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(2005) Saisine no 2005-61 pour connaître les conditions du maintien au quartier disciplinaire de L.J. à la maison centrale de Moulins Yzeure malgré des certificats médicaux de contre-indications

Publié le mercredi 7 mars 2007 | https://banpublic.org/2005-saisine-no-2005-61-pour/

Saisine n°2005-61

AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité

à la suite de sa saisine, le 16 juin 2005,
par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, sénateur du territoire de Belfort

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 16 juin 2005, par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, sénateur du territoire de Belfort, de faits concernant M.L.J., détenu à la maison centrale de Moulins-Yzeure, qui avait été maintenu au quartier disciplinaire du 28 avril 2005 au 12 mai 2005 après que trois certificats médicaux de contre-indication au QD aient été établis par l’Unité de consultations et de soins ambulatoires.
La Commission a demandé le 28 juin 2005 au garde des Sceaux de diligenter une inspection de l’administration pénitentiaire.
La Commission a entendu le détenu L.J. le 25 janvier 2006 à la maison centrale de Poissy, où il venait d’être transféré. Elle a procédé aux auditions de M. M.P., directeur de l’établissement pénitentiaire de Moulins-Yzeure, qui comporte la maison d’arrêt et la centrale, et de M. D.W., directeur de la centrale ainsi que du chef de la détention, M. B.M. Elle a recueilli les observations du Dr N.T., médecin de l’UCSA.

LES FAITS
M. L.J., incarcéré depuis1994, purge une longue peine. Il est arrivé à la centrale de Moulins en août 2003. Il est atteint d’une pathologie lourde. Il est suivi régulièrement par l’UCSA de la centrale et par un médecin spécialisé qui le voit une fois par mois.

Suite à un incident au parloir le 10 avril 2005, il fait l’objet d’une commission de discipline le 28 avril, qui le sanctionne de 15 jours de cellule disciplinaire avec sursis pour avoir refusé d’obtempérer aux ordres du personnel, et de 15 jours de cellule disciplinaire dont 8 avec sursis pour avoir proféré des insultes et des menaces à l’encontre d’un surveillant. Les deux procédures ayant été confondues, il est placé au QD le 28 avril pour 7 jours.

L’incident à l’origine de la procédure disciplinaire
Le 10 avril 2005, vers 10h00, M. L.J. est au parloir avec sa compagne lorsqu’un premier surveillant lui demande de laisser la place à une autre famille de détenu qui se présente et de remonter en détention. Selon M. L.J., le détenu P., qui avait une visite en même temps que lui et qui avait fini de voir sa famille, propose alors de laisser la sienne. « J’ai pensé que le problème était réglé », expose M. L.J., qui a de ce fait pu prolonger son parloir. En fin d’après-midi, il est informé qu’il fait l’objet d’un rapport d’incident pour refus de sortie de parloir. M. L.J. a alors un échange tendu avec le surveillant des parloirs, dont il estime qu’il n’a pas été honnête et lui dit : « Vous êtes une canaille ».

M. M.P., le directeur de l’établissement pénitentiaire, a précisé, concernant l’organisation des parloirs, que les détenus qui reçoivent des visites très régulièrement ne sont pas obligés de s’inscrire à chaque fois, mais que « si les familles qui ne viennent pas souvent se présentent, elles sont prioritaires pour le parloir ». Il confirme que M. L.J. a dit au surveillant du parloir qu’un autre détenu présent acceptait de laisser la sienne. Le surveillant n’a pas accepté cette explication. Il a demandé à M. L.J. de remonter en détention. Le chef d’établissement a exposé qu’il y avait une insuffisance de places au parloir et que certains détenus ou certaines familles de détenus exerçaient des pressions concernant ces places. « Il y a eu une altercation et M. L.J. est resté au parloir ».

M. D.W., le directeur de la centrale, expose que la décision prise par le surveillant répondait aux instructions données « que les parloirs ne doivent pas être décidés par les détenus entre eux, c’est l’administration qui doit garder la gestion et la maîtrise des parloirs ». M. L.J., informé de la procédure disciplinaire à son encontre, a tenu « des propos insultants et menaçants au surveillant, lui disant qu’il était une canaille ». Ce qui lui a donc valu un deuxième rapport d’incident examiné lors de la commission de discipline du 28 avril.

La mise au quartier disciplinaire de M. L.J.
M. L.J., conduit au QD le 28 avril, est vu par un médecin de l’UCSA le 29 avril. Le Dr N.T. établit aussitôt un certificat médical attestant que l’état de santé de M. L.J. contre-indique son placement au QD, confirmant un rapport d’intervention du Dr. V.

Le directeur de la centrale, M. D.W., ordonne alors la sortie de M. L.J. du quartier disciplinaire et son placement immédiat à l’isolement, « le temps de vérifier si son comportement en détention n’aurait pas de conséquences ». Il a tenu à préciser à la Commission que « lorsqu’un détenu ne veut pas sortir du QD, il refuse d’utiliser la force car il n’est plus possible après de sortir d’une spirale de violence ». De plus, il jugeait que « le retour de M. L.J. en détention était risqué, puisque l’incident concernait les parloirs, question sensible dans les relations entre les détenus et les familles de détenus ». Dans la procédure de placement à l’isolement, il a motivé ainsi sa décision : « Votre état de santé rendant incompatible votre maintien au QD, votre retour en détention ordinaire n’est [pas] envisagé immédiatement, en raison du trouble causé par vos infractions ».

M. L.J. refuse de sortir du QD pour aller à l’isolement et fait l’objet d’un
nouveau rapport d’incident pour refus d’obtempérer.
M. L.J. a exposé à la Commission qu’il a un sentiment d’angoisse constant depuis qu’il a failli mourir lors d’un placement à l’isolement dans un autre établissement pénitentiaire, où il avait dû être hospitalisé en urgence.
Entré sous le régime de la détention ordinaire à Moulins, il avait été placé à l’isolement en mars 2004 pendant un mois et avait déposé un recours. Il en avait été sorti pour raison médicale.
Le 30 avril, il a donc demandé la visite du médecin. Le Dr V. revoit M. L.J. au QD et donne lui aussi un avis d’incompatibilité au QD.

Le 3 mai, alors qu’il existe deux certificats d’incompatibilité au QD, la commission de discipline, présidée par M. D.W., le directeur de la centrale, sanctionne M. L.J. pour son refus d’être placé à l’isolement de 8 jours de QD, en révocation du sursis accordé le 28 avril.
M. L.J. a refusé de comparaître en l’absence de son avocat, qui avait demandé un report qui lui avait été refusé.

Le 4 mai, le Dr N.T. de l’UCSA constatant que M. L.J. est encore en cellule disciplinaire, établit deux nouveaux certificats médicaux, précisant au surveillant qui le lui réclamait que « l’état de santé de M. L.J. n’avait pas changé en 24 heures », l’un pour le QD, l’autre contre-indiquant son placement au quartier d’isolement.

Le directeur décide alors le retour de M. L.J. en détention ordinaire, mais dans une autre cellule que la sienne, à un autre étage. M. L.J. refuse, ressentant cette décision comme la volonté de le « brimer », car le changer d’étage, c’est lui ôter ses repères et le priver de ses liens amicaux. Il estime que dès le début de la procédure disciplinaire, il aurait pu être sanctionné d’un confinement dans sa cellule, sanction qu’il aurait acceptée.

M. L.J. reste au QD et le 11 mai, après un passage de quelques heures en cellule d’isolement « suite à une erreur », il est affecté à un autre étage de la détention ordinaire et déclare : « J’ai accepté car j’en pouvais plus du régime du mitard ».

La commission de discipline se réunit à nouveau le 12 mai 2005 pour
sanctionner le refus de M. L.J. du 4 mai d’intégrer une autre cellule à un
autre étage, qui « de plus, avait dit qu’il n’était pas le jouet de la direction ». M. L.J. assiste à cette troisième commission mais garde le silence en l’absence de son avocat. Me P. dit avoir reçu l’information la veille par fax et demandé aussitôt par fax le renvoi de l’audience pour indisponibilité, rappelant l’historique du contentieux et l’existence des certificats médicaux, mais il n’a reçu aucune réponse. M. D.W., directeur, a déclaré n’avoir pas eu connaissance d’un courrier de Me P.
M. L.J. a été sanctionné de 15 jours de confinement.

Le chef de la détention, M. B.M., a confirmé le déroulement des procédures, bien que n’étant intervenu personnellement dans la situation de M. L.J. que lors d’un échange avec le Dr N.T., pour lui confirmer la validité de son certificat initial d’incompatibilité.
Il a indiqué que le temps de son incarcération à Moulins, M. L.J. n’avait pas été l’auteur de violences ou de contentieux graves avec le personnel, mais qu’il était classé « dangereux » par l’administration pénitentiaire, connu comme détenu « à la personnalité affirmée, présent dans les mouvements collectifs ».
Questionné sur la gestion des problèmes disciplinaires en détention, M. B. M. a exposé : « Lorsqu’un détenu a eu un incident verbal avec un surveillant, on préfère le mettre en période d’observation pendant quelques temps. M. L. J. a refusé le quartier d’isolement. Il était hors de question de le remettre dans la même cellule. Il est difficile de gérer le retour immédiat en détention d’un détenu qui a fait l’objet d’une sanction disciplinaire qui n’a pas pu être appliquée ».

Les certificats médicaux d’incompatibilité établis au quartier disciplinaire
Le Dr N.T. a exposé à la Commission que ni au quartier disciplinaire, ni au quartier d’isolement, M. L.J. ne pouvait recevoir l’alimentation dont il avait besoin car le « cantinage » y est interdit, et les détenus qui y sont placés ne peuvent compléter une alimentation insuffisante et inadaptée, par manque de laitages et de fruits frais.
Le service médical avait déjà abordé ces problèmes avec l’administration pénitentiaire, il lui avait été répondu que la raison de cette situation était financière, les budgets étant restreints. Le service médical n’a pu obtenir que les détenus diabétiques ou ayant des affections nécessitant un régime alimentaire strict (insuffisant cardiaque) bénéficient d’une alimentation appropriée. Le Dr N.T. estime nécessaire de donner la possibilité à des malades comme M. L.J. de se faire la cuisine.

Concernant la détention en cellule disciplinaire, le médecin de l’UCSA explique que « ces malades ne doivent pas y être placés. Les cellules sont dans un état de précarité, insuffisamment chauffées, avec des WC à la turque et un vasistas qui laisse peu pénétrer la lumière naturelle. Pour des détenus malades comme M. L.J., ce régime de la détention est préjudiciable ». Elle expose : « Ils ont besoin d’activités pour supporter moralement leur maladie ». Or, dans le placement au quartier disciplinaire et dans la mise à l’isolement, les activités sont suspendues ou réduites. Elle souligne l’importance de l’état psychologique dans le suivi des détenus atteints de pathologie lourde comme celle de M. L.J.
Concernant le changement de cellule de M. L.J., elle expose qu’il « peut être en effet néfaste pour ces malades qu’on les sépare de leur environnement habituel, de leurs liens, de leurs repères, on les fragilise ».
Questionnée sur ses échanges avec la direction sur le maintien de fait de
M. L.J. au QD, elle indique qu’elle n’a pas eu d’échange ou d’entretien avec la direction, mais qu’il lui avait été dit, lors de ses interventions au QD, que « ce détenu avait une peine à faire, et que ce serait ou l’isolement ou le confinement, que le service médical ne pouvait pas intervenir ».
La Commission observe que le chef d’établissement M. M.P. était en congé, absent entre le 6 mai et le 9 mai, et a été informé à son retour de la situation de M. L.J. Il s’est rendu au QD pour voir M. L.J. qui était dans la cour de promenade, lequel a refusé de lui parler en hurlant : « Je vous interdit de vous adresser à moi, vous entendrez parler de moi ! ».

Le Dr N.T. relève que depuis janvier 2006, le chef d’établissement M. M. P. a mis en place une réunion tous les lundis entre le service médical et la pénitentiaire, « où sont abordés des problèmes particuliers en vue de trouver des solutions ».

L’enquête de l’administration pénitentiaire
L’administration pénitentiaire a estimé que « la sanction de cellule disciplinaire prise pour M. L.J. aurait dû faire l’objet d’une suspension en application de l’article D.251-4 du Code de procédure pénale, mais que la sortie de M. L. J. n’avait pas été effectuée en raison de circonstances indépendantes de l’AP ».

Elle estime « régulière la procédure de mise à l’isolement engagée alors par M. D.W., le directeur de la centrale. M. L.J. était astreint à accepter sa mise en cellule d’isolement, quitte à contester le cas échéant le bien-fondé de cette mesure devant la juridiction administrative. Elle considère que « le retour de M. L.J. en détention n’était pas envisageable immédiatement en raison du trouble causé par ses fautes disciplinaires ».

Selon l’administration pénitentiaire, on ne peut reprocher à la direction de
n’avoir pas usé de la force pour sortir M. L.J. du QD. C’est le refus de M. L.J. d’aller dans une autre cellule qui est à l’origine du non-respect des certificats médicaux d’incompatibilité. Elle estime qu’aucun manquement professionnel ne saurait être reproché aux membres du personnel de l’établissement.

AVIS
- La Commission constate que l’incident qui est à l’origine des comparutions successives de M. L.J. en commission de discipline résulte d’une tolérance de l’administration pénitentiaire consistant, lors des parloirs, à permettre aux familles présentes mais non-inscrites de prendre les places libres, s’il y en a ; ce dont a bénéficié M. L.J., qui, au surplus, a prolongé son parloir avec l’accord, dit-il, d’un autre détenu qui n’aurait pas souhaité poursuivre le sien.
L’administration pénitentiaire, soupçonnant M. L.J. de faits de pression sur d’autres détenus pour obtenir ce genre de prolongation, lui a donné l’ordre de retourner en détention. Son refus a justifié un rapport d’incident.

En ce qui concerne cette « tolérance », la Commission prend acte de la volonté du directeur du centre pénitencier de trouver une solution à l’insuffisance des parloirs qui ne sont organisés que les samedis et dimanches, et d’améliorer les conditions de visite faites aux familles des détenus.

- En ce qui concerne les procédures disciplinaires dont a fait l’objet M. L.
J., la Commission a constaté certaines anomalies dans les procès-verbaux, notamment dans celui du 12 mai 2005, où il est précisé que M. L.J. aurait été représenté par Me P., alors que celui-ci était absent et avait sollicité le report.
De plus, il apparaît que ce procès-verbal a été rédigé avant la comparution, car on peut y lire que « Me P. a pu s’entretenir avec son client dans le respect des règles de confidentialité trois heures avant la commission », « qu’il a été entendu en ses observations », et « qu’il a remis un mémoire annexé à la présente procédure ». Certes, ces mentions ont été rayées, du fait de l’absence de Me P., mais il n’en reste pas moins vrai que le procès-verbal avait bien été pré-rédigé.

Interrogé sur ce point, M. D.W., directeur, a déclaré : « Je précise, concernant l’imprimé de la décision de la commission du 12 mai, que les erreurs y figurant sont dues vraisemblablement aux dysfonctionnement du dispositif GIDE, dont je ne suis pas satisfait (...) ».
La Commission ne peut se satisfaire d’une telle réponse, et ce d’autant plus que le directeur M. M.P. a précisé que le procès-verbal est rédigé après délibération de la commission. Il est également regrettable qu’un arrangement n’ait pas été tenté avec l’avocat pour qu’il assiste le détenu comme celui-ci le demandait, alors que son assistance était prévue, puisque le rapport prérédigé en faisait état. La Commission observe en outre que la décision de mise à l’isolement de M. L.J. n’est pas signée par le directeur M. D.W., ce qui constitue une anomalie.

- La Commission constate que la commission régionale de libération conditionnelle a refusé en 2004 à M. L.J. une suspension de peine au titre de l’article 720-1-1 du Code de procédure pénale, applicable aux détenus atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital.
Il n’appartient pas à l’administration pénitentiaire d’apprécier si les conditions prévues par cet article sont remplies. Elle doit par contre veiller à la mise en oeuvre d’une surveillance médicale nécessaire, ce qui est fait pour M. L.J.

Tout manquement à la discipline peut conduire l’administration pénitentiaire à engager des poursuites disciplinaires, s’agissant notamment d’une injure ou d’un refus d’obtempérer aux injonctions ; mais la Commission rappelle qu’un certificat médical d’incompatibilité avec le placement en quartier disciplinaire doit être exécuté.

À supposer qu’il existe une pratique des médecins de l’établissement de déclarer systématiquement incompatible, pour de tels malades, le placement en cellule de discipline ou d’isolement, il appartient à l’administration pénitentiaire, qui dispose de toutes les données, d’anticiper en choisissant une des autres sanctions prévues par l’article D.251 du Code de procédure pénale.

RECOMMANDATIONS
La Commission demande à M. le Garde des Sceaux de rappeler au directeur de la centrale de Moulins d’une part le strict respect de la procédure disciplinaire en ce qui concerne notamment la rédaction des procès-verbaux de la commission de discipline, et d’autre part le respect du droit d’assistance des détenus comparaissant, sauf les exceptions prévues par l’alinéa 2 de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000, qui n’étaient pas réunies en l’espèce.

La Commission demande également à M. le Garde des Sceaux de rappeler qu’un certificat médical d’incompatibilité avec le placement en quartier disciplinaire ne laisse aucun pouvoir à l’administration pénitentiaire et doit être exécuté ; qu’il en va de même pour une décision de mise à l’isolement.

Enfin, la Commission demande à M. le Garde des Sceaux de rappeler les pouvoirs d’appréciation de la sanction à prononcer disciplinairement contre les détenus dont il est acquis d’avance qu’ils ne seront pas maintenus en quartier disciplinaire par décision médicale.

Adopté le 5 avril 2006

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé son avis à M. Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux, dont la réponse a été la suivante :