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(2006) Alter Egaux : la stigmatisation de la séropositivité devient "officielle".

Publié le vendredi 3 février 2006 | https://banpublic.org/2006-alter-egaux-la-stigmatisation/

Avec le rejet du pourvoi de Christophe M., la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, en ne s’appuyant que sur des motivations subjectives pour caractériser l’intentionnalité des contaminations survenues, réécrit inconsidérément tous les principes auxquels nous croyons, pour lesquels nous luttons, ceux de la responsabilité partagée dans une relation sexuelle consentie.

"Affection virale constituant une infirmité permanente". Cette formulation jurisprudentielle ouvre la porte à un avenir bien sombre. Un avenir constitué de litiges et de poursuites devant les tribunaux, pour toutes "affections virales" transmissibles d’être humain à être humain, quel que soit le moyen : fluides corporels, contact physique, respiration, etc... Les contentieux vont exploser : 200 000 séropositif-Ves, plusieurs centaines de milliers de personnes porteuses de différents virus, dont celui de l’hépatite B, laquelle peut être constitutive de cette "infirmité permanente" telle que retenue par la Cour. Cette hépatite B par exemple " est une maladie universelle, posant un problème de santé considérable. L’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, évalue à environ 350 millions le nombre actuel de porteurs du virus de l’hépatite B dans le monde et le nombre de décès de 1 à 2 millions par an. L’OMS range le virus de l’hépatite B, au même titre que le virus HIV, parmi les 10 "principaux tueurs" par maladie infectieuse. Cette mortalité est surtout due aux complications de l’hépatite chronique. La prévalence varie considérablement d’une région géographique à l’autre." 
(source www.hepatite.org)

Matérialité et intention de contaminer.

Tant pis si, à aucun moment de la procédure, l’accusation n’a démontré l’intention délibérée de contaminer. Cette intention est toujours argumentée en quelques mots brefs : "il dissimulait volontairement son état de santé".
De la difficulté de révéler son état dans un pays où les tous derniers chiffres sur les discriminations quotidiennes envers les séropositif-Ves sont hallucinants, les juges ne retiennent que le silence. Ainsi, le simple fait de ne pas révéler sont statut de malade et/ou de porteur-euse d’une "affection virale" devient dorénavant assimilable à une volonté délibérée de contaminer un-e partenaire. Et qui dit intention délibérée, dit préméditation. Ce qui constitue une dérive particulièrement grave, une régression. Cette irruption du juge pénal dans les questions de santé publique et de gestion d’une épidémie ne pourra que provoquer des catastrophes judiciaires, et un naufrage de la raison, comme c’est actuellement le cas à Toulouse.
Quant à la matérialité de cette volonté délibérée de contaminer alléguée pas cet arrêt, elle n’a jamais été démontrée. Retenant que "le prévenu a multiplié les relations sexuelles non protégées avec plusieurs jeunes femmes", ses attributs virils sont donc désignés implicitement comme les éléments matériels de l’infraction... Désigner ainsi le sexe masculin comme une arme est s’aventurer sur un hasardeux cheminement intellectuel qui ne peut aboutir qu’à légitimer une morale rétrograde, archaïque et hygiéniste.

Avec la confirmation de cette condamnation en des termes aussi absurdes, les magistrats persistent à abuser d’arguties spécieuses pour prétendre justifier qu’il faut, sur le fond, lourdement sanctionner un séropositif parce qu’il se tait sur son état de santé. Ils tiennent à préciser même que les « énonciations, [de la cour d’appel de Colmar] exemptes d’insuffisance comme de contradiction (ont) caractérisé en TOUS ses éléments tant matériels qu’intentionnels le délit [d’administration de substances nuisibles] ». De la sorte, un accident de préservatif ne sera pas recevable dans le cas d’une contamination si l’auteur de la contamination n’a pas révélé préalablement son état de santé. Enfin pour éviter d’être poursuivi, le plus simple sera de ne pas se faire dépister, ne pas savoir sera une protection juridique, ce qui se passe à Toulouse avec l’affaire Sory C. l’illustre désagréablement. A moins d’instaurer un dépistage systématique et obligatoire de la population, qu’il faudra fréquemment répéter, cette décision lourde de conséquences pour les personnes touchées, les associations et les valeurs de la lutte contre le sida n’incitera ni au dépistage ni à plus de responsabilité de la part des séropositif-Ves, bien au contraire. C’est un coup très rude porté à notre lutte contre le virus et ses conséquences, ainsi qu’au soutien apporté aux personnes touchées.

C’est un message adressé à toutes les personnes concernées, qui n’augure rien de bon pour notre société déjà profondément secouée par de nombreux motifs de conflits et d’appels à la haine de l’Autre.

Enfin, c’est l’introduction d’un choix politique, celui d’officiellement approuver la stigmatisation de toute personne porteuse d’une "affection virale" transmissible. Ce n’est d’ailleurs que l’application à la lettre de l’article 6 du livre II article 66 du Traité Constitutionnel Européen, pourtant rejeté le 29 mai dernier, et qui stipulait :
 « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
 (...)
 e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; »

De fait, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation se défausse habilement sur la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour débattre sur le fond. Alter Egaux contribuera à ce débat et soutiendra Christophe M. et ses avocats. Parce que sur le plan des principes, l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme stipule lui que "toute personne à le droit de garder son état de santé secret." C’est bien le moins que l’on puisse réclamer dans une démocratie, avoir la possibilité légale de taire son état de malade. C’est aussi et surtout la défense du principe de la responsabilité partagée dans une relation consentie. Nous nous inspirerons de la récente position de la Cour Suprême des Pays-Bas sur le sujet (relations sexuelles consenties) pour soutenir ce recours devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

N’oublions pas, en attendant que Christophe M., malade en phase « sida déclaré », restera en détention. Avec les conséquences que l’on connaît...

Source : Alter Egaux Marseille  alter.egaux@no-log.org