Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
Lettre 153 Prison de Turi, 24 octobre 1932

Publié le vendredi 29 avril 2005 | https://banpublic.org/lettre-153-prison-de-turi-24/

Prison de Turi, 24 octobre 1932

Très chère Julie,

J’ai reçu tes lettres du 5 et du 12 octobre avec la petite lettre de julien et les trois photographies qui m’ont plu beaucoup. Il me semble que ce soit la première fois que je réussisse à me rendre compte de la personne physique de julien bien que les photographies ne soient pas techniquement satisfaisantes. Et julien me paraît être un bambin très beau même physiquement : cela se voit, à mon sens, particulièrement lorsqu’il est photographié dans un groupe, près de toi qui, au contraire, as été très mal prise. Je suis content qu’il ait voulu m’écrire ; je ne sais ce qu’il faut lui répondre pour ce qui regarde ma photographie. Peut-être as-tu une photographie de moi ? Il est vrai que depuis j’ai beaucoup changé et il me semble que ce serait tromper le bambin en lui donnant une photographie d’il y a dix ans. A présent, j’ai beaucoup de cheveux blancs et le manque de dents doit avoir beaucoup modifié mes traits (je ne puis en juger exactement parce que depuis quatre ans et demi je ne me suis pas vu dans une glace et en ce laps de temps j’ai dû beaucoup changer). J’ai été intéressé par ce que tu m’as dit de Delio écolier, de son caractère sérieux qui n’empêche pas un certain amour de la gaîté. Je ressens le regret poignant de n’avoir pas pu participer au développement de la personnalité et de la vie des deux enfants ; et pourtant je devenais vite l’ami des enfants et je réussissais à les intéresser. Je me souviens toujours de la petite-fille de ma logeuse à Rome ; elle avait quatre ans et elle avait un nom difficile à prononcer, pris qu’il était au vocabulaire turc. Elle n’arrivait pas à ouvrir la porte de ma chambre de laquelle elle s’approchait en cachette parce que sa grand-mère lui avait dit qu’il ne fallait pas me déranger, parce que j’écrivais toujours. Elle frappait tout doucement, timidement et lorsque je demandais : « Qui est là ? » elle répondait : « - Stlivi ? Tu veux t’amuser ? », puis elle entrait, tendait sa joue vers moi pour que je l’embrasse et elle voulait que je lui fisse des petits oiseaux ou des tableaux bizarres obtenus avec des gouttes d’encre jetées au hasard sur le papier.

Très chère, je t’embrasse tendrement.

ANTOINE