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Lettre 019 Prison de Milan, 10 octobre 1927

Publié le mardi 18 janvier 2005 | https://banpublic.org/lettre-019-prison-de-milan-10/

Prison de Milan, 10 octobre 1927

Très chère Tania,

Après notre conversation de jeudi j’ai réfléchi longuement et je me suis décidé à t’écrire ce que je n’ai pas eu le courage de te dire de vive voix. Je crois, moi, que tu ne devrais pas rester plus longtemps à Milan à t’occuper de moi. Le sacrifice que tu fais est trop exagéré. Tu ne pourrais pas retrouver la santé dans ce climat humide. Pour moi cela est certes un grand réconfort de te voir, mais crois-tu cependant que je ne pense pas continuellement à ta constitution maladive et que je n’éprouve pas de remords à être la cause et l’objet de ton sacrifice ? je crois avoir deviné le motif principal de ta volonté de rester. Tu penses pouvoir prendre le même train que celui dans lequel je serai transféré et pouvoir, durant le voyage, intervenir d’une manière ou d’une autre pour me procurer un certain confort. Ai-je deviné ? Eh bien ! ton désir n’aura aucune possibilité de se réaliser. Les dispositions prises pour mon transfert seront certainement très sévères et l’escorte ne permettra en aucune façon que les « chrétiens » s’occupent des détenus. (J’ouvre une parenthèse pour t’expliquer que les forçats et les détenus divisent le public - ou le monde - en deux catégories : les « chrétiens » d’une part, et, d’autre part, les forçats ou détenus.) Ton intention serait vaine et peut-être néfaste parce qu’elle pourrait provoquer chez nos gardiens une méfiance et un redoublement de sévérité et de rigueur. Tu en serais seulement quitte pour voyager dans les pires conditions et arriver à Rome malade pour quatre autres mois. Ma très chère Tania je pense qu’il faut être pratiques et réalistes même dans la bonté. Non que tu risques d’épuiser ta bonté, mais tu épuises ton énergie et tes forces et je. ne peux pas consentir plus longtemps à Cela. J’ai justement réfléchi longtemps sur cette question et j’aurais voulu te le dire de vive voix ; j’ai manqué de courage en te voyant et en pensant que peut-être je t’aurais encore fait de la peine.

Je t’embrasse affectueusement.

ANTOINE