Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
Viperin

Publié le samedi 23 février 2002 | https://banpublic.org/viperin/

Quelques jours après la démission d’Halphen, le groupe Mialet,
association des croupiers marrons du grand casino institutionnel s’est réuni
jeudi 7 février à la Maison de la Chimie. L’évènement a eu sa place au JT de 20
heures sur TF1 où le passe-plats habituel, avec l’à propos sublime de ses
accents de Sacha Guitry , solidarité de ténia oblige, a résumé l’après-midi des
débats en relatant l’attaque en règle menée par l’assemblée contre l’empire des
juges d’instruction.

Un petit tour sur le site groupemialet.org permet de dérouler les
cinq réclamations de la douloureuse confrérie du paradis perdu.

Je cite.

"Que voulons-nous ?
- Une diminution considérable du nombre des
détenus, par la multiplication des peines alternatives et la stricte limitation
des incarcérations provisoires.
- La formation des détenus, en particulier
des plus jeunes, pour préparer leur réinsertion et éviter les récidives.
-
L’amélioration des conditions de détention, matérielles mais surtout
psychologiques.

Tout cela ne nécessite pas de dépenses supplémentaires : 10 000 prisonniers
en moins c’est un milliard d’économisé chaque année, 4.000 surveillants libérés
de leurs taches, 4.000 postes d’éducateurs ouverts

Mais nous voulons aussi :

- Qu’une procédure CONTRADICTOIRE soit instaurée en France à la place de la
procédure inquisitoire actuellement en vigueur. Cette procédure donne tous les
pouvoirs à un juge d’instruction au détriment des droits de la défense. Elle
pousse les policiers et les gendarmes à arracher par tous les moyens aux
suspects des aveux au cours de gardes à vues. Elle amène les juges d’instruction
à incarcérer les prévenus pour les faire craquer et pour leur faire avouer
n’importe quoi afin de retrouver la liberté.
- Que les juges soient
responsables de leurs erreurs, comme le sont les professeurs, les ingénieurs,
les docteurs, les chefs d’entreprise, les maires, ni plus ni moins."


Je ne peux passer à côté du bonheur de démonter point par point
l’outrecuidance feutrée de ce cahier de doléances, dont l’humanisme à l’arraché
ne parvient pas à masquer l’aspiration profonde, reptilienne, pour une impunité
encore plus grande envers le crime industriel contre l’humanité que constitue la
délinquance financière macro-économique et son imbrication dans les rouages de
l’état.

1) Saccage des modèles civiques, extinction des principes démocratiques,
pulvérisation du sens des responsabilités , exténuation des pays du sud par le
dévoiement historique de l’aide au développement, les effets de la barbarie
hédonistique des puissants concourent de façon massive et endémique à la
propagation d’une délinquance individuelle de plus en plus sauvage que le séjour
en prison ne fait que sertir et documenter un peu plus au fond des êtres.

La où un braqueur de banque prend 20 ans pour un butin x sans effusion de
sang, quand il y a butin, un homme politique prend entre un mois et quatre ans,
pauvre chéri, pour des montants pharaoniques irrécupérables, évaporés de la
sphère économique collective, volés aux familles, aux écoles, aux hôpitaux, aux
cités, aux structures d’accompagnement social. Le braqueur est un professionnel
. Il connait le prix à payer. Le politique est un féodal hors règle du jeu.
Traumatisé par le sevrage des ors républicains et des conseils d’administration,
il affiche son indignité en mendiant une peine de substitution dont il sait
qu’il transmettra la charge concrète à ses sherpas pour repartir immédiatement à
la mine. Voire, s’il échappe à la détention préventive, pour fondre, bardé de
passeports, sur le premier jet privé à destination sub-équatoriale.

Je
vous arrête : Il suffit de relire ces quarante dernières années pour évacuer
dans la seconde l’argument de la relativité générale de la faute, porté par
l’absence de sang sur les mains de ces pauvres victimes en col blanc. Crimes,
misère, barbarie, toxicomanie, guerres civiles, trafic d’armes, le catalogue des
produits dérivés, le cortège des morts engendrés par leur turpitude est
tellement vaste qu’il rajoute à l’indignation ressentie en face de leur aplomb,
l’horreur suscitée par sa bestialité.

2) La formation pure des détenus, en particulier des jeunes, n’est pas la
priorité structurelle des l’Administration Pénitentiaire. Vous n’y pouvez rien,
anges du tertiaire, et vous le taisez. Les prisonniers, en grande partie les
produits du vandalisme économique sur qui vous régnez en princes farouches, sont
en majorité pauvres, voire indigents. Ils doivent travailler pour acquérir le
nécessaire vital, savon, tabac, chocolat, suicide homéopathique par la
télévision, etc.
Au demeurant ils ne vous ont pas attendus pour filer dans
les classes et les bibliothèques au sortir des ateliers. Certains avec l’espoir
absolument vain qu’ils pourront gravir les échelons dans l’infrastructure
vénéneuse des concessions privées par laquelle passe l’accès au travail en
prison.
Vénéneuse ? L’offre d’emploi y est limitée, elle constitue un levier
fort du pouvoir autonome de surveillance qui pèse à chaque instant sur la
dignité des personnes. En l’absence de toute alternative sérieuse et volontaire,
conçue en termes d’emploi du temps, de cursus et de contenus pédagogiques vrais,
il est facile de travestir et comptabiliser la pression de la demande d’emploi
en soif de formation par le travail et de l’encourager. Qui peut prétendre que
l’esclavage - travaux manuels abrutissants pendant des années pour 1/3 du smic
sans droit à toutes les prestations sociales ouvertes par les cotisations - est
un passage nécessaire vers l’insertion ? A qui profite le moyen âge ? A tous ceux
qui, sous l’onctueux couvert judeo chrétien du pardon, de l’expiation et du
retour dans le rang social, réhabilitent à portée de RER et en toute impunité
les règles mortelles du capitalisme sauvage, celles qui après avoir ravagés les
lointains PVD en commençant par la base, les mômes - enfants Nike et enfants cul

  • , reviennent en douceur irriguer l’ultra-paupérisation qui fait votre fond de
    commerce et le lit du libéralisme.

    Ordonnance de 45 en écharpe, vous voulez préparer la ré-insertion de sujets
    qui n’ont jamais été insérés. Les protéger de la récidive. Normal. Il faut que
    la machine tourne. A l’intérieur ou à l’extérieur, aucun petit soldat ne doit
    manquer à l’appel des charges sociales et de l’împot dont vous êtes
    affranchis.

    3) "Le cafard est le même dans ma cellule et dans celle du voisin" (TF1 le 7
    février). Revendiquer l’amélioration de vos conditions de détention matérielles,
    vous les VIP aux petits soins, vous dont les meutes d’avocats en visite
    quotidienne jouent les inspecteurs sanitaires pour détecter la moindre
    infraction aux droits de l’homme, l’hélicoptère légal des puissants, vous sur
    qui toute l’attention de l’Administration Pénitentiaire est concentrée pour ne
    laisser prise à aucun reproche, est une insulte pour les déshérités livrés aux
    tacherons du Dalloz et aux commis d’office.

    Violence psychologique ? Combien d’entre vous se sont-ils fait serrer dans les
    douches ? dans la cour de promenade ? Comment pouvez-vous en parler quand vous ne
    connaissez pas la violence déléguée exercée malgré eux par les détenus les uns
    sur les autres ? Quand vous êtes confrontés à la crème des gardiens à barrette
    qui vous écoutent le petit doigt sur la couture du pantalon ?

    10 000
    prisonniers en moins c’est un milliard d’économisé chaque année ? C’est obscène.
    Mais où vont-ils aller tous ces gens cassés, tous ces sur-démolis du système,
    ces individus infantilisés par l’assistanat, psychiatrisés par la congélation
    sociale, laminés par la démission des familles et l’érosion du tissu social en
    lambeaux dont ils sont issus ? Ils vont au mieux épouser les dispositifs
    d’intégration pansement hors les murs, RMI, emplois jeunes, HP et autres,
    effaçant d’un coup le bénéfice mensonger du milliard annuel que vous
    avancez.

    Il va aussi falloir m’expliquer très précisément comment on peut
    convertir 4000 surveillants en 4000 éducateurs. Le concours de gardien de prison
    est le plus accessible de la fonction publique, la première marche pour accéder
    à la fonction publique. Nombre sont ceux qui y réussissent sans choisir, après
    avoir échoué à ceux qui mènent dans la police, aux postes ou dans les douanes.
    Ils sont mal payés pour garder en vase clos tous ceux qui de par une origine
    sociale peu favorisée leur renvoient une image constante des effets de
    l’injustice globale à laquelle ils ont échappé. Image miroir qu’ils réfutent
    dans la liberté de manoeuvre que leur laisse à la base l’opacité du système
    carcéral, exprimant leur quête identitaire par la mise en oeuvre d’un système de
    pouvoir et de contrôle local autonome qui puise aux sources réactionnaires les
    plus radicales. Je peine à imaginer la métamorphose d’un pan entier de la
    corporation, échangeant en masse flingues et matraques contre Foucault et
    Bourdieu, parvenant par enchantement à transmuter en simple curiosité de l’autre
    la haine viscérale accumulée et tendue entre les deux côtés de la machine à
    broyer les bas quartiers. Nous sommes ici en pleine collection
    Arlequin.

    4) Procédure contradictoire ? Inflation des inégalités et donc
    contresens putassier. A un RMI la journée de baveux lambda, on se demande qui
    peut réellement bénéficier d’une telle évolution du système en dehors de ceux
    qui peuvent s’offrir à fonds perdus les service des bretteurs médiatiques et de
    leurs équipes, seules entités réellement armées pour rivaliser techniquement
    avec l’institution judiciaire et le coût de son inertie.

    5) Que les juges
    soient responsables de leurs erreurs, soit. Mais un peu d’humanité, que diable !
    Désaisissements, délocalisations des dossiers, disparition des pièces,
    destruction d’archives, pannes de photocopieurs, pressions diverses, au moins
    dans le contexte boulevardier des affaires qui vous effleurent qu’on leur
    concède le droit à un minimum de fantaisie.

    Voilà. Il est trois heures du matin. L’heure bienheureuse où ne reste que le
    sommeil pour oublier la nausée.

    Jean Christophe POISSON