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Conglomérat de particules de réponses versus quatrième dimension

Publié le lundi 23 mai 2005 | https://banpublic.org/conglomerat-de-particules-de/

Les murs de la prison n’enferment pas le temps. Il est ainsi possible, dans certaines conditions, d’imaginer, de rêver, ou même d’anticiper l’extérieur. Cette rêverie, qui peut prendre la forme d’une fiction utopique ou d’un seul instant de sérénité qui dure parce qu’il croit suspendre le temps, permet d’échapper à l’insupportable : à ce qui dans la prison est insupportable, à ce qui fait que la prison est autour de soi, à cette crainte qu’elle reste une ombre..., longtemps..., toujours ! Car, petit à petit, la prison entre dans son hôte, elle lui devient - c’est inquiétant -, familière ; jusqu’à ce que se confonde la menace des cellules, nerveuses et de béton. Devenant si intime, la prison créerait presque l’illusion que le danger est ailleurs, pas là dans ses entrailles, mais dehors. Ce dehors qui n’a pas toujours - et parfois jamais -, pu persuader de son hospitalité. Ce dehors qui a souvent, de tant d’endroits, brondi même son hostilité, jusqu’à ce que des trois dimensions, aucune ne permettant le repli, n’autorisant le répit, c’est dans une quatrième que s’est trouvée la condition d’une provisoire amnistie. Cette quatrième dimension est le refuge qui permet ce rêve avec lequel à l’origine, sûrement, tout a commencé et dont l’espoir n’est que la combinaison restée scellée dans la boîte de Pandore [1]. Que reste-t-il alors, de ce déterminisme apparent qui semble ne rien permettre d’autre qu’un abri halluciné dans cet espace insurmontable et effroyablement pérenne ? Comme une surface Möbius [2],

ce temps qui passe ne fait qu’épuiser le marcheur à revenir à son point de départ. Et pourtant, à y regarder de plus près, lorsqu’on y prête attention, ce temps qui passe, paraît être comme un agglomérant des instants. L’espace qui se répète, montre à chacun des nouveaux tours, que les identiques s’additionnent, et qu’ainsi la sommation s’étale : c’est l’histoire qui s’écrit, et puisque c’est le temps qui la bâtit, il peut éventuellement l’infléchir, peut-être même assez pour sortir de la répétition. Les murs de la prison n’enferment pas le temps, il est ainsi possible, dans certaines conditions, de produire un autre après, qui sera décidé et risqué, mais dont le destin n’est plus que d’être subi. Faire l’effort de travailler cette anticipation, c’est l’incarner dans le présent, glisser de la fiction à la réalisation. La préparation à la sortie - émancipée de tout slogan politique - est cet effort. Et il s’agit bien d’un effort, car s’inquiéter de l’endroit où il sera possible de dormir, s’inquiéter de l’endroit où il sera faisable de manger, s’inquiéter de l’endroit où il sera envisageable de se former, voire travailler, s’inquiéter..., cela reste toujours inquiétant. Mais s’inquiéter de l’avenir, contrairement à stresser sur le moment, et même si ça fait courir le risque d’être soi même aussi responsable de la finalité, offre une multitude d’avantages. Cela permet de contacter, différents lieux et institutions, qui peuvent chacun apporter des particules de réponses. Cela permet de faire passer, à travers les murs « transchroniques » des pénitenciers, des consultants d’associations qui peuvent envisager différents types de prise en charge à la sortie, sur les plans professionnel, sanitaire ou d’hébergement. Cela permet aussi, à l’intérieur même de la prison, de bénéficier du soutien du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) selon les termes de l’article D.478 [3] du Code de Procédure Pénale et qui depuis l’application de la loi Perben II, contacte systématiquement les détenus incarcérés pour une peine supérieure à six mois.
Et puis, après l’orchestration de cette préparation, quand arrive le jour de la sortie, un temps de latence, de quelques jours à quelques semaines, est souvent nécessaire avant d’intégrer le CHRS [4] préalablement contacté, avant de débuter la formation envisagée ou encore les soins prévus. Pourtant, lorsqu’un tel effort a été instruit depuis là-bas, la confrontation à cet extérieur qui ressemble spontanément si peu, car pas encore, à ce qui a été imaginé, espéré et entrepris, fusse-t-elle brève, constitue un risque réel de détérioration en chaîne du projet construit en prison. Pour tenter de réduire ce risque, l’Estran [5] propose, dans la mesure où un contact préalable aurait eu lieu dans le cadre d’une préparation à la sortie et qu’il fut possible de répondre favorablement, un hébergement d’une semaine en chambre d’hôtel, renouvelable deux fois. Durant ce séjour d’orientation dans le cadre des préparations à la sortie, il s’agit d’abord d’accueillir la personne - car il est probablement très différent d’être ou de ne pas être attendu -, de lui permettre d’envisager rapidement les démarches administratives nécessaires (couverture santé, papiers d’identité, inscription ANPE, etc.) en s’appuyant sur nos partenaires de travail, et enfin de lui permettre de se présenter à ses rendez-vous, prévus depuis l’incarcération, dans des conditions physiques et psychologiques meilleures que si elle avait dû dormir dans la rue la veille.

Devant l’ampleur de la tâche, chaque maillon de la chaîne de préparation à la sortie, n’a qu’un humble rôle, de surcroît non homothétique [6]. Aucune configuration n’apporte de garantie absolue d’arriver aux résultats escomptés, mais la préparation à la sortie réduit les risques de n’y arriver que par le hasard. La systématisation des contacts des SPIP avec les détenus pourrait voir augmenter le nombre de préparations à la sortie ; l’avenir dira si ces dernières prendront la consistance d’un réel travail d’anticipation qui démontrera sa valeur de réinsertion ou s’il s’agira seulement, à l’instant de la sortie, d’arroser un peu les « sorties sèches [7] » pour donner meilleure conscience à la politique pénitentiaire.

Mais déjà, le temps, cet instrument onirique et éphémère, modelable dans l’avenir et pétrifié dans le passé, se charge d’ordonner nos gesticulations sociales et individuelles à leur échelle respective.

Ristic Lazo, chef de service à l’Estran

Revue EGO - Alterego le journal n°47 / 1er trimestre 2005

[1Boîte de Pandore : Définition du Petit Larousse Illustré 2004. Mythologie Grec. La première femme de l’humanité. Offerte aux hommes pour les, punir de leur orgueil, elle devint la femme d’Epiméthé. Elle est responsable du mal sur la Terre, car elle ouvrit le vase où Zeus avait enfermé les misères humaines (d’où l’expression ouvrir la boîte de Pandore, s’exposer, par une initiative imprudente, à de graves dangers). Dans la boîte de Pandore, seule resta l’Espérance

[2Möbius : Définition du Petit Larousse Illustré 2004. Auguste Ferdinand (1790-1868), mathématicien allemand. Pionner de la Topologie, il découvrit une surface à un seul côté (ruban de Möbius)

[3Art. D-478 du C.P.P. « Le service public pénitentiaire doit permettre au détenu de préparer sa libération dans les meilleures conditions. (...) le service pénitentiaire d’insertion et de probation, favorise l’accès de chaque personne libérée aux droits sociaux et aux dispositifs d’insertion et de santé. (...) »

[4Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale

[5Hébergement (être présenté par un travailleur social) 10 rue Ambroise Thomas 75009 Paris - M° Poissonnière Tél. 01 53 24 92 20 (sur RDV)

[6Qui n’est pas une figure réduite du résultat final, mais en est juste une des formes, chacune de ces dernières étant différentes et autonomes des autres ; le résultat final de leur combinaison est par conséquent nécessairement unique

[7Sorties sans solution d’hébergement

 
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