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Caractéristiques épidémiologiques du jeûne de protestation à Genève (prison de Champ-Dollon et Quartier cellulaire hospitalier) et comparaison avec d’autres données épidémiologiques

7. Caractéristiques épidémiologiques du jeûne de protestation à Genève (prison de Champ-Dollon et Quartier cellulaire hospitalier) et comparaison avec d’autres données épidémiologiques

A. Buts de l’étude

 La littérature concernant le jeûne de protestation est relativement restreinte et peu de données ressortent concernant les caractéristiques épidémiologiques du problème. Des statistiques sont probablement tenues par les services médicaux responsables de détenus à travers le monde, mais les résultats ne sont le plus souvent utilisés qu’à un niveau local. Si l’on se réfère aux réponses fournies par les responsables européens contactés, ceux de Grande-Bretagne et d’Espagne ne disposent pas des statistiques et un recensement des cas a tout simplement été abandonné aux Pays-Bas ; en France, diverses données ressortent d’articles généraux sur le thème du jeûne de protestation [5, 43, 46] ainsi que de certaines thèses en médecine et en droit sur le sujet [10, 80].

 Aucune statistique concernant le jeûne de protestation n’avait été tenue jusqu’à présent dans les services médicaux pénitentiaires dépendant de l’Institut Universitaire de Médecine Légale à Genève. Les archives de l’Institut ont été reprises concernant les années les plus récentes afin d’identifier les cas de jeûnes de protestation et de relever les informations fournies par les dossiers médicaux de ces cas. La revue des cas pris en charges par l’Institut Universitaire de Médecine Légale a permis de recenser des comportements voisins, à savoir les comportements auto-agressifs et les comportements revendicateurs, le jeûne de protestation associant les deux.

 Le but de cette étude est de fournir aux médecins et soignants un aperçu quantitatif du jeûne de protestation dans leur pratique quotidienne ; en particulier une représentation chiffrée de la part de leurs activités consacrée à ce problème ; du profil du jeûneur (âge, sexe, etc.) ; de l’évolution des cas pris en charge et des complications médicales survenues.

 Afin d’interpréter plus facilement les données collectées, elles ont été comparées à celles issues d’une thèse sur les jeûnes de protestation observés à la prison des Baumettes à Marseille en France [10].

B. Les jeûnes de protestation à la prison préventive de Champ-Dollon

B.1. Méthode de récolte des données
 
 Les cas de jeûne de protestation à la prison de Champ-Dollon ont été dépistés à l’aide d’un outil sensible, à savoir les cahiers d’observations de l’équipe infirmière du Service médical à la prison de Champ-Dollon. Il s’agit d’un instrument sensible car dans ces cahiers sont consignées toutes les observations concernant des détenus qui ont posé problème ou seulement suggéré un commentaire ; de ce fait, tous les détenus ayant annoncé un jeûne de protestation ont très probablement fait l’objet d’une observation. L’équipe infirmière prodigue environ 9000 soins par an et consigne dans ces cahiers plus de 6000 observations par an 86  ; les consultations non commentées comprennent pour la plupart des actes de soins répétitifs ou courants (p.ex. administration de méthadone).

 Pour une période un peu supérieure à 5 ans (1991-1995), nous avons effectué le recensement des jeûnes de protestation, ainsi que les patients présentant un refus alimentaire sans revendication annoncée (toutes causes confondues : nausées et vomissements, perte d’appétit d’origine somatique, jeûnes religieux, anorexie de la dépression, attitude revendicatrice brève ou encore jeûnes de protestation non spécifiés) parce que ces refus alimentaires divers font partie du diagnostic différentiel.

 Le critère déterminant pour compter un refus alimentaire comme jeûne de protestation était que le détenu le définisse comme tel ou encore qu’il soit perçu comme tel par l’entourage (p.ex. équipe infirmière du Service médical). Le respect strict du jeûne ou encore des revendications profondes motivant un risque vital n’étaient pas nécessaires pour classer le cas comme jeûne de protestation ; c’est la démarche annoncée par le détenu plutôt que ses conséquences qui a été retenue. Il a été fixé des limites relativement larges, correspondant simplement à la définition générale du jeûne de protestation. En effet, l’importance d’un jeûne de protestation peut se mesurer à sa durée, à sa rigueur et/ou à ses complications éventuelles, mais l’importance ne détermine pas si le diagnostic doit être retenu ou non ; la décision d’entreprendre un jeûne de protestation nécessite un investissement émotionnel qui n’est pas exempt de conséquences psychologiques pour son auteur, quelle qu’en soit le déroulement et l’issue. Toutefois, la variation des critères d’inclusion à pour inconvénient que les statistiques relatives au jeûne de protestation ne sont pas toujours comparables ; à titre d’exemple, certains ne retiennent le diagnostic de jeûne de protestation que pour une durée minimale de 15 jours [43] ou encore s’il y a l’expression de motivations convaincantes de la part du jeûneur 87 .

 Profitant de la revue des registres infirmiers, nous avons relevé toutes les observations signalant soit un comportement auto-agressif, soit une forme de revendication (tentamen, ingestion de corps étrangers, agitation, etc.). Au total, 872 observations ont été relevées, tous cas confondus (jeûnes de protestation, autres refus alimentaires, comportements auto-agressifs et comportement revendicateurs).

 Afin de sélectionner les jeûnes de protestation réels selon le critère cité plus haut parmi les autres cas de refus alimentaire, nous avons utilisé un outil plus spécifique : l’étude des dossiers médicaux retrouvés à l’aide de la liste établie d’après les cahiers des infirmières.

B.2. Résultats

 Certains des résultats sont présentés dans le Tableau 6.

a) Casuistique
 
 La prison de Champ-Dollon est le principal centre de détention préventive du canton de Genève. Pour la période 1991-1995 inclus, on compte en moyenne 2300 entrées par an, avec un effectif moyen de 308.2 détenus et une durée de séjour moyenne de 48.7 jours.

 On dénombre 86 cas de jeûne de protestation (soit environ 17 cas par an en moyenne) pour la période du 1.01.1991 au 31.12.1995. Ceci correspond à 73 individus, certains ayant fait plus d’un jeûne de protestation. Parce que certaines données ne sont pas disponibles pour tous les détenus, les résultats suivants sont parfois calculés sur un plus petit échantillon. Les mentions N et n signalent respectivement que le sous-groupe étudié appartient au groupe des cas de jeûne de protestation ou à celui des jeûneurs eux-mêmes.

 Au cours de la période étudiée, une moyenne de 1.34% des détenus consultant au Service médical pendant une année entament un jeûne de protestation. Si l’on prévoit une consultation initiale, puis un suivi hebdomadaire, compte tenu de la durée moyenne des jeûnes, cela représente 0.16 % des consultations du Service médical. Pour rappel, certains des détenus n’entamant pas de jeûne de protestation, pris en charge par le service médical, sont suivis de manière fréquente et sur de longues périodes (p.ex. toxicomanes recevant de la méthadone quotidiennement) ; ces détenus représentent une grande partie de la charge de travail du service médical. En revanche, la plupart des jeûnes de protestation sont de brève durée.

 Comme cela vient d’être dit, le service médical a pris en charge en moyenne 17.2 cas de jeûne de protestation chaque année. En outre, durant la même période étudiée, une moyenne de 16 détenus par ans ont été pris en charge pour refus alimentaire ou non alimentation ne pouvant être attribué à un jeûne de protestation.

b) Age

L’âge moyen des jeûneurs est d’env. 35 ans au moment du début du jeûne. Les différents sous-groupes en fonction de l’âge des jeûneurs et les populations correspondantes à la prison de Champ-Dollon sont illustrés dans la Figure 1.

c) Sexe

 La proportion de femmes est de 4% (n=73). Pour comparaison, la population féminine moyenne est d’env. 10% parmi les détenus.

d) Identification des jeûnes de protestation

 Le détenu ne signale pas toujours qu’il a entrepris un jeûne de protestation. Pour être vus en consultation au Service médical, les détenus doivent faire une demande écrite. Dans les cas où un jeûneur ne se signale pas, il finit par être signalé par un témoin (un codétenu, un gardien, le Service médical lui-même à l’occasion d’une consultation pour un autre motif) et la consultation est alors proposée. Trente-six pour-cent de l’ensemble des jeûneurs recensés se signalent d’eux-mêmes (31 sur N=86). Pour 21 % (18 sur N=86) des cas, un témoin intervient pour signaler qu’un jeûne de protestation est en cours. Pour les 42 % restants (36 sur N=86), la personne signalant le jeûne n’est pas connue. Si l’on ne considère que les cas pour lesquels nous disposons d’une information relative à l’annonce du jeûne, 63% des détenus ont annoncé eux-mêmes leur action (N=49), les 37% restant étant signalés par un témoin. En résumé, nous estimons qu’entre 1/3 et 2/3 des détenus effectuant un jeûne de protestation le signalent d’eux-mêmes par une lettre (adressée directement au Service médical ou bien à un gardien, au gardien-chef, au directeur de la prison, au juge d’instruction ou à l’avocat, ceux-ci faisant ensuite parvenir une copie au Service médical).

 On dénombre 15 jeûnes de protestation identifiés par le personnel soignant du service de garde de nuit 88 , soit 21% des consultations initiales.

 Concernant l’inclusion de certains cas de refus alimentaire dans la catégorie des jeûnes de protestation, signalons le cas d’un détenu de la prison de Champ-Dollon 89 qui a effectué trois jeûnes de protestation, dont l’un durant 45 jours, avec à chaque fois un contexte fortement dépressif ; il a toutefois été inclus dans le groupe des jeûneurs, une revendication étant présente et l’état dépressif apparaissait comme une comorbidité (voir la notion de jeûne mixte, sous 5.A.2.d) Etats dépressifs). Dans neuf autres cas, les registres signalent un chantage de jeûne de protestation, qui n’a pas donné lieu à un jeûne effectif ; il est probable que le nombre de cas réel de chantages est sous-estimé, ceux-ci n’étant pas systématiquement relevés dans les registres ; ces menaces de jeûne de protestation n’ont pas été inclues dans la catégorie des jeûnes de protestation. On peut encore signaler un refus alimentaire par peur délirante d’être empoisonné, qui n’a pas non plus été inclus dans la population des jeûnes de protestation.

e) Déroulement chronologique

 La durée moyenne des jeûnes de protestation est de 11 jours (N=86). Lors de la première consultation, la durée du jeûne est habituellement signalée. En revanche, la date de fin du jeûne n’est pas connue dans certains cas, le patient n’étant plus revu en consultation. Pour ces cas, nous avons calculé la durée du jeûne en considérant qu’il a pris fin le jour de la dernière consultation (ce qui sous-estime la durée moyenne réelle des jeûnes). Si nous ne prenons en compte que les cas pour lesquels nous disposons des dates de début et de fin de jeûne (N= 67), la durée moyenne des jeûnes est un peu plus élevée, à 13 jours (min. 1 jour, max. 55 jours).

 Les détenus entamant un jeûne de protestation pendant leur détention à la prison de Champ-Dollon passent en moyenne 13% de leur temps de détention en train de jeûner. Ils ont été détenus en moyenne 274 jours (95% IC ±±82) (N=58). Ils entament leur jeûne après en moyenne 139 jours d’emprisonnement (95% IC±±51) (N=64), soit après que se sont écoulés 36.5% du temps de détention (95% IC±±10.3).

f) Récidives

 Les dossiers médicaux ou les détenus ne signalant pas systématiquement les antécédents de jeûne de protestation, il est difficile de mesurer le taux de récidive. Il faudrait d’ailleurs ne parler de récidive que si un nouveau jeûne de protestation chez un détenu donné est motivé par les mêmes revendications ou protestations que lors de l’épisode précédent ; dans les autres cas, il ne s’agit à proprement parler pas d’une récidive mais d’un cas distinct 90 . Cette distinction est d’autant plus difficile dans cette étude que les motifs des détenus sont mal connus. Huit des 81 cas de jeûne de protestation identifiés ne sont en tout cas pas des premiers épisodes puisqu’il concernent des détenus ayant déjà mené un jeûne durant la période étudiée. On peut dès lors estimer qu’au minimum 9.9% des jeûnes de protestation sont des récidives ou de nouveaux cas, plutôt que des premiers épisodes. Ce taux est probablement sous-évalué, certains détenus ayant déjà mené un ou plusieurs jeûnes de protestation avant la période étudiée, dans un autre établissement pénitentiaire ou éventuellement alors qu’il n’était pas détenu.

g) Complications 

Il n’y a pas eu de décès ou de jeûne de protestation collectif durant la période étudiée. D’ailleurs, il n’y aurait pas eu de tels cas auparavant selon les souvenirs des responsables actuels 91 . D’après J. Bernheim, les institutions genevoises n’ont connu aucun cas de jeûne menant à la perte de conscience (en tout cas jusqu’à 1977) [81].

h) Autres caractéristiques (partenaire-cible, motifs, issue du jeûne)
 
On ne dispose pas d’informations systématiques sur le partenaire-cible, les motifs, le taux succès et le type d’issues des jeûnes de protestation à la prison de Champ-Dollon ; il n’a de ce fait pas été possible de tirer des conclusions statistiques à ce sujet. De façon anecdotique, il semble que les jeûnes de protestation à motifs d’ordre personnels plutôt que communautaires ou politiques prédominent largement.

C. Les jeûnes de protestation au Quartier cellulaire de l’hôpital cantonal à Genève (QCH)

C.1. Méthode de récolte des données

 La recherche des cas de jeûne de protestation ayant nécessité une hospitalisation au QCH a été réalisée grâce à l’analyse du registre des entrées et des sorties tenu par le personnel soignant. Toutes les entrées et sorties du QCH y sont consignées avec le motif d’hospitalisation annoncé au moment du transfert. La période étudiée est du 1.01.1989 au 31.12.1995 ; elle diffère de celle concernant la prison de Champ-Dollon, du 1.01.1991 au 31.12.1995, en raison de la disponibilité respective des registres qui a été le facteur déterminant dans le choix des périodes étudiées.

 L’utilisation du registre des entrées et des sorties présente d’éventuels problèmes de sensibilité. Dans certains cas, un jeûne de protestation en cours a pu sembler d’une importance secondaire par rapport à un motif d’hospitalisation beaucoup plus aigu et sans relation avec le jeûne. Dans d’autres cas, le jeûne de protestation peut avoir commencé ou été annoncé pour la première fois après l’admission au Quartier cellulaire hospitalier. Le motif de certains cas de refus alimentaires n’étant pas explicite, ils peuvent passer initialement pour un problème purement somatique. En outre, la notion de jeûne de protestation n’est pas forcément consignée dans le registre des entrées/sorties, et certains cas pourraient ainsi échapper au recensement.

 On notera que tous les jeûnes de protestation du Quartier cellulaire hospitalier ne proviennent pas forcément de Champ-Dollon mais également d’autres centres de détention, principalement en Suisse romande 92 . En effet, le Quartier Cellulaire Hospitalier accueille, conformément aux dispositions réglementaires concordataires, tous les détenus résidant dans un établissement d’exécution de peine se trouvant sur le territoire des cantons romands et du Tessin, et nécessitant une prise en charge en milieu hospitalier.

C.2. Résultats
 
Certains des résultats sont présentés dans le Tableau 7.

a) Casuistique

 La période étudiée couvre 7 années. Nous avons recensé 25 hospitalisations au QCH pour jeûne de protestation. Ces cas correspondent à 24 cas de jeûne de protestation nécessitant une hospitalisation au QCH 93 , entrepris par 18 détenus individuellement 94 . Durant la même période, une moyenne de 152 détenus par an, soit plus de 1000 durant la période étudiée, ont été transférés au QCH, tous motifs confondus. Dans le cas de 6 détenus admis au QCH pour jeûne de protestation, il n’a pas été possible de retrouver de dossier médical pour préciser leurs caractéristiques. Les données suivantes font, sauf mention contraire, références aux 19 hospitalisations documentées, soit 13 détenus et 18 jeûnes de protestation 95 . Dans les statistiques relatives à la prison de Champ-Dollon, la base de calcul était le nombre d’épisodes de jeûne de protestation et/ou de détenus ayant entamé un jeûne, car leur suivi régulier conditionne l’activité du service médical ; pour le QCH, nous avons choisi comme référence principale le nombre d’hospitalisations pour jeûne de protestation plutôt que les détenus ou les épisodes de jeûne, car ce sont elles qui conditionnent l’activité de ce service.

 Ainsi, si l’on compte 24 cas de jeûne de protestation en 7 ans, ceux ci représentent 2.25 % des admissions au Quartier cellulaire hospitalier, représentant 3 % des journées d’hospitalisation. Ceci correspond à une incidence de 218 cas/100 000 nuitées ou 2256/100 000 détenus. En ne retenant que les 19 hospitalisations documentées formellement, les jeûnes de protestation représentent au moins 1.78 % des admissions au QCH.

b) Récidives

Les mêmes remarques que celles émises pour la prison de Champ-Dollon s’appliquent au taux de récidive chez les détenus admis au Quartier Cellulaire Hospitalier pour jeûne de protestation. Compte tenu que 13 détenus ont été admis à l’occasion de 19 hospitalisations le taux de réadmission pour jeûne de protestation serait d’environ 31 % (28 % si l’on fait référence aux 25 admissions recensées).

c) Age

 L’âge moyen est de 43.7 ans environ (de 21 à 61 ans, 95% IC ± 6, n=18).

d) Sexe, état civil et nationalité

 Les 19 hospitalisations concernent toutes des hommes. On compte 8 célibataires (42 %) mais pour au moins 2 de ceux-ci, il apparaît que la fiancée joue un rôle dans la crise ; 5 sont mariés (26 %) ; 5 sont divorcés (26 %) ; inconnu : 1.

 On recense 4 Suisses (21 %) ; 10 sont Français (53 %) ; on compte encore un Belge, un Portugais, un Algérien et un Kosovar ; inconnu : 1 (5 %).

e) Profession

 Les informations concernant la profession sont incomplètes ; il apparaît que dans plus de la moitié des cas, le détenu hospitalisé a une formation professionnelle (bijoutier, menuisier, mécanicien, électricien, coiffeur, assureur). Neuf sont des fumeurs (45 %) ; un seul affirme ne pas consommer d’alcool ; pour les autres, nous ne disposons pas d’information précises concernant les quantités d’alcool consommées ; une toxicomanie pour d’autres substances que le tabac ou l’alcool est signalée pour 3 des jeûneurs.

f) Etablissements pénitentiaires de provenance

 Dix détenus ont été directement transférés depuis la prison de Champ-Dollon (52 %), 7 depuis d’autres établissements pénitentiaires (Bois-Mermet (16 %), les Etablissements de la Plaine de l’Orbe (10 %), Lonay (5 %) ainsi que depuis un établissement de Suisse alémanique (5 %)) ; origine inconnue : 2 (10 %).

g) Types de jeûnes de protestation

 Dans 12 cas sur 19, le refus alimentaire concerne les liquides également, ne serait-ce que transitoirement. Il faut noter que la définition des limites du jeûne par le détenu est souvent vague et que, lorsqu’elle est précisée, ces limites présentent une grande diversité (p.ex. grève de la soif pas annoncée, prise d’eau réduite ou encore prise d’eau un jour sur trois).

 Aucun calcul n’a pu être effectuée concernant les motivations des jeûnes de protestation, les données étant trop disparates et portant sur un échantillon trop petit.

h) Déroulement chronologique

 Sur les 13 détenus qui ont fait au moins un séjour au QCH, 7 ont été admis au Quartier cellulaire hospitalier moins de 3 mois après le début de leur incarcération ; 6 après un délai supérieur. Dix sont inculpés ou condamnés pour des infractions pécuniaires (vol, cambriolage, hold-up, filouterie d’auberge), un pour infraction contre les moeurs ; le type d’infraction est inconnu pour les autres.

 La durée moyenne des jeûnes de protestation ayant été admis au Quartier Cellulaire Hospitalier est de 52.6 jours (de 4 à 138 jours, 95% IC ± 20) 96 .

 La durée moyenne d’hospitalisation au Quartier cellulaire en relation avec un jeûne de protestation est de 17 jours (de 1 à 100 jours, 95% IC ± 11), un des jeûneurs ayant été hospitalisé à deux reprises. En revanche, la durée de jeûne effectif en cours d’hospitalisation est de 11 jours (de -2 à 92 jours) ; dans 2 cas le jeûne a pris fin avant l’admission au Quartier cellulaire hospitalier et dans 5 cas le jour même de l’admission.

 Dans la plupart des cas, il est difficile de rapporter l’admission à un seul motif. Dans 5 cas, le motif d’hospitalisation indiqué est en rapport avec une déshydratation (déshydratation non spécifiée dans 2 cas, lipothymie dans un cas, insuffisance rénale aiguë dans 2 cas). Dans 1 cas, une réaction carcérale est invoquée, mais on notera que ce patient présentait également des signes de déshydratation. Dans 12 cas, un motif d’admission unique n’est pas indiqué, si ce n’est le jeûne de protestation sans autre précision. La plupart des patients admis pour jeûne de protestation présentent toutefois des complications de leur jeûne (voir paragraphe suivant « Evolution »). Il est encore plus difficile de déterminer d’après les dossiers comment la dynamique du conflit a influencé l’admission au QCH. Ainsi, bien que dans 7 cas le jeûne soit terminé au moment de l’admission, seuls 2 jeûneurs sont hospitalisés officiellement en vue d’une réalimentation (et dans ces cas le jeûne a pris fin le jour même de l’admission au Quartier cellulaire hospitalier).

i) Evolution

Les symptômes associés au jeûne comprennent le plus souvent une asthénie, des difficultés à se concentrer et des vertiges. De manière plus épisodique, les notes de suites des dossiers signalent diverses douleurs (douleurs de la région lombaire, de la gorge, de l’abdomen, courbatures, hyperesthésie jugale), des épigastralgies, des vomissements, des palpitations, des troubles du sommeil.

 Les signes cliniques et paracliniques fréquemment relevés sont la déshydratation, l’anémie, une insuffisance rénale aiguë et/ou une hypoglycémie. Dans certains cas on relève encore une leucopénie, une acidocétose, une hyponatrémie, une hyperkaliémie, une leucocyturie, une microhématurie, une lithiase rénale, une fissure anale, une sécheresse de peau, une mycose interdigitale, des signes de lyse hépatique et musculaire, et des troubles de la crase.

 La perte pondérale moyenne est de 9.8 kg (95% IC ± 4.15), soit 1.3 kg par semaine en moyenne, avec un poids de départ moyen de 70 kg (min. 55, max. 80, 95% IC ± 4). Le poids de départ le plus bas est de 60 kg. La taille moyenne est de 172 cm. Le BMI moyen est 24 kg/m2 (min. 20, max. 30, 95% IC ± 1.25).

j) Prise en charge

 Une réalimentation progressive est proposée aux jeûneurs pris en charge au Quartier cellulaire hospitalier : perfusions de solution glucosaline avec suppléments vitaminiques selon les carences du patient, repas fractionnés à base de lait, yaourt, potages de légumes, régime hyperprotéiné, complétés par des solutions nutritives (Méritène®, Gévral®) et l’utilisation occasionnelle d’antiémétiques, ou encore réalimentation de type postopératoire avec réintroduction tardive des laitages. La méthode peut toutefois varier selon le médecin responsable. Pour autant que le patient soit conscient, son refus éventuel de la réalimentation est respecté. Il apparaît rarement qu’un détenu signale expressément ne pas vouloir être réanimé en cas de perte de connaissance ; dans un cas, il a été expliqué que sa demande ne pouvait être acceptée. On ne note cependant pas de cas où l’état du patient à nécessité de prendre des mesures médicales contre la volonté exprimée par le patient.

 Dans certains cas, le patient accepte d’être perfusé sans toutefois renoncer à son jeûne. D’une manière générale, ces perfusions sont proposées lorsque le patient fait également une grève de la soif ; dans l’un de ces cas, l’administration intraveineuse de solution de glucose 5 % a duré plusieurs semaines.

 Souvent, les médecins responsables tentent de faciliter les démarches et les contacts du jeûneur avec le partenaire-cible, sans toutefois prendre parti. Ils agissent en qualité de médiateur neutre cherchant à permettre l’établissement d’un compromis honorable pour les deux parties et pouvant aboutir à l’interruption du jeûne de protestation.

 Tous les jeûneurs hospitalisés au QCH ont interrompu leur jeûne de protestation avant la survenue de complications graves, par décision des jeûneurs eux-mêmes. Certains des patients (n=7) s’estimaient satisfaits de la situation ; les revendications initiales n’étant pas décrites précisément, il est difficile de vérifier dans quelle mesure elles ont été atteintes, mais il semble que les patients se contentent de compromis leur permettant d’interrompre leur jeûne sans perdre la face. D’autres jeûneurs (n=7) avouent au contraire renoncer en raison du manque de résultats ; dans les cas restants (n=4), on ne dispose toutefois pas d’information sur l’issue du conflit.

D. Le jeûne de protestation à la prison des Baumettes à Marseille (France)

D.1. Thèse en droit de G. Casile

 Nous avons cherché une source de données épidémiologiques sur le jeûne de protestation afin d’avoir un point de comparaison pour les données mises en évidence dans les institutions genevoises. Le choix de l’étude de Casile [10] est en partie imposé par le manque de données épidémiologiques concernant le jeûne de protestation dans la littérature internationale. Il se trouve qu’il s’agit d’un travail assez complet, reprenant certaines des variables étudiées à Genève et portant sur une période relativement proche de celle couverte dans notre propre étude. Cette étude concerne un établissement de plus grande dimension que la prison de Champ-Dollon ; en revanche, il s’agit également d’un établissement destiné à la détention préventive, même s’il détient bien sûr une forte proportion de condamnés en attente de transfert. Enfin, il s’agit d’un établissement en France, qui est l’un des pays choisis pour l’analyse de la prise en charge du jeûne de protestation (voir 6.C.2.b).

D.2. Informations épidémiologiques

 Les informations concernant la population de la prison des Baumettes de Marseille et les jeûnes de protestation à la prison-hôpital des Baumettes concernent, sauf mention contraire, la période 1975-1983 inclusivement.

 En moyenne 5742 détenus sont incarcérés chaque année à la prison des Baumettes, comprenant 62.6% de prévenus et 37.4% de condamnés. La population moyenne est de 1668 détenus. La durée moyenne de détention par détenu est estimée, sur la base des chiffres à disposition, à environ 108 jours. La nationalité des détenus, connue pour les 1ers janvier 1981 et 1982, comprend en moyenne 72% de Français et 28% d’étrangers. Sur la base des données au 1er janvier 1982, l’effectif des détenus de la prison des Baumettes représente environ 10% de celui pour la France métropolitaine, à savoir 11.8% des détenus des maisons d’arrêt et 9.5% de l’ensemble des détenus si on tient compte également des établissements pour peines.

 Casile dénombre 395 cas de jeûnes de protestation sur la période étudiée, soit environ 44 cas par an en moyenne. On peut ainsi calculer une incidence de 0.76 % des incarcérations, ou 2638/100 000 détenus (population quotidienne moyenne). Pour la France métropolitaine de 1982 à 1986, les jeûnes de protestation représentent 1.92 % des entrées (correspondant à une tendance à la hausse des cas durant cette période [5, p. 101]). La variation saisonnière du nombre moyen de cas est connue, les données figurent dans le tableau comparatif entre Champ-Dollon et la prison-hôpital des Baumettes (Figure 2).

D.3. Comparaison entre la prison de Champ-Dollon et la prison-hôpital des Baumettes

 Les données concernant la prison-hôpital des Baumettes sont le plus souvent divisées en deux sous-groupes, les prévenus (62.6%) et les condamnés (37.4%). Dans les institutions genevoises, le statut des jeûneurs recensés n’est pas connu de façon certaine ; à la prison de Champ-Dollon, les prévenus représentent 57% de l’effectif total des détenus et les condamnés 43% 97 .

 En ce qui concerne le taux d’occupation des deux établissements, l’effectif moyen à la prison des Baumettes est 5.4 fois plus grand que celui de la prison de Champ-Dollon, le nombre moyen d’entrées par an est 2.5 fois plus grand et la durée de séjour est 2.2 fois supérieure. L’effectif moyen et le nombre d’entrées plus élevés s’expliquent simplement par la différence de taille entre les deux établissements pénitentiaires. La durée de séjour plus élevée est plus difficile à expliquer, d’autant que la proportion de condamnés par rapport aux prévenus n’est pas plus élevée à la prison des Baumettes qu’à la prison de Champ-Dollon. On peut émettre les hypothèses, qui restent à vérifier, que les procédures judiciaires sont plus longues en France qu’en Suisse, et/ou que les détenus condamnés sont plus vite transférés de la prison de Champ-Dollon ou restent sur place lors de condamnations plus brèves qu’à la prison des Baumettes.

 La proportion de ressortissants nationaux parmi les détenus est inversement proportionnelle à la prison de Champ-Dollon (environ ¼ de citoyens suisses) et à la prison-hôpital des Baumettes (environ ¾ de citoyens français).

 Le taux de jeûne de protestation rapporté au nombre d’entrées est très proche à Champ-Dollon et à la prison des Baumettes (respectivement 0.76 et 0.74%, risque d’erreur bb = 14.5%). Sur cette base, on peut estimer l’incidence annuelle du jeûne de protestation à environ 760/100 000 nouvelles incarcérations, dans les deux établissements. On pourrait s’attendre à ce que l’incidence de démarches revendicatrices soit plus élevée dans un établissement français, les mouvements de grève et les conflits sociaux étant plus fréquents qu’en Suisse, pour des raisons culturelles et historiques. Il est possible que l’incidence aux Baumettes soit sous-estimée, certains jeûnes très brefs n’ayant peut-être pas été recensés. Par ailleurs, un phénomène de sous-culture carcérale et d’adaptation au système, propre cet établissement, pourrait expliquer une moins grande fréquence des comportements revendicatifs, en particulier la démarche périlleuse que représente le jeûne de protestation 98 . L’incidence plus faible du jeûne de protestation à la prison des Baumettes par rapport à la moyenne nationale conforte cette hypothèse.

 D’après les données disponibles, on peut établir la variation mensuelle de l’incidence des cas de jeûne de protestation, à la prison de Champ-Dollon et la prison-hôpital des Baumettes, illustrée dans la Figure 2.

 On peut encore mentionner les données rapportées par Larkin [35], qui a étudié de façon rétrospective les caractéristiques épidémiologiques de 49 cas de refus alimentaires chez 39 détenus d’une prison préventive (remand prison) d’un effectif moyen de 595 détenus, durant une période de 9 ans allant de 1978 à 1986. Les détenus ont en moyenne 32 ans (20-56). On peut estimer le nombre moyen de cas de refus alimentaire à environ 5.4/an et l’incidence à 915/100 000 détenus 99 par an. Il est toutefois difficile d’établir des comparaisons avec les données genevoises et marseillaises, car on ne sait pas dans combien de cas le diagnostic de jeûne de protestation serait retenu, par rapport à ceux où les co-morbidités psychiatriques semblaient prépondérantes. Parmi les 39 détenus connus pour avoir présenté un refus alimentaire, 10 dossiers n’ont pu être obtenus, l’évaluation psychiatrique n’étant pas disponible chez 4 autres ; parmi les 25 détenus restant, 9 ne présentent pas d’affection psychiatrique, sans qu’il soit précisé chez combien des détenus la capacité de discernement a été reconnue. Enfin, les moyens employés pour retrouver de façon rétrospective les cas de refus alimentaire ne sont pas précisés.

E. Les moyens d’expression des détenus à la prison préventive de Champ-Dollon

 La recherche des cas de jeûnes de protestation à la prison de Champ-Dollon a permis de passer en revue environ 32000 observations écrites du personnel soignant sur une période légèrement supérieure à 5 ans, résultant de certaines des 16500 consultations annuelles en moyenne. Ceci permet de dresser la liste des différents modes d’expression, en particulier ceux mettant en jeu le corps, pour la plupart auto-agressifs, avec ou sans revendication, tels qu’ils se sont présentés à la prison préventive de Champ-Dollon de 1991 à 1995, et d’évaluer la fréquence de certains d’entre eux. Certains des résultats chiffrés sont présentés dans le Tableau 8.

 Les moyens d’expression des détenus comprennent officiellement les demandes orales et écrites déposées auprès de l’autorité pénitentiaire ou judiciaire, ou encore celles faites par l’intermédiaire de tierces personnes, notamment le mandataire juridique. Toutefois, pour diverses raisons (mauvaise connaissance, difficultés à utiliser les voies officielles ou échec prévisible de celles-ci, psychopathologies), les moyens d’expression des détenus sont souvent d’ordre non verbal.

 Les moyens d’expression utilisant le corps ou à proprement parler auto-agressifs sollicitent parfois le service médical, motivés par la demande de certains traitements (en particulier sédatifs, anxiolytiques, méthadone) ou une amélioration du traitement. Pour certains, c’est la simple expression d’un désespoir, une demande d’attention de la part des codétenus, des proches, de l’autorité carcérale ou du service médical, se substituant parfois à une demande de consultation. C’est alors un moyen de quitter la cellule et d’être traité différemment. Certains gestes sont animés par une revendication dans un but précis. Certains comportements revendicateurs qui n’impliquent pas un geste auto-agressif sont ici regroupés avec les autres vu le continuum de comportements allant du geste auto-agressif sans revendication à la revendication sans auto-agression. Tous ces comportements ont un rapport avec le jeûne de protestation qui met en jeu le corps de manière auto-agressive et y associe une revendication.

 On peut distinguer quatre grandes catégories de comportements mettant en jeu le corps : les troubles du comportement, les gestes directement auto-agressifs, les refus de médicaments, de traitements ou de suivi par le Service médical, et les simulations de maladies.

 Les événements relevés dans les registres du service médical à la prison de Champ-Dollon sont les suivants :

Gestes directement auto-agressifs : tentamen par lésions cutanées (dermosection poignet/abdomen, veinosection, griffosection), strangulation, sac sur la tête, intoxication (alcool, médicaments, héroïne, toxiques divers), brûlure ; ingestion de corps étranger (manche de fourchette ou de cuiller, cuiller, lames de rasoir, clous, aiguilles, fragments métalliques, briquet, pile), électrocution.
Troubles du comportement : réaction carcérale ; se déshabiller, taper des poings, se taper la tête contre les murs ; mutisme, refus de promenade ; démolition du mobilier cellulaire, incendie en ou hors cellule, manque d’hygiène, emploi d’excréments ; état d’agitation (cris, violences), abus de la sonnette, attaque de panique avec hyperventilation, tétanie ; « crise convulsive », perte de connaissance.
Simulations supposées : symptômes évocateurs de malaise, épilepsie, asthme ou coronaropathie.
Refus de traitement : insuline, suture.
 On relève encore dans les registres des références à des modes de revendication ne mettant pas directement en jeu le corps du détenu : plainte par lettre, pétition, demande de constat de coups et blessures ; chantage par menace de gestes auto-agressifs, prise d’otage, agression de gardien ou de codétenu, démolition de mobilier hors cellule (p.ex. Service médical).

 Les vénosections, dermosections, et autres gestes auto-agressifs démonstratifs étaient extrêmement fréquents en 1991 (env. 1 cas tous les jours ou 2 jours), souvent réalisés par des toxicomanes et pour des avantages médicaux ou pénitenciers plutôt que judiciaires 100 . Suite à une nouvelle politique consistant à suturer et panser la lésion mais refuser par principe de répondre à toute demande associée (notamment de médicaments), la situation a été tendue lors des six premières semaines, surtout avec les gardiens, puis on a noté une diminution du nombre de cas à environ un ou deux cas par mois, grâce à l’information transmise aux nouveaux détenus par les anciens. Les fouilles de cellules donnent une idée des substances qui circulent malgré tout entre détenus 101 .

 Tout comme certains refus alimentaires sans revendication peuvent passer pour un jeûne de protestation, certains gestes auto-agressifs peuvent être mal interprétés. On note ainsi le cas de détenus de la prison de Champ-Dollon se « tailladant » pour « mélanger leur sang et devenir frères de sang », et initialement identifiés par le personnel pénitentiaire comme des cas de tentamens.

 Les conséquences possibles de ces comportements auto-agressifs sur la santé physique sont multiples. Celles répertoriées à la prison de Champ-Dollon comprennent : plaies cutanées, fracture d’un métacarpien, intoxication, nécessité d’un transfert en milieu psychiatrique. Enfin on note plusieurs décès, par overdose, ou étouffement avec un sac ou par strangulation.

F. Interprétation des données

F.1. Caractéristiques épidémiologiques des populations carcérales

a) Age

 L’âge moyen des jeûneurs est de 43.7 ans au Quartier cellulaire hospitalier et de 35 ans à la prison de Champ-Dollon. Dans les deux cas, il est plus élevé que la moyenne d’âge des détenus. On peut supposer qu’une certaine maturité contribue à ce qu’un détenu exprime une revendication au travers d’un jeûne de protestation, plutôt que par d’autres gestes auto-agressifs, souvent plus impulsifs et brefs.

b) Sexe

 On trouve proportionnellement plus d’hommes menant un jeûne de protestation que de femmes à la prison de Champ-Dollon, et aucune femme n’a été hospitalisée au Quartier Cellulaire Hospitalier pour jeûne de protestation durant la période étudiée. En revanche, pour certains comportements auto-agressifs (dermosections), les femmes sont proportionnellement plus représentées.

 Il est difficile, dans le cadre d’une étude rétrospective, de tirer des conclusions à ce sujet. Des entretiens avec des détenus au moment même d’un jeûne de protestation, ainsi que dans un groupe témoin, permettrait de mieux préciser la personnalité, les motivations et la réflexion des jeûneurs, et d’en tirer des conclusions quant aux différences observées. On peut également émettre des hypothèses sur la base de différences comportementales entre hommes et femmes dans d’autres contextes, ce qui dépasse le cadre de ce travail.

 Spécifiquement au contexte carcéral, l’incarcération mène à une séparation des sexes et à la prison de Champ-Dollon les femmes constituent une communauté relativement petite. De ce fait, on peut émettre l’hypothèse que les hommes ont plus facilement et rapidement au cours de leur détention des informations sur les jeûnes de protestation, par le contact avec d’autres détenus, et de ce fait entreprennent plus facilement une telle démarche.

c) Etat civil

 L’état civil semble jouer un rôle peu significatif ; ainsi dans deux cas de jeûne de protestation (sur les 19 étudiés au QCH), la « fiancée » du détenu joue un rôle non négligeable, apparaissant comme le partenaire-cible. En revanche, vu le manque de données, ce facteur reste difficile à interpréter. On n’a pas, par exemple, suffisamment d’informations à disposition pour apprécier le rôle éventuellement dissuasif joué par l’état civil (d’être marié et/ou avoir des enfants), impliquant une responsabilité sociale vis-à-vis d’autrui.

d) Nationalité
 

Les aspects culturels en rapport avec la nationalité sont susceptibles d’influencer la population des jeûneurs. Une méconnaissance des procédures légales par les ressortissants étrangers peut amener plus souvent ceux-ci à des actions dramatiques. De plus, un certain nombre de ressortissants étrangers sont des requérants d’asile, issus de pays où ils ont peut-être déjà entrepris des jeûnes de protestation avant de se résoudre à l’exil. L’influence de la nationalité sur la fréquence des jeûnes de protestation semble toutefois relativisée par la similarité de fréquence du jeûne de protestation entre la prison de Champ-Dollon et celle observée à la prison des Baumettes, en dépit d’une différences importantes dans la répartition entre détenus nationaux et étrangers.

e) Provenance

 Les détenus hospitalisés au Quartier Cellulaire Hospitalier pour jeûne de protestation proviennent de diverses institutions pénitentiaires, mettant en évidence le rôle que joue cette structure au niveau romand.

f) Caractéristiques non étudiées de la population des jeûneurs
 
Certaines caractéristiques de la population des jeûneurs n’ont pas été étudiées ici. Citons entre autres la catégorie pénale du détenu, la nature de l’infraction, le type de procédure pénale en cours, la peine éventuellement prononcée, le niveau d’instruction, la filiation, le domicile, la situation professionnelle, civile et familiale, la religion, les antécédents pénitentiaires, les antécédents de jeûne de protestation. Pour ceci, il faudrait extraire les dossiers administratifs d’écrou et judiciaires des détenus.

 Toutefois, l’étude de plusieurs de ces caractéristiques, dans la thèse de G. Casile [10], n’a pas montré d’influence significative sur les caractéristiques propres au jeûne de protestation. E. Larkin ne constate pas non plus de différence significative entre le sous-groupe des détenus considérés comme psychotiques (n=6) par rapport à l’ensemble des détenus présentant un refus alimentaire (n=29), du point de vue de l’âge, l’ethnie, le type de délit, les caractéristiques psychosociales et la perte pondérale [35].

F.2. Caractéristiques épidémiologiques des jeûnes de protestation

a) Incidence du jeûne de protestation dans la population carcérale

 La comparaison des statistiques sur le jeûne de protestation à la prison des Baumettes à Marseille et à la prison de Champ-Dollon met en évidence une incidence comparable des jeûnes entre ces deux institutions. Parmi les autres pays étudiés, seuls les Pays-Bas ont pu fournir des chiffres relatifs au nombre de cas [voir Annexe C.2.e)] ; ne connaissant pas exactement les populations carcérales totales concernées, il n’est pas possible d’établir de comparaison. On note toutefois d’année en année une très grande variabilité des chiffres rapportés aux Pays-Bas ; on ne retrouve pas une telle amplitude de variations ni à la prison des Baumettes ni à la prison de Champ-Dollon.

 L’incidence estimée plus haut des jeûnes de protestation à la prison de Champ-Dollon et aux Baumettes est d’environ 760/100 000 nouvelles incarcérations par an 102 , ou encore 5584/100 000 nuitées par an 103 à la prison de Champ-Dollon. Afin d’apprécier si les jeûnes de protestation sont relativement fréquents, on peut comparer leur incidence à celles d’autres pathologies générales, rapportée à une population donnée. Ainsi, des enquêtes menées à la prison de Champ-Dollon entre 1983 et 1987 fournissent des informations sur la prévalence de certaines affections très fréquentes en médecine pénitentiaire : plus du tiers des détenus sont dépendants de drogues, 15% du total dépendant de l’alcool et 30% prenant habituellement des tranquillisants mineurs, 35% faisant état de troubles psychiques et mentaux, 50% s’il l’on estime le nombre de détenus présentant un trouble de la personnalité 104 . Aux Etats-Unis d’Amérique, on rapporte une prévalence de 10 à 25% de tuberculose 105 . Il s’agit toutefois de taux de prévalence d’affections chroniques, difficiles à comparer avec le jeûne de protestation, qui par définition ne peut être chronique et dont la prévalence est de ce fait moindre.

 Il est en revanche malheureusement difficile de trouver des informations épidémiologiques précises en médecine pénitentiaire, en particulier l’incidence de diverses affections en milieu carcéral. En effet, bien que la santé et l’équivalence des soins médicaux soit une priorité à la réalisation du droit des prisonniers, la médecine pénitentiaire reste le parent pauvre de la littérature médicale, n’étant souvent pas encore considérée comme partie intégrante du système médical, des services de santé et des facultés de médecine [2]. En outre, les études portant sur des populations séjournant dans des institutions (prisons, hôpitaux psychiatriques, etc.) emploient fréquemment des unités de mesures différentes pour l’incidence de certaines affections 106 , parfois sans que cela soit précisé (voir la revue par J. Batten [82]des études relatant des taux de suicides dans des institutions pénitentiaires et psychiatriques).

 On connaît toutefois l’incidence des décès dans les institutions pénitentiaires genevoises grâce au travail de thèse de L. Zega [83]. Pour la période allant de 1977 à 1992 on recense 35 décès (soit 2.4/an en moyenne), dont 25 suicides (soit 1.7/an ou encore une incidence de 633/100 000 nuitées par an). On note que l’incidence relevée est considérablement plus élevée que celles rapportées dans la littérature internationale [83] ; ainsi, si l’on se réfère à la revue de la littérature de J. Batten [82], le taux de suicide à la prison de Champ-Dollon est plus proche des taux retrouvés dans des hôpitaux psychiatriques que dans des institutions pénitentiaires 107 .

 Diverses études étudient l’incidence des nouveaux cas de tuberculose active, l’une rapportant un taux de 20 108 à 58 109 /100 000 détenus dans les prisons de l’état américain du Maryland 110 [84], une autre rapporte une incidence de tuberculose de 184/100 000 détenus 111 dans une prison californienne en 1991 [85], une autre encore signale des taux de 105 et 156/100 000 détenus en 1986 et 1991 respectivement dans les institutions pénitentiaires de l’état de New York [86]. Une étude estime l’incidence des séroconversions pour le VIH à 0.6/100 individu-années 112 , chez des femmes détenues incarcérées à plusieurs reprises dans la prison de l’état américain de Rhode Island (le test étant effectué lors de chaque incarcération et la contamination ayant pu survenir en dehors de la prison) [87]. Une étude évalue l’incidence de la syphilis dans la population carcérale féminine des prisons de la ville de New York (1993-1997) entre 4.1 et 6.5/100 femme-années 113 suivant les critères retenus [88].

 Les données épidémiologiques en médecine pénitentiaires soient relativement peu nombreuses et souvent difficilement comparables (p.ex. années et périodes d’observation, types d’institutions pénitentiaires variables, législations, règlements pénitentiaires et organisation des services de santé très différents d’un pays à l’autre, données spécifiques à certaines sous-populations carcérales (p.ex. femmes, toxicomanes)). Il apparaît toutefois que le jeûne de protestation est un problème classique de médecine pénitentiaire non seulement en raison de ses spécificités mais également par sa fréquence (incidence relativement élevée, proche de celle d’affections déjà connues pour être parmi les plus fréquentes en médecine pénitentiaire).

b) Variabilité saisonnière

 La Figure 2 montre la variabilité saisonnière de l’incidence du jeûne de protestation à la prison de Champ-Dollon et à la prison-hôpital des Baumettes. On peut émettre l’hypothèse que des facteurs contextuels influencent l’incidence du jeûne de protestation (p.ex. ralentissement des procédures durant la période estivale, reprise de l’activité judiciaire par la suite). Il semble toutefois difficile de tirer des conclusions à partir des données à disposition. Les grandes variations dans l’incidence des cas à la prison de Champ-Dollon sont probablement plutôt aléatoires en raison des effectifs faibles. En effet, les données pour la prison-hôpital des Baumettes, portant sur un effectif plus important, donnent également une courbe en dents de scie, mais avec une moins grande amplitude de variations d’un mois à l’autre.

c) Diagnostic différentiel

 Lorsqu’un détenu est signalé ou identifié par le service médical pour non alimentation, il s’agit près d’une fois sur deux (51.8 %) d’un jeûne de protestation. Les autres cas, au nombre de 85, représentaient le diagnostic différentiel du jeûne de protestation.

 Une anorexie d’origine psychologique est invoquée dans 48 cas. Dans ces cas, l’anorexie est le plus souvent un symptôme de dépression (identifiée à 31 reprises) ou d’anxiété (identifiée à 11 reprises), parfois en association. Dans plusieurs cas, le contexte d’isolement (cachot, séparation familiale, n=5) ou juridique (n=7) semble jouer un rôle important. Trois détenus présentent un délire, l’un mystique, les 2 autres avec une crainte pathologique d’un empoisonnement, expliquant le refus alimentaire. On note en outre 4 cas de toxicomanes signalés pour une anorexie dans le cadre d’un sevrage. Certains cas présentent d’autres symptômes gênant l’alimentation, d’origine psychosomatique ou purement somatique suivant les cas, tels que des troubles digestifs (vomissements (n=12), épigastralgies, constipation, coliques), douleurs, contexte infectieux (fièvre, VIH, grippe). Chez 4 détenus, des raisons religieuses (p.ex. Ramadan) expliquent en partie le refus du plateau qui avait fait solliciter le service médical. Trois détenus signalent des difficultés d’alimentation en raison de la qualité de la nourriture servie à la prison, parfois pour des raisons culturelles. Dans des cas plus rares, sans que l’on puisse parler de jeûne de protestation à proprement parler, le refus alimentaire relève de motivations plus spécifiques (l’un semble rechercher un transfert au Quartier Cellulaire Hospitalier, une autre dit jeûner solidairement pour souffrir en même temps que son enfant). Dans 17 cas, les raisons de la non alimentation n’ont pu être déterminées.

d) Durée des jeûnes de protestation

 Les détenus effectuant un jeûne de protestation recensés à la prison de Champ-Dollon passent en moyenne 13% du temps de leur détention en jeûnant.

 Le jeûne de protestation motive proportionnellement plus de journées d’hospitalisations que d’admissions au Quartier Cellulaire Hospitalier, en comparaison des autres motifs d’hospitalisation. Ceci s’explique par le fait que les hospitalisations pour jeûne de protestation (16 jours en moyenne) sont de plus longue durée que les hospitalisations pour d’autres motifs (voir la Figure 3 illustrant les différences dans la répartition des jeûnes de protestation en fonction de leur durée). La connaissance des motifs d’admission au QCH permettrait éventuellement d’identifier certaines pathologies courantes nécessitant des hospitalisations de brève durée, diminuant la durée moyenne des séjours. On peut toutefois supposer que les admissions pour jeûne de protestation entraînent réellement des séjours plutôt longs. En effet, s’il s’agit de réalimenter un patient dénutri, l’observation nécessitera plusieurs jours. Plus encore, l’étude des cas met en évidence le rôle de l’hospitalisation pour tenter de débloquer certaines situations dans l’impasse, l’hospitalisation ne dépendant pas de l’état physique du patient mais du succès des négociations entreprises entre le jeûneur et le partenaire-cible. Enfin, certains détenus, poursuivant leur jeûne alors qu’ils reçoivent des perfusions, entraînent des hospitalisations particulièrement longues et augmentent la moyenne des durées de séjour pour jeûne de protestation.

e) Délai entre incarcération et début du jeûne

 On constate que plus l’incarcération est longue, plus le jeûne aura été entrepris tardivement. Il peut s’agir de deux populations de détenus avec des revendications différentes (p.ex. contestation de l’inculpation vs contestation de la condamnation). Une autre hypothèse serait que le jeûne ait en général un certain effet sur la détention, amenant un changement de situation (libération provisoire, raccourcissement de la peine, transfert dans un autre établissement provoqué ou retardé par le jeûne).

f) Moment du signalement

 Le jeûne de protestation étant a priori une démarche solennelle et réfléchie, on supposerait qu’un nouveau jeûne soit clairement annoncé en cours de journée. Or, il est intéressant de noter que 20 % des cas sont identifiés lors du service médical de nuit. On peut émettre les hypothèses suivantes quant aux circonstances de l’annonce d’un jeûne de protestation : le jeûne peut être découvert avant que le détenu, qui testait sa résistance, n’ait eu l’occasion de l’annoncer ; de la même façon, le jeûne est peut-être annoncé ou suspecté à l’issu du premier jour de jeûne, après que le détenu a renoncé avec succès à trois repas ; un refus alimentaire (dépression, jeûne religieux) peut se muer en jeûne de protestation au moment où sa découverte inquiète l’entourage ; méconnaissant les procédures ou la langue, le détenu ne sait parfois pas à qui il peut s’adresser.

g) Complications des jeûnes de protestation

 On constate une perte d’environ 1.3 kg/semaine en moyenne. Les données figurant à cet égard dans la littérature mentionnent des pertes pondérales plus importantes (voir 5.B.). Pourtant, la population étudiée ici comprend beaucoup de jeûnes brefs, et la phase initiale de perte de poids rapide devrait proportionnellement plus influencer la perte pondérale moyenne. Toutefois, on compte quelques jeûnes prolongés avec une perte de poids qui se stabilise, au point de faire douter de la réalité du jeûne. De plus, nombre des jeûnes de protestation étudiés ne sont pas des jeûnes complets, contrairement aux modèles théoriques et expérimentaux rapportés dans la littérature.

 Rappelons à ce sujet que le BMI moyen au début des jeûnes de protestation étudiés est de 24 kg/m2, soit dans la norme. On aurait pu émettre l’hypothèse que les détenus obèses entreprennent plus souvent un jeûne de protestation ; en effet, leur excès de poids leur donne de meilleures chances de succès puisque le jeûne est susceptible de durer plus longtemps ; de plus, le jeûne peut sembler moins risqué, d’autant qu’au début la perte de poids est médicalement recommandable ; en outre, des études menées lors de jeûnes thérapeutiques montrent une perte pondérale moins rapide chez l’obèse [58]. Toutefois le BMI moyen de 24 ne soutiennent pas cette hypothèse. Une explication à cela serait que le BMI moyen de la population carcérale soit significativement plus bas que celui de la population générale ; ce serait alors plutôt un poids de départ bas qui découragerait certains détenus d’entreprendre un jeûne.

 Les dossiers des patients rapportent beaucoup de symptômes mais peu de complications significatives ou irréversibles, et pas de séquelle physique grave ni de décès durant la période étudiée 114 . Les conséquences psychologiques du jeûne et de son éventuel succès ou échec ne sont probablement pas anodines. Le jeûne est une démarche éprouvante du point de vue émotionnel et physique et, en cas d’échec, le problème ayant suscité la revendication persiste. Certaines organisations promouvant le jeûne de protestation comme moyen d’action non violente y voient toutefois une possibilité d’enrichissement personnel d’un point de vue spirituel [27]. Quoi qu’il en soit, les conséquences psychologiques n’ont pu être appréciées sur la base des données collectées.

 Certains cas de décès sont occasionnellement signalés dans la presse internationale, outre les cas de jeûnes de protestation à motivation politique bien connus. L’un d’entre eux, survenu en France, a concerné un homme disant mener un jeûne de protestation, mais présentant également des troubles psychiatriques ; on note dans ce cas des difficultés à déterminer la capacité de discernement et une mauvaise appréciation de l’état de santé du détenu par les services médicaux [89].

h) Succès des jeûnes de protestation

 Vu l’absence d’information systématique dans les dossiers sur les motifs exacts du jeûne de protestation et vu que les registres judiciaires n’ont pas été inclus dans l’étude, il n’est pas possible de dire dans quelle mesure les détenus entreprenant un jeûne de protestation ont obtenu gain de cause. Pour ce qui est des aspects relationnels, il apparaît de manière anecdotique (d’après les dossiers du QCH) que le juge semble souvent peu enclin à donner suite à la revendication du jeûneur ; en revanche, un autre citoyen, passant du rôle de témoin à celui de partenaire-cible en lieu et place de l’autorité, sera plus influençable 115 .

 Il apparaît, également de manière anecdotique, que le jeûneur renonce souvent après la visite de son avocat. En revanche, nous n’avons pas analysé plus précisément le rôle de celui-ci.

i) Détenus et citoyens libres

 Nous ne disposons pas d’instrument aussi sensible que les cahiers d’observations des infirmières pour dépister les jeûnes de protestation chez les citoyens libres (seul les jeûnes d’une certaine durée ou sortant de l’ordinaire (situation tragique, personnalité célèbre) sont habituellement rapportés dans les media). L’incidence des jeûnes de protestation dans une population de détenus semble nettement plus élevée que dans la population générale, et ce avec une durée moyenne probablement plus courte.

 Il a été mentionné plus haut le rôle de témoin tenu par les média lors de jeûnes de protestation menés par des citoyens libres, alors que ce rôle incombe entre autres et souvent en première ligne au médecin et au service médical lorsqu’il s’agit de citoyens en détention. Le recours des détenus jeûneurs au media et à l’opinion publique semble moindre mais il n’est pas possible de l’évaluer avec précision. On sait toutefois que c’est parfois le cas. A titre d’exemple, Walter Sturm, en raison de son action revendicatrice, a su intéresser les media, entre autres lors de ses jeûnes de protestation[90].