Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
Jean-Pierre TITOV-VOGEL : Elément d’un voyage à huit clos

Publié le mercredi 17 juillet 2002 | https://banpublic.org/jean-pierre-titov-vogel-element-d/

Dans les plis d’un temps obscur, depuis des années emmuré, je m’évertue à conserver les apparences d’une existence authentique.

Un crépi jauni par des générations d’ennui enveloppe ma réalité ramassée, étendue sur un lit en métal froid. Cellule 128 du pénitencier de la Plaine de l’Orbe, lieu morne, parcelle d’agonie, décor invariablement gris posé aux confins de la Suisse et de la France.

A l’entame du 3ème millénaires, je continue la peine infligée par une Cour de Justice helvétique - 10 années de réclusion, d’exclusion- aux derniers souffles du précédent millénaire.

Dans l’effroi, les méandres où coulent les milles visages de l’absence, mes amis et femmes d’une époque, là et ici, maintenant avalés par les registres de l’oubli. Suspendus aux fils de plus en plus tenus reliant des souvenirs épars et confus sur une toile parasitée. Mémoire.

Alors que s’installe l’automne, depuis ma couche j’observe la campagne tessinoise, figée derrière les barreaux du pénitencier de la Stampa, près Lugano. Transféré manu militari aux portes de l’Italie après une altercation violente avec un maton de la Plaine d’Orbe. Placements et déplacements disciplinaires sont mon lot depuis ce jour, où à 17 ans, j’ai connu en novice les premiers territoires de la géographie de l’Absurde pénitentiaire. 1973.

Aujourd’hui, 45 années bien sonnées, et un puzzle pour m’identifier - image par image... -.

Temporel décomposé, confusion de lieux - visages sépias et profils blanchis pas trop de saisons en chambre noire... Anémie des sens, sentiments à bouts de souffle. Sexe en berne. Femme barrée, sans accès.
No Woman’s land...

Enceinte de béton et d’acier. Impasse de l’hymen. l’autre est constamment Ailleurs. J’entends les cliquetis sec d’une serrure, puis une porte grince. A la dérobée, j’aperçois des Spectres filtrés par le couloir de l’étage, des slaves typés parcourent les traverses vicinales du marécage carcéral. L’étage est ponctué de portes autant de cellules détiennent des vies en otage derrières l’épaisseur métallique d’une barbarie industriellement organisée, codifiée.

Les individus dotés d’un soupçon d’intelligence auront évidemment compris la nature du hiatus qui sépare la réalité de l’enfermement du discours alibi répété sur les médias par les salariés de la morale dominante, psychosociologue de l’appareil étatique et autres politiques de gôochhhhe prônant les vertus de repentir... dans des structures modernes et adaptées s’entend... Hier, durant une émission sur la vague sécuritaire, le chef de la Sûreté neuchatéloise, annonçait l’ouverture de colloques réguliers entre personnel médical, travailleurs sociaux, responsable de l’administration pénitentiaire et flics, afin d’étudier les dossiers d’individus potentiellement à risques... la T.V. suisse dévoile ainsi la collusion des services et le mélange des genres - la croisade anti-déviance est ouverte... les collabos sont connus.... Boycottez - les ! ! !

Canicule, ce jour s’étire et se dilue dans une rêverie solitaire. Un film muet se déroule sous mes paupières agitées de spasmes nerveux, vingt ans de réclusion, de luttes, de résistance, d’affect saccagé, de temps volé, de compagnons et amis suicidés, de camarades tombés dans l’ultime refuge précédant le néant sis à l’adresse de la folie, folie instillée jour après jour par les bons soins des psys de lagers... de leurs prescriptions mutilantes, ceintures chimiques assurant une tranquillité contrôlée dans l’enclos et sous l’encéphale.... Claustrale nécessité.

Cursus : 20 années derrière les murs à ce jour - les 6 prochaines années étant réservées également à la suite de mon enfermement.... Sans avoir tué, sans avoir blessé physiquement. Ou Sisyphe à double perpétuité. Attendre Godot dans le désert des Tartares. Stabulation....

Une nuit et un jour plus loin. L’usage de la rumeur comme moyen déstabilisateur devient de plus en plus courant pour tenter d’anéantir toutes velléités de résistance chez les rebelles, les combattant libertaires, par exemple on fait circuler le bruit que vous êtes homo, fou dangereux et autre qualités de ce acabit. Le but, la finalité de telles entreprises est de vous isolé en vous dénigrant. L’administration et ses sbires alimentent ce phénomène en utilisant des détenus qu’ils récompensent de quelques faveurs ou privilèges. La population actuelle se compose à 90% de détenus acculturés politiquement et socialement issus du lumpenprolétarit des périphéries urbaines ainsi que d’anciens pays satellites de l’ex-URSS et d’ex-Yougoslavie Elysée Reclus, Max Stirner ou Proudhon ne sont pas aussi connus que Mac Donald dans leurs songes d’avenir dorés.... Alors Ravachol ou Bonnot.... Enfin, à chacun ses icônes ; chaque existence appartient à celui qui sait la vivre harmonieusement.

En huit clos carcéral la réglementation interne fait office de fondement de l’autoritarisme et les rituels de soumission visent à dépersonnaliser le prisonnier par une succession insidieuse d’exigences comportementales. L’hygiène, la tenue vestimentaire, l’organisation des repas, le travail, les déplacements au sein de l’institution, les rapports avec l’extérieur l’interdit sexuel, l’emploi du temps, les fouilles corporels ou cellulaires etc.... procèdent d’une volonté de réduire au maximum le champ d’autonomie et d’initiatives personnelles. Aliénation, déshumanisation sont les piliers de l’assujettissement des exclus.

Hôte des QHS helvétiques pendant plus de trois ans, en isolement absolu, suite à une mutinerie générale à la prison de Champ Dollon, à Genève. Emeute légitime écrasée dans le sang et la mort par la brigade d’intervention de la flicaille genevoise. Anne Marie Guenier, une tendre amie parisienne, a été projetée du toit par une lance à incendie dirigée sur nous et a chutée dans le vide 20 mètre plus bas. Blessée, elle a été hospitalisée au CHU de Genève, 2 heures durant, puis jugée apte à revenir dans un cachot de Champ Dollon, où le matin suivant elle fut, soit disant, découverte pendue à son jeans.... Elle avait 19 ans. Tu vis toujours et je te viens pas à pas, sans oublier....

Un peu plus loin, à la prison de la Chaux -de-Fonds, on m’a réservé une aile entière du bâtiment, chaque matin j’étais complètement mis à nu, fouillé intégralement puis changé de cellule. Une fois toutes les cellules visitées, le procédé commençait et ceci trois longs mois sans contact. Rien ! Pas même mes avocats d’alors ! ! ! L’attitude de la juge, ce type de détention est en l’occurrence adaptée au personnage, au danger objectif qu’il représente...

J’appris que la salope en question avait fait écrouer mon vieux père, aujourd’hui décédé, pour me forcer à avouer un braquage, elle doit encore se souvenir de ma promesse si nous devions nous revoir dedans ou dehors... Mon père fut libéré 3 jours plus tard !

Avec le mois de juillet, 3 potes, deux amis, du semtex et un 357 magnum la cavale est explosive et méticuleusement organisée puis, enfin réussie, le 21 août 1981 - Pénitencier de Bochuz. Orbe. Suisse. Particularisme, le code pénal de poursuit pas l’acte d’évasion. Réappropriation volontaire, intelligente des espaces temporels. Embraser la rose des vents. Sentir la terre, l’herbe d’une orée, la tendresse d’une rivière qui se love à votre épiderme, les rires infinis des enfants et le sexe humide d’une femme frénétiquement visité, la sève revient, qui s’agite, se tend à vous - la vie germée longuement éjacule les milles étoiles d’un ciel à repeupler. Résurrection. Fulgurance des évidences : To Be ! ! ! Le JE réintègre un moi meurtri pour fortifier la reconstitution d’un être singulier - libre et unique....

Avant-hier, j’ai assisté à une fouille totale qui m’a assigné. La vision de ces mains gantées fouillant mon restant d’espace, ouvrant mes lettres et autres écrits, visionnant les photographies de mes amies avec indécence, déplaçant mes objets sans ensuite les replacer là où j’appréciais les voir.... Cette intrusion n’a fait que légitimer et souligner encore plus vivement ma révolte ! ! !

L’institution s’arroge le droit de recourir à la force comme fondement de la contrainte et de son indiscutable pouvoir.

Mon transfert disciplinaire à la Stampa, pénitencier de Lugano fait suite à une agression de huit matons de Bochuz qui me sont tombés dessus car j’ai retourné une insulté aboyée par un petit chef ambitieux. Dix jours au mitard d’où je ne pouvais sortir que menotée dans le dos lors de mes vingt minutes matinales dans le couloir du QHS.

A Genève, prison de Camp Dallon, le surveillant-chef m’affirma devant témoin.. - Toi, ordure tu ressortiras d’ici les pieds devant ou infirme... La presse genevoise (La Suisse et La Tribune de Genève) en fit l’écho. Ailleurs, un autre maton, de Bochuz cette fois-ci, me fonça dessus avec un tracteur. Mon avocate déposa une plainte pénale qui fut instruite par le juge informateur du Nord vaudois. Celle-ci se déplaça pour les auditions et nous transmis que l’abandon de poursuites pénales simplifierait mon droit à une prochaine libération conditionnelle... Quinze années ont passées.

39 transferts disciplinaires aussi.

Un petit vent frais souffle, je me sens bien et m’assoupis. Pierre Goldman, Bruno Sulak, Knobelpiess, Daniel Bloch, Walter Sturn, Jacques Fasel, et bien d’autres, sont des êtres à l’épaisseur humaine et à l’envergure sociopolitique exemplaires, à l’engagement toujours particuliers et sans entretenu et vérifié, conséquents avec eux-mêmes et avec les autres, jamais résignés, immuablement debout, même après le trépas pour certains ! ! ! L’après midi touche à sa fin, des pas lourds me tirent de ma léthargie ; les détenus reviennent des ateliers. Ces gars - là participent aux modes d’approvisionnement de la justice pénale. L’appareil judiciaire doit être fourni régulièrement en justiciables afin d’assurer son financement. Sans justiciables les fonctionnaires, magistrats et autres personnels seraient en faillite. Le mythe de la justice de droit divin ne fait pas bon ménage avec le management capitaliste. Le détenu est un produit exploité d’un bout à l’autre de l’espace judiciaire. Une manne laborieuse et gratuite permettant notamment à des domaines agricoles vastes tels que Bochuz, Ballechasse, Thorberg, Witzwill, Regnesdorf et autres de produire des bénéfices non négligeables. Aux Etats-Unis, le secteur privé a fait son entrée dans la création et la gestion de pénitenciers avec l’aval des politiques.

Il serait temps de militer pour l’instauration d’une véritable politique salariale pour rétribuer les détenus volontaires au travail emprisonnés en Suisse et ailleurs. A travail égal salaire égal ! ! ! c’est un slogan...
L’utopie est un beau voyage. D’ici là les enclos auront sauté.

Un ciel de Turner étale son faste enflammé au-dessus de mon antre. Le crépuscule s’annonce timidement. Un train vide passe au loin.

Les gamelles du soir sont distribuées. Je ne mange pas, ma faim est d’une autre nature.

N’appartenir à rien ni à personne, j’ai de l’éphémère une connaissance trop intime, du contemporain une méfiance telle ajouter le solde de mes jours à un programme commun double mon trouble. Le nihilisme est étranger à cette émotion.

Depuis un an je refuse les visites, je refuse le téléphone, je refuse les activités internes etc....

Dès l’instant où l’on accepte la charité bien comptée, les permissions millimétrées, des ersatzs de liberté on se commet avec les méthodes pensées pour et par les systèmes d’asservissement et sa logique dévastatrice. Je me sens une parenté avec les personnages des films de Ken Loach ou de Stanley Kubrick, mettre ses pas dans sa destinée et la vivre quoiqu’il advienne sans retenue, être contre vents et marées l’acteur volontaire d’une trajectoire existentielle intensément parcourue - Icarienne et Prométhéenne - claire et obscure, ou simplement humaine...

La population carcérale ces dernières années c’est radicalement transformée, le prisonnier actuel n’a aucun sens politique, cet avis peut laisser croire qu’un fossé c’est creusé ces derniers 15 ans, séparant historiquement deux générations distinctes de prisonniers, la militante des années 70’ - 80’ - la soumise des années présentes... La réalité doit certainement être moins manichéenne ou plus nuancée... peut être plus affligeante... Polémique.

Samedi, fin d’après midi, alentour les éléments, l’environnement et les gens semblent fonctionner au ralenti. Des détenus en tenue minimum lézardent sous le soleil, allongés sur le gazon de la promenade. Certains, tendus, font les cents devant le sas des visites. Des déficits affectifs sont à combler. Reconstitution d’une cellule familiale, l’espace d’un parloir autorisé. Oxygène et infirmerie sentimentale. Un grand nombre de couples ne survivent pas à l’épreuve de l’emprisonnement. Les dommages collatéraux générés par une séparation radicale et prolongée sont aussi nombreux que ceux qu’ils déciment - Familles, Enfants, Amies, Compagne, relations subissent l’érosion, le travail pervers du temps sur la qualité des sentiments amènent certains liens jusqu’à l’usure qui précède la mortifère rupture.

Constats personnels faisant foi... Les exceptions, heureusement, existent créant des histoires pour le long cours, pour la vie jusqu’à l’ultime étape d’un beau et singulier voyage.

La liberté, comme l’amour, se cultive et s’entretient à perpétuité.

Jean-Pierre TITOV-VOGEL
Résistant Libértaire d’Obédience Libertine -
Pénitencier de La Stampa
6904 LUGANO - SUISSE
(Code postal 4062)

(Texte écrit courant juin 2002) - suivra un ouvrage plus dense

Copies :
1. Géraldine et Roger KLEIN
2. Radio ZONES
3. L’observatoire International des Prisons
4. Amnesty International - Section parisienne
5. Avocates
6. Daniel BLOCH pr Jean ZIEGLER
7. Revue l’Envolée - 93100 Montreuil - France
8. Jacky FASEL