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Introduction

Publié le mardi 30 mars 2004 | https://banpublic.org/introduction,4573/

Introduction

Il y a trois ans, au terme de leurs commissions d’enquête sur la situation des prisons françaises, députés et sénateurs dressaient un constat sévère de la condition pénitentiaire. Soulevée dans le rapport sur l’" Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires " puis par les parlementaires, la question des droits fondamentaux devant être reconnus et garantis aux personnes privées de leur liberté est restée à ce jour sans réponse satisfaisante.

En s’engageant dans une étude de fond sur le principe et les modalités de l’exercice des droits de l’homme dans le contexte spécifique de la prison, la Commission nationale consultative des droits de l’homme apporte une nouvelle contribution à une réflexion déjà large de sa part et dans d’autres enceintes sur le sujet. En prolongeant ainsi ces travaux elle est animée par trois préoccupations :
- aborder la condition des détenus dans la perspective des droits de l’homme, en complément des études antérieures conduites par différentes assemblées et commissions ;
- souligner que la question fondamentale ainsi abordée est un réel problème de société dont la conscience s’est affirmée au lendemain de la Seconde guerre mondiale, lorsque la peine a pris progressivement un nouveau sens et que les sensibilités et les mentalités ont commencé à évoluer ;
- répondre à une attente du Comité de prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe qui, en juin 2003, a invité notre Commission à s’investir sur le champ pénitentiaire et à poursuivre son rôle de suivi et de dialogue dans ce domaine.

1. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) estime que l’évolution de la société et le développement des droits de l’homme impliquent une profonde réforme dans le domaine des droits des personnes privées de leur liberté.

Comment sortir la prison d’une situation d’exception juridique contraire aux exigences d’une société démocratique et garantir le respect des droits fondamentaux de la personne incarcérée ?

Pour répondre à cette interrogation, il est nécessaire que les pouvoirs publics adoptent vis-à-vis de la peine privative de liberté, comme de l’institution carcérale, une attitude cohérente. Même, et surtout, si l’opinion semble continuer à voir dans la prison une solution aux problèmes d’insécurité, il est essentiel que le législateur et le pouvoir exécutif soient porteurs d’une démarche exempte d’ambiguïtés.

La CNCDH réaffirme la nécessité de considérer la peine privative de liberté comme " une sanction du dernier recours ". Cette approche du Comité des ministres du Conseil de l’Europe est partagée par le Parlement européen qui s’est déclaré " préoccupé par le fait que la détention est encore considérée exclusivement comme une sanction et non pas comme un moyen de réadapter et de réhabiliter le prisonnier en vue de sa réinsertion sociale ultérieure ".

L’environnement européen, par l’intermédiaire des recommandations du Conseil de l’Europe et par l’action du Comité de prévention de la torture, incite la France à accompagner une évolution que la Commission Canivet a décrite en ces termes : " Ces recommandations ou déclarations ne remettent pas fondamentalement en cause la réalité de l’enfermement. Elles affirment seulement que la peine n’a plus une fonction expiatoire, mais répond à la réinsertion sociale que la société attend pour sa sécurité, en conciliant nécessité de punir et volonté de réintégrer socialement. Or, pour résoudre le paradoxe qui consiste à réinsérer une personne en la retirant de la société, il n’y a d’autre solution que de rapprocher autant que possible la vie en prison des conditions de vie à l’extérieur, la société carcérale de la société civile ".

La CNCDH a inscrit la présente étude dans cette approche qui correspond à la philosophie de ses précédents travaux concernant l’univers carcéral. Au terme de ses " Réflexions sur le sens de la peine ", la CNCDH a considéré que " le recours aux peines privatives de liberté traduit trop souvent l’incapacité à prendre efficacement en charge des désordres qui ne devraient pas relever d’un traitement pénal ". Elle a également estimé que " la peine ne saurait retirer à celui qui la subit l’exercice de ses droits fondamentaux dès lors que cet exercice ne contrevient pas à l’exécution même de la sanction pénale. "

Si le choix de l’incarcération est préconisé par le législateur et finalement décidé par l’autorité judiciaire, la puissance publique doit se donner les moyens juridiques, matériels et humains de remplir ses obligations concernant le respect des droits fondamentaux.

Actuellement, le droit qui réglemente la période de privation de liberté est " encore inachevé ". Ce constat, largement admis, conduit la CNCDH à préconiser une réflexion d’ensemble sur l’amélioration de la prise en considération des droits des personnes privées de liberté. En effet, les principales sources des droits de l’homme que sont le bloc de constitutionnalité, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et dans une moindre mesure, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ont toutes pris le parti de ne pas exclure a priori une catégorie d’individus ou une activité de leur champ d’application. Au contraire, comme le souligne expressément l’article 10 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques : toute personne privée de sa liberté doit être " traitée avec humanité et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ".

L’incarcération de la personne fait naître une responsabilité particulière à son égard à la charge de l’Etat. Pour que cette obligation puisse être respectée, il faut non seulement donner un sens à la période de privation de liberté, mais également reformuler de multiples dispositions normatives. Ce travail de réécriture du droit positif consiste pour l’essentiel à poser des limites précises au pouvoir discrétionnaire de l’administration et à assurer le respect du principe de légalité. Il s’agit d’orienter les prises de décisions réglementaires et individuelles dans un sens respectant les droits fondamentaux de la personne.

L’étude qui suit propose dans un premier temps de requalifier dans la loi les missions de l’administration pénitentiaire ainsi que de l’ensemble des services publics ayant à traiter de la privation de liberté dans sa phase d’exécution et, dans le même mouvement, de procéder à la mise à plat des lois et réglementations existantes.

Dans un souci d’harmonisation des normes, il est en effet indispensable de prévoir conjointement les principes de valeur législative et les mesures de mise en oeuvre réglementaires. Une fois la nécessité d’une réforme formelle réaffirmée, la CNCDH tient à mettre l’accent sur les différentes catégories de droits fondamentaux garantis au niveau constitutionnel et international. Il sera donc proposé une série de dispositions visant à garantir l’effectivité de ces droits durant toute la période de privation de liberté.

Une protection effective des droits et libertés en prison présuppose la consécration d’un statut juridique du détenu. Le principe de la prééminence du droit, dominant dans toute société démocratique, implique que soit clairement affirmé qu’à l’exception de la privation de " la liberté d’aller et de venir ", l’ensemble des droits et libertés sont garantis aux personnes détenues. Les nécessités du fonctionnement du service ne peuvent pas être systématiquement mises en avant pour restreindre des libertés. Les mesures proposées doivent permettre d’assurer l’intégration effective de la prison au sein de la République afin qu’elle ne soit plus considérée comme une entité à part. La CNCDH est par ailleurs convaincue que la protection des droits des détenus ne peut que faciliter les conditions de travail des agents pénitentiaires et valoriser leur action au sein de la société.

L’alignement du statut spécial des agents pénitentiaires sur le droit commun de la Fonction publique, la revalorisation de la mission des personnels, la constitution d’équipes pluridisciplinaires autour de projets de réinsertion, sont aussi des volets de l’évolution du service public pénitentiaire et de l’évolution de la condition du détenu.