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Étude de législation comparée n° 17 : L’exemption judiciaire de sanction pénale

NOTE DE SYNTHESE

Bien qu’il semble naturel que la reconnaissance de culpabilité se traduise par le prononcé d’une sanction pénale, le coupable peut, dans certaines circonstances prévues par la loi, être exempté de toute peine.

On distingue les exemptions législatives des exemptions judiciaires.

Les exemptions législatives sont automatiquement accordées dans certains cas limitativement énumérés. En France par exemple, dans les affaires de terrorisme et de faux-monnayage, les délinquants qui ont " permis d’éviter la réalisation de l’infraction et d’identifier, le cas échéant, les autres coupables " sont exemptés de peine.

 

Quant aux exemptions judiciaires, objet de cette étude, elles existent en France sous deux formes : la dispense de peine et l’ajournement du prononcé de la peine. Ainsi, les tribunaux français, dans le cadre de leurs pouvoirs d’individualisation judiciaire, jouissent depuis quelques années du pouvoir discrétionnaire de ne pas sanctionner l’accusé reconnu coupable. Ce pouvoir d’exemption est limité aux seules matières correctionnelle et contraventionnelle.

L’ajournement du prononcé de la peine, introduit dans la législation française en 1975, a mis fin au principe de l’indivisibilité de la sentence selon lequel le juge ne peut pas dissocier dans le temps les décisions sur la culpabilité et sur la sanction. Désormais, comme dans les pays anglo-saxons, la juridiction peut déclarer l’accusé coupable et statuer ultérieurement sur la peine. A l’audience de renvoi, le prévenu peut être dispensé de toute peine.

Pour analyser les dispositifs étrangers d’exemption judiciaire, on a donc cherché à savoir si les pays voisins connaissaient des institutions comparables à la dispense de peine et à l’ajournement du prononcé de la peine. Pour cela, on a retenu, outre l’Angleterre et le Pays de Galles, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et l’Italie.

1) L’ajournement du prononcé de la peine existe en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles et en Belgique.
En Angleterre et au Pays de Galles, ainsi qu’en Belgique, l’ajournement du prononcé de la peine obéit aux mêmes règles qu’en France : la décision sur la culpabilité et la décision sur la peine sont dissociées. A l’issue d’un délai fixé au moment de la première, l’accusé peut être dispensé de toute peine.

En revanche, en Allemagne, lorsque la juridiction pénale rend un " avertissement avec suspension du prononcé de la peine ", elle détermine par avance la peine éventuelle, en même temps qu’elle déclare l’accusé coupable et qu’elle fixe un délai au terme duquel elle peut constater qu’il n’y a pas lieu de prononcer la peine prévue.

En dehors de cette différence de fond, les trois pays qui connaissent l’ajournement du prononcé de la peine l’utilisent selon des modalités variables.

a) Le champ d’application de l’ajournement du prononcé de la peine diffère.

En Allemagne, il est limité aux infractions mineures. En Belgique, il est exclu en matière criminelle. En revanche, la loi anglaise ne définit pas son champ d’application par rapport à la gravité de l’infraction concernée : n’importe quel tribunal pénal, qu’il s’agisse d’une magistrates’ court ou de la Crown Court, peut ajourner le prononcé de la peine s’il estime qu’une telle décision est conforme aux " intérêts de la justice ".

b) La durée de l’ajournement est variable.

En Angleterre et au Pays de Galles, l’ajournement ne peut dépasser six mois. En Allemagne, il est compris entre un et trois ans. En Belgique, sa durée peut varier entre un et cinq ans.

c) Les lois anglaise et belge exigent l’accord du condamné pour que les tribunaux puissent ajourner le prononcé de la peine.

d) Dans chacun des trois pays, le tribunal qui ajourne le prononcé de la peine peut imposer des conditions probatoires.

2) La dispense de peine existe en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles ainsi qu’en Italie.
En Angleterre et au Pays de Galles, elle est très comparable à son équivalent français. Il en va de même en Italie, même si elle n’existe qu’au bénéfice des mineurs.

En Allemagne, la dispense de peine revêt une signification totalement différente. En effet, elle est obligatoirement prononcée lorsque la peine encourue est inférieure à un an de prison et que les conséquences de l’acte incriminé sont telles qu’il est évident que le coupable s’est en quelque sorte châtié lui-même et que toute sanction serait superflue.

ALLEMAGNE
I - L’AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
Prévu à l’article 59 du code pénal, l’avertissement avec suspension du prononcé de la peine, introduit par la grande réforme du droit pénal de 1969, est seulement applicable aux personnes condamnées à payer des amendes inférieures ou égales à 180 " taux journaliers " [1].

Un tel avertissement peut être rendu lorsque l’évaluation des faits et de la personnalité du coupable laissent penser qu’il convient de ne pas prononcer de peine. En revanche, il est exclu lorsque, au cours des trois dernières années, le condamné s’est vu infliger une peine ou a déjà reçu un tel avertissement.

Lorsqu’un avertissement avec suspension du prononcé de la peine est rendu, la peine est déterminée et un sursis, compris entre un et trois ans, est fixé. Le tribunal peut également imposer des obligations au coupable (compensation financière du dommage par exemple). Le délai écoulé, le tribunal peut constater qu’il n’y a pas lieu de prononcer la peine.

Dans la pratique, cette possibilité est rarement utilisée parce-que " l’arrêt conditionnel de l’instance pénale ", qui s’applique dans les mêmes conditions et qui permet au ministère public de renoncer à intenter l’action publique, lui est généralement préféré.

II - LA DISPENSE DE PEINE
L’article 60 du code pénal oblige le tribunal à ne pas prononcer de sanction lorsque les conséquences de l’acte incriminé sont " tellement graves " qu’il serait inconvenant de prononcer une peine, le coupable s’étant en quelque sorte châtié lui-même. Cette disposition s’applique seulement lorsque la peine encourue est inférieure à un an de prison.

La jurisprudence prend en compte aussi bien les conséquences physiques de l’acte incriminé, sur l’auteur de l’acte ou sur ses proches, que ses conséquences matérielles. Ainsi, si un conducteur provoque un grave accident de la route au cours duquel son conjoint est grièvement blessé et que la sanction pénale qu’il encourt est inférieure à un an de prison, le tribunal a l’obligation de ne pas prononcer de sanction.

ANGLETERRE ET PAYS DE GALLES
I - L’AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
L’article 1-1 de la loi de 1973 sur les pouvoirs des tribunaux pénaux [2] les autorise à ajourner d’au plus six mois le prononcé de la peine, avec l’accord du condamné. Cette disposition doit permettre au tribunal de prononcer la peine en tenant compte de sa conduite après la condamnation.

L’ajournement du prononcé de la peine peut être exercé aussi bien par une magistrates’ court que par la Crown Court. Il n’est donc pas réservé aux infractions mineures. La loi précise que seuls les " intérêts de la justice " doivent justifier la décision d’ajournement, compte tenu de la nature de l’infraction ainsi que de la personnalité du coupable.

Bien que la loi soit muette sur ce point, la jurisprudence a eu l’occasion de préciser que le tribunal qui prend la décision d’ajournement doit indiquer au condamné les raisons de l’ajournement et la conduite que l’on attend de lui pendant cette période. Si le condamné s’est conformé aux prescriptions indiquées par le tribunal, il peut, à l’issue du délai de six mois, être dispensé de toute peine.

En règle générale, une décision d’ajournement du prononcé de la peine n’est pas prise lorsque les améliorations de la conduite du condamné sont suffisamment précises pour faire l’objet d’une ordonnance de probation. Cette institution, qui permet à une personne reconnue coupable d’être laissée en liberté tout en étant placée sous la surveillance d’un fonctionnaire spécialisé, n’est pas traitée ici car elle constitue une sanction.

II - LA DISPENSE DE PEINE
Elle est prévue par l’article 1a de la loi de 1973 sur les pouvoirs des tribunaux pénaux et connaît deux modalités :

- la dispense absolue,

- la dispense conditionnelle

1) La dispense absolue
Après avoir reconnu la culpabilité, le juge ne prononce aucune peine, même mineure, s’il estime que ce n’est pas nécessaire. C’est par exemple le cas lorsque la culpabilité, bien qu’effective sur le plan juridique, ne traduit aucune " mauvaise action ".

2) La dispense conditionnelle
Le juge peut assortir la dispense de peine de l’absence de toute infraction pendant un délai inférieur à trois ans. Une condamnation n’est alors prononcée qu’en cas de mauvaise conduite.

BELGIQUE
I - L’AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
Il a été institué en 1964. En effet, d’après l’article 1er de la loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, " la mise à l’épreuve d’un délinquant se réalise :

1) par la suspension du prononcé de la condamnation ;

2) par le sursis à l’exécution des peines. "

La " suspension du prononcé de la condamnation " correspond en fait à la suspension du prononcé de la peine.

En matière pénale, la suspension du prononcé de la peine ne peut pas être décidée par une cour d’assises.

L’exposé des motifs du projet initial justifiait la suspension du prononcé de la peine " dans le cas où, l’affaire étant trop grave pour être laissée sans suite, une condamnation, même prononcée avec sursis, serait de nature à compromettre le redressement -déjà acquis ou qu’on est en droit d’espérer- de l’inculpé et le reclassement de celui-ci dans la société. "

Aux termes de l’article 2 de la loi de 1964, " la suspension peut être ordonnée de l’accord de l’inculpé, [...] en faveur de l’inculpé qui n’a pas encouru antérieurement de condamnation à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel principal de plus d’un mois, lorsque le fait ne paraît pas de nature à entraîner, comme peine principale, un emprisonnement correctionnel supérieur à deux ans ou une peine plus grave et que la prévention est déclarée établie. "

La décision ordonnant la suspension en détermine la durée, nécessairement comprise entre un et cinq ans et, le cas échéant, les conditions de probation imposées.

En effet, la suspension comporte deux modalités :

- la suspension simple, qui n’implique aucune modalité particulière ;

- la suspension probatoire qui comporte des conditions particulières (réparer le préjudice, ne pas fréquenter certains lieux...)

II - LA DISPENSE DE PEINE
Une telle mesure n’existe pas.

ESPAGNE
Le droit pénal ne connaît ni l’ajournement du prononcé de la peine, ni la dispense de peine.

En effet, à chaque faute correspond une peine que le juge doit appliquer. Il ne peut qu’en faire varier la durée en fonction d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes.

ITALIE
I - L’AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
Une telle mesure n’existe pas.

II - LA DISPENSE DE PEINE
Dénommée " pardon judiciaire ", la dispense de peine n’existe qu’au bénéfice des mineurs sans antécédents pénaux encourant une peine d’incarcération de moins de deux ans.

[1Le " taux journalier ", d’origine scandinave, a remplacé l’ancien système de la somme globale. Le tribunal fixe le nombre de " taux journaliers " applicable à l’infraction commise. Il fixe ensuite le montant du " taux journalier ", variable en fonction des capacités financières du condamné

[2Le système pénal est différent en Ecosse et en Irlande du Nord