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(2003) Photographie avec Alain Moïse ARBIB

Construire un endroit actif propre à la création
par Alain Moïse Arbib amarbib@yahoo.fr

Pourquoi le photographe que je suis a-t-il été amené à travailler en milieu carcéral ?

Me définir en tant que photographe serait en partie erroné, je me qualifierai plutôt de plasticien, ou d’artiste, mais plus précisément de "chercheur en photographie appliquée".

Pour parler de mon travail et de ce qui me meut dans le travail de recherche : plus que de créer, mon travail consiste surtout à construire un endroit actif propice à la création. Puis, laisser la vie se faire dans un "cadre" que je mets en place. Un cadre presque "carcéral", extrêmement précis, physiquement et techniquement.

La différence avec l’incarcération physique, c’est que le sujet reste libre de son engagement et de ses actes.

Mon travail actuel consiste en une simple proposition, très lié à l’expérience de la maison d’arrêt, les images créées sont un peu ce que je n’ai pu mettre en mots, faute de mots.

J’ai demandé aux personnes de mon entourage de vivre une expérience singulière :
Nues, dans une pièce fermée, dans l’obscurité totale, une bassine d’eau chaude,
une apnée jusqu’à fin de souffle la tête dans l’eau.

L’idée est de laisser au corps le choix de s’extraire de ce piège laissant le plus possible de côté la partie mentale.

Aller au plus loin sans air, lutter contre les différents paliers de panique, jusqu’à l’explosion finale, où le corps soumis à une expérience dangereuse émerge pour aller retrouver son aliment vital : l’air.

C’est à ce moment que j’interviens en envoyant un flash, éclair lacérant l’obscurité, révélant l’image de ce corps et de ce visage en état limite au 4000ème de seconde, donc incontrôlable.

Donc, prise d’air, naissance, émergence, urgence.

La seconde "prise de vue" s’opère au moment où les personnes sont sorties, je leur demande de mémoriser la position dans laquelle leur corps à choisi de se mettre en sortant de l’eau et de respirer dedans.

A ce moment, toujours dans le noir total, j’envoie 5 éclairs de flash, entrecoupés bien sûr de 5 noirs.

Une minute environ de temps de pose, une superposition, une contraction et condensation de temps.

Là, l’eau disparaît, on ne voit plus que le corps et sa déformation opérée par les successions d’images.

Je crois que je me suis rapproché dans ce travail de ce que j’avais envie de crier au plein milieu de la prison lors de mon intervention à Agen.

Et traverser la ville ainsi pendant des heures.

Alain Moïse Arbib

Source : Remue.net