives à la détention [...] obtiennent de meilleurs résultats que la prison en termes de lutte contre la récidive et représentent un moindre coût pour la collectivité » . Ce fait est bien connu en matière d’aménagement des peines (en particulier en ce qui concerne la libération conditionnelle) .

 En ce qui concerne les sanctions alternatives en matière correctionnelle, la commission s’est appuyée sur la seule recherche existant en France sur le sujet, recherche que nous avons dirigée et menée en coopération avec l’Université de Lille 2 et la Direction de l’administration pénitentiaire .

 La population étudiée comprenait deux composantes bien distinctes : a. des personnes condamnées à une peine privative de liberté (ferme) que l’on a suivies à partir de la date de leur libération. b. des personnes condamnées à certaines peines non carcérales que l’on a suivies à partir de la date de leur condamnation. Les personnes de la catégorie a ont été libérées en 1996 de la maison d’arrêt de Loos et du centre de détention de Loos (Département du Nord). La catégorie b est constituée de personnes ayant fait l’objet d’une condamnation prononcée, en 1996, sur le mode contradictoire, par les tribunaux correctionnels de Lille, Douai et Dunkerque. Le devenir de ces condamnés a été examiné, à partir du casier judiciaire jusqu’en juillet 2002, soit sur une période moyenne d’environ 6 ans.
 Pour faire partie de l’une des populations étudiées, les personnes devaient avoir été condamnées pour au moins un des types d’infractions suivants : infraction à la législation sur les stupéfiants, vol ou recel simple, vol ou recel aggravé, vol avec violence, conduite en état alcoolique, coups et blessures volontaires, agression sexuelle. L’enquête a porté sur 5 234 dossiers.

 De cette base de données considérable, nous avons extrait, pour cette note, un certain nombre de situations concrètes. Elles concernent des condamnés ayant déjà un passé judiciaire, sans profession déclarée, et de nouveau sanctionné pour « vol - recel simple » ou « vol recel aggravé » à une peine d’emprisonnement ferme ou à un sursis avec mise à l’épreuve (SME), ou à un SME accompagné d’un travail d’intérêt général ou à un sursis simple.
 Par ailleurs, nous distinguons les moins de 25 ans et les 25 ans et plus (âge à la libération ou au moment du prononcé de la peine alternative). 

 Dans les 32 catégories ainsi distinguées (4 x 2 x 4 = 32), les taux de nouvelle condamnation, sur 6 ans, varient de 67 % à 93 % et les taux de nouvelle condamnation à l’emprisonnement ferme de 42 % à 88 %. Ainsi, pour ce qui est des délits, ces condamnés sont bien ceux qui sont visés par le projet de loi.

A une exception près, les taux de nouvelle condamnation ou les taux (plus restrictifs) de nouvelle condamnation à l’emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu’après le prononcé d’une peine alternative (voir tableaux infra).

 Aussi doit-on se poser la question de savoir ce qui se serait passé si les tribunaux n’avaient pas eu le choix et avaient, en toutes circonstances, prononcé des peines d’emprisonnement ferme d’un an ou plus.

 Question : les peines planchers ne risqueraient-elles pas d’être facteur de récidive ?

Paris, le 8 juin 2007 
 
Annexe : voir les annexes en pièce jointe

Références bibliographiques

Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Sanctionner dans le respect des droits de l’homme, 2007, 2. Les alternatives à la détention », (étude menée par Sarah Dindo) Les études de la CNSCH, La Documentation française, 222 pages.

Kensey (A), Lombard (F), Tournier (P.V.), 2006a, Aménagements des peines d’emprisonnement et récidive dans le département du Nord, rapport d’étape / aménagement des peines, recherche financée par le Mission de recherche Droit & Justice et le Fonds interministériel d’intervention pour la politique de la ville, 348 pages, 2002.

---, 2006b, Sanctions alternatives à l’emprisonnement et « récidive ». Observation suivie, sur 5 ans, de détenus condamnés en matière correctionnelle libérés, et de condamnés à des sanctions non carcérales (département du Nord). Ministère de la Justice, Direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux & Documents, n°70, 2006, livret de 113 + CD ROM. 

Tournier (P.V.), 2004, La recommandation rec (2003) 22 du 24 septembre 2003. Plaidoyer pour la libération conditionnelle. Conférence ad hoc des directeurs d’administration pénitentiaire (CDAP) et de service de probation, Rome, 25-27 novembre 2004, Conseil de l’Europe, CDAP (2004) 1, 11 pages

---, 2005, Peines d’emprisonnement ou peines alternatives : quelle récidive ? Actualité juridique. Pénal, Les Editions Dalloz, n°9, 315-317.

---, 2007a, Choisir la peine, en connaissance de cause. Sanctions alternatives à l’emprisonnement et récidive, in Approche indisciplinaire de la question pénale, Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, Centre d’histoire sociale du XXe siècle, mars 2007, 168 pages. Ouvrage diffusé par internet à la demande et mis ligne sur
http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/cherche/Tournier/BEST-OFF.pdf

---, 2007b, Devenir des détenus condamnés en matière criminelle après leur libération, note du Groupe d‘étude de la récidive en Europe (GÉRE), Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, 30 mai 2007, 9 pages.

---, 2007c, Des délits et des peines planchers. Un projet de loi déflationniste en matière carcérale ?, Note du Groupe d‘étude de la récidive en Europe (GÉRE), Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, 2007, 13 pages.

Courrier à adresser à :
Pierre V. Tournier, 43, rue Guy Môquet 75017 PARIS, Tél. 33 (0)1 42 63 45 04
pierre-victor.tournier@wanadoo.fr

 
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