Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
Lettre 035 Prison de Rome, 27 juin 1928

Publié le mardi 1er février 2005 | https://banpublic.org/lettre-035-prison-de-rome-27-juin/

Prison de Rome, 27 juin 1928

Très chère Tania,

Rien de nouveau en vue jusqu’ici. J’ignore quand je partirai. Il n’est pas exclu que mon départ survienne ces jours-ci. Je puis être transféré aujourd’hui même.

J’ai reçu une lettre de ma mère il y a quelques jours. Elle me dit n’avoir pas reçu mes lettres depuis le 22 mai, c’est-à-dire depuis que j’ai quitté Milan. De Rome j’ai écrit au moins trois fois à la maison : ma dernière lettre fut pour mon frère Charles. Écris une lettre à ma mère, explique-lui que je ne peux plus écrire que très peu, seulement une fois tous les quinze jours et que je dois partager mes deux lettres mensuelles entre elle et toi. Je puis au contraire recevoir des lettres en nombre illimité. Ma mère croit, au contraire, qu’il y a une limite pour la réception de la correspondance. Renseigne-la sur la question de mon départ pour Portolongone [1] renvoyé après une visite extraordinaire du médecin et sur la probabilité d’une destination meilleure. Rassure-la et écris-lui que je n’ai pas besoin de consolation pour être tranquille, mais que je suis très tranquille, très serein par moi-même. C’est là un point sur lequel je n’ai jamais réussi à obtenir de notables succès auprès de ma mère qui se fait un tableau terrifiant et romanesque de ma condition de forçat : elle pense que je suis toujours sombre, en proie au désespoir, etc., etc. Tu peux lui dire que tu m’as vu il n’y a pas longtemps et que je ne suis en rien désespéré, avili, etc., mais que j’ai une nette propension à rire et à plaisanter. Peut-être te croira-t-elle alors qu’elle se figure que je lui écris, moi, dans ce sens pour la consoler.

Très chère Tania, je regrette de te donner aussi cette responsabilité épistolaire. Mais j’avais décidé de te destiner cette lettre et je ne veux pas manquer au tour que j’ai établi. J’espère te revoir encore avant de partir.

Je t’embrasse tendrement.

ANTOINE

[1Célèbre pénitencier dans une petite ville de l’île d’Elbe, 2.500 habitants