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16 Chap2 2 I B Une meilleure coopération entre les deux sphères

Publié le mardi 27 février 2007 | https://banpublic.org/16-chap2-2-i-b-une-meilleure/

B - Une meilleure coopération entre les deux sphères
Au sein de cette procédure, deux mondes différents se rencontrent, chacun avec leur vocabulaire, spécialités...Pour une meilleure utilisation de cette suspension de peine, une coopération plus effective entre les deux sphères (2), ainsi qu’une formation complémentaire dans le domaine de la prise en charge de la santé en milieu carcéral (1) seraient envisageable.

1 - Formation et compréhension
Une formation (a) plus précise dans ce domaine, permettrait une meilleure appréhension et une meilleure évaluation (b) de la gravité de la demande.

a - Formation
Les experts et les juges ayant à se prononcer sur ce type de cas reçoivent une formation dans ce domaine. A titre d’exemple pour les juges, pendant leur formation à l’école nationale de la magistrature, un stage en milieu carcéral est possible. Les experts en médecine légale sont également préparés au milieu pénitentiaire par le biais de stage. Cependant, ces derniers semblent rester beaucoup trop théoriques, même s’ils se déroulent au sein même de la prison.
En effet, pour pouvoir apprécier la réelle compatibilité de l’état de santé d’un condamné avec le milieu carcéral, il faut pouvoir apprécier ce problème sans préjugés. Le magistrat se doit en effet d’être impartial et respecte ce principe dans sa prise de décision. Cependant, le problème fréquent est la prise en compte de la théorie selon laquelle, les soins dispensés à l’intérieur de la prison sont semblables à ceux dispenser à l’extérieur [1]. De nombreux progrès ont été faits dans ce domaine, cependant, certaines anomalies subsistent, telles que l’absence de personnel permanent la nuit ou le week-end en prison [2]. Ainsi, en se prononçant sur l’accord de la suspension de peine, le juge doit se fonder sur les expertises qu’il a ordonnées, mais doit également s’aider de sa connaissance du milieu carcéral.

b - Application pratique
Cette formation plus précise permettrait de familiariser encore plus ces deux agents avec le milieu carcéral et ainsi de mieux appréhender les demandes de suspension de peine. Ainsi, les conclusions d’expertises rendues par les experts auraient peut être plus d’influence sur le juge devant décider seul de la suspension, même si ce dernier garde son pouvoir d’appréciation et de décision intact. Si une meilleure connaissance des conditions de vie et surtout de la santé [3] en milieu carcéral était apportée [4], le signalement de condamnés dont l’état de santé est incompatible avec la détention par les experts, inciterait peut être plus le juge à accorder cette suspension.
Cette formation complémentaire, doit cependant être complétée par une meilleure coopération entre la sphère juridique et la sphère médicale. En effet, à l’heure actuelle, chacun reste dans son domaine, et ne semble pas pouvoir ni vouloir pénétrer celui de l’autre.

2 - Coopération

Une meilleure coopération pourrait être envisagée à deux niveaux. D’une part de l’expert envers le juge avec par exemple une meilleure lisibilité des rapports d’expertise rendus au juge (a). D’autre part, du juge envers l’expert avec une information de ce dernier sur l’issue de la procédure (b).

a - de l’expert envers le juge
Le vocabulaire employé par les experts est pour la plupart inconnu des magistrats, car trop technique. Cela peut d’ailleurs parfois conduire à un refus de la suspension de peine, car les termes utilisés sont jugés contradictoires par le juge [5]. Des expertises plus lisibles pour un non scientifique, ainsi que des conclusions plus claires permettraient une prise de décision plus facile. A titre d’exemple, les expertises psychiatriques concluant de manière évasive quant au risque potentiel de récidive du condamné, ne permettent pas au juge de l’application des peines de prendre sa décision de façon certaine [6].

b - Du juge envers l’expert
Les experts ayant rendu leurs expertises dans le cadre de cette procédure ne connaissent pas de manière officielle l’issue de la demande. En effet, la décision de jugement n’est adressée qu’aux autorités et au condamné en ayant fait la demande. Cette décision peut également être communiquée à la victime si le juge le décide [7].

Les experts avouent [8] regretter cette non information. En effet, leur expertise étant un élément important de la procédure, ils aimeraient en connaître l’issue finale. Dans la pratique, ils obtiennent cette information de manière non officielle, notamment si une nouvelle demande d’expertise leur est confiée pour un nouveau dossier de demande de suspension de peine pour raisons médicales concernant le même individu.

[1GUIBERT (N.), Un détenu malade du sida obtient in extremis le droit de mourir en liberté, in Le Monde, 30/01/2005, « [...] Pour son avocat, Me Etienne Noël, le « scandale réside dans la méconnaissance totale qu’ont les juges de la problématique de la suspension de peine, de la notion de pronostic vital engagé, et dans la vision idéalisée qu’ils ont du système de soins en milieu carcéral [...] »

[2LE FLOCH-PRIGENT (L.), Une incarcération ordinaire, éd Le cherche midi, 2006, p 110, « [...] Avec l’enfermement on tombe malade pour un oui ou pour un non, le moindre rhume devient un cataclysme parce que tout devient difficile tout seul dans sa cellule vingt-quatre heures sur vingt quatre. Mais c’est surtout la peur de ne pouvoir appeler personne de 17h30 à 7 heures du matin qui habite les détenus. Chacun sent bien son impuissance à faire face à un accident, et la plupart des morts ont lieu la nuit. L’appel rencontre le vide et ce sentiment d’abandon est destructeur [...] »

[3MARBEAU (L.), La santé des détenus en sursis, « [...] Or les experts médicaux indépendants « méconnaissent parfois les conditions de vie de prison », alors qu’on leur demande précisément de juger si l’état de santé du détenu est compatible avec le régime de détention [...] »

[4GUIBERT (N.), JARTHON (A.L.), La suspension de peine pour raisons de santé a concerné 83 détenus, in Le Monde, 26/03/2004, p. 12, « [...] Dans le cas des agresseurs sexuels, il faut solliciter trois experts psychiatres supplémentaires. Or « ces médecins ont rarement une bonne connaissance de la vie carcérale » [...] »

[5ACT UP PARIS, Trop de peines, « [...] Une formation en direction des juges d’application des peines (les JAP) pour qu’ils puissent mieux évaluer l’état de santé décrit, des expertises ayant été jugées discordantes uniquement du fait de la différence des termes employés [...] »

[6Source entretien avec un professionnel

[7Article 720 du Code de procédure pénale, « [...] En cas d’application des dispositions des articles 720-1 (premier alinéa), 721-2, 723-4, 723-10 et 731, lorsqu’ existe un risque que le condamné puisse se trouver en présence de la victime ou de la partie civile et qu’une telle rencontre paraît devoir être évitée, la juridiction interdit au condamné de la recevoir, de la rencontrer ou d’entrer en relation avec elle de quelque façon que ce soit.
A cet effet, la juridiction adresse à la victime un avis l’informant de cette mesure ; si la victime est partie civile, cet avis est également adressé à son avocat. Cet avis précise les conséquences susceptibles de résulter pour le condamné du non-respect de cette interdiction. La juridiction peut toutefois ne pas adresser cet avis lorsque la personnalité de la victime ou de la partie civile le justifie, lorsque la victime ou la partie civile a fait connaître qu’elle ne souhaitait pas être avisée des modalités d’exécution de la peine ou dans le cas d’une cessation provisoire de l’incarcération du condamné d’une durée ne pouvant excéder la durée maximale autorisée pour les permissions de sortie

[8Source entretien avec un professionnel