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Prison et sida : la politique de l’autruche

Les pouvoirs publics refusent de reconnaître l’étendue de l’épidémie de sida en prison : les mesures de prévention restent dérisoires. En revanche, les soins aux détenus malades se sont améliorés, grâce à la signature de conventions avec les hôpitaux.
État des lieux avec Hervé Robert, permanent du groupe prison à AIDES Ile-de-France. 

 Remaides : Quelle est l’ampleur de l’épidémie en prison ?
 
Hervé Robert : Les chiffres officiels (2 % de prisonniers séropositifs) ne sont pas fiables. Il suffit de constater que 20 % des détenus sont incarcérés pour toxicomanie et que 30 à 40 % des usagers de drogue sont séropositifs. Ce pourcentage est sans doute plus élevé en prison, en raison de la fréquence des pratiques à risque. Des médecins estiment que, dans certaines grandes maisons d’arrêt, la moitié des détenus seraient séropositifs. Sans parler des hépatites !
 
Remaides : En quoi consistent les pratiques à risque ?
 
H. R. : Les drogues circulent en prison, comme le constate un rapport de l’inspection générale des Affaires judiciaires. Le matériel d’injection, qu’il est très difficile de se procurer, est fréquemment partagé.
Afin d’en permettre la désinfection, une circulaire ministérielle (5/12/96) prévoit la mise à disposition d’eau de Javel diluée. Le texte donne la possibilité de l’obtenir auprès du service médical, mais aussi de la&laqno ;cantiner », c’est-à-dire de l’acheter. En réalité, l’eau de Javel n’est disponible que de manière ponctuelle, et seulement dans certains établissements.
Par ailleurs, la sexualité existe en prison. Mais, pour se procurer des préservatifs, il faut se rendre au service médical qui n’est accessible que sur rendez-vous, sur demande écrite. De plus, certains médecins ont cessé de proposer des préservatifs, affirmant que les détenus n’en voulaient pas parce qu’ils refusaient d’être considérés comme homosexuels. Ces médecins n’ont pas compris que c’était l’occasion d’engager un dialogue sur la prévention.
Officiellement, la sexualité est interdite par l’administration pénitentiaire. C’est une mesure arbitraire, qui ne repose pas sur des bases réglementaires solides. Mais certains détenus se sont vu infliger des sanctions, alors que les rapports avaient lieu entre personnes consentantes. La nécessité de ne pas être vus par les surveillants ne facilite pas la prévention.
 
Remaides : Quelles mesures devraient être prises pour réduire la transmission du VIH ?
 
H. R. : Il faudrait d’abord faciliter l’accès au matériel de prévention, comme cela se fait à l’extérieur de la prison : préservatifs et seringues. Cette distribution doit s’accompagner d’un soutien médico-social.
Chaque établissement devrait mettre en place une commission composée de personnel pénitentiaire, de représentants de la DDASS (Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales), de médecins de l’hôpital et de détenus, afin de mieux cerner les besoins locaux et les réponses qui peuvent y être apportées.
Des prisonniers formés pourraient jouer le rôle d’animateurs de prévention, distribuant des préservatifs, informant leurs co-détenus et dialoguant avec eux.
Tout cela supposerait qu’existe une volonté politique de réduire les risques de transmission du VIH en prison...
 
Remaides : Comment se passe le dépistage ?
 
H. R. : Le dépistage est anonyme et gratuit, comme à l’extérieur. Il ne peut être pratiqué sans l’accord du détenu. Il ne fait pas partie du bilan médical obligatoire effectué à l’entrée. Par ailleurs, le résultat doit être remis par un médecin. Mais celui-ci ne prend pas toujours le temps d’en expliquer la signification à des personnes qui, souvent, ne connaissent pas le vocabulaire médical et dont certaines parlent difficilement le français.
 
Remaides : Une personne séropositive peut-elle bénéficier d’un bon suivi médical en prison ?
 
H. R. : Cela dépend du lieu d’incarcération. Tous les établissements (à l’exception de ceux qui ont un statut semi-privé) ont dû signer une convention avec un hôpital. Ce sont les médecins de cet hôpital qui assurent les consultations. Ce dernier ne dispose pas toujours de spécialistes de l’infection à VIH.
En revanche, lorsqu’existe un service spécialisé, le suivi médical semble comparable à ce qui se pratique à l’extérieur, avec la possibilité de faire les examens et de recevoir les traitements nécessaires.
Mais le détenu ne peut pas choisir son médecin. Il lui est difficile d’en changer, s’il estime que la relation n’est pas satisfaisante.
 
Remaides : Que se passe-t-il en cas d’urgence ?
 
H. R. : Le personnel de la prison a l’obligation de faire intervenir un médecin qui, si c’est nécessaire, fera transférer le détenu à l’hôpital. Mais la gravité de la situation du détenu est d’abord évaluée par les surveillants, qui n’ont pas de formation médicale.
Certains problèmes doivent être traités rapidement, sans pour autant revêtir la forme classique de l’urgence : c’est le cas des effets secondaires des médicaments, par exemple. A l’extérieur, on peut appeler son médecin. En prison, ce n’est pas possible. Ou le surveillant accepte de considérer que c’est une urgence, ou il faut demander un nouveau rendez-vous, par écrit. En sachant que le médecin n’est pas présent tous les jours.
 
Remaides : Le secret médical est-il respecté ?
 
H. R. : Le secret professionnel s’applique en prison comme à l’extérieur : un médecin, un infirmier n’ont pas le droit de communiquer des informations concernant la santé d’un détenu à l’administration de la prison, aux surveillants ou à d’autres détenus. Cependant, dans certains établissements, les surveillants ont accès au dossier médical, ce qui est totalement anormal.
Par ailleurs, les médicaments, placés dans des enveloppes, sont distribués par un infirmier, accompagné d’un surveillant. Il serait préférable que l’enveloppe porte uniquement le nom du détenu et non la liste des médicaments qu’elle contient.
Enfin, lorsque le détenu est transféré à l’hôpital pour un examen, les surveillants restent habituellement dans la pièce. Cela ne permet pas de garantir le secret médical. Le médecin peut leur demander de sortir, mais il le fait rarement.
 
Remaides : Que se passe-t-il lorsque les surveillants ou les co-détenus apprennent qu’une personne est séropositive ?
 
H. R. : Comme à l’extérieur, les réactions varient, allant du rejet à la création d’un réseau de solidarité autour de la personne touchée.
 
Remaides : La nutrition est-elle satisfaisante en prison ?
 
H. R. : Des volontaires de AIDES ont réalisé une petite enquête auprès des personnes incarcérées. On constate que l’alimentation manque de protéines et de produits laitiers. Pour avoir une nourriture suffisante et équilibrée, un détenu devra&laqno ;cantiner », acheter des suppléments, pour un coût d’environ 800 francs par mois. Il ne pourra pas conserver les produits frais, n’ayant pas de réfrigérateur. La plupart des prisonniers n’ont pas les moyens de se nourrir correctement.
Par ailleurs, la qualité, le goût, la température à laquelle sont servis les aliments laissent souvent à désirer. Les contraintes alimentaires d’origine religieuse ou culturelle sont rarement prises en compte.
Les médecins ont la possibilité de prescrire des compléments nutritionnels. Mais, alors qu’il existe plus de cinquante produits différents, ils se limitent souvent au Renutryl®, dont le goût et la composition ne conviennent pas à tout le monde.
 
Remaides : En conclusion ?
 
H. R. : Pour améliorer la prévention et les soins en prison, on se heurte à une difficulté majeure : l’absence de respect des droits fondamentaux de la personne par l’administration pénitentiaire. Comment se protéger, quand la vie sexuelle est interdite par l’administration ? Comment prendre soin de soi, quand on vit dans des conditions d’hygiène déplorables ?
Ces éléments devraient être pris en compte pour l’élaboration et la mise en oeuvre d’une réelle politique sanitaire en prison. Ce n’est pas le cas actuellement.
 
Propos recueillis par

Thierry PRESTEL
 
Site source : Remaides

Revue AIDES - Remaides / Juin 1997