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(2005) Saisine no 2005-14 pour connaitre les conditions de la fouille du CP de Laon

Publié le mercredi 19 avril 2006 | https://banpublic.org/2005-saisine-no-2005-14-pour/

Saisine no 2005-14

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité à la suite de sa saisine, le 9 février 2005, par Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 9 février 2005, par Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice du Nord, des faits qui se sont déroulés au centre pénitentiaire de Laon (02), le 9 décembre 2004.
La fouille organisée ce jour-là a, d’après l’élue, occasionné la dégradation et la disparition d’effets personnels appartenant à des détenus qui, par ailleurs, ont subi des traitements inhumains et dégradants.
La Commission a procédé à l’audition des responsables de cette opération, M. D.B., chef du département Sécurité de la détention à la direction régionale des services pénitentiaires de Lille (59), M. O., directeur régional adjoint, M. P.D., chef de service de l’Équipe Régionale d’Intervention et de Sécurité (ÉRIS), et son adjoint M. D.H., Mme M.S., déléguée à la sécurité et son adjoint M. L., et Mme V.D., directrice du centre pénitentiaire.
Une enquête administrative a été diligentée à la demande du garde des Sceaux, saisi par la CNDS. Au vu des résultats de cette enquête, il fut décidé de ne plus procéder à des fouilles planifiées au cours des mois de juillet et août et pendant les mois d’hiver.

 ! LES FAITS
Les directions régionales de l’administration pénitentiaire établissent à la fin de chaque année un planning prévisionnel, au trimestre près, du programme de fouille des établissements relevant de leur compétence, et soumis à l’agrément du ministère de la Justice.

Le personnel local n’est jamais associé à ces opérations pour lesquelles il est fait appel aux fonctionnaires des autres établissements ; il est simplement appelé à ouvrir les portes des cellules et à fournir les renseignements relatifs à la sécurité personnelle des détenus et celle de
l’établissement.

C’est ainsi que la fouille du centre de Laon fut programmée pour le dernier trimestre 2004. La date précise fut définitivement retenue au cours de l’été, en raison de la nomination récente de la directrice Mme V.D. le 1er avril 2004, et du retour de congé exceptionnel de Mme M.S. au début du mois de décembre.

La préparation de la fouille incombait donc à M. L., adjoint de Mme M.S.
Selon M. D.B., son déroulement fut un échec, « l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire ».

En effet, en raison du faible degré de confiance morale et professionnelle accordé à deux cadres de l’établissement, M. H., chef de la détention, et M. B., responsable de la sécurité, le secret ne fut levé que 24 heures auparavant auprès de tous les personnels. La directrice et son adjoint furent informés dans des délais normaux, échappant ainsi à la suspicion générale.

Des renseignements essentiels concernant la sécurité de certains détenus n’ont de ce fait pas été communiqués, et la fouille d’une manière générale a confirmé un degré inadmissible de laisser-aller dans l’établissement.

Des détenus « sensibles » ont pu ainsi être exposés à la vindicte d’autres détenus, ne devant leur salut qu’à l’intervention des ÉRIS, sans lesquels, selon M. D.B., une émeute aurait pu se produire.

Le comportement inadmissible des deux cadres cités par M. D.B. aurait été signalé à l’Inspection générale, qui n’a pas pour autant recueilli leurs déclarations.

Enfin, il convient de préciser que cette fouille, à la demande du parquet, fut doublée d’une recherche de stupéfiants mobilisant des unités des douanes, de la police nationale et de la gendarmerie. L’autorité préfectorale décida également de faire procéder à un exercice de sécurité extérieure qui mobilisa pour la journée une Compagnie républicaine de sécurité.

M. O., directeur régional adjoint, a confirmé que les incidents intervenus au cours de la fouille n’auraient pas eu lieu si « l’encadrement de l’établissement avait fait remonter correctement les informations ». II ajoutait que « toute la journée, ils avaient dû rattraper des situations délicates en raison d’un diagnostic établi sur des bases erronées ».

Des enseignements avaient été, selon lui, tirés de cette mésaventure, conduisant, au plan régional, à l’élaboration d’une doctrine qui, à ce jour, donne entière satisfaction.

M. L., en l’absence de Mme M.S., a procédé, aux plans technique et administratif, à la mise en oeuvre de l’opération du 9 décembre. Il n’était détaché à la direction régionale que depuis le 21 octobre 2004, après y avoir suivi un stage de formation de quelques jours.

Au cours de la fouille, il secondait Mme M.S. qui avait repris ses fonctions quelques jours auparavant. Il a notamment déclaré qu’un cadre local chargé de procéder à l’ouverture des cellules avait disparu sans raison valable au cours de l’opération, lui laissant le soin d’ouvrir les portes lui-même. À ce moment-là, certains détenus, craignant pour leur sécurité, sollicitèrent l’autorisation de ne pas sortir dans la cour. Ceux qui furent agressés l’après-midi n’auraient pas fait la même demande.

Mme M.S. confirmait au cours de son audition qu’après avoir repris son service « trois jours auparavant », elle avait été chargée de cette opération, placée sous l’autorité de M. O. et de M. D.B., et pour laquelle cent cinquante fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et deux unités des ÉRIS étaient mobilisés.

Une moitié de l’établissement a été fouillée le matin, et l’autre moitié l’après-midi. Elle ajoutait : « J’ai informé moi-même dans leur cellule chacun des détenus, en les invitant à se munir de chaussures et de vêtements chauds. » Selon la règle en vigueur, chaque détenu a subi une
fouille par palpation à sa sortie de cellule et une fouille complète au moment de la réintégration.

Alors qu’elle constatait que les consignes données en début de matinée et en début d’après-midi aux chefs d’équipes n’étaient pas toujours appliquées, Mme M.S. fut contrainte de les rappeler à plusieurs reprises en cours de fouille : « Quand un défaut, par exemple du linge sur le sol, était constaté, le chef d’équipe était rappelé pour remettre la cellule en ordre. »

Cela ne concernera, selon Mme M.S., que quelques cellules.

En ce qui concerne l’agression dont trois détenus furent victimes l’après midi, Mme M.S. relatait l’intervention des ÉRIS qui, après des tirs de sommation à balles caoutchoutées puis en direction des jambes, mirent fin à la « bagarre ». Selon elle, cet incident aurait pu être évité si l’établissement l’avait informée de l’existence de difficultés relationnelles entre les détenus. Elle aurait le matin même demandé s’il ne convenait pas de séparer certains détenus. Son interrogation devait rester sans réponse.

La Commission a également auditionné M. P.D. et M. D.H., respectivement chef des ÉRIS et adjoint.

Tous deux ont constaté que l’opération avait été trop longue (de 7 h 00 à 20 h 00).

Tous deux se sont étonnés de l’absence de la Brigade de sécurité pénitentiaire du ministère de la Justice. Selon eux, l’intervention de cette
brigade, particulièrement qualifiée en la matière, aurait pu éviter les erreurs et contretemps constatés.

Mme V.D., directrice du centre, a plus spécialement été entendue sur les problèmes concernant les détenus MM. T.A., T.M. et J.S.

M. T.A. fut l’un des principaux agresseurs au cours de la bagarre ayant l’après-midi opposé plusieurs détenus. Il a été sanctionné de 45 jours de cellule disciplinaire avant son transfert le 1er décembre à la maison d’arrêt de Rouen (76).

M. T.M., sur proposition de Mme V.D., a été transféré à la maison d’arrêt de Loos-les-Lille, en raison de son rôle de meneur dans la préparation d’un mouvement collectif de protestation.

À ce sujet, M. D.H. a porté à la connaissance de la Commission qu’il avait personnellement conduit M. T.M. au greffe du centre, prenant les précautions d’usage pour préserver son épaule malade.

M. J.S. était autorisé à utiliser un ordinateur personnel dans sa cellule. Il n’en a retrouvé l’usage qu’un mois après la fouille. Le temps écoulé pour la restitution de l’ordinateur se justifie, selon Mme V.D., par le fait qu’un seul surveillant était plus particulièrement affecté aux vérifications des données contenues sur le disque dur.

Enfin, s’agissant des mobiliers dégradés, Mme V.D. a tenu à préciser qu’il
s’agissait de mobiliers déjà dégradés par les détenus eux-mêmes. L’un des agents chargés des opérations de fouille a cependant fait l’objet d’une sanction administrative motivée par la manière dont il a accompli sa tâche.

 ! AVIS
À l’évidence, comme indiqué par l’ensemble des fonctionnaires entendus et précisé par M. D.B., cette fouille a constitué « l’exemple parfait de ce qu’il convient de ne pas faire ».

Des récits des témoins se dégage l’impression que l’opération a été précipitée, faite sans préparation véritable, en raison certes du manque de confiance entre certains cadres, mais aussi et surtout parce qu’elle figurait au planning et qu’il convenait de l’exécuter. Il est regrettable que la récente nomination de Mme V.D. et le récent retour de congé de Mme M.S. n’aient pas été pris en considération comme il convenait, notamment dans ce centre où les dysfonctionnements étaient connus.

Compte tenu de l’importance pour les détenus de l’usage d’un ordinateur, la Commission estime que des dispositions devraient être prises pour que des opérations de fouille n’aient pas pour effet de les en priver pendant plusieurs semaines.

 ! RECOMMANDATIONS
La Commission constate que l’interdiction de procéder aux fouilles ni au cours des mois de juillet et d’août, ni au cours des mois d’hiver, est une décision empreinte de sagesse.

Elle s’étonne par contre de la non audition, par les services de l’Inspection, des cadres cités par M. D.B., lorsqu’il demandait « que l’administration fasse le ménage ». La Commission fait sienne ce souhait tel qu’il fut exprimé.

Elle recommande enfin que des opérations aussi sensibles au plan de l’ordre public que des fouilles générales d’un établissement relevant de l’administration pénitentiaire ne donnent lieu à une surenchère d’actions décidées par plusieurs autorités. Ce type de confusion des compétences ne peut qu’être générateur de lourdeurs inutiles et de contretemps nuisant à l’efficacité et à la rapidité des opérations.

Adopté le 19 décembre 2005

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis à M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, dont la réponse a été la suivante :