Publié le mercredi 22 octobre 2003 | https://banpublic.org/refus-de-conditionnelle/ "Détenu à la Centrale de ? entrant dans les critères d’une libération conditionnelle fin juillet 2003, cherche patron philanthrope pour contrat de travail à durée indéterminée. CDI exigé impérativement. Toutes régions de France sauf 23 départements pour cause d’interdiction de séjour et en particulier le département où résident famille et amis. Tout emploi fera l’affaire. Conditions :
Vous ne lirez jamais cette annonce. Jamais. Bien qu’elle soit la réalité vécue par plusieurs milliers de prisonniers attendant en vain un contrat de travail. De toute manière, il manque toujours une pièce au puzzle qu’est un dossier de conditionnelle. Pendant dix, douze, vingt ans, tout à été fait pour que le prisonnier ait le moins de contacts possible avec le dehors. Tout est compté, savamment dosé, les permis de visite, les heures de parloir, les coups de téléphone ? Et avec le temps, on perd pied. Le fil qui nous lie au dehors se défait. On ne s’en aperçoit pas tout de suite, puis on laisse faire, on oublie ? On ne distingue plus votre monde que dans le phantasme et dans l’amputation d’une partie de nous même. Et puis un jour, on y est, on touche enfin du doigt cette date rêvée depuis des années. La peine incompressible est terminée, on est libérable. La prison n’est plus la même. Tout est devenu plus long, plus court aussi. Le juge a été clair, trop de tentatives d’évasion, trop de rapports d’incidents. "C’est pourquoi vous finissez dans une centrale de sécurité" dit-il comme une évidence. "Vous avez déjà eu deux peines supplémentaires, je vais demander l’avis d’un psychiatre". A la Centrale de ? on le connaît bien, l’expert psychiatre. L’entretien commence invariablement par "Vous vous faites enculer ? Paraît que, dans cette centrale, vous êtes tous des pédés ?". Ne pas réagir, ne rien dire, baisser la tête. Combien ils profitent de notre merci ! Les éducateurs, les juges, la direction ? nous font tourner en rond avec un anneau au museau. Vous pouvez sortir dans trois Finalement, il y a toujours une bonne raison. "Le prisonnier a un niveau trop élevé pour le métier de plâtrier et en général pour tout autre métier manuel". "L’enquête sur l’entreprise est mauvaise, la société risque de déposer son bilan sous peu". "Votre employeur est sarde, et vous savez bien que tous les sardes sont des bandits de près ou de loin". Et le dossier est ajourné. Il ne sera examiné que dans une année jour pour jour. Et bien souvent, ce n’est pas de votre faute, le service social n’a pas fait son boulot ou mal tout simplement. Et puis avec le temps, on tourne la page, un an, une autre page, une autre année. On finit par se rendre compte que tout ça ce n’est que du cinoche. Un prisonnier. |