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II Evalutation des bibliothèques et activités culturelles en prison

Publié le dimanche 26 juin 2005 | https://banpublic.org/ii-evalutation-des-bibliotheques/

I. L’ÉVALUATION DES BIBLIOTHÈQUES ET DES ACTIVITÉS CULTURELLES EN PRISON RELÈVE D’UNE APPROCHE PARTICULIÈRE

1. Les sources

Enquêtes et états des lieux

La mission a appuyé sa réflexion sur les résultats de plusieurs enquêtes. La première, réalisée par l’administration pénitentiaire en 2004 [1], actualise en partie une base d’indicateurs sur les bibliothèques des établissements pénitentiaires établie en 1998 [2]. Elle a fourni des éléments d’ordre quantitatif.
La seconde, adressée aux conseillers pour le livre et la lecture (CLL) des Directions régionales des Affaires culturelles (DRAC), était destinée à recueillir des données d’ordre plutôt qualitatif. Le questionnaire [3] demandait en particulier aux conseillers de départager les bibliothèques dont le fonctionnement leur paraissait globalement satisfaisant ou insatisfaisant, en partant de critères d’évaluation précis. L’objectif était de trouver, auprès de partenaires réguliers des actions culturelles engagées sur le terrain, une appréciation sur l’organisation, les moyens, les activités des bibliothèques, ainsi que sur les partenariats qui leur permettent de fonctionner. Toutes les DRAC ont répondu au questionnaire, sauf l’Ile de-France pour les régions métropolitaines, la Guadeloupe et la Réunion pour l’Outremer.
La mission s’est également appuyée sur les états des lieux effectués par les chargés de mission qui coordonnent les activités artistiques et culturelles dans une grande moitié des régions, et sur les informations de la Fédération française de coopération des bibliothèques (FFCB) qui anime ce réseau. Elle a également utilisé la documentation relativement abondante qui existe sur le sujet (Cf. Annexe).

Visites d’établissements pénitentiaires

La mission a visité toutes les bibliothèques des établissements pénitentiaires où elle s’est rendue. (Cf. Annexe). Il s’est agi à la fois de maisons d’arrêt et de centres pour peine, de tailles très diverses, nouvellement et anciennement ouverts, localisés en Ile-de-France, et dans différentes régions administratives - l’Aquitaine, la Bretagne, le Languedoc-Roussillon, le Nord-Pas de Calais, la Picardie, Rhône Alpes.
Les départements d’Outremer n’ont pas été visités, pour d’évidentes raisons de temps et de coût. Dans les réponses obtenues au questionnaire, la mission n’a pas relevé de caractéristiques qui diffèrent beaucoup des autres régions. Elle a noté toutefois un supplément de difficultés dans les conditions de fonctionnement des bibliothèques et des activités culturelles, relatif à l’état du réseau des bibliothèques publiques et de la vie culturelle outremer.

Aucune visite n’est apparue répétitive, chacune enrichissant les informations déjà recueillies. A travers les spécificités propres à des établissements fort divers, la mission s’est efforcée de repérer les tendances fortes et les caractères communs, afin d’établir un état des lieux aussi proche que possible de la réalité, et de prendre en compte la perception qu’en ont les principaux intervenants.

Entretiens et réunions

La mission a été reçue par les directeurs d’établissements où elle s’est rendue. Chaque visite s’est accompagnée de rencontres et de discussions très ouvertes avec les acteurs qui participent au fonctionnement des bibliothèques et des activités culturelles. Elle a ainsi vu des membres des SPIP, en particulier des conseillers d’insertion et de probation référents pour les bibliothèques, des agents de justice, des bibliothécaires ; elle s’est librement entretenue avec les détenusbibliothécaires.

Plusieurs réunions ont été organisées : à Lille et à Rennes par la DRAC, à Valence par le SPIP, à Lyon et Bordeaux sous l’impulsion des chargées de mission en région, au CNL, à la FFCB avec le coordinateur national et les chargés de mission régionaux. Les travaux de la mission ont été ponctués par des réunions avec l’administration pénitentiaire (Bureau des politiques sociales, Direction des constructions immobilières) et la Direction du livre et de la lecture. (Cf. Annexe). [4]

2. L’état des lieux induit une évaluation spécifique intégrant la réalité des contraintes internes et la composition de la population carcérale

La mission a utilisé les critères d’évaluation que l’on emploie habituellement pour apprécier la qualité des bibliothèques. Elle a donc passé au crible les éléments et les données concernant les surfaces, l’aménagement, les budgets et la gestion des collections, le personnel, l’ouverture, les résultats, les activités. Pourtant, il est très vite apparu que les informations recueillies ne pouvaient être considérées de la même manière que pour un établissement classique. Les bibliothèques pénitentiaires sont partie prenante d’un monde assujetti à des règles strictes. Leur fonctionnement s’en trouve modifié, même si elles cherchent à se rapprocher du modèle des bibliothèques publiques, afin de remplir un objectif majeur : l’aide à la réinsertion sociale. Les définitions habituelles perdent leur pertinence lorsqu’elles se trouvent appliquées à des modalités différentes d’organisation. Les résultats doivent donc être interprétés en conséquence.

Les conditions d’accessibilité sont soumises aux exigences de la sécurité

Les exigences légitimes de sécurité qui s’exercent à l’intérieur de la prison déterminent des conditions d’accès qui ne peuvent pas être celles des bibliothèques ordinaires.

Dès lors, les notions de taux de fréquentation, de libre accès ou d’ouverture n’ont pas le même sens dans l’organisation carcérale. Le volume d’heures d’ouverture déclaré et affiché par la bibliothèque ne se confond pas avec la possibilité pour chacun de lire, consulter ou emprunter des documents. Ce n’est pas parce que la bibliothèque est ouverte que les détenus y ont accès, puisque s’appliquent ordinairement les procédures découlant du traitement par "régimes différenciés", qui distinguent les divers groupes de détenus (par exemple majeurs, femmes, mineurs, isolés). Les emplois du temps et les déplacements sont ainsi organisés par roulement. L’importance de la fréquentation y est forcément relative, car elle ne dépend pas de la seule volonté de l’usager, mais d’un ensemble de facteurs, parmi lesquels la disponibilité du personnel de surveillance de la prison, souvent requis par de multiples tâches. Ce n’est pas non plus parce
que le lieu existe que les conditions d’accès sont convenables. On citera par exemple le cas de la Maison d’arrêt de Melun, où l’accès à la très petite bibliothèque n’est permis qu’à un lecteur à la fois, pour un temps parfois très limité.

Des données souvent approximatives

L’évaluation s’appuie d’abord sur des données quantitatives. Or les bibliothèques des établissements pénitentiaires disposent rarement de statistiques très précises. Les surfaces sont connues approximativement, et l’on compte volontiers à partir de l’unité de base : la cellule. Les collections et les acquisitions annuelles ne font généralement pas l’objet d’un état exactement chiffré. L’estimation réelle de la fréquentation et de l’utilisation du fonds - nombre d’usagers, emprunteurs ou visiteurs, nombres de prêts et de consultations sur place - n’est pas une démarche très courante. Les raisons de ce flou, tout à fait regrettable, sont évidentes. Elles sont liées d’une part aux performances médiocres des systèmes informatiques, quand ils existent. Elles sont dues aussi à l’absence de personnel professionnel.

Choisir un modèle d’évaluation

L’une des premières questions qui se pose à l’évaluateur est celle des normes, ou, si l’on préfère, du modèle idéal.
Il existe des normes indicatives spécifiques aux bibliothèques de prison, définies par l’International federation of library association (IFLA) en matière de surface, de collections et d’acquisitions [5]. On dispose également des recommandations contenues dans les annexes de la circulaire conjointe du 14 décembre 1992 [6]. Le ton en est prudent, puisqu’il s’agit là, selon les termes employés, de "valeur de référence" et de "données tendancielles dont il convient de s’approcher". L’évaluation consisterait alors à mesurer le degré d’évolution de la bibliothèque de prison et les progrès accomplis par rapport aux normes de référence.
Mais un second angle d’attaque se justifie tout autant. Pourquoi s’interdire la comparaison avec les établissements du monde extérieur, même si ce type d’évaluation révèle bien des aspects décourageants ? Une bibliothèque de prison ne supporte guère en effet la mise en perspective avec les médiathèques modernes, de modèle maintenant courant, sauf à se reporter bien des années en arrière. Parmi les établissements visités par la mission, seule la médiathèque du centre pénitentiaire de Rennes ressemble à une "vraie" bibliothèque. Pourtant, comme le dit un conseiller pour le livre, "une création de bibliothèque est déjà une satisfaction, même si le service offert est très imparfait". Ce qui n’empêche pas d’étalonner la bibliothèque de prison en la comparant à ses modèles extérieurs. Là aussi réside la possibilité de prendre la réelle mesure des progrès à réaliser.
Enfin, la mission n’a pas écarté le point de vue classique qui consiste à évaluer l’adéquation de l’offre à l’attente des publics, malgré la difficulté à disposer des éléments d’appréciation. Le croisement des regards est source de richesse.

3. La typologie de la population carcérale doit être plus sérieusement prise en compte dans la structuration des activités de lecture

Il convient de mieux connaître le public auquel on s’adresse. Dans la mesure où les détenus sont évidemment le lectorat potentiel des bibliothèques et forment aussi la population susceptible de participer aux activités culturelles, il est primordial d’en connaître les caractéristiques.

Une population carcérale en constante augmentation, jeune, à forte dominante masculine

L’évolution de la population carcérale se traduit dans les chiffres publiés par le ministère de la Justice pour l’administration pénitentiaire [7]. La hausse du nombre des détenus, toujours effective malgré une légère pause en 1996-2000, génère un écart grandissant entre le chiffre des détenus et le nombre de places : en 2004, la population carcérale était supérieure de 30 % aux places disponibles, soit 64 813 détenus pour 49 595 places. En janvier 2005, l’administration pénitentiaire fait cependant état d’une légère baisse (- 1,3%). Le nombre d’établissements (186 en 1995, 188 en 2004) ne bouge guère. Cette stabilité apparente ne rend cependant pas compte du renouvellement du parc immobilier.

La composition de la population subit peu de modifications : en presque 10 ans, la répartition hommes/femmes est identique, avec une écrasante majorité masculine (96,3 %). Or on sait, grâce aux études sociologiques et enquêtes menées depuis de longues années, que les hommes ont une pratique moins assidue de la lecture que les femmes.

La dominante reste très jeune : plus de 70% des détenus ont moins de 40 ans, dont la moitié a entre 21 et 30 ans. La proportion d’étrangers demeure stable et relativement forte (28,6 %).

Une population touchée par l’illettrisme, caractérisée par un niveau scolaire faible

Le pilotage de la lutte contre l’illettrisme est dévolu aux services de l’enseignement de l’Education nationale. Chaque année, depuis 1995, ces services ont organisé le repérage systématique des personnes en situation d’illettrisme. 60% des personnes rencontrées [8] se situent à un niveau plancher.

Près de 60 % de la population carcérale n’a pas dépassé le niveau du certificat d’études primaires. 30 % sont en difficulté de lecture et 20 % sont illettrés. 65 % sont d’ailleurs sans activité professionnelle [9].

Une population en perpétuel mouvement, une sectorisation qui s’accentue

La notion de “détenu” recouvre des statuts différents : suivant qu’ils sont en attente de jugement (36 % de prévenus en 2003), condamnés à des peines légères ou à une longue détention, les détenus demeureront plus ou moins longtemps dans l’établissement pénitentiaire. Les maisons d’arrêt, qui accueillent les prévenus et les condamnés à des peines légères, sont les plus nombreuses (62 % du parc). En 2002, on a dénombré 76 837 mouvements d’entrée en prison, et 69 382 libérations. Ces changements continuels influencent la conduite d’activités culturelles sur la durée, compliquent la gestion de la bibliothèque et des collections.
La distribution des prisons par quartiers (hommes, femmes, mineurs, isolés) obéit à la règle selon laquelle les différents types de population ne doivent pas se croiser. Si les nouveaux programmes immobiliers intègrent effectivement une zone centrale de services communs à tous les détenus, le
renforcement de l’autonomie de chaque quartier constitue une tendance forte. Ce type d’organisation, qui répond le mieux aux exigences de la sécurité, est aussi vraisemblablement le modèle le plus économique en forces de travail, puisqu’il réduit les allers et venues à l’intérieur de la prison, chaque groupe ayant accès aux services dont il a besoin ou à ses antennes (salle de sport, service éducatif, bibliothèque, ..) dans son propre bâtiment. A l’inverse, le renforcement de l’autarcie des divers quartiers accentue le sentiment de "prisons dans la prison".

Les conséquences de cette évolution sur les bibliothèques doivent être prises en compte.

[1Ministère de la Justice, Direction de l’administration pénitentiaire. Fonctionnement des bibliothèques des établissements pénitentiaires, Etat des lieux, établi par Colombe Babinet, 2004. Cf annexe

[2Gérard Brugière, Indicateurs de l’action culturelle classés par établissements, résultats constitués à partir de l’enquête renseignée par les établissements au premier trimestre 1998 et portant sur les éléments de l’année 1997

[3Dominique Chavigny, Claudine Lieber, Questionnaire adressé aux Directions régionales des affaires culturelles

[4juillet 2004. Cf annexe

[5Guide des bibliothèques en établissement pénitentiaire, éd. Par Francès E. Kaiser. Groupe de travail sur les bibliothèques en prison, IFLA, 1991

[6Ministère de la Justice, Direction de l’administration pénitentiaire, Ministère de l’éducation, de la culture et de la communication, Fonctionnement des bibliothèques et développement des pratiques de lecture dans les établissements pénitentiaires, 1992, 54 p. Cf.Annexe

[7Source : site web du Ministère de la Justice. Cf. Annexe

[8Pour un mouvement d’environ 70 000 entrées par an en 2001, plus de 35 000 personnes incarcérées ont été rencontrées à l’accueil sur 147 sites différents (maisons d’arrêt et autres établissements pour peine). Source ANLCI. En Rhône-Alpes, la moitié des détenus examinés en 2004 n’avait aucun diplôme (2419 sur 4799 détenus). 391, soit 8%, étaient titulaires du bac ou d’un diplôme supérieur

[9Cf indications fournies par M. Patrice Molle in Assemblée nationale, Avis présenté au nom de la commission des lois... sur le projet de loi de finances pour 2005, Justice, Services pénitentiaires et Protection judiciaire de la jeunesse, par Valérie Pécresse. Site de l’Assemblée nationale