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1 A la rencontre de ce peuple

Publié le lundi 20 novembre 2006 | https://banpublic.org/1-a-la-rencontre-de-ce-peuple/

PREMIERE PARTIE A la rencontre de ce peuple 

Premier chapitre. Quelques données historiques éclairant la présence des Tsiganes en France

A. Origine et dispersion géographique

Il est bien difficile de retracer avec précision les origines des populations Tsiganes, tant au niveau des origines géographiques que des pérégrinations à travers les siècles et les continents. Ces difficultés sont principalement dues à la mobilité qui ne facilite pas l’ancrage dans un lieu donné, d’où le manque d’archives et de sources écrites. Facteur aggravé par la prédominance de l’oral dans la culture Tsigane.

Malgré ces lacunes, nous savons que les Tsiganes viennent de l’est, comme les études du langage romani l’ont démontré à la fin du XVIIIème siècle. Cette langue parlée principalement par les Roms, est très proche des dialectes sanskrit du nord-ouest de l’Inde (région de l’Hindus).
Les migrations ont donc pour point de départ cette région du monde. Elles ont ensuite décrit plusieurs routes différentes, avec pour conséquences de déterminer de grands groupes Tsiganes et de les fixer peu à peu dans certaines régions du monde.

Le départ des vagues migratoires de l’Inde s’est fait progressivement entre le IXème et le XIVème siècles.
Ces mouvements de populations sont liés, dès le départ, à la nécessité pour ces populations vivant de l’agriculture, de trouver de nouvelles terres à cultiver.
Ensuite, des traces de leur passage dans certains pays nous permettent de reconstituer toujours approximativement les chemins empruntés par ces populations.

Dès 1322, des groupes de Tsiganes sont aperçus sous des tentes et dans des grottes en Crète. En 1348, une présence est attestée en Serbie. Dans la seconde moitié du XIVème siècle, la dispersion des groupes semble s’accélérer, notamment en direction de l’Europe occidentale. En 1419, il semble que les premiers Tsiganes arrivent en France. 

Les premiers Tsiganes arrivés vont constituer la première vague migratoire et commencer à s’établir dans de grandes régions, créant au fur et à mesure des groupes distincts.
Ainsi, les populations établies dans le sud de l’Europe vont peu à peu fonder la communauté gitane, fortement influencée par la culture hispanophone.
Les populations du nord et nord-est de l’Europe, influencées par la culture germanique, constituent les populations Manouches.
Ces deux groupes de Voyageurs sont les premiers arrivés dans les pays occidentaux, y compris en France. Ce n’est pas le cas du troisième groupe le plus important, les Roms. Ceux-ci sont originaires d’Europe de l’est et leur venue en Europe occidentale est récente, après la Seconde Guerre mondiale essentiellement.
Cependant, chaque déplacement de population Tsigane dans un continent, un pays ou une région est synonyme de rencontres avec d’autres groupes de Voyageurs qui se déplacent également ou qui sont alors partiellement sédentarisés. Ainsi, dans chaque pays, la présence tsigane est multiple.

Leur arrivée en Europe occidentale s’est faite en plusieurs siècles, à travers nombre de pays de cultures très différentes. C’est sans doute à travers cette mosaïque culturelle qu’il convient aujourd’hui étudier cette population pour comprendre sa structure sociale en France. Mais intéressons nous d’abord aux populations présentes en France. 

B. Les origines des populations Tsiganes de France

1. Leur nombre

Aujourd’hui, l’ensemble des populations tsiganes de France ( Manouches, Gitans, Roms et Yéniches) est évalué à environ 350 000 personnes. Cette estimation est difficile car toute tentative de recensement se heurte à différents problèmes.

 Les estimations effectuées par les administrations et les associations pêchent souvent par un manque de critères communs. Ceux-ci peuvent être le mode de vie apparent (itinérance, semi-sédentarisation ou sédentarisation) ou des préoccupations d’ordre public (attribution des titres de circulation ou rattachement à des communes).
Le ministère de l’Intérieur, qui procède périodiquement à des enquêtes, le fait sur la base de documents administratifs délivrés par l’administration (récépissés de marchands ambulants et titres de circulation des personnes sans domicile ni résidences fixes, institués par la loi du 3 janvier 1969). L’écueil de ce recensement, c’est que les personnes recensées ne sont pas toutes des Tsiganes ou Gens du Voyage (exemple des circassiens), et parmi ceux-ci, les sédentarisés ne sont pas pris en compte.

A travers toutes ces données et le croisement de celles-ci, l’estimation la plus fidèle à la réalité semble donc être de 350 000 personnes.

2. Les groupes ethniques

Parmi ces 350 000 personnes, les différences sont nombreuses, même si le socle culturel reste commun. Voici les principales caractéristiques de Tsiganes vivant en France :

• les plus nombreux sont les Manouches ou Sinté. Ils sont répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain, avec une présence plus importante au nord de la Loire. Ils vivent principalement de l’activité économique issue du travail de la ferraille, du rempaillage, de l’étaminerie ou du marchandage ambulant sur les marchés.

• viennent ensuite les Gitans, habitant dans le sud de la France. Ils travaillent de façon saisonnière, à savoir l’été en temps que cueilleurs-vendangeurs et l’hiver sur les marchés à vendre fruits et légumes.

• les Roms, qui sont les derniers arrivés au cours des migrations (à partir des années 1940), sont dans la majorité concentrés dans la grande couronne parisienne. Leur habitat est très précaire (souvent des bidonvilles), ce qui a pour conséquence directe de grandes difficultés sanitaires. La plupart vivent de petits travaux, car n’étant pas français et en situation irrégulière, il leur est difficile d’accéder au marché de l’emploi.

C. La répartition géographique des populations Tsiganes en France

Il est difficile, en l’absence de recensement récent des lieux de séjour, de considérer avec exactitude la localisation des populations Tsiganes en France.
La répartition des populations sur le territoire français s’explique par l’histoire des différentes vagues migratoires depuis principalement deux siècles, par les régimes politiques qui se sont succédés en France et leurs attitudes à l’égard des Tsiganes, mais aussi par des grands conflits tels que la Seconde Guerre Mondiale. Ces facteurs déterminent l’implantation des Tsiganes en France.
Il faut ensuite comprendre les moteurs des mouvements des populations Tsiganes sur le territoire, c’est-à-dire les mutations de l’occupation de l’espace par ces gens. Ces raisons rejoignent, nous le verrons, des considérations économiques mais aussi des considérations sociales et familiales, celles qui fondent le voyage, les déplacements.

1. Des héritages historiques multiples

Les frontières des Etats ont souvent arbitrairement séparé des groupes familiaux constitués de Gens du voyage. Administrativement, la conséquence est que des membres d’une même famille possèdent deux nationalités différentes, des droits inégaux, des lieux de séjour plus ou moins aléatoires, des difficultés plus ou moins importantes pour se déplacer. Alors que les origines sont communes, que le passé proche est le même. Cependant, les solidarités des familles ne reconnaissent pas ces frontières et elles s’efforcent de maintenir des liens en se voyant régulièrement.
C’est le cas des groupes Manouches originaires de l’Europe centrale. Aujourd’hui, beaucoup de Manouches résident dans l’est et le nord de la France, à proximité des frontières belge et allemande. Ainsi, les membres des mêmes communautés qui séjournent en Allemagne ou en Belgique sont assez proches, ce qui maintient le tissu relationnel et familial.

Un processus voisin permet d’identifier un milieu géographique préférentiel pour les groupes Gitans autour du bassin méditerranéen. Les Gitans, traditionnellement attachés à la province espagnole, s’installent en France à proximité des villes telles que Perpignan ou Montpellier, et voyagent très fréquemment de l’autre côté de la frontière.

Quant au troisième grand groupe Tsigane présent en France, quoique numériquement très en deçà, les Roms, les vagues migratoires récentes au cours du 20ème siècle ont dessiné un peuplement autour des grands centres urbains (Paris, Lille, Bordeaux, Strasbourg). Cela s’explique par l’absence de membres familiaux déjà implantés sur le territoire et par l’attrait économique des villes. En effet, pour une population qui migre depuis quelques années fuyant des situations d’extrême pauvreté et une répression accrue de la part des gouvernements des pays de l’est de l’Europe, la seule solution est de s’établir dans des bidonvilles. Ils ont fui, ils sont dans leur grande majorité sans-papiers et n’ont aucune possibilité d’adaptation rapide dans un circuit économique en France.

Il faut signaler que ces grandes aires de répartition géographique ont évolué durant la Seconde guerre mondiale, avec pour les populations Manouches proches de la frontière allemande et victimes des exactions nazies, un déplacement vers la région lyonnaise, en sachant que des groupes familiaux se sont pour une part définitivement installés dans le bassin lyonnais.

2. Les raisons liées à l’activité professionnelle

Comme beaucoup de travailleurs, les premiers Tsiganes arrivant en France vivaient de l’agriculture, et ce jusqu’à aujourd’hui où demeurent encore des paysans parmi les Tsiganes. Il s’est d’abord agi de paysans ou plutôt d’ouvriers agricoles polyvalents, ce qui nécessitait de se rendre dans les régions dans lesquelles un besoin de main d’œuvre était récurrent. Donc les grandes zones agricoles françaises, notamment les vallées de la Loire, de la Garonne et du Rhône. Zones avec une forte activité agricole, mais aussi axes de passages, de mobilité pour pouvoir quitter les cultures des exploitations l’hiver et aller vers des régions de cueillette au moment de l’été.
Ce sont les Manouches qui sont principalement concernés par cette activité professionnelle.
Mais le passage progressif d’une agriculture diversifiée à une agriculture spécialisée intensive va avoir pour conséquence de “ fixer ” plus ou moins des groupes familiaux autour de certaines terres agricoles, avec moins de déplacements économiquement nécessaires qu’auparavant. Les implantations sont principalement dans le triangle géographique constitué par Le Mans, Tours et Saumur.

3. Localisations actuelles : facteurs explicatifs et évolutions.

Depuis plus de vingt ans, le poids des agglomérations de grande et moyenne taille s’est renforcé dans l’économie, concentrant plus de 90 % des salariés en France. Donc la production et un besoin de main d’œuvre, ainsi que des marchés de consommation.
Les Tsiganes, qui ont toujours recherché les clients et consommateurs pour travailler et écouler leurs productions, ne vont pas échapper à ce phénomène.
Les lieux de séjour se sont amenuisés dans les campagnes, et on assiste à la multiplication des implantations légales ou illégales dans les villes, ou plus généralement dans les communes avoisinantes. Par exemple, il existe à Rennes deux terrains d’accueil dans la ville mais la plupart des familles résident dans les communes avoisinantes, dans le bassin rennais.
Cela se conjugue également avec l’extension des zones urbaines, le tissu urbain construit englobant des lieux de séjours qui n’étaient pas inclus auparavant.

Notons, parmi les agglomérations, l’importance de la région parisienne qui concentre nombre de familles tsiganes et beaucoup de ces familles séjournent plus ou moins longtemps dans cette région au cours d’une année. Les raisons en sont les rencontres familiales, mais aussi les ressources économiques engendrées par près de dix millions de personnes résidant dans le bassin parisien.

Les déplacements forcés par les persécutions et les expulsions ont fondés en grande partie les solidarités du clan. L’ancrage et l’installation temporaire dans des pays et des régions différentes, la rencontre avec des populations aux cultures multiples et diverses ont forgé une faculté d’adaptation dans les contextes les plus hostiles. En s’appuyant notamment sur les valeurs de la communauté.

Deuxième chapitre. Structurations et données sociologiques de ces populations

A. Les Tsiganes entre nomadisme et sédentarisation

La question des termes employés est encore ici importante. Les Tsiganes se définissent communément comme “ Voyageurs ”. Les dénommer ainsi paraît donc légitime. Mais ce terme, s’il désigne effectivement une identité revendiquée par une population, ne suffit certainement pas à considérer dans toute son acceptation ce que le vrai voyage pratiqué par les Tsiganes est réellement une construction sociale. Elle permet l’organisation sociale de s’adapter à toutes circonstances, et surtout l’exercice des activités économiques. Nous utiliserons plutôt ici le terme de nomadisme, débarrassé des considérations racistes que celui-ci a eu il y a quelques décennies, comme nous l’avons vu plus haut.
Comme le dit A. Reyniers, “ le nomadisme, c’est un mode de production économique qui est sous-tendu par une organisation sociale particulière. ”
Définition ici dégagée de sa connotation ethnographique par où le nomade est celui qui suit le troupeau. Ce qui ne fut jamais le cas des Voyageurs.

1. Des origines lointaines

Ce sont des peuples qui depuis des siècles voyagent, d’un continent à l’autre dans un premier temps, puis après s’être installés dans des régions plus ou moins vastes ( un pays ou plusieurs pays) continuent de voyager tout au long ou pendant une partie de l’année.

Les considérations économiques immédiates, c’est-à-dire les moyens de survivre et de développer les communautés, vont très tôt être la principale raison des déplacements, des voyages. Car si le voyage s’est constitué autour de nécessités économiques, du besoin de travailler, il va devenir peu à peu le trait identitaire principal des Tsiganes, celui par lequel les sédentaires les reconnaissent, notamment à travers leurs habitations singulières liées à ce mode de vie hors du commun, en l’occurrence les roulottes.

2. Une organisation sociale sous-tendue par le voyage

Ce sont des populations qui se sont organisées sur les routes, dans le voyage. La structuration sociale s’en ressent fortement aujourd’hui. Voyons-le à travers quelques traits significatifs.

Les solidarités familiales

Elles se manifestent tout d’abord par les liens permanents dans les mêmes lieux de vie entre les générations, comme nous l’avons vu. Ces liens sont verticaux et horisontaux. Lors des voyages, les déplacements de caravanes se font toujours à plusieurs groupes familiaux, pour parer à toute éventualité problématique, mais aussi pour peser plus fort dans les rapports de force avec les pouvoirs publics ou les communes lorsqu’elles s’installent sur des terrains non autorisés.

Ces solidarités se manifestent aussi par le rapprochement avec un des membres de la famille élargie qui peut se trouver momentanément éloigné, souvent de façon subie et non désirée. Nous évoquerons plus tard le cas de l’emprisonnement, mais le cas plus fréquent est celui de l’hospitalisation d’un Voyageur. Il n’est pas rare que la famille se déplace le plus rapidement possible sur le lieu de l’hospitalisation et ne quitte celui-ci que lorsque l’hospitalisation est achevée.

“ On n’imagine pas voyager sans l’un des membres de la famille. On n’imagine pas vivre sans un de ses membres. ” [1]

Les rassemblements familiaux et ou religieux

Ceux-ci interviennent assez régulièrement et permettent à des groupes différents de se côtoyer en un lieu de séjour, de se rapprocher, de s’opposer ou quelquefois de fêter un mariage. Ces rassemblements interviennent souvent durant la période estivale, et peuvent se dérouler dans le même temps que les grands rassemblements religieux protestants, influencé par l’Eglise pentecôtiste.

Les rencontres avec les semblables, avec les autres groupes familiaux, organisent la société tsigane. Cela permet tout d’abord de régler des litiges et des conflits, nous y reviendrons. La communion se fait autour de valeurs partagées, qu’il faut perpétuer. Elles permettent à chaque membre de renforcer son identité autour de notions communes.
Une autre dimension importante est le partage de l’information intra-communautaire, des expériences vécues avec des institutions, des sédentaires. C’est le temps des échanges entre Tsiganes.

B. La famille, socle de la société Tsigane

La roulotte manouche comprenant la famille avec nombre d’enfants ou les Gitans jouant tous de la guitare dans une minuscule caravane sont les images les plus véhiculées concernant les fameuses familles Tsiganes.
En effet, c’est souvent des familles que l’on voit lorsque l’on se déplace sur un terrain des Gens du Voyage, avec beaucoup d’enfants qui viennent à notre rencontre.

Mais loin des idées reçues et des images d’Epinal, il est vrai que la famille est l’ “ unité de base dans l’organisation sociale ”  [2] des Gens du voyage, qu’elle est présente durant toute la vie du Tsigane, et que toutes les activités gravitent de près ou de loin autour de cette entité.

1. La famille Tsigane, c’est la famille étendue, très étendue...

La famille Tzigane doit d’abord être entendue comme un groupe familial élargi. Si une famille au sens strict se fonde sur le mariage et la naissance d’un premier enfant, la famille "élargie" se compose de plusieurs couples, souvent des frères adultes vivant et se déplaçant ensemble, avec les femmes et les enfants. Les nombreuses caravanes qui circulent sur une même route ne sont souvent qu’un même groupe de frères et/ou de cousins.
Cette extension horizontale de la famille se vérifie aussi verticalement. Comme me l’a dit un jour un Manouche, “ nous on n’abandonne pas nos vieux, contrairement à vous ”. En effet, les parents du mari ou de la femme sont très rarement laissés seuls et vivent avec leurs enfants bien souvent jusqu’à la fin de leur existence. Il n’est pas imaginable pour un enfant Tsigane de placer son père ou sa mère dans une institution spécialisée, ce serait l’abandonner à sa solitude.
Cette collectivité de vie permet aux enfants de bénéficier d’une éducation pluri-générationnelle, donc d’autant plus enrichissante. Et dans ce cadre, les orphelins sont presque toujours pris en charge par les oncles et les tantes et sont considérés comme les enfants de la famille.
Nous pouvons donc parler de réelle solidarité inter-générationnelle dans l’éducation des enfants, car celle-ci se fait au sein d’une famille étendue.

2. La famille constitue un tout

Si la famille constitue un tout solidaire dans l’éducation des enfants, il ne faut pas s’étonner que cette solidarité se retrouve également dans les conflits et dans la résolution de ceux-ci. Les confrontations avec les institutions, avec le monde sédentaire sont souvent collectives, pour se prémunir contre des agressions supposées ou réelles, mais aussi pour être plus forts. Dans la culture Tsigane, quand un membre de la famille est attaqué, c’est toute la famille qui est attaquée. L’individu est un acteur de la famille, il agit en son nom et la représente en permanence. Tout acte positif qu’il commet le sera également pour sa famille, tout comme la moindre faute commise sera un déshonneur pour la famille.
Il existe une construction inconsciente des enfants puis des adultes autour de l’exclusion de leur communauté par le vécu de la violence institutionnelle (expulsion sur chaque stationnement, contrôle permanent...). Inconscient collectif que certains chercheurs rapprochent parfois de la construction de l’inconscient collectif juif.

3. Le rôle prépondérant du père et du mari

L’homme représente vis à vis de l’extérieur le prestige de la famille. Il en est le garant et le défenseur lorsque celui-ci est attaqué. A ce titre, il est l’interlocuteur des autres groupes familiaux ou des représentants d’organismes ou d’institutions de la société sédentaire. Il maintient les liens sociaux et familiaux.
A l’intérieur du groupe familial, il est le fondement de l’autorité et celui qui tranche pour les décisions importantes à prendre. Mais il ne faut cependant pas croire que l’homme père ou mari soit le seul à assumer l’ensemble des rôles sociaux au sein de la famille. La place de la femme et de la mère y est tout aussi capitale.
Au sein du couple, les rôles traditionnellement occupés sont les suivants : le mari exerce une activité économique qui alimente les finances tandis que la femme à la charge des travaux domestiques quotidiens.

4. L’éducation des enfants, une tâche partagée collectivement .

Les enfants en bas âge sont avec leur mère. Elle assume toutes les tâches essentielles à leur éducation de la prime enfance. Dès que ceux-ci sont en âge d’apprendre les rôles sociaux et leur place dans la communauté, les garçons et les filles sont orientés vers le père ou la mère qui va alors l’initier aux droits et obligations qui lui sont dévolus. Il faut apprendre à répondre aux attentes du groupe.
Donc, vers l’âge de douze ans, les enfants apportent une importante contribution aux activités de leurs parents qui affinent ainsi leur apprentissage professionnel et social.
C’est également une manière de sécuriser l’enfant dans le présent face au monde qui l’entoure et dans le futur en le dotant des moyens nécessaires à son existence.
La place des femmes s’affirme dans le rôle essentiel qu’est l’éducation des enfants.

Les évolutions des groupes familiaux

Les principales évolutions notables concernent la dimension des groupes familiaux qui, notamment à travers la sédentarisation et l’installation dans un logement, rend difficile les regroupements. La deuxième réflexion concerne les mariages mixtes qui, de fait, éloignent un ou plusieurs membres de la famille d’origine. Éloignement qui est souvent géographique et culturel.
Ces évolutions sont progressives et vont certainement, à long terme, modifier durablement l’organisation sociale des communautés de Voyageurs.

C. Le contrôle social et la justice

Renvoyant aux idées préconçues d’une société inorganisée à fort potentiel délinquant, le problème d’une forme de justice propre aux communautés Tsiganes doit être traité avec minutie.

En premier lieu, il faut convenir qu’il existe une forme de régulation sociale des conflits parmi les Tsiganes. Car comme le souligne J.P Liégeois “ le contrôle social [...] garantit la régularité, la pérennité et la cohésion des structures sociales ”. Nous avons vu plus haut que l’élément de base de l’organisation sociale des Tsiganes est la famille au sens large du terme. C’est en référence à ce cadre que les codes de conduites vont être autorisés et que les interdits vont être posés.

Le groupe ou la famille élargie doit se prémunir de la société sédentaire, des Gadjés. La distinction avec le non-Tsigane se caractérise par des interdits, notamment avec l’interdiction de la fréquenter en dehors d’un besoin qui est souvent strictement économique et profitable à court terme. Le contraire est synonyme de souillure et d’impureté. C’est la première frontière décelable.
Ensuite, nous pouvons remarquer que les groupes familiaux pointent chez les autres les conduites dites “ impures ” pour mieux se conforter dans leurs attitudes. Il s’agit ici de se protéger contre des comportements, qui, par effet contaminant, pourraient déstabiliser la société des Tsiganes.
Enfin, quant des individus sont directement mis en cause, c’est que les actes répréhensibles qu’ils commettent mettent à mal la cohésion de la structure familiale et du groupe.

Ainsi, c’est le groupe familial en tant que référent identitaire qui se protège par la mise en place d’interdits contre un monde extérieur jugé hostile car mettant en péril la cohésion et la pérennité du clan. En un mot, la justice a pour objectif de défendre les valeurs communes, et le "processus" de réparation se déclenche lorsque ces valeurs sont mises en péril. Comme le fonctionnement de la société des sédentaires.

La transgression des interdits entraîne une procédure de concertation-réparation des préjudices, de justice. Garantir l’ordre nécessite que les fautes soient réparées. Et ce sont les groupes familiaux qui par concertation, et au nom de la communauté, vont prendre la décision ou la sanction adéquate. Par exemple, en cas de conflit "économique", il peut s’agir de décider un strict partage du marché dans une région donnée entre deux groupes familiaux qui sont ferrailleurs et concurrents.
Lorsque la concertation n’est pas possible, on fait appel aux chefs de famille, qui réunis dans la cour de justice, décident d’une sanction. Et quelle que soit la sanction prise à l’encontre d’un individu coupable (amende, mise à l’écart qui peut aller jusqu’au bannissement du groupe), l’aspect communautaire prévaut car c’est l’ensemble de la famille du coupable qui est affectée à travers la responsabilité collective et c’est la communauté qui porte une réprobation collective.

Si la prédominance de la communauté est encore une fois démontrée à travers le contrôle social et la justice propre aux Tsiganes, il faut évoquer les transformations qui s’y produisent depuis plusieurs années, sous l’influence des évolutions à l’échelle de la société sédentaire.
Ainsi, les mécanismes de cohésion sociale ont tendance à être moins respectés, ce qui entraîne une plus faible régulation interne des conflits, donc la multiplication des querelles et antagonismes dans la communauté mais aussi vis à vis de l’extérieur.

Les jeunes générations de Tsiganes qui sont amenées, à travers leurs relations avec les jeunes sédentaires, à adopter parfois des postures sociales semblables à celles des sédentaires, ont tendance à moins respecter les processus de régulation propres au monde Tsigane. En un mot, l’autorité morale des anciens ( du père ou des oncles) est mise à mal à mesure que les jeunes Tsiganes intègrent de plus en plus d’autres réalités sociales.

Ce peuple inconnu, difficilement pénétrable, laisse planer un mystère sur ses origines. Ce mystère entraîne la construction de fantasmes et de peurs. Pour y remédier, les pouvoirs publics cherchent à encadrer ces populations, à travers la maîtrise de leurs déplacements, de leurs installations sur les territoires, en un mot, de leurs choix de vie. Cet ensemble législatif encadre-t-il réellement une population délinquante ou la délinquance de cette population n’est-elle pas plutôt une conséquence des mutations au sein des communautés Voyageuses ?

Troisième chapitre. Les Tsiganes et la loi.

A. Le statut juridique des Tsiganes en France

1. La considération des forces de police et de gendarmerie à leur égard

La police a toujours considéré la population Tsigane comme une population potentiellement délinquante et dangereuse, en se basant sur des idées alors partagées et qui le sont encore par une grande partie de la population.

Le mode de vie basé sur le voyage est synonyme de rapines et de vols, car comment des gens peuvent-ils vivre en se déplaçant sans cesse, en n’ayant pas de stabilité ? Il est évident, que d’un point de vue sédentaire, exercer une activité économique c’est d’abord se fixer sur un lieu et ne plus se déplacer. La méconnaissance du mode de vie Tsigane, basé sur l’adaptation à son environnement pour vivre, a eu et a toujours pour conséquence un sentiment de peur et de méfiance qui guide les actions des forces de répression auprès des populations voyageuses. Le qualificatif "nomade" sonne comme péjoratif et lourd de sens pour ceux qui le prononcent. Le nomadisme porterait en lui les fruits d’une délinquance d’habitude et ainsi, chaque Tsigane serait potentiellement suspect.

Ce qui peut sembler caricatural ou datant d’une époque révolue ne l’est pas. Lorsque des caravanes, des familles Tsiganes s’installent dans un village ou une petite ville, l’attitude des forces de police va prendre deux orientations :
• une surveillance accrue des lieux où les Voyageurs se sont installés, avec des patrouilles qui peuvent se répéter plusieurs fois dans une même journée
• une suspicion quasi-systématique, avant toute investigation policière ou judiciaire, que les infractions commises sur le territoire de la commune pendant la période de présence des voyageurs, leurs sont imputables.

Mais cette attitude des forces de l’ordre (police et gendarmerie) répond en partie aux attentes des habitants des villages ou des villes moyennes, qui souhaitent que le séjour de ces "indésirables" soit étroitement surveillé et réprimé.
Cela peut amener à des prises de positions parfois infondées et/ou invérifiables, dans une fuite en avant toujours plus répressive. Ainsi, nous pouvons citer D.Bizeul [3] qui lors de son étude sur les gens du voyage décrit la chose suivante :

" Une surveillance spécifique continue de s’exercer sur les Voyageurs. Des responsables policiers la justifient par leur croyance dans la propension atavique des Voyageurs à commettre des vols et des crimes. L’un d’eux a ainsi, lors de son passage sur le terrain de la F, affirmé aux employés circonspects la place prépondérante des Voyageurs dans la criminalité organisée en France, voire même leur emprise sur la mafia traditionnelle, sans cependant apporter la moindre preuve à l’appui de ces graves assertions, sans qu’il ait été possible de cerner la part de réalité et d’élucubration dans ses propos"

En réponse à ces postulats, les différentes lois régissant le statut des Tsiganes sur le sol français ont toujours eu comme objectifs d’encadrer leurs déplacements, leurs activités économiques et leur stationnement sur les territoires communaux. 

2. Les lois relatives aux activités ambulantes et aux déplacements

La loi du 16 juillet 1912 concernait “ l’exercice des professions ambulantes et la réglementation de la circulation des nomades ”. Elle classait les nomades en deux catégories : ceux qui étaient forains ou commerçants ambulants et tous les autres, “ ceux qui circulant en France, sans domicile ni résidences fixes et ne rentrant dans aucune des catégories ci-dessus spécifiées ”.
Cette loi prévoit le port obligatoire d’un carnet anthropométrique pour toutes ces personnes, carnet devant présenter tous les itinéraires de leurs propriétaires. Cet objet tient lieu de carte d’identité. En effet, la loi vise les populations tsiganes, mais la loi française interdisant les discriminations de nature raciale, il s’agit donc de réglementer l’exercice des professions nomades tout en laissant à l’administration la possibilité d’adapter son attitude en fonction des personnes concernées. Rappelons que la simple carte d’identité n’était en aucun cas obligatoire pour les populations sédentaires à cette époque.

La loi du 3 janvier1969 abroge la précédente. Elle est “ relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidences fixes ”. Cette loi ne catégorise pas les nomades. Elle s’emploie plus à décrire qu’à exclure des nomades.
Sont instaurés plusieurs documents :

• le livret spécial de circulation pour les personnes n’ayant ni domicile ni résidences fixes mais exerçant une profession ou activité ambulante
• le livret de circulation pour les personnes n’ayant ni domicile ni résidences fixes et justifiant de ressources régulières
• le carnet de circulation pour les personnes n’ayant ni domiciles ni résidence fixes et ne justifiant pas de ressources régulières
Le contexte politique de l’époque, juste après Mai 1968, favorise l’émergence d’une telle loi, orientée vers la recherche d’une solution à la circulation des Tsiganes en France. La conception des pouvoirs publics et des autorités politiques à l’égard de ces populations change : du “ problème ” qu’il fallait résoudre par la sévérité policière et judiciaire, par le contrôle accru, on considère désormais qu’il faut trouver un moyen de vivre ensemble en conciliant des modes de vie différents.
Mais il ne faut pas oublier que cette loi dépend, comme nous l’avons vu, du contexte philosophique de l’époque qui favorise des lois plutôt libérales au niveau des libertés individuelles.

3. Les lois relatives aux conditions d’accueil et de stationnement : les lois Besson et Sarkozy

La principale disposition législative est la loi du 5 juillet 2000, dite loi Besson II. Celle-ci fait suite à l’échec de la précédente loi Besson, celle du 31 mai 1990.
La loi Besson de mai 1990, à travers son article 28, prévoit la mise en place d’un schéma d’accueil départemental pour les Gens du voyage. Ce schéma, qui tend à une prise en charge globale, “ prévoit les conditions d’accueil spécifique des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant les conditions de scolarisation des enfants et celles d’exercice d’activités économiques ”.
Obligation est faite à toutes les communes comprenant plus de 5 000 habitants d’aménager des terrains sur leur territoire pour le passage et le séjour des Gens du voyage.
Et la mise en place d’arrêtés municipaux interdisant le stationnement des Tsiganes sur la commune peut s’effectuer à condition que les aires de stationnement aient été réalisées.

Les intentions louables du législateur pour doter les collectivités locales de vrais pouvoirs en matière d’accueil des Tsiganes se sont heurtées rapidement ... au vide juridique de ce même texte de loi. Comme le souligne P.Pichon [4], l’article 28 ne prévoyait “ ni sanctions, ni délais à respecter, était incomplet sur le plan de l’urbanisme, ne mentionnait pas l’accueil dans les communes de moins de 5 000 habitants ”. Et que dire des semi-sédentaires et des sédentaires ?

Aussi critiquable soit-elle, il n’en reste pas moins que cette première version de la loi Besson a un immense mérite : prendre en compte une des populations les plus exclues de France, les Tsiganes. Elle essaye de résoudre les antagonismes existants entre les élus locaux et les communautés de Voyageurs concernées.

Partant des manquements de son précédent texte, le député Besson va chercher à pallier les manques en faisant voter le 5 juillet 2000 une version modifiée et beaucoup plus complète de son texte.
Les principales nouveautés sont que toutes les communes sont concernées par l’accueil des Tsiganes dans le cadre du schéma départemental. Il est prévu dorénavant des délais et éventuellement des sanctions pour les maires ne respectant pas l’obligation qui leur est faite d’aménager des aires d’accueil.

D’application somme toute récente, cette loi Besson II commence à porter ses fruits car les départements investissent des moyens humains et financiers pour mettre en place un véritable dispositif d’accueil. Les aides et contributions financières des pouvoirs publics aux communes peuvent être l’élément déterminant de cette nouvelle version de la loi Besson.

En mars 2003, dans le cadre de la loi sur la Sécurité Intérieure, N. Sarkozy crée un délit spécifique concernant le stationnement des Gens du Voyage. En son article 19, le texte prévoit une peine de 6 mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende pour “ le fait de s’installer, en réunion, en vue d’y établir une habitation, sur un terrain appartenant soit à une commune qui s’est conformée aux obligations lui incombant en application de l’article 2 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, soit à tout autre propriétaire, sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de celle du titulaire du droit d’usage du terrain ”

L’adoption de cet article, qui a suscité beaucoup de débats parmi les associations de soutien des Tsiganes, est cependant paradoxale car s’il y a un volet répressif avec un nouveau délit, l’application de celui-ci est conditionnée par l’aménagement obligatoire de la part des communes d’un terrain d’accueil et de séjour tel que prévu par la loi Besson de juillet 2000.
Cet article est donc ambivalent, car les Tsiganes peuvent utiliser cette nouvelle disposition du Code Pénal pour forcer les communes à respecter la loi. Ce n’est donc pas uniquement l’aspect répressif qui est retenu, mais surtout le pas en avant qui peut être fait dans l’application indirecte de la loi Besson à travers l’article 19 de la Loi sur la Sécurité Intérieure.

À la lecture de quelques lois importantes concernant le statut des Tsiganes en France, depuis près d’un siècle, on peut déduire quelles sont les préoccupations des législateurs et les incohérences qui demeurent.
Tout d’abord, la volonté de contrôler les déplacements des populations voyageuses est primordiale : ils sont les seuls citoyens français porteurs de documents administratifs spéciaux, uniquement relatifs aux déplacements réguliers qu’ils effectuent, donc à leur mode de vie.
Ensuite, nous remarquons que l’encadrement des déplacements s’accompagne de celui des conditions d’accueil et de séjour sur les territoires communaux. Actuellement, un effort est réalisé pour offrir des aires aménagées avec un confort pour pouvoir passer plusieurs mois dans des conditions sanitaires décentes.

Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans l’évolution des rapports que la société sédentaire veut entretenir avec les Tsiganes. Hormis la dernière vague migratoire des Roms venant des pays de l’Europe de l’est, tous les Tsiganes vivant en France sont...français. Comment peut-on justifier, à notre époque, un traitement spécifique d’une partie non négligeable de la population française (environ 300 000 personnes) ? Avoir une carte spécifique car la vie que l’on mène est celle du voyage, comment est-ce compréhensible pour une population qui ne demande qu’à s’intégrer et à vivre dignement dans l’espace républicain ?
Résoudre ce paradoxe au travers d’un grand débat public incluant tous les citoyens peut constituer un moyen de crever les abcès et les préjugés se perpétuant entre sédentaires et voyageurs et qui ont pour effet de renforcer le sentiment d’exclusion des populations Tsiganes.

Il en va aussi du souhait exprimé par les Tsiganes et les travailleurs sociaux intervenants auprès de cette population de ne pas reléguer les aires d’accueil dans des zones exclues des voies de transports en commun, des zones commerciales et à proximité des rocades et des stations d’épuration ? Il est nécessaire que les Tsiganes soient intégrés aux zones économiquement attractives.

B. Tsiganes et délinquance : mythes et réalités.

Nous avons analysé plus haut les rapports souvent conflictuels existants de part et d’autre entre les forces de l’ordre et les Gens du Voyage. Les idées préconçues ne manquent pas de se faire jour dans la conception qu’ont les représentants de la loi dans leurs relations quotidiennes avec les Tsiganes.
Les rapports de force découlant de ces confrontations entraînent incompréhensions, malentendus et frustrations de part et d’autre.
Les gendarmes ou policiers agissent dans un climat hostile, ne comprenant pas son origine, alors qu’ils ne font qu’effectuer leur travail.
Les Tsiganes ne comprennent pas ce qu’ils considèrent comme de l’acharnement gratuit envers leur mode de vie. Leurs réactions parfois très hostiles expriment en réalité un sentiment d’impuissance, l’impossibilité de démontrer que le traitement qu’ils subissent est immérité.

1. La délinquance, un trait culturel et identitaire des Tsiganes ?

Les fameux “voleurs de poules” sont toujours suspects aux yeux des sédentaires quant à leur rapport à la petite et moyenne délinquance. Les Voyageurs normaliseraient une délinquance qualifiée d’habitude, les parents encourageant parfois leurs enfants à voler aux petits enfants sédentaires dans la cour de l’école.
Le doute existe bien, et pour l’écarter de nos esprits, il faut se pencher à la fois sur la conception qu’ont les Voyageurs de la délinquance, c’est-à-dire des lois des sédentaires, et sur les types d’infractions qui se cachent derrière cette fameuse délinquance des Voyageurs.

Le rapport aux lois de la société des sédentaires

La plupart des lois “spécifiquement” Tsiganes concerne des restrictions liées aux déplacements (les carnets de circulation), aux séjours (les nouvelles dispositions de la loi Sarkozy sur la sécurité intérieure de 2003) ou aux activités professionnelles (les activités ambulantes facilement entravées). Cette législation spécifique a comme effet, entre autres, de renfermer les Tsiganes sur des valeurs communautaires de défenses face à un monde extérieur agressif envers leur communauté.

Dans cette attitude de défiance envers la société dans laquelle ils vivent, le poids historique pèse lourd. Les Tsiganes se sont toujours adaptés à l’environnement, que ce soit pour installer leurs campements ou pour disposer les matériaux disponibles avec l’objectif de les réutiliser professionnellement. L’environnement, qu’il soit urbain ou campagnard, appartient à tout le monde dans l’esprit tsigane. Il doit dans ce sens, profiter à tous. Comme me le dit S.E., détenu au CP de Châteauroux, en évoquant des vols de ferraille dans les décharges, “nous prenons ce qui est à la disposition de tous”. Ce discours, s’il n’est pas clairement énoncé par tous les Voyageurs, se retrouve appliqué en pratique.
Le vol n’est donc pas une opposition voulue à la loi, une provocation au monde sédentaire (même si cela peut parfois exister comme forme d’affirmation de soi pour les adolescents), mais une manifestation culturelle (celle de l’adaptation au monde environnant) qui ne correspond pas à un canon de la loi française (la défense de la propriété privée).
Les Tsiganes se placent donc dans une position d’illégalité, commettant un type d’infraction (le vol) qu’il ne considère pas, eux, comme un délit. Surtout lorsque le vol se déroule dans une déchetterie, là où les sédentaires se débarrassent de ce dont ils ne veulent plus.

2. Les infractions des Gens du Voyage

Si l’on s’intéresse réellement aux infractions commises par les Tsiganes, on rencontre principalement des contraventions et des délits, ainsi que des crimes, mais cela reste plus rare.

Les contraventions
Celles-ci concernent principalement les infractions aux stationnements constatés sur les terrains communaux ainsi que les emplacements non payés de stands sur un marché par exemple. Ces contraventions sont dans leur grande majorité acceptées par les voyageurs, qui les payent assez rapidement quand ils le peuvent. Ils ne remettent pas en cause la légitimité de telles sanctions.

Les délits
Ils constituent la part la plus importante des infractions commises par les Tsiganes. Ce sont souvent des vols, des violences commises contre des personnes, souvent des forces de police ou des sédentaires. Ce sont bien évidemment les délits ayant fait l’objet d’un dépôt de plainte et d’une condamnation pénale.

Les institutions et les pouvoirs publics sont perçus comme violents et discriminant par les Voyageurs. La confrontation avec le monde judiciaire et le système pénitentiaire va étayer ces appréhensions et nous allons étudier les comportements des Voyageurs dans l’institution carcérale, en partant des spécificités de celle-ci. Nous aurons auparavant étudié la confrontation à d’autres institutions, l’école servant d’exemple particulièrement éloquent

[1Propos tenus par une Manouche installée sur un terrain de la périphérie rennaise

[2J-P LIEGEOIS, Roma, Tsiganes, Voyageurs, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1994

[3BIZEUL D., Nomades en France : proximités et clivages, L’Harmattan, Paris, 1993

[4PICHON P., Voyage en Tsiganie, Paris, les Editions de Paris, 2002