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13/10/03 Séance sur les droits civiques

Publié le mercredi 7 janvier 2004 | https://banpublic.org/13-10-03-seance-sur-les-droits/

Séance sur les droits civiques

Présentation par Eric Péchillon

L’affirmation des droits civiques des personnes détenues est une question de principe à laquelle notre groupe de travail se doit d’apporter une réponse claire. Répondre à cette question revient à donner au détenu le statut de citoyen auquel il a droit.

Il ne nous appartient sans doute pas ici de nous exprimer sur les peines prononcées par les juridictions judiciaires (mais nous pouvons néanmoins en souligner certains aspects déplorables). L’essentiel de notre travail consistera à donner les moyens à la personne détenue de mener une vie de citoyen malgré sa privation de liberté d’aller et de venir.
L’incarcération ne doit pas infantiliser l’individu, on doit même pouvoir prétendre qu’elle pourra être en mesure d’être l’expression même de l’Etat de droit démocratique.
Pour parvenir à cet état, il faut que cesse la logique classique de l’Etat qui place en avant l’objectif de sécurité avant même de garantir les droits de tout individu.

Sans prétendre à une quelconque hiérarchie des droits civiques, il convient d’examiner les points suivant :
- Le droit de vote
- La liberté d’association
- La liberté d’expression
- La liberté syndicale

Le droit de vote :

Les prévenus jouissent de la totalité de leurs droits électoraux (sauf pour certains condamnés antérieurement à 1994). Les condamnés ne subissent plus depuis le 1er mars 1994, la suppression automatique de leur droit de vote. Cela signifie donc que c’est à l’autorité judiciaire qu’il revient de pouvoir empêcher un individu de s’exprimer au moment des consultations électorales. L’administration pénitentiaire n’a aucune compétence en la matière. Pourtant comme a pu le souligner la commission d’enquête du Sénat « le droit de vote est quasiment inexistant en prison ». Cette situation s’explique assez facilement par l’état de notre droit positif.
La seule obligation qui pèse sur le chef d’établissement est d’informer les détenus suffisamment longtemps à l’avance de leur possibilité de voter par procuration. Il n’existe sur ce point aucune mesure significative pour s’assurer de la bonne exécution de cette « obligation » (simple organisation par circulaire).
Chacun sait que les dispositions concernant le vote par procuration sont strictement encadrées par le code électoral. En dehors des cas limitativement prévus, il n’est pas possible de voter.
Pour rendre les droits civiques effectifs et indirectement contraindre les élus à s’intéresser aux questions pénitentiaires, diverses solutions pratiques peuvent facilement être mises en œuvre. Chacune de ces mesures constitue d’ailleurs une étape vers la resocialisation (au moins symboliquement).

1- On peut prévoir que les détenus (notamment les condamnés) soient inscrits sur les listes électorales du lieu de leur incarcération. Ce faisant, on règle le problème du domicile, en matière électorale. Les prévenus pourraient être recensés et approchés par un agent chargé de les inscrire soit sur les listes de leur domicile (s’ils en possèdent un), soit sur celle du lieu de détention.

2- On peut demande à ce qu’un bureau de vote soit ouvert dans l’enceinte de la détention afin que les détenus qui le souhaitent puissent s’exprimer personnellement (passage dans l’isoloir…).

3- De la même manière, les détenus pourraient participer aux élections locales (municipales, cantonales et régionales) directement sur leur lieu de détention (comme peuvent d’ailleurs le faire les étudiants…). Ce petit changement est important car il aboutit à inscrire la prison dans le tissu de la décentralisation. Les élus locaux gagnent souvent leur siège avec peu de suffrages d’avance. Ils devraient donc prendre des positions claires et publiques sur l’établissement relevant de leur circonscription (action sociale, éducation….).

La Liberté d’association :

La liberté d’association est une liberté fondamentale inscrite dans notre bloc de constitutionnalité depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 16 juillet 1971. Il s’agit précisément d’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Par conséquent, il n’est pas envisageable d’y porter atteinte sans de solides justifications théoriques. Actuellement, rien dans la loi n’interdit aux détenus de revendiquer la possibilité de participer à une association ou même de déposer les statuts d’une nouvelle association.
Pour reprendre, un des points classiques du droit pénitentiaires, les règles interdisant la liberté d’associations en prison sont contraires à la hiérarchie des normes car seul le législateur peut en restreindre l’amplitude.
Quel peut être la position de notre groupe de travail sur ce point, en plus de demander une prise de position précise du parlement sur ce sujet ?
Deux aspects doivent être étudier :

1- La possibilité pour des détenus de s’associer
Il faut, me semble-t-il, poser une position de principe qui consiste à dire que la liberté d’association constitue la règle, et que l’interdiction doit demeurer une exception sévèrement contrôlée. Comme en droit commun, tout individu doit pouvoir déposer auprès des services de l’Etat les statuts de son association. Les agents de préfecture sont tenus d’enregistrer la demande. Le contrôle effectué ne sera qu’ a posteriori, et consistera à vérifier si les objets de l’association sont conformes aux règles générales (pas d’objet raciste, pas de finalité contraire à l’ordre public général…).
En ce qui concerne le fonctionnement de l’association, l’administration pénitentiaire devra prévoir des moyens matériels adaptés (Cf. La liberté de réunion).

2- La possibilité pour les détenus de participer activement à un mouvement associatif extérieur
Il faut réaffirmer le droit pour le détenu de participer (peut être dans la mesure de son statut pénal) à la vie des associations de son choix. Pour cela, il doit pouvoir être en mesure de postuler à des fonctions associatives, bénéficier d’une liberté de parole…

La Liberté d’expression :

En droit commun, la liberté d’expression bénéficie d’un régime dit répressif (cela signifie que la parole est libre mais que l’abus - cas prévus par la loi - peut conduire à des poursuites et des sanctions : diffamation, incitation à la haine raciale…).
En milieu pénitentiaire, en raison de l’obsession sécuritaire, le régime mis en place est un régime préventif (cela signifie que l’administration dispose de moyens pour contrôler l’expression des personnes dont elle a la garde). Les mesures en place touchent différentes forme de la liberté d’expression (sachant encore une fois que tout est réglementé par décret, voire par circulaire alors que cela relève théoriquement du domaine de la loi) :
- La correspondance
- La publication
- Le téléphone

La Liberté syndicale :

La liberté syndicale est une liberté reconnue par le préambule de 1946, mais également par l’article 11 de la CEDH et l’article 22 du pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toute personne a le droit de fonder avec d’autres un syndicat pour assurer la défense de ses intérêts. Le Conseil d’Etat vérifie régulièrement la conformité des règles nationales (y compris des lois) au regard des dispositions de ces textes internationaux.
Cela signifie que le législateur français doit assurer aux détenus la possibilité de se regrouper pour la défense de leur droits. Il ne peut y avoir d’interdiction générale et absolue. Tout au plus, peut-on concevoir que le parlement réduise certaines formes d’expression de la contestation syndicale (comme il le fait d’ailleurs pour les personnels pénitentiaires en leur interdisant de faire grève pendant leurs heures de service).
L’affirmation de ce droit permet de réfléchir à la participation des détenus aux organes représentatifs et à la reconnaissance à leur endroit d’un statut de droit commun.