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Une loi pénitentiaire : la prison une zone dérogatoire ?

 En mars 2002, un projet de loi pénitentiaire, élaboré après concertation d’un certain nombre d’acteurs, a échoué sur le bureau du Premier Ministre, sans suite. Un travail considérable avait été mené, même s’il est à noter que la version finale du projet était largement appauvrie, notamment s’agissant du droit de téléphoner. La plupart des candidats à l’élection présidentielle de 2007 s’engagent à proposer une loi pénitentiaire. Cette loi est par ailleurs souhaitée par nombre de praticiens et de théoriciens. Lesquels se livrent à une véritable surenchère de propositions de contenu pour cette loi. Mais ne faudrait-il pas, avant de donner du contenu, s’interroger sur la pertinence qu’il y a à élaborer une telle loi ? D’abord, cette loi redéfinirait sans doute le sens de la peine, mais une loi est-elle suffisante pour cela ? Ensuite, portant sur un groupe de personnes en particulier, cette loi pourrait être qualifiée de loi d’exception et en ce sens pérenniser l’organisation de cette zone dérogatoire au droit ordinaire qu’est la prison. Cependant, compte tenu du fait que la privation de la liberté d’aller et venir entraîne actuellement d’autres privations, n’est-il pas utile de préciser les conditions d’exécution de la peine privative de liberté pour en limiter les effets ?

 Définir le sens de la peine suppose une réflexion large qui s’étend bien au-delà du cadre d’une loi pénitentiaire. La décision du conseil constitutionnel du 20 janvier 1994, saisi le 23 décembre 1993, sur la constitutionnalité de la loi instituant une peine incompressible, et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, précise le sens de la peine : "Considérant que l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion". Les notions de punition et d’amendement ont une portée symbolique forte. Le sens de la peine, et en particulier de la peine privative de liberté, porte en soi, et en négatif, le concept de sens de la vie : quelle place prend la liberté dans la vie en société ? Répondre à cette question suppose d’adopter une posture intellectuelle différente de celle imposée par le cadre de la rédaction d’une loi.

 En outre, il ne peut y avoir deux qualités de normes, selon que les personnes sont des citoyens incarcérés ou des citoyens libres. Les citoyens de la "société libre" eux-mêmes subissent des limitations à leur liberté, des "ingérences" selon la terminologie de la Convention européenne des droits de l’homme, fondées sur les nécessités de l’ordre public. Ces ingérences doivent être identiques pour les personnes incarcérées et pour les personnes libres, sinon à considérer que la privation de la liberté d’aller et venir doit entraîner la limitation d’autres droits, ce qui est contraire au principe de la peine privative de liberté, précisément et exclusivement d’aller et venir. Le droit commun doit être appliqué dans toutes ses déclinaisons, à tous (droit du travail, droit de la famille, droit à une fin de vie dans des conditions humaines par exemple) ; il est de la responsabilité de l’état d’organiser la mise en application des lois votées par le parlement, dans tous les lieux, y compris les prisons. Il ne peut être question d’organiser des zones gérées de façon dérogatoire, par une loi spécifique.

 Mais, attendre ou espérer que le droit commun entre en prison sans qu’il soit nécessaire de légiférer, et compte tenu de la situation actuelle des prisons, est sans doute irréaliste. Dans ces conditions, une loi pénitentiaire aurait pour intérêt de fixer clairement les modalités d’exécution de la peine privative de liberté et surtout d’éviter que des circulaires de l’administration centrale ou des règlements intérieurs (souvent différents les uns des autres) régulent la vie en détention. Certes, il existe des textes internationaux et notamment européens s’agissant des règles pénitentiaires européennes, mais il ne faut jamais oublier que ces textes n’ont aucune valeur contraignante ; ces textes seuls ne sont en rien une garantie en matière de respect des droits fondamentaux des personnes. D’où l’intérêt de textes de lois.

 Soit l’on considère qu’en l’état actuel des textes il est possible que la prison n’entraîne que la privation de la liberté d’aller et venir et que la situation présente permet d’introduire le droit commun ; soit l’on considère qu’au contraire il est nécessaire de légiférer sur la question pénitentiaire, compte tenu des conditions d’aujourd’hui, non satisfaisantes.
En tout état de cause, que l’on considère pertinent ou non de légiférer sur la question pénitentiaire, se pose cette interrogation fondamentale de savoir si une prison entraînant la seule privation de la liberté d’aller et venir est possible. Peut-on en effet imaginer qu’être privé d’aller et venir puisse n’entraîner aucune autre privation ? Si la réponse est non, la question de la loi pénitentiaire paraît bien superflue. Implicitement on en vient à la question de l’existence même de la prison ; si la prison n’est pas en mesure de garantir qu’aucune autre privation ne sera le résultat de la privation d’aller et venir, alors il faut envisager de penser autrement les sanctions résultant d’une infraction et pas seulement prétendre améliorer le système carcéral.

La rédaction

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(Mars 2007)