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« Etat de santé incompatible avec la détention »

« Etat de santé incompatible avec la détention » Combien de prisonniers malades ou mourants rêvent depuis des années, au plus profond de leur chair, de voir s’ouvrir la porte de leur cellule sur les experts qui prononceront le sésame ? Mille ? Deux mille ? Trois mille ?

Aujourd’hui Le Floch Prigean, hier Alfred Sirven ou André Taralo, avant-hier Maurice Papon : le droit à la santé invoqué par les hommes d’Etat et leurs avocats surpuissants comme ultime champ procédurier pour se soustraire à la prison a ceci d’insultant pour la démocratie que, d’une part il leur est presque exclusivement réservé, comme inventé pour eux, et que, d’autre part, l’état apocalyptique du système de santé en détention et l’indifférence générale dans laquelle il s’effondre de jour en jour le révèlent comme instrument objectif du châtiment.

Nathalie Ménigon, hémiplégique, décharnée, démolie par l’exercice de 17 ans de vengeance d’Etat. Georges Cipriani, torturé par l’isolement jusqu’à l’anéantissement. Quels soins pour Jean-Marc Rouillan et Joëlle Aubron à qui on a diagnostiqué des cancers ? Pierre André Franceschi, détenu à la Maison centrale de Clairvaux, malade d’un Sida déclaré depuis 1986 et d’une hépatite C non traités et victime d’un chantage de la part du médecin traitant pour un complément alimentaire. Des centaines de personnes s’éteignent aujourd’hui, victimes d’une ségrégation par le Droit.

Cette exclusion minutieuse des malades de l’exercice d’une loi Kouchner réservée aux criminels contre l¹humanité et à sa variante macro-économiques déstabilise la République et ses principes fondamentaux, elle discrédite profondément l’Etat et ridiculise les fonctionnaires et politiques artificiers qui en illuminent la façade.

Formulons les choses à l’endroit : c’est la détention qui est incompatible avec l’état de santé. Le puissant cri d’alarme poussé par Véronique Vasseur il y a quelques années s’est éteint avec le naufrage de la loi de réforme pénitentiaire. La Justice, la prison, asservies à une culture populiste du châtiment et du talion fertile en scrutins, font feu de tous bois pour illustrer le cynisme et la détermination barbare des prétendants au pouvoir.

Le système de Santé Français est sinistré, nid à pathologies-bonus, facteur de morts massives, d’infirmités et séquelles aléatoires ? Sa variante carcérale, caricature de l’abandon collectif de ceux qui souffrent à l’air libre, est un crime d’Etat, perpétré avec la bonne conscience affichée de technocrates rompus à l¹imposture d’une égalité de traitement des citoyens.

A l’heure où plus que jamais ronronnent colloques et fleurissent ouvrages théorisant le « sens de la peine » il est particulièrement insupportable d’observer en les murs le retour inexorable et irréversible du traitement moyenâgeux de la faute par le châtiment et la flétrissure corporelle, jusqu’à l’exercice déléguée aux médecins d¹une peine de mort par éternelle obstruction aux soins.

Amputations, édentation systématique, mutilations, séquelles irréversibles, paralysies, invalidités : Que j’observe directement les ravages de la charria administrative en vigueur au pays des droits de l’homme ou bien que des témoins directs m’en relatent la généralisation, les éléments de la stratégie se dessinent. En laissant se généraliser, en favorisant les espaces de discours et de débats au nom de la démocratie, les pouvoirs politiques et publics organisent le camp de base avant le sommet du contrôle social : occuper les esprits et neutraliser la pensée dans la superposition et le brouhaha pour conforter en secret les infrastructures de la répression et de la terreur.

Il n’y parviendront pas. Quel que soit le domaine de la vie publique, le fossé se creuse entre les orientations politiciennes et l’impuissance des exécutants de la base administrative à leur donner corps, dans l’érosion programmée des compétences, la montée de l’indifférence et du renoncement.

S’ouvre ici un champ inespéré pour l’action individuelle, dans la responsabilité collective et le respect de cadres institutionnels qui, soigneusement vidés de leur sens historique par l’incurie de gouvernants à la vue courte, s’offrent, disponibles, à la civilisation. Il faut juste accepter de descendre des tribunes et des amphis pour venir reconstruire leur substance au quotidien, dans les actes, dans chaque cas, dans chaque situation d’injustice, d’indignité ou d’abandon. Juste accepter de créer et d’assumer le lien humain. Et juste se dépêcher.

Jean-Christophe Poisson
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