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30/10/02 : Travail, éducation, culture. Comment appliquer partout les enjeux théoriques du temps de détention ?
Actes du groupe de travail des 30 et 31 octobre 2002 aux rencontres de la Villette

 « Travail, éducation, culture.
Comment appliquer partout les enjeux théoriques du temps de détention »

Actes du groupe de travail du 30 octobre 2002

Rapporteur Mamadou SANOU

Version intégrale du 20 janvier 2003

Jean-Christophe Poisson : La première prise de parole de la matinée devait être celle du sénateur Paul Loridant, auteur du rapport sur le travail en détention. Il aura un petit peu de retard donc nous allons modifier l’ordre des prises de parole qui va structurer toutes les interventions. Il était prévu que je prenne un petit temps pour présenter l’intention qui nous réunit aujourd’hui avec l’appui fondamental des rencontres de la Villette.

L’idée est la suivante : ce qui m’a motivé pour susciter ce groupe de travail, c’est un constat personnel que je ne veux pas forcément généraliser et qui, à mon avis, mérite d’être un tout petit peu développé. Le plus grand risque qu’un artiste prend en entrant en détention, à mon sens, c’est celui de la rencontre. C’est un risque que j’ai affronté avec un grand bonheur depuis quelques années. Ce risque de la rencontre, c’est aussi celui de la fidélité aux rencontres que l’on fait. Je le sais parce que je vous ai rencontrés et je connais pas mal d’intervenants en détention qui font la même chose de façon isolée. Je me suis rendu compte que la fidélité à ces rencontres se traduisait forcément par un accompagnement des personnes qui sortent de prison, un accompagnement qui dépasse simplement le stade d’une amitié poursuivie mais aussi d’un retour dans la société dont ces personnes ont été isolées pendant un certain temps. Cela s’est traduit par la recherche d’emploi pour un certain nombre de personnes dans le secteur des activités culturelles, parce que les activités culturelles sont fréquentées par des personnes qui ont fait un choix fort et délibéré de l’esprit en détention et qui en ont conçu une maturité et un pouvoir de transmission incontestable. Ce travail d’accompagnement demande énormément de temps. Je sais qu’autour de cette table, il y a des personnes qui s’y consacrent aussi et qui savent ce que je veux dire. Je pense à Jean-pierre Chrétien-Goni par exemple qui est metteur en scène et je me dis que ce travail passionnant mériterait d’être relayé à un moment ou un autre par une coordination lucide, pragmatique et technique des services de l’Etat. Une coordination, tout simplement. Ce n’est pas une démarche révolutionnaire, il s’agit de créer une coordination par l’information et par la transmission d’un certain nombre de principes aux personnes clé, aux personnes charnières dans la démarche, les intervenants en détention. Il ne s’agit pas de former les intervenants en détention à intervenir en détention. On ne peut former quelqu’un à être un artiste ; il s’agit simplement de mettre les gens en face de leur responsabilités. Intervenir en détention est un acte politique où l’art retrouve à mon avis ses racines originelles : se placer au centre de la société et constituer un lieu où se résolvent un certain nombre de problèmes. J’avais évidemment convié autour de cette table le Ministère de la Justice et le Ministère de la Culture qui ont fait défection au dernier moment. Il y aurait du y avoir huit personnes de plus autour de cette table, des personnalités, des personnes des administrations centrales avec lesquelles je suis en conflit aujourd’hui. Pour prendre acte de ce retrait, je fais circuler autour de cette table aux personnes que ça intéresse la lettre que j’ai adressée à Colombe Babinet en réaction au retrait oral de la direction de l’administration pénitentiaire qui m’a été fait. Et dont j’attends toujours une confirmation officielle, que je ne suis pas certain d’avoir, des centrales et de toutes les personnes de la base pénitentiaire que j’avais pu contacter par relation, par expérience (les conseillers d’insertion, les assistantes sociales, les DSPIP, associations, les chargés de mission Culture-Justice) et qui n’ont pas reçu l’autorisation de venir. C’est-à-dire qu’ils n’ont pas eu les ordres de mission nécessaires et ceux qui les avaient reçus ont été très très vivement dissuadés de venir.

François Chouquet : Est-ce que tu connais les raisons qui ont été avancées ?

Jean-Christophe Poisson : Ce sont des raisons soviétiques.

François Chouquet : Mais encore ?

Jean-Christophe Poisson : J’ai le témoignage d’une conseillère d’insertion d’Arles avec qui j’ai beaucoup travaillé. La Direction régionale lui a donné l’autorisation et au moment d’y aller, le Ministère l’a appelée pour lui dire : "vous avez toutes les autorisations, mais il ne faut pas y aller". C’est là qu’il y a paradoxe. Le papier existe.

François Chouquet : On pensait que tu n’avais pas autorité ni positon pour organiser un groupe de travail comme celui-là et éventuellement monter l’agence de coordination dont tu nous parlais. Est-ce que ce ne sont pas des raisons plus politiques ? L’envie de ne pas voir une association, un groupe d’associations venir jouer dans la cour des grands comme on dit. Nous, ça nous intéresserait de savoir où on va. C’est-à-dire, moi ça m’intéresse de rencontrer tout le monde, mais dans la mesure où tu viens visiblement dire que l’intention est pragmatique et qu’il faut que ça débouche sur des actions pour que ce qu’on va dire ce matin ne reste pas lettre morte, on aimerait quand même un peu plus de précisions et est ce que tu peux nous préciser les blocages, les obstacles qui existent et avec lesquels il va falloir jouer ?

Jean Christophe Poisson : Techniquement, brièvement je peux te redonner l’idée qui est dans la lettre que j’ai écrite à Colombe Babinet et que je vais faire circuler pour que tout le monde puisse se faire une opinion.

Anne Toussaint : Est ce que tu peux nous la lire ?

Jean-Christophe Poisson : Je vais vous la lire : réponse à Colombe Babinet qui date du 11 octobre.

Voix anonyme : Qui est Colombe Babinet ?

Jean-Christophe Poisson : Colombe Babinet, c’est la responsable - et là je parle sous le contrôle de la DRAC-La fonction exacte de Colombe Babinet c’est...

Emmanuelle Schweig : Responsable de l’action culturelle à l’administration pénitentiaire.

Jean-Christophe Poisson :

Madame,

J’ai appris ce 11 octobre par Madame Dufour Ferry qui me recevait à la Délégation au Développement et à l’Action Territoriale que ni le Ministère de la Culture ni celui de la Justice ne seraient officiellement représentés à la table de travail à laquelle je les ai conviés depuis le moi de mai. Je me suis aussi entendu dire qu’elle et vous assisteriez éventuellement aux dites journées à titre d’observateur.

Vous me permettrez de vous faire part de ma plus vive surprise face à la source de cette information, déléguée à un autre Ministère, alors que je suis toujours en attente de la lettre de Monsieur Didier Lallement que vous m’annonciez le 4 octobre être en train de rédiger pour justifier les réserves de la DAP vis à vis de l’émergence d’un groupe de travail spontané portant sur le sujet de la réinsertion des personnes incarcérées.

Lors de l’entretien, Madame Dufour Ferry s’est fait l’écho d’une position apparemment commune des administrations concernées, selon laquelle on ne convoque pas les services de l’Etat au dernier moment sur un sujet, quel qu’il soit, et que la sollicitation des compétences se doit d’être faite en amont de toute opération.

Vous êtes la première personne à qui je me sois adressée le 14 mai pour évoquer mon projet de mettre en place un centre de ressource destiné à la coordination pragmatique des acteurs concernés - Administrations, intervenants extérieurs, entreprises - pour étendre l’action d’insertion des détenus conditionnables en aval des activités culturelles.

Cinq personnes réintégrées à la société par l’emploi en trois ans : vous paraissiez à l’époque étonnée et intéressée par la singularité du constat personnel qui me conduisait à dépasser mon rôle de metteur en scène pour tenter de faire partager et étendre une action menée indépendamment des dispositifs administratifs construits par l’état depuis 20 ans - je vous cite.

Construits et indéchiffrables : aujourd’hui les Conseillers d’Insertion et de Probation les contournent en incitant les détenus à m’appeler directement pour aménager leur fin de peine.

Compte tenu de l’efficacité des relations de travail tissées entre nous, je vous avais demandé d’intervenir dans le groupe de travail .Je reçus alors une leçon d’instruction civique me stipulant que je devais m’adresser par écrit à votre directeur .Ne serait-ce que pour ausculter la volonté du Ministère de participer à une telle réflexion. Le 18 septembre, trois mois après mon premier e-mail, et le courrier qui le confirmait, Monsieur Lallement me répondait de sa main pour que je prenne attache auprès de ses services . Une réunion s’organisait le 27 septembre rue du Renard, où il me fit savoir en préambule qu’il était d’accord pour un échange mais émettait des réserves sur la création d’une coordination nationale des SPIP , des intervenants extérieurs et des entreprises culturelles.

J’ai dit et je répète que la présence de la Direction de l’Administration Pénitentiaire était indispensable à notre groupe de travail pour établir un état des lieux clair et documenté sur l’état de la doctrine en matière de travail, d’éducation et de culture en prison .

J’ai dit et je répète que la table de la Villette est placée sur le terrain de l’échange, du respect, du progrès de chacune des parties présentes, administrations, artistes, enseignants, travailleurs sociaux et détenus, loin des climats romanesques qui enveloppent les échanges habituels des colloques sur le sujet.

Le 4 octobre, faisant suite à votre e-mail, je vous appelais pour faire le point avec vous sur la suite donnée à notre réunion et sur la structure, en évolution, du tour de table. La vivacité de votre propos, l’émoi généralisé que vous me décriviez envahir les couloir de la DAP au sujet du groupe de travail, la brutalité des arguments qui résumaient la position officielle du Ministère m’ont laissé pantois.

• Quatre mois jour pour jour après la description écrite que je vous adressais personnellement, vous présentez comme un fait accompli que je vous impose au dernier moment un groupe de travail en lieu et place d’un colloque.

• En dehors des colloques et discussions, le Ministère ne participe à aucune action dont il ne soit l’instigateur.

• La Délégation au Développement et à l’Action Territoriale n’est pas représentée.

Je rappelle que Monsieur Patrice Marie, contacté au mois de mai avait décliné l’invitation pour cause d’incompatibilité de planning. Que j’ai adressé le 20 septembre une invitation à Monsieur Clément, Délégué, qui est restée sans réponse jusqu’au rendez-vous de ce matin. Réponse qui demeurera orale. Madame Dufour Ferry me signifiant qu’elle ne trouvait pas nécessaire de justifier par écrit ses positions.

Je confirme que j’ai toujours émis les plus vives réserves au sujet de la présence parmi nous de Madame Dufour Ferry compte tenu de son arrivée récente dans l’action en direction du monde carcéral et du contact professionnel hasardeux que j’avais eu avec elle à l’époque.

« Elle débute, il faut être indulgent avec elle » avez vous énoncé en réunion au Ministère le 27 septembre.

Je ne peux être indulgent avec quelqu’un qui assène en doctrine, au fond des yeux, que les surveillants de prisons et les DSPIP choisissent leur métier en connaissance de cause, que « s’ils ne sont pas contents ils n’ont qu’à aller faire des ménages » parce que « tout le monde est libre à notre époque de choisir son travail ».

J’ai eu alors confirmation de ma première intuition : l’action et l’efficacité passent par les personnes, la mise en énergie et communion d’une pensée et d’un engagement individuel et non pas automatiquement par les points d’entrée dans les organigrammes.

Toute indignation bue, il relève en l’occurrence d’une position humanitaire envers le locuteur d’éviter que ce genre d’énormité ne soit formulée à une table publique devant des gens du terrain pénitentiaire et d’ anciens détenus dont les mères aspirent réellement les bureaux à onze heure du soir.

• Quand je mets en avant les qualités et l’éthique développées à la DRAC Ile de France par Madame Emmanuelle Schweig, vous me rétorquez de façon fort mystérieuse « mais enfin, vous plaisantez, vous savez bien par qui elle est payée », éliminant d’un revers de main la représentativité du Ministère de la Culture que je lui sais. Je ne sais pas par qui Madame Schweig est payée. Je ne connais que son action à la DRAC Ile de France.

• Nicolas Frize n’est pas là.

Comment aurais-je pu passer à côté de Nicolas Frize dont je respecte parole et action ? Il est invité depuis le 12 juin. Après un coup de téléphone où il me signifiait la « ringardise » des personnes que je tentais de réunir, il ne donna aucune réponse sur sa participation.

Aujourd’hui, en l’absence de tout signe de votre part depuis quinze jours, je m’entends dire par Madame Dufour Ferry que vous viendrez peut être les 30 et 31 octobre à titre d’observateur sans représenter la Direction de l’Administration Pénitentiaire.

Je ne vous cache pas que j’ai beaucoup de mal à analyser la nature d’une présence qui nous prive de la substance essentielle qui m’avait conduit vers vous au printemps, à savoir l’expérience et la connaissance, à fins de partage et d’information dynamique.

Madame Dufour Ferry m’apprends enfin que ces deux journées entrent en redondance avec un colloque Culture Justice prévu pour 2003 et lancé depuis un an et demi, dont ni elle, ni personne ne sait s’il se tiendra. J’entends dire que le coût de l’organisation de cette manifestation est très élevé pour les Ministères et ne peut à ce titre supporter la concurrence avec un autre événement.

Pour information, sachez qu’aucune subvention n’a été demandée pour l’organisation d’un groupe de travail que j’assure seul et de façon bénévole depuis six mois.

A ce sujet, je vous rappelle, s’il faut ouvrir le terrain des chiffres pour justifier ma démarche, que depuis 1999, à raison de 20 000 euros par an, les personnes libérées en conditionnelle pour lesquelles j’ai créé les conditions d’un emploi, sans aucune aide ou information de votre administration, ont approximativement fait économiser 100 000 euros à l’Administration Pénitentiaire (5 années homme de prison x 20 000 - chiffres AP de juillet 2001)

D’autres que moi l’ont fait avant, d’autres continuent, beaucoup ignorent la possibilité d’une telle action.

L’objectif de l’association que je vais créer est de réunir les conditions d’information et de coordination nécessaires à l’aménagement annuel de 200 fin de peines.

4 millions d’euros annuels économisés par l’Etat, un retour pour tous à la cotisation sociale, au paiement des parties civiles, au cycle de la consommation, pèsent à mon humble sens autant dans la balance que les frais de déplacement en province des participants encore virtuels au colloque Culture Justice.

Pour finir, je prends acte de l’absence du Ministère de la Justice et de la Culture aux journées des 30 et 31 octobre.

J’en suis profondément ému et désolé pour les participants que j’ai cru bon de réunir mais surtout pour les personnes incarcérées qui pâtiront des difficultés que je rencontrerai à poursuivre une action exclusivement conçue pour eux, pour leurs familles et la communauté dans la perspective de l’apaisement collectif.

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes salutations distinguées.

 

Copies

Monsieur Perben - Ministre de la Justice
Monsieur Aillagon - Ministre de la Culture
Monsieur Didier Lallement - DAP
Monsieur Michel Clément - DDAT

Jean-Christophe Poisson : C’est un peu technique, je ne sais pas ce que vous en pensez.

François Chouquet : Si j’ai un avis à donner, d’abord tu m’as demandé de venir parler. J’aimerais parler de ce qu’on fait à l’université Paris 7, je veux bien en parler et en dire deux mots tout à l’heure, mais il me semble quand même prioritaire et plus urgent que nous fassions connaissance. J’aimerais savoir qui nous sommes et si nous pouvons en effet participer à la création d’une association. J’entends dans ta lettre quand même qu’il faudrait participer par ce statut, par ce travail, il me semble quand même prioritaire de discuter de cette association puisque nous sommes entre nous maintenant, en petit nombre, il me semble quand même plus intéressant que je prenne la parole pour philosopher sur les études en prison. Je peux le faire, mais ça ne me semble pas caler à la problématique du jour. Ta lettre, je la trouve bien déplaisante quand même. Je trouve que tu joues sur les relations interpersonnelles. Nicolas Frize, personnage respectable....

Audrey Chenu : Qui est-ce ?

François Chouquet : C’est un musicien qui a fait des choses respectables en prison. C’est quelqu’un qui a bien réfléchi sur le travail en prison et qui a créé deux ateliers de réparation des archives sonores pour l’INA : un à Poissy et un à Saint-Maur. Les gars qui travaillent ont un contrat de travail, une formation et un diplôme à la sortie. Partant du fait, en effet, qu’il voulait installer quelque chose qui ouvre vraiment la détention sur une formation avec au bout un boulot qui se rapproche le plus possible des conditions de ce qui se fait à l’extérieur. Pour moi, évidemment c’est un travail important. C’est vrai que c’est une personnalité assez incontournable dans tout ce qui touche aux questions de la prison puisqu’il est responsable de la commission des prisons à la Ligue des droits de l’homme. Je vois que tu as fait des démarches avec des gens qui sont au pouvoir, qui ont des responsabilités et j’ai l’impression qu’ils ne veulent pas traiter avec toi parce que tu ne représentes rien pour eux. C’est une impression que j’ai, je ne dis pas ça pour t’embêter !

Jean-Christophe Poisson : Mais non, ça ne m’embête pas du tout

François Chouquet : C’est ce que j’entends.

Jean-Christophe Poisson : Mais c’est ce qui se passe,,,

François Chouquet : Mais comment on fait c’est ça le problème, la donne principale, arriver à être entendu à la bonne hauteur et pouvoir créer le contact avec nos interlocuteurs, sinon on ne fera rien, c’est l’impression que j’ai...
 
Audrey Chenu : On ne peut pas le faire sans eux ?

François Chouquet : Mais comment tu vas pouvoir coordonner les SPIP sans avoir de rapport avec ceux qui représentent les SPIP ? Comment tu vas pouvoir coordonner la culture ? Je ne sais pas très bien comment ça marche, mais je pense que ça passe aussi par un certain nombre de hiérarchie incontournable, et, à un moment donné, il faudra des subventions malgré tout puisqu’on entend les chiffres que tu donnes à la fin.

Jean-Christophe Poisson : 200 personnes.

Arrivée du Sénateur

Jean-Christophe Poisson : Monsieur le sénateur.

Paul Loridant : Bonjour. Si vous n’avez jamais vu un sénateur...

François Chouquet : Un sénateur qui ne fait pas d’excès de vitesse ! Il y en a !

Jean-Christophe Poisson : On s’est permis de commencer. Je crois que vous avez très peu de temps d’après votre secrétariat. Un rappel par rapport à la présence du sénateur Loridant qui est justifiée par rapport au plan. Si je reviens à ce que je disais depuis le début, le point de départ ce sont les activités culturelles en prison. Je ne fais d’ethnocentrisme en disant qu’il n’y a que la culture qui importe en prison. On s’aperçoit que si on veut développer les activités culturelles en prison, l’éducation et tout ce qui relève de la formation universitaire ou scolaire un temps doit être dégagé et, à mon avis, il ne peut l’être que par rapport au temps de travail. Le sénateur a rédigé pour le Sénat une étude sur le travail en prison qui est parue au mois de juin. Je l’ai invité pour qu’il nous présente un état des lieux du travail en prison pour aborder techniquement le sujet et ensuite, nous aborderons la formation avec François Chouquet, non pas sur la philosophie, la philosophie de la formation comme tu disais tout à l’heure mais pour essayer de faire un déroulé des dispositifs, des possibilités et des manques. Ensuite Emmanuelle Schweig interviendra en matière de culture et au nom de la Drac pour faire un état des lieux au niveau des dispositifs et de la théorie. Cet après-midi est destinée à dérouler l’épreuve des réalités locales à travers les expériences d’artistes comme Jean-Pierre Chrétien-Goni, Anne Toussaint et Klavdij Sluban, photographe qui intervient à Fleury. Demain matin nous poursuivrons la conversation autour des possibilités de réinsertion à travers les activités culturelles. Je propose que Monsieur Loridant prenne la parole.

Paul Loridant : Je vais vous parler du travail en prison.

Jean-Christophe Poisson : oui, oui, bien entendu.

Paul Loridant : Au Sénat, je suis à la commission des finances, rapporteur des comptes spéciaux du trésor. Il en existe 36 dont certains sont très importants comme le fond d’aide au sport, le CNC, les privatisations, etc. Il y a un tout petit compte qui s’appelle la RIEP (régie industrielle des établissements pénitentiaires) et j’ai décidé, comme tout parlementaire de la commission des finances en a le droit, (je suis rapporteur spécial d’un budget) de faire une mission de contrôle parlementaire sur la RIEP. Il s’agit d’une partie de l’administration pénitentiaire qui est en charge d’organiser et de proposer du travail en prison pour les détenus. Donc, en titan le fil de la Riep, ça m’a permis d’avoir un regard sur l’ensemble de la problématique du travail en prison et de faire un constat. Vous connaissez un tout petit peu la prison ? Vous savez, il existe 3 types de travail : le travail de service général, le travail de la RIEP et les concessionnaires. À partir de là, j’ai donné un coup de projecteur sur cette problématique du travail en prison et j’ai fait un petit peu de législation comparée sur les différents pays d’Europe. À partir des constats, j’ai fait un certain nombre de propositions, propositions que j’ai traduites au mois de juillet quand il y a eu la loi sur le Ministère de la Justice. Sur une vingtaine d’amendements, il y en a 3 qui sont passés. 3 amendements sur mon titre de loi, ce n’est pas évident.
Pour ceux qui ne me connaissent pas, je suis dans l’opposition actuelle. Je suis secrétaire général du Mouvement des citoyens. Je suis avec Jean-Pierre Chevènement et maire des Ulis dans l’Essonne.
J’ai fait adopter :
le principe de locaux adaptés au travail dans les nouvelles constructions d’établissements pénitentiaires et l’organisation du travail en prison.
La possibilité pour un détenu de créer son propre emploi en prison.
Un amendement qui est passé et qui a eu une grande popularité dans les prisons j’ai fait adopter que les 300 francs que payent les détenus lorsqu’ils travaillent soient supprimés au 1er Janvier. Vous savez tous ce que c’est : quand un détenu travaille soit à la Riep ou chez un concessionnaire, il se voit ponctionner 300 francs de frais de pension alors que celui qui ne travaille pas n’est pas ponctionné sur les mandats qu’il reçoit. Donc tout ça est passé. Maintenant, il faut vérifier que dans la loi de finances de 2003, ces amendements qui ont été votés par l’assemblée soient appliqués. Voilà à quoi sert un rapport si de temps en temps on arrive à faire passer des amendements.
Pour le reste, j’ai fait un certain nombre de constats sur les conditions de travail en prison. Est-ce que le droit du travail s’applique en prison ? Non. Est-ce qu’on peut appliquer strictement le droit du travail en prison ? Non. Est-ce qu’on peut introduire des éléments du droit du travail en prison ? Certainement oui, mais maintenant quelles dispositions faudrait-il introduire ? Il est évident qu’en prison, on n’a pas la liberté d’aller et de venir. J’imagine mal qu’on puisse élire un délégué syndical par exemple. Donc vous voyez que la transcription stricte du droit du travail paraît difficile. En revanche, il y a des choses qui pourraient être construites et sur lesquelles on pourrait s’appuyer pour faire avancer les choses. Je prends un exemple : quand un détenu travaille, il ne cotise pas à l’assurance-chômage. De sorte que quand il y a du chômage en prison, et il y a du chômage en prison, le détenu n’a pas de revenu. De même il n’a pas de congés payés. À partir de ça, on considère qu’on pourrait amener le détenu à cotiser aux Assedic, de sorte que quand il y a du chômage en prison, le détenu a un revenu de substitution qui est les Assedic. De même pour les congés payés.
Je prends ces quelques exemples pour montrer qu’il y a des choses qui sont en train de se faire. Ce qu’on peut dire sur le salaire minimum, c’est que c’est un gros problème, quelque chose que le détenu ne voit peut-être pas, ne comprends pas : pourquoi n’applique-t-on pas spontanément le SMIC en prison ? Parce que si on applique le SMIC en prison, du jour au lendemain, il n y a plus de travail. Il n’y aura plus de travail parce que la mondialisation financière traverse les prisons. C’est ce qui s’est passé en Italie. Le SMIC a été introduit et le travail a disparu. Les entreprises, les ateliers donnent le travail au Maroc, en Tunisie, en Asie du sud-est. Ma proposition est qu’on aille vers un salaire minimum, un SMAP au moins égal à la moitié du SMIC. Sur le travail en prison, je peux vous en parler longuement. Il y a le service général (distribution des repas, etc..) qui procure un salaire de misère : entre 700 et 800 francs par mois, ce n’est pas grand-chose. Ensuite il y a la Riep et là c’est plutôt le top du travail en prison. C’est-à-dire le travail organisé par l’Administration pénitentiaire : il y a des ateliers de chaussures pour les surveillants de prison, les vêtements pour les gardiens de prison ou encore des cercueils. On fabrique aussi des lits et des placards pour les cellules. C’est quand même ce vieux fond du XVIIIème-XIXème siècle où le travail servait à équiper les prisons. Ceci dit, je trouve que les gens de la Riep sont plutôt des gens motivés. C’est une partie de l’AP qui a une idée de sa mission. Il y a une ébénisterie à Murêt qui réunit les conditions d’hygiène et de sécurité meilleures que beaucoup d’entreprises à l’extérieur. Chez les concessionnaires, il y a le pire et le meilleur, des choses assez étonnantes, extraordinaires. Par exemple, j’ai vu au Murêt, l’ entreprise TURBOMECA qui fabrique des pièces pour moteur d’avions militaires. Vous voyez des détenus qui ont reçu une formation avec deux ateliers de turbo-mécanique. A côté de ça on trouve tout : des échantillons de moquettes collés dans des catalogues, du remplissage de tubes de rouge à lèvre, la fabrication des gilets réfléchissants pour les agents de la voirie. Beaucoup de ces travaux sont condamnés à terme. L’objectif c’est quand même la réinsertion. Sur le rôle, sur la philosophie du travail en prison, est-ce que le travail libère ? Pour moi oui.

Sidi Ali : Monsieur, je suis venu là par hasard et en parlant de ça je pense que l’associatif fait beaucoup de choses. Vous êtes maire des Ulis et par rapport à tous les problèmes qui se sont passé, l’associatif aux Ulis a fait énormément de choses, que ce soit dans le domaine de la danse, de la musique, du théâtre, du cinéma, du hip hop. Moi, je n’ai jamais été en prison et je trouve que la prison c’est du bagne. Moi, je fais tout le temps la même chose ; à la rigueur, si j’étais en prison, je pourrais faire du théâtre, je peux lire, je peux m’évader l’esprit. C’est ça qui est bien. La personne qui sort de là va avoir autre chose dans son esprit En parlant, je suis un peu frustré car je ne savais même pas, je n’étais pas au courant -excusez-moi Monsieur le sénateur- que des gens font du théâtre, du cinéma en prison. La prison, c’est quelque chose de pas joli et la liberté coûte cher. Les seules personnes que je connaisse et qui s’en sortent sont celles qui sont allées dans la religion. Enrichir des patrons, je n’appelle pas ça de la réinsertion et très souvent, les associations qui se battent, qui demandent des moyens on ne leur en donne pas et je pense que la démocratie, la liberté des lois, c’est chacun fait son petit lit. Vous, vous êtes dans les sommets ! Faites quelque chose.

Paul Loridant : J’ai quand même les pieds dans la glaise. En banlieue, je me fais quand même caillasser ma voiture.

Sidi Ali : Mais la banlieue, ce n’est pas quelque chose de facile.

Paul Loridant : Attendez ! Moi, j’ai fait un rapport sur les conditions de travail en prison, pas sur les conditions de vie des détenus. J’ai fait mon travail, je suis rapporteur des comptes spéciaux du trésor et j’ai fait mon boulot de sénateur en allant contrôler sur place et sur pièce la façon dont se faisait le travail. Et à partir de là, dans le domaine du travail en prison, j’ai fait un certain nombre de propositions. Je ne sais pas qui vous êtes.

Jean-Christophe Poisson : Vous voulez que je fasse une présentation peut-être ?

Paul Loridant : Non je finis. Il y a quand même du meilleur en prison. J’ai vu quel type de travail réellement important on pouvait apporter, une valeur ajoutée, une compétence pour que le détenu qui sorte puisse utiliser cette expérience professionnelle et un certificat de travail.
Il y a deux ateliers à Poissy et à Saint-Maur (du côté de Châteauroux) de numérisation des archives sonores de l’INA, des archives du Ministère de la Culture qui sont numérisées sur ordinateur. Les gens qui ont fait ça sont sortis très facilement. Parmi eux, il y avait François Besse qui était chef d’atelier d’audiovisuel à Saint-Maur et pour ça j’ai proposé, le cas échéant, la possibilité pour un détenu de créer son propre emploi. J’ai vu un détenu qui a créé son propre emploi de fabrique de programme informatique. Son boulot est un peu compliqué parce qu’il ne peut pas appeler au téléphone. J’ai vu des métiers artisanaux, des gens qui fabriquaient des lustres en cristal. Ma réflexion est qu’il faudrait..., comme le niveau en prison est extrêmement variable, essayer de réfléchir au type d’activités professionnelles qui puisse se faire valoir à l’extérieur. Il y a une chose que vous ne savez pas : en prison, il faut entre 1000 et 1500 francs par mois pour vivre décemment. Quand vous êtes condamné et que votre famille vous laisse tomber, il y a quand même du quart-monde en prison. Celui qui n’a pas d’argent vit dans la misère, donc le travail est une nécessité sinon on fabrique des cocottes destinées à exploser. Il y a une autre chose qui est fondamentale, c’est que le travail n’est pas obligatoire en prison, c’est une grande avancée. Le travail n’est pas obligatoire parce que juridiquement...

Guillaume Fournier : Il l’était il y a peu de temps.

Paul Loridant : Jusqu’en 1987.

Audrey Chenu : Il faut aussi travailler pour obtenir une conditionnelle, pas seulement pour vivre, voyez la réalité en face ...

Paul Loridant :Non, non, écoutez, moi je fais de la politique, je suis chevénementiste. Il y a des gens qui mettent un point d’honneur à ne pas travailler en prison. Quand vous avez des détenus corses nationalistes ou des détenus basques terroristes qui ont été condamnés, ces gens mettent un point d’honneur à ne pas travailler. Donc, il ne faut pas nous raconter d’histoires. Le travail en prison n’est pas obligatoire alors qu’il y a des pays où le travail est obligatoire. Nous sommes un des rares pays où il y a la liberté, qui est une liberté fondamentale et qui est respectée. Après, c’est vrai, on peut dire que celui qui travaille a des remises de peine supplémentaires. On le sait, mais celui qui suit une formation peut avoir une remise de peine. Je ne sais pas si quand on fait des activités culturelles, nous avons des remises de peine. Je n’en sais rien, mais le travail n’est pas obligatoire et je peux vous dire que j’ai rencontré des détenus qui mettaient un point d’honneur à ne pas travailler et qui revendiquaient le fait de ne pas travailler donc ...

Milko Paris : peut-on vous apporter la contradiction Monsieur ? Vous dites que la loi permet de ne pas travailler. Effectivement dans la loi ceci est inscrit, mais dans la pratique c’est obligatoire. Car lorsqu’une personne refuse de travailler elle est considérée comme asociale et une partie des remises de peines lui sont enlevé de ce fait et bien évidemment cela se traduit par de multiples mesures de rétorsions non octroi de permissions et impossibilité de déposer une demande de libération conditionnelle.

Paul Loridant : Oui, il a été condamné !

Milko Paris : Ca, c’est votre point de vue.

Paul Loridant : Ce n’est pas mon point de vue comme vous dites !

Milko Paris : Ensuite le(la) détenu(e) qu’on appelle de droit commun, lorsqu’il(le) prétend à une conditionnelle, une permission ou une semi-liberté et qui ne demande pas à travailler parce que, effectivement, il(elle) refuse les conditions de travail et parce que le travail est organisé de telle manière que les détenu(e)s, comme la plupart d’entre vous le savent, n’ont aucun des droits du travail : pas de contrat de travail, pas le droit au chômage, pas d’arrêt maladie, pas de congés payés etc.... Donc ils-elles sont corvéables à merci et on ne peut pas employer le terme de licenciement puisque étant donné qu’ils (qu’elles) n’ont pas de contrat, ils(elles) sont éjecté(e)s . Donc, il est normal qu’un certain nombre de détenu(e)s, que ce soient des détenu(e)s dits terroristes ou des détenu(e)s de droits communs refusent le travail. Le problème, c’est que les magistrats lorsque vous posez une conditionnelle, lorsque vous prétendez obtenir une conditionnelle ou à une remise de peine, tiennent compte de votre refus de travailler donc ce que la loi dit et la pratique, c’est tout autre. Donc, ne dites pas Monsieur, que le travail n’est pas obligatoire. Ne dites pas que le travail n’est pas obligatoire car dans les mœurs, c’est tout autre. Vous vous situez d’un point de vue de la loi....

Paul Loridant : Je suis parlementaire. Je suis chargé de faire la loi et de représenter le peuple. Quand je vote la loi, c’est au nom du citoyen. Ma mission est de contrôler le pouvoir exécutif. Il y a de l’avancement en ce qui concerne le travail en prison et il ne faut pas oublier qu’avant il y avait les galères. La prison, c’est la privation de liberté et certains détenus ont le droit de vote.

Milko Paris : C’est facile à faire et difficile à appliquer.

Paul Loridant : J’ai vu à Clairvaux, qui est quand même la pire des prisons, des détenus qui votent.

Milko Paris : C’est une infime minorité car il existe la double peine.

Paul Loridant : Un citoyen français qui est condamné à une peine complémentaire qui est la double peine, c’est la décision du juge.

Milko Paris : En plus des droits civiques, il est privé des droits commerciaux, familiaux et civils...

Paul Loridant : Mon père qui a été condamné, il y a longtemps a été privé des droits commerciaux.

Milko Paris : C’est arbitraire.

Paul Loridant :Le législateur l’a prévu.

Jean-Christophe Poisson : Je veux qu’on évite de se disperser. Nous sommes là pour nous informer. Vous avez dit tout à l’heure qu’il y a du chômage en prison. Comment ça se fait qu’il y a plus d’offres que de demandes ?

Paul Loridant : C’est intolérable, mais il y a du quart-monde en prison.

Jean-Christophe Poisson : Est-ce qu’il y a une réflexion sur le coup macro-économique de la récidive ? Est-ce qu’il n’est pas possible que l’Etat fasse une analyse sur le Smic ?

Paul Loridant : Le travail en prison concurrence les Centres d’Aide par le Travail. La proposition que je fais est d’appliquer le droit. Les CAT subissent la concurrence, je m’inscris dans le réel. Appliquer les minimas sociaux, politiquement ça ne passe pas. Je ne vois pas qui peut être assez kamikaze pour ça. C’est différent à Poissy et à Saint-Maur où les détenus travaillent sur les archives de l’INA avec Nicolas Frize.

Laurentino Da Silva : Il y a une présélection pour y aller.

François Chouquet : Il faut une volonté politique de l’Etat pour favoriser le travail en prison et le Smic.

Paul Loridant : Il faut que La Riep ait les moyens de moderniser les ateliers, de réussir à des lignes de production et la Riep le fait. D’ailleurs, les plus gros salaires en prison sont ceux de la Riep, elle paye à l’heure.

Laurentino Da Silva : Pour arriver à un salaire maximum à la Riep, il faut d’abord travailler au moins depuis un minimum de 2ans et demi - 3 ans et le salaire reste à 500/600 francs.

Paul Loridant : D’habitude, ça dépend des lieux et après la Riep fixe les salaires.

Laurentino Da Silva : 3 ans pour arriver au plafond.

Jean-Christophe Poisson : Je propose qu’on se présente rapidement en 3 secondes.

François Chouquet, je suis professeur de philosophie à Paris 7 et je m’occupe de la section d’enseignement aux étudiants dits empêchés qui sont les prisonniers. Nous intervenons dans un certain nombre d’établissements de la région parisienne : la Santé, Fresnes et Poissy ; j’en parlerai plus longuement tout à l’heure.

Milko Paris, de l’association Ban Public. nous avons créé sur Internet un site d’informations et de débats sur les prisons.

Anne Toussaint, je suis réalisatrice et je mène un travail d’audiovisuel à la maison d’arrêt de la Santé.

Audrey Chenu, ex-détenue et étudiante à Paris 7 en maîtrise de sociologie.

Florine Séganos, étudiante en doctorat de sociologie. Je réalise une thèse sur les activités culturelles en détention.

Brigitte Choucrane, collaboratrice de Nicole Charpail Miss griff association

Paul Loridant, sénateur de l’Essonne depuis 86 et maire des Ulysses. Avant d’être sénateur, j’ai travaillé à la Banque de France, j’ai suivi une formation d’économiste et de financier, et comme je vous l’ai dit, je suis secrétaire général du Mouvement des Citoyens.

Anne Roussel, je suis sans emploi et je suis là par amitié pour Jean-Christophe Poisson.

Maryse Aubert, je suis metteur en scène de théâtre et j’interviens à Fleury-Mérogis à la demande de l’ association qui gère la bibliothèque et je fais de la lecture dramatisée quand je n’arrive pas à faire de théâtre et c’est agréable de voir ce qui se passe.

Jean-Pierre Chrétien-Goni, je suis metteur en scène de théâtre et j’interviens depuis de nombreuses années en milieu carcéral et dans d’autres espaces et territoires occupés. Je suis également maître de conférence au conservatoire des Arts et Métiers et j’interviens à Fleury sur les formations.

Sidi Ali, je suis venu comme ça.

Jean-Marc Van Rossem, je suis le seul du Ministère de la Justice, mais je ne suis pas membre du Ministère de la Justice. Je travaille à la Protection Judiciaire de la Jeunesse à la Direction régionale d’Île-de-France comme conseiller technique d’insertion chargé du dossier sport culture. Je pourrai parler de ma position de conseiller technique d’insertion, pas au nom de l’administration centrale et du Ministère mais sur notre état de recherches sur les nouvelles lois et les nouvelles orientations du Ministère de la Justice et notamment sur la prise en charge des mineurs délinquants.

Emmanuelle Schweig, je suis conseillère territoriale à la DRAC Ile de France, chargée notamment du suivi des activités culturelles en milieu pénitentiaire.

Laurentino Da Silva, je suis animateur-programmateur jeune public au cinéma Georges Méliès à Montreuil. Je suis également ex-détenu.

Mamadou Sanou, acteur et je suis rapporteur aujourd’hui.

Jean-Christophe Poisson, je suis metteur en scène.

Paul Loridant : Une dernière parmi les propositions que j’ai faites dans mon rapport notamment sur les produits de la Riep et des autres entreprises : on pourrait très bien faire une ligne de produits issue du commerce équitable pour l’indemnisation des victimes. Il faut savoir que quand on travaille en détention il y a trois retenues, les 10% pour le pécule de sortie, les 10% pour l’indemnisation des victimes, et les fameux 300 francs de pension. Je pense que c’est un sujet sur lequel il faudrait se mobiliser. Eventuellement je serais prêt à donner un peu de temps pour faire avancer les choses dans ce domaine.

Milko Paris : Dans les propositions, il faut faire disparaître l’arbitraire du casier judiciaire, faire que le(la) détenu(e) qui sort retrouve de façon définitive ses droits civiques, civils, commerciaux et familiaux. Troisième proposition un peu concrète et je crois que vous l’avez évoquée dans le rapport tout à l’heure, c’est de faire des prisons des zones Franches. A l’extérieur il ne s’agit que de boites aux lettres, au moins, dans les prisons les entreprises seraient identifiées et on saura à qui ça profite. Quatrième proposition : faire que le(la) détenu(e) puisse créer sa propre entreprise.

Paul Loridant : L’amendement est passé.

Milko Paris : Et sans que l’administration pénitentiaire et les services sociaux mettent leur veto puisque la Justice et l’administration pénitentiaire sont incapables de fournir du travail décent aux personnes incarcérées. Je suis désolé de vous le dire, j’ai fait onze années de prison ; j’ai été transféré dans différentes prisons et je sais de quoi je parle.

Paul Loridant : je peux vous dire que ce n’est pas vrai. J’ai vu des gens de la Riep, des gens mobilisés qui avaient à coeur leur travail. J’ai vu aussi qu’il manquait des moyens et ce sont les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire.

Milko Paris : Fournir du travail payé 300 francs par mois à des détenu(e)s qui n’ont aucun droit et surtout pas le droit de se syndiquer, évidemment c’est motivant. Moi, ce que je vous propose, c’est de placer le débat sur un plan politique et de faire en sorte que les détenu(e)s bénéficient de tous les droits du travail surtout et dénoncer les conditions de travail. Il n’y a pas de raison qu’un gouvernement s’oppose à cela. D’un point de vue de la sécurité, je ne vois pas où est le problème. Si vous voulez demain que la récidive ne soit pas de 70 % mais de 10% ou 20 %, il va falloir ouvrir le débat sur ce terrain là. Ensuite quand vous n’avez aucun des droits ni civiques ou commerciaux et que vous ne pouvez pas prétendre aux emplois de la fonction publique, qu’est-ce qu’il vous reste ? La récidive ou un emploi CES. Si vous voulez diminuer le niveau de violence dans la société, il faudra intégrer d’une manière définitive les ex-délinquants ; pour cela il faut faire en sorte qu’ils puissent retrouver tous leurs droits de manière automatique.

Jean-Marc Van Rossem : Je voudrais faire part d’une question que je me pose : Si l’on augmente la place de l’entreprise en prison,si les détenus rentrent dans le système du droit du travail général, est-ce qu’il n’y a pas danger de privatisation ? C’est une question qui est en suspens, notamment pour la prise en charge des mineurs délinquants. Est-ce qu’il n’y a pas le danger de la privatisation si l’on s’éloigne des systèmes alternatifs que vous décrivez ? La privatisation c’est quand même une porte ouverte à beaucoup de choses.

Guillaume Fournier : Bonjour, Guillaume Fournier, ancien détenu. Ce que vous appelez la privatisation, non pas que je sois un acharné du libéralisme, c’est d’être payé à des tarifs normaux et non pas à 364 francs par mois ? D’autant qu’à partir du principe où l’Etat n’est plus à même de s’auto-imposer des normes, il est vrai que dans l’administration pénitentiaire, mais aussi dans d’autres administrations, les normes de sécurité ne sont absolument pas respectées. Vous pouvez aller voir à la maison d’arrêt de la Santé où l’établissement est dans un tel état de vétusté que des fils électriques dénudés passent sous des canalisations d’eau. S’il y a le feu, il n’y a personne pour vous ouvrir les portes. Je me fais l’avocat du diable, mais je pense que dans le cadre d’une prison privée, l’Etat aura les moyens de faire respecter un minimum d’obligations de sécurité car il pourra faire pression à tout moment . Ne serait-ce que par des visites de commission de sécurité que l’administration pénitentiaire, en tant qu’institution d’Etat, se trouve en mesure de refuser.

Maryse Aubert : On est en train de parler comme si il était évident que la prison était un lieu de non droit, que la loi française ne s’y applique pas. Mais quelle est la loi française par rapport à ce qui se passe à l’intérieur des prisons en matière de travail et de conditions de détention ? Mon sentiment est qu’il paraît évident à tout le monde que c’est comme ça. La loi française ne s’applique pas en prison, mais quelle loi s’applique en prison ?

Paul Loridant : Les lois de la République s’appliquent à la prison.

François Chouquet : Elles sont appliquées de façon variable selon les établissements. Interrogez nos amis sur le règlement intérieur. Il y a un terrible écart entre le droit positif qui existe, les textes sont là et puis la pratique. Elles sont éloignées et parfois en contradiction.

Paul Loridant : Encore une fois, moi je parle des textes législatifs . Je suis à la commission des finances, je ne suis pas juriste, je suis parlementaire et je ne suis pas la commission des lois. En prison on est condamné à être privé de liberté et ça implique un certain nombre de conséquences mais on garde tous ses droits de citoyen : c’est la décision d’un juge. Dans une démocratie, il y a trois pouvoirs : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Les idées de Montesquieu. S’il n’y a pas ses trois pouvoirs, ce n’est pas une démocratie. Je ne parle pas des prévenus car leurs situations est encore plus scandaleuse que celle des détenus. Quand on est condamné, détenu, nous avons le droit à la santé. Normalement, on doit être soigné en prison. Nous avons le droit à la formation. Les détenus de moins de 16 ans ont droit à des cours en prison. Ils ont droit à des activités culturelles. Après, vous avez raison, c’est selon la personnalité du directeur ; la personnalité du directeur dans une prison est fondamentale.

François Chouquet : Quand vous étiez à la commission d’enquête au Sénat, il y avait eu une disposition qui était prévue, c’était une commission de contrôle qui existe déjà, mais celle que vous aviez prévue était une commission qui viendrait régulièrement sans prévenir visiter les établissements. Est-ce qu’il y a un suivi du projet chez vous du point de vue des sénateurs ou est-ce que c’est parti avec le nouveau gouvernement ? Où en est-on de la grande loi pénitentiaire ? Ce serait quand même intéressant de le savoir.

Paul Loridant : Je ne peux pas vous répondre parce que ça relève de mes collègues de la commission des lois. En revanche, il y a une disposition qui existe et qui n’est pas ou peu appliquée et qu’il faudrait faire appliquer : c’est que tout parlementaire peut arriver à toute heure du jour et de la nuit dans n’importe quel établissement pénitentiaire ; y rentrer et visiter tout ce qu’il veut.

Audrey Chenu : On ne les a jamais vus.

Paul Loridant : Je veux dire par là que les 321 sénateurs et les parlementaires peuvent à tous moments rentrer en prison et on ne peut pas leur interdire. C’est de la faute aux parlementaires qui n’y vont pas, et à ceux qui les ont élus et qui ne leur piquent pas les fesses pour y aller.

François Chouquet : Comment voulez-vous toucher ces personnes ?

Paul Loridant : Ecoutez votre député. Votre maire fait des permanences. Moi, je fais des permanences trois fois par mois. Il y a entre quinze et vingt personnes qui viennent me voir ; n’importe qui peut venir me voir, il ne faut pas dire que je ne suis pas accessible. Si quelqu’un vient me dire : il faudrait aller dans telle prison, ça dépend de mon emploi du temps. Je vous assure que je suis allé à Fleury-Mérogis, il y a moins d’un mois.

Audrey Chenu : Excusez-moi, est-ce que vous y êtes allé pour la commission dont vous avez parlée ?

Paul Loridant : Non, j’y suis allé parce que je voulais voir très précisément. Il faut être efficace. Si Je veux y aller à l’improviste, je peux. Il faudrait que j’attende le bon moment pour qu’on réveille le directeur. Par contre, si je dis je viens à tel jour, à telle heure il vaut mieux prévenir en général, mais si on veut, on peut ne pas prévenir. Je suis allé en prison, j’allais partout où je voulais. Dans toutes les prisons, il y a deux choses que je demandais à voir : c’était les mitards et discuter avec les détenus qui étaient au mitard, s’ils voulaient me parler parce qu’il y en avait qui disaient qu’ils n’en avaient rien à faire. Je visitais systématiquement les mitards et les parloirs pour voir les conditions. Après je veux poser une question écrite et dire du haut de l’hémicycle « Monsieur le ministre, dans cette prison, c’est scandaleux » ; on fait la pression du pouvoir législatif.

Anne Toussaint : Je voudrais prendre la parole. C’est sûr qu’on peut revisiter tous les points au niveau des conditions de détention mais si je suis là aujourd’hui c’est pour essayer de réfléchir sur ce temps de détention, le temps de travail et ce passage entre le temps de la détention et le retour. Je ne parle pas de la réinsertion, je parle du retour. Il me semble que dans la notion de travail, il y a quelque chose qui m’interroge toujours, c’est la question des fiches de paie qui sont toujours stigmatisantes pour la personne qui a travaillé en détention, puisqu’elle ressort avec des fiches de paie qui sont pour la Riep ou qui sont estampillées administration pénitentiaire. Est-ce qu’on ne pourrait pas faire avancer les choses de telle sorte que ce ne soit plus l’administration pénitentiaire qui s’en occupe mais le Ministère du travail ou solliciter d’autres Ministères. Je suis sûre qu’au niveau du Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des sports ou de la Culture, il y a peut-être des volants pour des emplois qui seraient destinés à être mis à l’intérieur des prisons.
Est-ce qu’on ne pourrait pas réfléchir à une prise en charge du travail indépendante de l’administration pénitentiaire ? Ce qui fait que la personne qui vit son temps de détention a travaillé en détention a reçue une la valeur ajoutée, une plus value. Elle ne ressort pas avec un trou dans son curriculum vitae, mais une activité qui se poursuit. Si la peine c’est la privation de liberté, il ne faut que ce soit stigmatisée administration pénitentiaire. Comment on peut faire avancer cette chose-là ? Par exemple pour la santé, avant c’était l’administration pénitentiaire qui s’en occupait et c’est passé du côté du Ministère de la Santé. Pourquoi pour la question du travail ce ne serait pas le Ministère du travail ?

Paul Loridant : Je ne suis pas sûr que soit la bonne solution de faire appel à plusieurs administrations. Je ne suis pas sûr que ça fasse avancer les choses.

Anne Toussaint : Il y a bien l’Education nationale qui intervient à l’intérieur des prisons. On parle de privatiser les prisons, de faire venir les entreprises.

Paul Loridant : Attendez. L’inspection du travail vient dans les ateliers. Dans toutes les prisons où je suis allé, j’ai vu et j’ai demandé le rapport de l’inspection du travail.

Anne Toussaint : Pourquoi, les trois- quarts des personnes qui travaillent à la maison d’arrêt de la Santé sont des sans papiers qui cotisent même si ce n’est peut-être pas la question du jour. La question d’aujourd’hui c’est d’essayer de réduire cette exclusion au niveau des droits des personnes incarcérées. Ce qui me semble important par rapport au retour, c’est d’essayer de travailler la question au niveau de la représentation, de la stigmatisation et de l’acceptation de la société civile au retour d’ex-prisonniers. Effectivement, quand quelqu’un se présente à sa sortie dans le monde du travail, il n y a pas de sas, la personne sort avec son sac et il faut y aller. Quand il y un trou de cinq, dix ou quinze ans, où on ne va pas mettre travail pour la concession de la RIEP, comment fait-on ?

Jean-Christophe Poisson : François Chouquet peut donner l’exemple de ce qui se fait en matière d’Education Nationale.

François Chouquet : Je ferai la transition avec votre rapport sur le travail, et je me demande s’il y a dans votre rapport un chapitre sur l’alternative qui est proposée : soit travailler, soit suivre des études. Il y a un texte qui a été écrit, il n’y a pas très longtemps et qui affirmait la possibilité de mener les deux de front. Or, dans la réalité, voilà un exemple qui ne fonctionne pas car quand les garçons travaillent, il est évident qu’ils ne sont pas disponibles pour venir en cours. On le voit partout, ou ce n’est qu’à partir de 17 heures et nous on est condamnés à faire des cours qui durent 3/4 d’heure comme ça se fait à Melun et à Poissy. Je me demande comment ce gros problème peut être résolu. Est-ce que vous avez regardé ça de plus près ?

Paul Loridant : Moi, ce que j’ai vu, c’est que l’organisation de la journée pénitentiaire ne permet pas de travailler et de suivre des cours.

Laurentino Da Silva : Tout est axé sur le travail.

Paul Loridant : Ca dépend des prisons et des directeurs et des modèles qu’ils créent. L’organisation de la journée pénitentiaire avec les trois-huit, qu’il y a à certaines périodes moins de gardiens... L’objectif premier de l’AP, c’est sa sécurité. Tout, tout est bâti autour de la sécurité. Ce qui donc contraint les allées et venues. Du coup, l’organisation de la journée pénitentiaire est bloquante par rapport aux heures de travail et à la formation. Le vrai sujet, par rapport à la problématique de votre journée de réflexion est comment organiser la journée pénitentiaire.

Jean-Christophe Poisson C’est exactement le sujet.

François Chouquet : Au fond, seuls viennent suivre les cours les personnes qui n’ont pas besoin essentiellement de travailler à l’intérieur pour vivre, les pauvres vont au boulot et puis ceux qui ont la possibilité de cantiner sans aller au boulot peuvent suivre des études. C’est une reproduction de l’injustice flagrante et vous voyez que c’est bien plus que l’organisation de la journée.

Milko Paris : Les prisons ne font pas de journée continue. Pourtant dans certaines, à Caen par exemple, les prisonniers vont au travail le matin et, l’après-midi, peuvent se consacrer aux activités culturelles et à l’enseignement. Je pense que c’est une formule qui doit être proposée dans tous les établissements. cela permettrait à un nombre plus important de détenu(e)s d’accéder aux études. Ensuite, il y a la possibilité de donner des bourses à ceux qui suivent des études.

Audrey Chenu : Pourquoi ?, déjà ils retirent déjà la bourse aux étudiants qui entrent en détention.

Milko Paris : Il n’y a pas de raison de ne pas attribuer des bourses dans la mesure ou en plus il y a des difficultés d’accès à l’emploi. Cela permettrait à plus de détenu(e)s d’avancer. Il y a des pistes. Pourquoi l’administration pénitentiaire a -t-elle des réticences à se renouveler sur ce plan-là ? Ce ne sont pas les problèmes de sécurité qui bloquent.

Audrey Chenu : C’est un problème de volonté.

Jean-Christophe Poisson : Techniquement au niveau de l’Etat quels sont les moyens efficaces dont vous disposez pour essayer de sensibiliser un tout petit peu les pouvoirs publics ? Quels sont les moyens pratiques qu’on peut développer ? Est-ce qu’il faut saisir les députés, les élus, les Ministères ? Vous le savez ?

Paul Loridant : Les élus, les sénateurs ne sont pas le pouvoir exécutif. Ils n’ont pas l’administration sous la main. Quand je suis maire je suis l’exécutif, j’ai 600 agents sous mes ordres, quand je suis parlementaire je m’occupe des textes.

Voix anonyme : Ils ne peuvent pas interpeller l’exécutif ?

Paul Loridant : On peut interpeller l’exécutif, mais ça ne fera pas avancer nécessairement le schmilblik. Les vrais acteurs sont l’Administration Pénitentiaire, le Ministère de la Justice et les directeurs de prison. Il faut voir avec eux.

Jean-Marc Van Rossem : Je pense qu’il y a confusion entre loi et règlement intérieur. Il existe des lois sur lesquelles les cadres de la fonction publique ont à s’appuyer. Après, et cela va se poser pour nous avec la mise en place des nouveaux établissements, il y a la liberté d’action de l’institution et de ses travailleurs. Je pense que si l’on veut faire bouger les choses, il faut aller travailler là-dedans, c’est la meilleure de façon de changer les choses. Et après, c’est vrai, il faut voir comment les choses se négocient. Comment une prison qui a un règlement intérieur fait par son directeur peut être modifié. L’aménagement d’une journée, ce n’est pas la loi, c’est le règlement intérieur.

Laurentino Da Silva : Donc c’est faisable.

Jean-Marc Van Rossem : Ca ne relève pas de la loi.

Maryse Aubert : Si la loi ne vient pas contrôler quelque chose qui est essentiel, c’est que la loi est mauvaise.

Laurentino Da Silva : Dites qu’un directeur a tous les droits.

Jean-Marc Van Rossem : Justement, il n’a pas tous les droits, il y a une mission et une responsabilité déléguée.

Paul Loridant : Excusez-moi pour le cours de droit constitutionnel : Article 34 et 37 de la Constitution : tout ce qui n’est pas du domaine de la loi est du domaine du règlement donc la loi fixe dans certains domaines des cadres. Le domaine réglementaire, c’est l’administration, ce n’est pas le législateur. La loi fixe un cadre qui est plus ou moins précis, mais vous vous rendez compte si on se mettait à légiférer sur le moindre truc ? Déjà qu’on fait trop de lois qui ne sont pas appliquées.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Imaginez qu’il en soit ainsi dans l’Education Nationale, que chaque directeur de collège, chaque proviseurs organise la journée et les contenus comme il veut . Là, l’Etat est maître chez lui, comment se fait-il qu’on n’y arrive pas ? ce sont des choses tellement minimales. On ne demande pas de choses extraordinaires au fond quand on veut simplement que soient appliquées les lois de la République. Comment se fait-il que l’Etat qui est maître chez lui et il l’est en prison, qui est aussi l’espace de la République, n’arrive pas à faire appliquer ces lois. Il me semble par ailleurs que l’Etat sait montrer sa puissance lorsqu’il l’a décidé. On nous dit que les quartiers sont des lieux de non-droit et je pense que la prison est une lieu de non-droit. La question est oui ou non, est-ce qu’il y a une universalité dans l’espace de la démocratie dans lequel on est ?

Paul Loridant : La réponse est oui. D’un proviseur de lycée à un autre, on n’agit pas de la même façon. Par exemple, si le proviseur a décidé qu’on ne travaille pas le samedi matin, on ne travaille pas le samedi matin, même si ça fout le bazar par ailleurs. Après, on nous dit qu’il n’y a pas de salle de sport, qu’il n’y a pas de gymnase.

Maryse Aubert : Ca n’a jamais été jusqu’à un taux de dangerosité tel que ça existe en prison par exemple.

Paul Loridant : Vous allez me faire regretter d’être venu passer deux heures avec vous. Je ne suis pas l’Administration Pénitentiaire.

Maryse Aubert : Monsieur le Sénateur, pour faire des lois, il faut bien réfléchir sur un problème comme nous sommes entrains de le faire dans un débat comme celui-là. Ce n’était pas directement adressé à vous. Je m’adresse à tout le monde, je pense que votre présence ici est très utile puisque vous, après, devez réfléchir sur des lois . C’est important de discuter.

Jean-Marc Van Rossem : Tout à l’heure, on parlait du problème de la santé. Je peux vous dire qu’il y a des gens qui travaillent là-dessus par rapport au milieu carcéral et aux jeunes dont on s’occupe à la PJJ. A un moment donné on rentre dans des espaces du droit commun qui sont les mêmes à l’intérieur et à l’extérieur. Le droit à la santé, il y a des textes, des écrits, des choses qui sont faites et réfléchies, et à un moment donné ce n’est pas la seule administration pénitentiaire qu’il faut mettre sur la sellette, c’est aussi le Ministère de la Santé. Que nous proposent les espaces de santé à l’extérieur ? Il va falloir accorder tout ça. On ne peut pas agir seul. Ce n’est pas parce qu’à un moment donné, la-dessus on bute, qu’il faut mettre sur la sellette le seul Ministère de la Justice. Mais il faut voir ses limites par rapport à son travail avec l’extérieur. Ce qu’on demande, c’est que tous les droits soient exercés mais ce n’est pas seulement l’affaire de l’administration pénitentiaire. Ça concerne aussi tout le monde, c’est aussi un ensemble autour.

François Chouquet : Tu disais quelque chose de très juste tout à l’heure. Je pense qu’il faut être plus nombreux à aller travailler dedans parce qu’au-delà du cadre et des règlements, ça se règle souvent dans les rapports interpersonnels avec l’administration pénitentiaire. Nous avons fait beaucoup pendant des années parce qu’il y avait une direction qui était à l’écoute de tous ces problèmes de formation et on voit que maintenant c’est beaucoup plus difficile, il a suffi du changement d’une seule personne au sommet de la maison d’arrêt de la Santé pour que ça devienne plus difficile, parce que ce n’est pas la même philosophie, ni la même la même logique. Donc il va falloir travailler la négociation, mais ça suppose quelque chose qui se fait au plan local.

Maryse Aubert : C’est bien là où il manque vraiment quelque chose parce qu’au fond, les gens sont des gens. Il manque un cadre pour appliquer la loi contre cet arbitraire et c’est à réfléchir. Il manque quelque chose pour faire appliquer les lois en prisons.

François Chouquet : C’est le même arbitraire dans les palais de justice. Selon le tribunal, la correctionnelle, la cour d’assises, le délit ou le crime ou le président, vous avez des peines différentes. On peut reporter ce fonctionnement au niveau de la justice, la loi n’est pas perçue, comprise, appliquée, exécutée de la même manière.

Paul Loridant : Je voudrais apporter mon témoignage. Je suis maire d’une commune de 600 salariés. Selon le chef de service, le boulot n’est pas fait dans le même esprit ; le climat ne sera pas le même. Il y a des choses qu’on ne faisait pas et qu’on doit faire quand même, c’est aussi la part de chaque individu.

François Chouquet : Ce n’est pas bien parce qu’effectivement ce n’est pas équitable, mais aussi ce n’est pas mal parce que ça laisse la place à une négociation et à des actions, c’est possible.

Milko Paris : Pour parler d’une anecdote, les hommes qui changent sont capables de détruire le travail qui a été fait par leurs prédécesseurs. Moi, j’ai connu à Bapaume avec Jean-Pierre Chrétien-Goni un projet de film. Quand nous avions mis le projet en place avec l’aide de Jean-Pierre et de son équipe, tout se passait bien. On avait tout pris en main, on avait des contacts avec la Femis et le Conseil Régional du Nord. On avait eu des réponses positives pour la mise en place de formations diplômantes pour aboutir ; l’objectif étant le tournage d’un long-métrage. On avait même eu l’autorisation de travailler avec les femmes puisque dans le centre de détention de Bapaume, il y a un quartier femmes. On avait des réunions communes avec les femmes. Tout se passait bien, il n’y avait pas de problème de sécurité et le service social a combattu le projet dès le départ en faisant un contre-projet. Ils ont promis à des détenus que s’ils participaient à leur propre projet, qu’ils auraient des permissions et des facilités. Quelques-uns y sont allés, mais la majorité des détenus qui nous faisait confiance est restée avec nous et quand le nouveau directeur est arrivé, il a mis le chantier en l’air. Donc un an de travail foutu en l’air et un investissement important de la part de l’équipe de Jean-Pierre puisque eux n’avaient pas été rémunérés, ils étaient bénévoles. Il n’a jamais respecté, ni le travail des détenu(e)s, ni celui des équipes venues de Paris. Et ça, vous pouvez le reproduire indéfiniment donc ne dites pas que lorsqu’on déplace une personne de l’extérieur, tout va bien se passer.
Ça ne se passe pas comme ça en prison et ça c’est au détriment des détenu(e)s et du travail qui est fait dans leur évolution personnelle à travers à un projet constructif . Vous ne pouvez pas nous accuser de faire des choses qui ne tiennent pas la route. Il y a des solutions pour faire cesser cet arbitraire parce que systématiquement dans toutes les prisons, quand un nouveau directeur arrive, il enlève les activités culturelles, souvent pour ne pas en mettre d’autres et pour mieux contrôler les détenu(e)s. Il dit « Voilà, je suis le patron, c’est moi qui décide » pour saper la tâche de son prédécesseur et ce n’est absolument pas normal !

Maryse Aubert : Il y a des institutions de service public qui ne respectent pas leur mission et il y a des engagements qui doivent être tenus. Il y a un moment où il faudra savoir comment changer ce genre d’attitude en prison parce que ça m’étonnerait que la population carcérale diminue quand que la population française augmente.

François Chouquet : Où est-ce qu’on peut trouver votre rapport ?

Paul Loridant : Vous pouvez le trouver au Sénat où il est en vente. Je m’en vais dans 3 minutes, il y a une liste qui circule ; mettez vos noms et adresses et je vous l’envoie.

François Chouquet : Bonne idée !

Paul Loridant : Il y a quelque chose qui m’inquiète, c’est qu’on voit émerger dans les prisons les phénomènes des banlieues. Je suis allé à Poissy, c’était moins d’une semaine après l’émeute qui a eu lieu et l’administration pénitentiaire m’avait dit « On ne souhaite pas que vous veniez ». Comme je suis parlementaire, je suis venu contre l’avis du directeur de l’administration pénitentiaire. Ce que j’ai vu à Poissy, c’est le phénomène des banlieues qui commencent à se répandre. Ce sont des jeunes détenus désœuvrés qui ont commencé à casser la bibliothèque, à mettre le feu dans le gymnase et ce sont les détenus anciens qui leur ont dit « Vous arrêtez vos conneries, nous nous avons envie du gymnase ». Il y a un phénomène de délitement des esprits qui est entrain d’arriver dans les centres de détention ; en centrale, je ne sais pas encore.

Audrey Chenu : C’est pour ça qu’il faut faire justement quelque chose pour ces jeunes et ne pas laisser les choses se dégrader comme en banlieue.

Paul Loridant : Arrêtez. Je ne fais que ça depuis 25 ans. Je ne sais plus quoi faire. Il y a une centaine d’emmerdeurs sur la ville. Ce discours, y en a marre, il alimente le lepénisme dans les banlieues.

Laurentino Da Silva  : C’est l’inaction qui alimente le lepénisme.

Paul Loridant : Je ne fais que ça depuis 25 ans. Je veux dire par là qu’on propose des activités. Reconnaissons tous ensemble qu’il y a une fraction, un noyau dur de gens qui ne se reconnaissent pas, qui ne rentrent pas, qui préfèrent dealer. J’ai devant ma mairie tous les soirs des groupes de jeunes qui dealent sans problème devant le maire et on ne va pas dire qu’il n’y a pas d’activités : le cinéma est à prix réduit, il y a des clubs de jeunes, la bibliothèque est gratuite...

Milko Paris : Vous dites que les jeunes dealent en toute impunité et Chirac qui a détourné des milliards est président de la République.

Sidi Ali : Monsieur le maire, je suis de Palaiseau. Je suis désolé quand vous mettez des jeunes de 14-15 ans des villes limitrophes ensemble. Je connais un gamin de 14 ans qui a volé un portable, il a été en prison et il s’est trouvé avec des jeunes des Ulis, de vos quartiers qui font du business et il s’est retrouvé qui ? Il a connu untel, etc. Trouvez des solutions parce qu’on vole pour vivre. Moi, je suis de l’avant dernière génération et si je n’avais pas connu ce qui se passe dans mon pays, je serais allé en prison. Quand vous cherchez un travail et que vous avez fait une bêtise, que vous êtes passé devant un tribunal, que vous avez un casier judiciaire, que vous voulez travailler dans l’animation, on n’en veut pas. Quand les animateurs socio-culuturels veulent faire des choses, on leur met des bâtons dans les roues. Arrêtez avec votre discours sur la banlieue !

Jean-Christophe Poisson : Ce n’est pas le lieu pour parler de tous ca.

Paul Loridant : Je vous remercie de m’avoir accueilli.

Reprise de la séance après le départ de Paul Loridant.

Jean-Christophe Poisson : L’objectif de ses deux journées, c’est de trouver les moyens et les axes lucides à emprunter pour l’accompagnement des personnes qu’on rencontre en prison. Quel est le sens du groupe de travail ? Emmanuelle Schweig ?

Emmanuelle Schweig : Je n’ai pas de réponse. Justement, c’est là que le débat était un peu compliqué ce matin dans la mesure où les administrations centrales et notamment l’administration pénitentiaire ne sont pas là. Comment peut-on arriver à organiser le temps de détention ? En ce qui me concerne, par rapport aux activités culturelles, seule, la Drac n’a pas de réponses. Je crois qu’il est important de savoir où on va et surtout ce qui peut ressortir de ces deux journées avec l’ensemble des personnes présentes ici. Notre action à la Drac Ile de France concerne les activités menées à partir des orientations nationales décidées par les directions centrales du Ministère de la Culture et j’ai peu de moyens pour faire bouger les choses au niveau national.

Jean-Christophe Poisson : Est-ce que vous pouvez nous parler des orientations nationales en matière de culture ?.

Emmanuelle Schweig : Dans la directive nationale d’orientation (le document de cadrage d’utilisation des crédits du Ministère de la Culture), il est dit « vous veillerez à ce que les établissements pénitentiaires puissent bénéficier d’une offre artistique en associant en amont le personnel pénitentiaire » et il n’y a pas plus de précisions données à ces orientations. Maintenant, c’est vrai qu’au niveau de la région, on peut définir un programme d’orientation, -j’en parlerai tout à l’heure- à partir d’une politique régionale. C’est vrai qu’on se heurte à pas mal de difficultés qui sont aussi liées au fonctionnement de l’administration pénitentiaire mais ça me gêne d’en parler parce que l’administration pénitentiaire n’est pas là et je ne vais pas critiquer pour critiquer le fonctionnement des uns et les autres sans faire de propositions.

Jean Christophe Poisson : Si je reprends la question de François Chouquet tout à l’heure, c’est un aspect très important qu’il faut qu’on aborde en amont. Nous sommes là de façon informelle et un peu magnétique, c’est le hasard des relations qui nous a réuni. Jean-Pierre, par rapport à l’existence d’un groupe de travail, sur ce sujet, comment est-ce que tu te positionnes ?

Jean-Pierre Chretien-Goni : Il faut prendre acte de l’absence des deux grandes dministrations en tant que telles J’ avais vu le projet que vous aviez proposé avec la coordination des acteurs, peut-être que c’etait trop et qu’il faudrait démarrer par un autre concept qui serait plus local, avec une niche de résistance de gens qui partagent un point de vue sur le rapport entre le dedans et le dehors, sur la manière dont le secteur culturel peut intervenir dedans et dehors.
Moi, ce qui m’a séduit au fond, c’est que je me suis aperçu que les gens qui tentaient des choses semblables à celles qu’on essaye de tenter, c’est-à-dire d’élaborer un discours du type d’accompagnement et un dispositif d’accompagnement lié au secteur culturel, on ne peut pas le faire tout seul. Les réseaux personnels ne suffisent pas, donc je pense qu’il faut prendre le problème par l’autre bout du film et se dire que, voilà, il se trouve qu’en ce moment je fais un travail à tel endroit et que ce garçon va sortir dans quelques temps, comment je fais pour assumer une clause que j’appelle de non abandon qui fait qu’une fois que le spectacle est terminé, que la lecture est terminée, que le projet pour lequel on aété missionné est terminé et payé, parce qu’on n’est pas payés pour le reste, comment on fait pour aller au-delà. Il y a des choses que je connais qui ne suffisent pas souvent. Ce qui m’intéresserait en tant qu’acteur de ces histoires-là, ce serait de trouver des réseaux, des espaces dans lesquels on puisse commencer à mettre concrètement en oeuvre cette idée que tu proposes c’est-à-dire cet accompagnement vers des professionnalisations, des formations dans le domaine du spectacle.
Pourquoi le secteur culturel est le lieu spécifique pour élaborer ce type de transition ? pourquoi ça fonctionnera à mon avis mieux qu’ailleurs ? C’est une autre question. Pour moi,c’est la question des dispositifs qu’on peut mettre en place. Je voudrais juste prendre un exemple de quelque chose, c’est vrai du point de vue théâtral, ce point de vue, c’est ma casquette de professeur d’université. nous avons réussi à mettre en place à Fleury-Mérogis récemment une unité de valeur du Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) délocalisé, c’est à dire quelque chose qui se déroule au CNAM en cours du soir sur 120 heures, a lieu à Fleury-Mérogis pour les auxiliaires bibliothécaires. Nous avons réussi de façon tout à fait gentille, c’est-à-dire sans monter sur nos grands chevaux. nous avons réussi de faire en sorte que ce soient des étudiant, qu’ils aient une carte d’étudiant, qu’il ne soit pas écrit dessus Fleury-Mérogis, qu’ils aient des attestations de réussite à la fin et d’avoir l’acceptation par le CNAM qu’un détenu qui sortirait en cours de formation puisse intégrer la formation à l’extérieur. Ca, c’est un petit type de montage. Finalement, ça s’est fait en accord avec la direction du CNAM. Il y a une convention avec la formation professionnelle de Fleury. Tout ça s’est fait avec des personnes de bonne volonté et des gens qui avaient vraiment envie que ça ait lieu. nous avons réussi un pontage qui, après tout, ouvre sur plein d’autres choses. Il y a quelqu’un qui vient au CNAM. Ils se sont aperçus qu’on pouvait faire de l’informatique et plein d’autres choses et ils se sont dit pourquoi pas au cours du soir mais l’idée c’est de faire pénétrer à l’intérieur de l’établissement une antenne du CNAM qui va engendrer une formation qui ressemble en tous points. C’est le même contenu, le même enseignement sauf que les enseignants se déplacent à Fleury pour assumer le même nombre d’heures qu’ils auraient pu faire à l’extérieur.
Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment on peut échanger, avoir des espaces, des réseaux où on peut échanger des informations de même nature, où on peur voir comment le dispositif concret peut se mettre en place, qui peut nous aider chaque fois qu’on est confronté à ce type de problème. Comment faire en sorte qu’un, deux ou trois détenus puissent parcourir, mettre en place un parcours qui est chaque fois différent c’est à dire que c’est chaque fois une histoire singulière. A partir du moment où on produit de la culture avec des gens, on est chaque fois confronté à cette singularité et c’est ce dont tu parlais, c’est à chaque fois une rencontre. Comment on va au bout de cette rencontre, comment est- ce qu’on l’accompagne jusqu’à quelque chose qui va être non pas de l’insertion parce qu’un jeune qui sort de prison est inséré dans un milieu qui va pas être autre chose que ce qu’on imagine, il va retrouver un monde. Notre problème est comment il peut retisser avec les univers dans lesquels il va pouvoir mieux développer son propre moi. C’est là que le travail m’intéresserait dans la mesure où concrètement les conditions de possibilité de ces transferts, de ces accompagnements. Je pense qu’à terme, si on ne montre plus que des cas isolés ,que parce que Jean-Chrisrophe Poisson à réussi à le faire, parce que machin a réussi à le faire. SI on montre qu’un certain nombre de personnes à partir de différents points de vue, dans différentes régions sont capables d’accompagner, de monter des processus de ce type là, peut-être qu’on sera pris au sérieux par l’administration pénitentiaire , si effectivement elle voit que ça peut fonctionner.
Personnellement, je ne crois pas au processus inverse . On connaît tous l’administration pénitentiaire comme toute administration. En revanche, montrer que c’est possible, montrer que ça se fait déjà, montrer que les gens qui le font ensemble ont une pensée commune sur ce type de processus.

Jean-Christophe Poisson : Montrer comment et à qui ?

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Il me semble que c’est quelque chose qui se dessine aujourd’hui autour du monde carcéral, la visibilité. Ban Public avec d’autres associations n’ont pas d’autre volonté que de transformer les choses pour les rendre visibles. Quand on disait tout à l’heure que la prison est une zone de non-droit, on le sait depuis longtemps. C’est de rendre visible concrètement à plus de gens possible, aux politiques, aux administrations, etc... que l’information circule et que ces choses-là sont possibles. Et je crois que c’est à partir du moment où ces choses-là sont visibles qu’on fait un vrai boulot. Ca peut prendre différentes formes. Il y a aujourd’hui dans les médias des gens qui s’intéressent à ce qui se passe. Il y a un journaliste des Echos qui a débarqué au CNAM, il a pointé son nez sur cette action en prison. Pourquoi ? Ce n’est pas négatif. Ce sont des actions de visibilités qui peuvent avoir des conséquences à terme. On est dans ce monde-là quand même, c’est ce qui avance et qui fonctionne : c’est ce qui a été rendu visible. On le voit très bien au travers des politiques comme on le dit dans le gouvernement. Ils ont des agendas,il y a ce qui est à l’ordre du jour et ce qui ne l’est pas. Notre travail en tant que groupe de pression, si je puis dire, c’est de rendre ça à un moment visible dans le débat politique même si c’est compliqué, même si c’est difficile et surtout ne pas refuser de fabriquer des liens entre ce qu’on appelle le dedans et le dehors . Donc repositionner le monde carcéral dans le monde en général de manière concrète et à partir d’actions précises parce que les problèmes sont précis. C’est comment on fait pour un jeune qui tout à coup se dit, la régie et les lumières m’intéressent. Il a montré des capacités, on l’a fait bosser, il est en route pour faire ça : comment on fait ? Concrètement, vers qui on le dirige ? Laser, qui autrefois proposait de faire des formations, apparemment il manque des gens qui ont le bac. Il y a des choses qui bougent dans le milieu de la culture. Est ce que tel théâtre va accepter de prendre des gens en stage ? Qu’est ce qui est possible dans le monde de la culture concrètement en dehors des grandes décisions de principe. On en n’est pas là malheureusement. Il me semble qu’il faut montrer qu’il y a des niches de résistances passives mais actives à la fermeture de la prison.

Jean-Christophe Poisson : Nicolas Roméas ? Tu ne t’es pas présenté.

Nicolas Roméas : Je m’occupe de la revue Cassandre et on est sensé faire un travail de connexion et d’informations « arts, société, politique ». C’est pour ça que ce que vous faites m’intéresse et je ne suis pas plus compétent que ça. Je suis plus du côté de l’exploration et de la description d’activités théâtrales que du côté de la pratique artistique en prison. J’ai rencontré Jean-Christophe il y a pas mal de temps.

Jean-Christophe Poisson : Peux-tu nous donner ta sensation sur la possibilité - comme le disait tout à l’heure Jean-Pierre - d’une sensibilisation du réseau culturel à ce recentrage de la prison dans la société qui est une question fondamentale ?

Nicolas Roméas : Je trouve que ce qui vient d’être dit semble extrêmement important. Utiliser les outils de visibilité sans perdre le sens réel de ces actions , ce qui n’est pas si facile que ça par rapport à la presse et créer du réseau. Je veux dire dans le domaine moins spécialisé où je suis actuellement, je trouve que ce n’est pas aussi simple que je le croyais cette histoire de réseau ; c’est a dire qu’on peut y mettre beaucoup d’énergie, beaucoup de travail, de textes, d’échanges, réunions et compagnie et cette énergie peut ne pas être utilisée à bon escient. Moi, c’est l’expérience que j’ai eue. Evidemment là, c’est un peu différent parce qu’il y a un filtrage par la difficulté donc ça ne peut pas être complètement léger, ça ne peut pas être le type de réseau consensuel culturel auquel je faisais allusion qui finalement ne se contente que de renforcer quelques pouvoirs établis ou quelques petits lobby corporatistes. Ca ne peut pas être mais ça veut dire qu ’à l’intérieur des débats qui agitent tous ces réseaux ou ces conversations à plusieurs, il doit y avoir quelque chose qui soit de l’ordre pas simplement d’une réflexion sur l’incarcération et les limites d’une pratique à l’intérieur d’une prison mais aussi de la pratique de l’art en tant qu’elle nous concerne tous comme mise en jeu d’un certain nombre de difficultés. Nous, c’est de ce point de vue qu’on essaye de regarder et ça me paraît éventuellement intéressant de relier ces deux entrées sur le même sujet. Pour que ça puisse, sans être dénaturé , atteindre un certain nombre de gens qui à priori ne s’y intéressent pas, il faut aussi que ce soit la question de la pratique de l’art dans son usage réel et non divertissant, non commercial et non marchand. Peut-être que là il y a quelque chose d’intéressant à faire. Il me semble qu’il y a une bonne partie de ce questionnement qui existe autour du monde culturel et auquel il n’est pas répondu : ce questionnement sur l’ennui quasi-permanent que provoque le théâtre aujourd’hui. Je ne vais pas rentrer dans ces débats qui ne sont pas ceux d’ici. Ce que je veux dire c’est que les problèmes sont toujours pris à l’envers depuis la réalité qui est inéluctable, or la seule que nous pourrions éventuellement apporter et qui me semble intéressante dans un dialogue avec vous, c’est de dire que non seulement il y a une nécessité sociétale qui est un peu difficile à faire entendre en période de sarkozysme aigü mais il y a aussi autre chose qui peut être plus facilement entendu, c’est qu’une pratique de l’art qui a un besoin évident de se renouveler, de retrouver sa source doit aller là où les questions se posent et qu’il n’y a pas d’art sans se coltiner aux questions de société.

Jean-Marc Van Rossem : Pour resituer aussi mon travail à la Protection Judiciaire de la Jeunesse : je travaille auprès des mineurs, nous travaillons avant et après la prison. Je crois que l’idée d’un groupe travail est toujours difficile pour les institutions, difficile pour elles de se déplacer dans un lieu qui n’est pas le leur et d’aller dans une proposition qu’elles ne se sont pas appropriée dès le départ. Pour avoir suivi les débats l’année dernière et il y a 2 ans, c’est ce que j’ai cru comprendre. C’est-à-dire qu’à un moment donné les institutions s’approprient ce lieu comme un lieu de recherche, d’une recherche-action. Ce n’est pas un lieu de décision, mais un lieu d’une recherche-action qui alimente la réflexion parce qu’il y a une réflexion à l’administration pénitentiaire ou à la Protection Judiciaire de la Jeunesse qui alimente et permet d’avancer sur ces problématiques. Si mes collègues de l’administration pénitentiaire ne sont pas là ; c’est qu’on est dans une institution un peu plus complexeen questionnement et en recherche de réponses quant aux nouvelles orientations et notamment sur le problème du traitement du dedans au dehors. Je donne un exemple : dans notre domaine qui est celui des mineurs on parle de la création des centres éducatifs fermés. On ne savait pas si ça allait être des futurs, des nouveaux internats comme on avait connu avec l’éducation surveillée il y a quelque temps, des nouvelles prisons de luxe pour mineurs ou quelque chose de différent. De l’autre côté, il y a aussi le projet de créer de nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs qui soient déconnectés des lieux et des grandes centrales où il y a cette promiscuité avec les majeurs. C’est là où se pose le problème. C’est que le Ministère de la Justice demandent au corps éducatif et la Protection Judiciaire de la Jeunesse de venir travailler sur ces nouveaux centres pénitentiaires dans une forme de co-productions avec l’administration pénitentiaire, ce qui provoque certainement un malaise des services éducatifs pénitentiaires. On ne se place pas en tant que concurrent puisqu’on est à l’origine la petite fille de l’administration pénitentiaire mais il une réflexion, un questionnement et donc il n’est pas étonnant qu’il y ait eu cette répercussion vers les administrations. Si je suis là, c’est par rapport à ce questionnement. On va être placé dans cette position de véritablement travailler cette liaison entre le dedans et le dehors et ça m’intéresse particulièrement d’entendre des choses et d’échanger, mais je n’ai pas le pouvoir politique et administratif si ce n’est que j’ai un pouvoir pédagogique de travailler avec les éducateurs et de leur proposer à un moment donné des lieux où ils vont pouvoir à la fois se ressourcer et construire ce travail du dedans et du dehors. C’est-à-dire comment on essaye de travailler ce lien qui éveille une question qui nous anime depuis longtemps : est-ce qu’on peut faire de l’éducatif dans un lieu où il y a une privation de liberté ? Ce sont des questions qui nous font réfléchir. Ma position ici, c’est d’amener les choses sur l’état de réflexion de la Protection Judiciaire de la Jeunesse sur le dedans-dehors et à partir d’expériences, voir quels sont aussi avec les gens qui ont vécu çela comment on va pouvoir essayer de reconstruire. Je ne pense pas qu’on va pouvoir reconstruire institutionnellement dans un premier temps. On va aller vers des cas particuliers et c’est à partir d’expériences qu’on pourra faire avancer l’institution après. On sait qu’à un moment donné après cette recherche action, et si les choses ont fonctionné, que l’institution se l’appropriera. Je suis dans une position d’aide au montage de projet et nous subventionnons des actions artistiques et culturelles. On demande, on étudie, on donne,on essaie de reconstruire un peu plus de pédagogie en tenant compte de cette question du dedans et du dehors . Nous subventionnons des projets qui ont lieu à l’intérieur des prisons alors que nous n’y sommes pas, mais ce sont les mêmes jeunes que l’on va retrouver dehors.

Jean-Christophe Poisson : Pour mémoire, quel est exactement le cahier des charges de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ?

Jean-Marc Van Rossem : On intervient sur mandat judiciaire au niveau des mineurs dans le cadre de l’ordonnance de 45. Avant, c’était protection de l’enfance en danger et enfance délinquante, aujourd’hui la protection de l’enfance en danger est en train de passer aux Conseils Généraux ; c’est-à-dire que c’est l’aide sociale à l’enfance qui le traite. Là, c’est de la protection. Nous, on est sur les mesures judiciaires pénales des jeunes qui ont une condamnation. Quand il y a une condamnation pénale pour un mineur, elle est toujours assortie d’une mesure éducative et nous sommes avant tout des éductaurs.

Jean-Christophe Poisson : Vous êtes implantés dans les régions pénales ?

Jean-Marc Van Rossem : nous avons environ une centaine d’établissements sur la région Ile-de-France qui sont gérés par le secteur public, par la Protection judiciaire de la jeunesse plus le secteur associatif habilité pour un certain nombre d’établissements. Il y a 16 000 jeunes qui passent par an dans les établissements pour des mesures judiciaires au niveau de la région Ile-de-France.

Audrey Chenu : On a l’impression que ces jeunes c’est pour les remettre dans le droit chemin.

Jean-Marc Van Rossem : Très schématiquement. Ce n’est pas forcément pour les remettre dans le droit chemin. On s’appelle Protection judiciaire de la jeunesse et quand il y a une condamnation pénale par rapport à un acte, c’est assorti de mesures éducatives. C’est-à-dire qu’il y a une responsabilité partagée. Je travaille avec la mesure éducative. Et il est vrai que nous sommes dans l’insertion, l’intégration pour permettre à ces jeunes de retrouver une vie normale.

Voix anonyme : Quels sont les outils ?

Jean -Marc Van Rossem : Il y a trois dispositifs.

- l’hébergement
- le milieu ouvert
- l’insertion
On pourrait parler d’accompagnement de vie pour arriver à une intégration.

Maryse Aubert : Vous maîtrisez cet accompagnement ?

Jean-Marc Van Rossem : On le maîtrise et on fait des propositions.

Jean-Christophe Poisson : Maryse ?

Maryse Aubert : Par rapport à tout ce qu’on peut faire en détention, je rejoins quasiment tous les points de Jean-Pierre Chrétien-Goni tout à l’heure. Je pense qu’on est tous confrontés en tant qu’intervenant artistique à la ponctualité de nos actions et à chaque fois qu’on en fait une deuxième on repart à zéro pour tout recommencer. Et c’est vrai que de créer un réseau pourra permette de trouver un cadre où je n’ai pas l’impression de redémarrer toujours à zéro et là, il y a quelque chose qui peut avancer parce que mettre en place un projet, c’est aussi se battre contre l’administration. Sinon, pour le reste je me reconnais dans ce que dit Jean-Pierre, et puisque j’ai la parole juste un petit détail : est-ce que Madame qui représente la Drac, c’était très intéressant de savoir quelles étaient les actions concrètes ? L’expression groupe de pression m’intéresse beaucoup aussi.

Jean-Christophe Poisson : Milko Paris veut nous parler de l’observatoire des activités culturelles en détention qui est un moyen d’effectuer le recensement de toutes les activités culturelles, d’effectuer aussi un recensement des lieux et des personnes ?

Milko Paris : Je voudrais expliquer ce qu’est Ban Public  : Ban Public est une association qui gère le site qui s’appelle prison.eu.org. C’est un site généraliste d’information et de débat sur le milieu carcéral. Il y a de nombreuses informations pratiques destinées aux personnes incarcérées et à leurs familles. Vous allez me dire que les détenu(e)s n’ont pas accès à Internet. Ils n’y ont pas accès directement mais ils-elles y ont accès, soit de manière différée et détournée, soit par les familles, les services sociaux, les visiteurs, les avocats etc. nous avons des information sur le droit. , c’est une base de données, qui rassemble des informations misent à disposition gratuitement. Nous avons crée un observatoire sur le suicide et les morts suspectes en prison et on va bientôt créer un site sur les pratiques culturelles et si possible référencé tout ce qui se fait à travers la France et éventuellement l’Europe pour échanger, débattre et confronter les projets pour ceux qui voudront bien écrire pour expliquer quelles sont leurs pratiques culturelles en prison. Mais je pense qu’il y aura aussi une évaluation sur les actions menées et les résultats parce qu’il est important de montrer la place d’un certain nombre d’acteurs culturels en prison et de toutes façons, nous, on n’a pas peur de la polémique ; même si, pour certain la polémique ce n’est pas très constructif. Il s’agit de mettre en avant la problématique comportementale d’un certain nombre d’acteurs dans les prisons qui deviennent des fonctionnaires de la culture, qui s’approprient les subventions sans déboucher sur aucun projet. Donc, ça nous paraît important de mettre le doigt là-dessus. Le site est ouvert à tous et à toutes chacun(e) peut apporter de manière polémique ou pratique sa contribution.

Emmanuelle Schweig : Par rapport à ce recensement : avec quels moyens, quels outils vous allez le faire ?

Milko Paris : Nous les moyens, on ne les a pas. Nous ne sommes pas subventionnés. L’outil, ce sont les êtres humains qui voudront bien nous parler de leur projet et ça permettra de rassembler un certain nombre d’informations.

Emmanuelle Schweig Mais ça a déjà été fait par les chargés de mission culture-justice et notamment dans le domaine du livre et de la lecture. Dans certaines régions (pas en Ile-de-France) cet état des lieux a également concerné toute l’action culturelle.

Milko Paris : Le problème, c’est l’accessibilité de ces données. Aujourd’hui, la plupart des projets sont confidentiels et les moyens que nous offrons, un site internet gratuit à disposition d’un large public sans aucune forme de pression et qui permet de sortir de cette confidentialité qui pour certain est nécessaire. Tant qu’on est dans la toute puissance et je pense à un certain nombre de personnes, malheureusement les administrations concernées ne sont pas là ; un certain nombre d’acteurs non plus qui usent de leur toute puissance intellectuelle pour créer du pouvoir sur les personnes qui sont incarcérées et qui n’ont aucun moyen d’expression car il faut savoir que les personnes incarcérées nous écrivent des courriers pour expliquer ce qu’elles font ,quelles sont les types d’activités auxquelles elles participent, sont hors la loi . En pratique, il faut demander l’autorisation au directeur régional ou au directeur de la prison pour pouvoir faire sortir et pour que ce courrier soit diffusé. Nous avons choisi d’intégrer ces informations et ces coordonnées sans demander l’autorisation à qui que ce soit et donc ça gêne un certain nombre de personnes et tant qu’un certain nombre d’acteurs culturels seront dans la toute puissance et je pense que les personnes qui interviennent en prison doivent mettre leur compétence au service des personnes incarcérées et valoriser la créativité, ils ne sont pas là pour autre chose. Après, la construction personnelle et l’intégration sociale, je ne suis pas de ce trip-là. Les gens sont libres de continuer ou pas d’aider les ex-délinquants. Je dirai qu’à la limite ce n’est pas mon problème. Pour nous, ceux qui veulent favoriser l’échange sont les bienvenus.

Nicolas Roméas : Qu’est-ce que vous entendez par la toute puissance ?

Milko Paris : La toute puissance, c’est décider de parler pour les autres , de faire en sorte que les projets qui sont mis en place au niveau culturel ne soient pas discutés et évalués à l’extérieur. Je ne vais citer de nom, ce serait désobligeant et les gens dont je parle ne veulent pas débattre ; non pas parce qu’ils ont peur de la polémique, mais parce qu’ils ont peur qu’on mette le doigt sur les problèmes financiers et le rapport à l’autre, cette volonté d’enfermer les personnes incarcérées : c’est ça la toute puissance. Cette volonté de construire pour l’autre sans que jamais qu’il y ait débat. Ce ne sont pas les curés qui sont acteurs de l’action culturelle en prison, ce sont des gens qui se revendiquent d’une certaine laïcité, ce sont des gens qui sont reçus chaque semaine dans les hautes sphères des Ministères.

Anne Toussaint : Je voulais dire que le budget pour les pratiques religieuses est plus important que celui des pratiques culturelles entre parenthèses.

Jean-Christophe Poisson : Pour prolonger la parenthèse, on va faire un petit tour de table pour savoir comment chacun envisageait la pérennité d’un groupe de travail, la substance de cette journée un peu informelle.

Anne Toussaint : En étant présente aujourd’hui, je viens chercher un sens parce qu’au départ si les grandes lignes sont évoquées, je n’arrive pas à me situer parce que l’idée, l’objectif de départ, c’est d’assurer une continuité a partir de cette rencontre, de cette fidélité dont tu parlais au départ et que cette chose au delà d’un acte artistique puisse se poursuivre et en même temps j’ai l’impression qu’il y a cette chose qui est l’organisation à l’intérieur par rapport au temps et au travail.

Jean-Christophe Poisson : L’idée, c’est de se dire que si les activités culturelles ont une action pragmatique sur le destin des personnes, autant favoriser les activités culturelles et l’éducation. Le temps consacré à ces activités permet l’accomplissement correct et substantiel d’un travail ; or, ce temps est concurrencé avec le travail, c’est pour ça qu’il ne faut pas rester dans l’infinitésimal et l’espoir que les battements d’aile de papillon, les micro-actions créent un point d’entrée dans la réforme de l’emploi du temps. Je suis très sceptique et je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin et c’est pour ça que Monsieur Loridant était présent tout à l’heure. Ca relève d’une décision politique, administrative, réglementaire et commune qui entérine que la priorité n’est pas le travail mais l’étude l’université et les choix culturels des personnes. En plus, il y a une diversité fantastique de cultures en prison en niveau et variété. Pour moi, la prison est un espace d’une extrême richesse qu’on ne peut laisser en friche.

Anne Toussaint : J’entends bien tout ça mais je n’ai pas la compétence ni le temps ni l’énergie d’aller du côté des ateliers de travail mais par contre là où ça pourrait être intéressant, c’est si une production artistique, soit l’activité théâtre, soit un film considéré comme acte de production pouvait éventuellement rentrer dans un dispositif de travail. Maintenant sur les conditions de détention, il y a des gens qui ont des compétences et j’estime que je n’ai ni le temps, ni l’énergie de me battre sur tous les fronts. Peut-être qu’il y a des choses à réfléchir sur la question du travail et les formes de travail à accepter qui sont ancestrales, qui relèvent toujours du travail manuel. C’est aussi reconnaître le travail culturel et artistique mais il reste à se fédérer, à mettre des lieux en commun.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : On a du mal à faire reconnaître que la culture est un secteur économique, que quelqu’un qui est employé dans le secteur culturel occupe un vrai emploi. Pour les gens, c’est quelque chose qui ressemble à une vraie grossièreté et c’est à nous tous de dire que ce sont des espaces où on peut faire un véritable travail et je pense que cette idée que l’on produit du spectacle, du film, c’est une idée qu’il faut enfoncer car dans beaucoup de cas ce n’est pas pris au sérieux.

Nicolas Roméas : On est à la croisée de questionnements qui s’entrechoquent et se contredisent. Vous avez parfaitement raison de dire cela et d’un autre côté si nous avons envie de réfléchir sur la place de la culture de façon un peu moins pragmatique, on va plus s’éloigner de la question de la professionnalisation, de l’objet et de la consommation. En tout cas, c’est ce que je souhaite. Il y a un moment où il faut réfléchir sur les signes extérieurs qu’on envoie au monde extérieur mais il y a aussi une réflexion qui voudrait éloigner l’art et la culture - et c’est la mienne - du domaine de la réunification et du commerce.

Jean-Pierre Chretien-Goni : Je suis d’accord que c’est en effet très contradictoire, c’est pour ça qu’on constitue un groupe de travail mais par rapport à la question carcérale, les questions sont très pragmatiques. Il est possible qu’un détenu qui atterrisse dans le monde de la culture ait un autre rapport au travail, une autre façon d’investir sa propre personne, ce qui n’empêche la réflexion sur la pratique artistique et en quoi cela fait avancer les choses, je ne pense pas que l’on puisse éviter ce double étiquetage.

Jean-Christophe Poisson : Guillaume voulait prendre la parole.

Guillaume Fournier : Comme ça vient d’être dit, je n’ai rien à rajouter.

Jean-Christophe Poisson : Monsieur Benotman

Hafed Benotman : Je prends un peu le train en marche néanmoins c’est un sujet que je connais un peu. Ce que je voulais dire par rapport à la toute puissance pour apporter un complément de réponse, je pense qu’il serait bien de travailler et de réfléchir au sens de l’anonymat à savoir qu’un prisonnier ou une prisonnière qui fait une création ou qui travaille dans un atelier reste constamment anonyme -je prends le cas de « Paroles de détenus », les lettres sont signées, les prénoms ont été changés - et peut-être casser ça, c’est-à-dire qu’un artiste incarcéré ou qui devient artiste peu importe et qui fait quelque chose en prison, la première reconnaissance qu’on doit lui donner avant de faire un travail ou de pouvoir gagner un peu sa vie, c’est de récupérer déjà son propre nom.

Maryse Aubert : C’est extrêmement nouveau parce que quand j’ai donné la distribution de mon spectacle, il y a au une discussion et les détenus ne veulent pas voir leur nom.

Hafed Benotman : S’ils ne veulent pas et que sur le tas des prisonniers, il y en a un qui avait dit : « moi je veux mon nom ».

Maryse Aubert : Je suis d’accord, c’est juste une histoire de communication

Hafed Benotman : L’administration pénitentiaire interdit que les noms figurent.

Anne Toussaint : Sur ce que j’ai fait, il y a leurs noms et leurs patronymes, c’est aussi la question des contrats d’auteur.

Guillaume Fournier : On l’a fait et c’est une bonne solution, c’est-à-dire que ceux qui voulaient que leur nom, patronyme et prénom apparaissent sont apparus et ceux qui voulaient gardaient l’anonymat, nous avons juste mis leur prénom mais effectivement c’est une chose qui doit être laissée à l’appréciation de chacun et je ne crois pas que c’est à qui que soit doit de dire on met les noms ou on ne les met pas.

Audrey Chenu : Pour la pièce que nous avons faite avec Claire Jenny, on ne nous a pas demandé notre avis, mais quand ça a été projeté à l’extérieur, il y avait nos prénoms et c’est apparu dehors.

Guillaume Fournier : La doctrine en la matière maintenant, c’est celle du consentement éclairé qui est une bonne définition.

Nicolas Roméas : Qu’est-ce que vous en pensez de l’apparition de vos prénoms ?

Audrey Chenu : Moi, je voulais qu’il y ait mon nom mais la majorité des personnes avait honte d’être là, voilà pourquoi je me suis pliée et je ne vois pas pou quelles raisons mon nom ne serait pas généralisé au même titre que toutes les personnes qui étaient là.

Guillaume Fournier : C’est toujours la pression des revendicants et de la majorité...

Jean-Christophe Poisson : Pour des raisons d’emploi du temps, je voudrais présenter Klavdij Sluban et l’accompagnement par la DRAC des actions en milieu carcéral.

Klavdij Sluban : Je suis photographe et je fais un atelier à Fleury-Mérogis au centre des jeunes détenus depuis 1999. Le but ,ce n’est pas de faire un atelier comme on fait d’habitude en prison, un atelier de 2 à 3 heures par semaine mais de prendre un groupe de jeunes détenus et de faire avec eux pendant une période de trois semaines un travail d’approche de la photographie et surtout de production c’est-à-dire qu’on fait des photos dans la prison et comme il y a un laboratoire de photographie au Centre de Jeunes Détenus, on développe ces photos puis elles sont exposées à l’intérieur de la prison et ponctuellement à l’extérieur.

Emmanuelle Schweig : Je propose de tracer les grandes lignes de l’intervention de la Drac en milieu carcéral par rapport aux projets qu’elle soutient. Nous intervenons et nous soutenons les projets sur la base de deux principes.
Le premier se traduit par une convention que nous avons avec l’administration pénitentiaire , c’est-à-dire par un partenariat avec la direction régionale des services pénitentiaires depuis 1998 et dans laquelle il est stipulé que la Drac et la Drsp soutiendront conjointement toutes activités culturelles en milieu fermé faisant appel à des artistes, ça c’est le premier point. On n’a pas les moyens de soutenir les activités culturelles qui ne sont pas menées en partenariat avec la Drsp ou, maintenant depuis deux ans, par les services pénitentiaires d’insertion.
Le deuxième principe c’est l’exigence artistique. Tous les projets soutenus par la Drac sont portés par des artistes reconnus comme tels, des personnes qui vivent de leur création artistique et qui ont un parcours artistique connus des services de la Drac. C’est à partir de ces deux principes que nous soutenons plusieurs actions. Ce qu’on tente de faire depuis deux-trois ans c’est systématiser le rapprochement entre les équipements culturel bénéficiant d’une aide au fonctionnement du Ministère de la Culture, qui sont les scènes nationales, les Centres Dramatiques nationaux, les scènes conventionnées, et de faire en sorte qu’elles incluent dans leur projet culturel des projets en direction de la population carcérale. Nous avons deux exemples en Ile-de-France, qu’on pourrait appeler des jumelages : un partenariat entre la scène nationale de Melun-Sénart, La Coupole et le Centre de Détention de Melun et l’autre c’est le Théâtre de la Cité Internationale et la Maison d’Arrêt de La Santé. Concrètement, à la Santé, il y a un atelier théâtre, un atelier art de la rue cirque et jonglage pendant l’été. Parallèlement à ces ateliers, il existe des formes légères de diffusion de spectacle ,des rencontres avec des acteurs, des débats. Nous avons signé une convention entre le théâtre de la cité internationale , la Maison d’Arrêt La Santé et le SPIP de Paris. Ce qu’on tente de faire, c’est d’éviter de soutenir des projets isolés du fonctionnement global de l’administration pénitentiaire, faire en sorte que ces projets s’inscrivent dans une politique plus générale, qu’il y ait des liens qui puissent être envisagés avec la bibliothèque, avec l’Education nationale. Lorsqu’il y a des diffusions de spectacles à La Santé, les professeurs peuvent être associés et les textes sont disponibles à la bibliothèque. Autre point, on tente, là aussi -et c’est le Théâtre de la Cité Internationale qui l’a organisé- en partenariat avec la Direction régionale des services pénitentiaire de mettre en place des formations en direction des Directeurs de services pénitentiaires d’insertion et de probation. Deux sessions en 2000 et 2001 ont eu lieu. On aimerait aujourd’hui vu les difficultés rencontrées par les intervenants, qu’il y ait des formations qui se mettent en place en direction du personnel d’encadrement. Voilà un peu notre champ d’intervention et les critères généraux sur lesquels on peut s’appuyer.

Klavdij SLUBAN : Est ce que vous avez beaucoup de propositions ?

Emmanuelle Schweig : Nous avons très peu de propositions mais il faut savoir que nous ne sommes pas forcément informés de tous les projets qui existent dans la mesure où beaucoup d’entre eux sont soutenus exclusivement par l’administration pénitentiaire. En Ile-de-France, on soutient 4-5 actions.

Milko Paris : Pour combien possible ?

Emmanuelle Schweig : Je ne pense pas que ce soit chiffrable. On ne dispose pas d’enveloppe financière pré-affectée au milieu carcéral. Le budget du service de l’action culturelle est de 35 millions de francs environ et couvre toute la politique la ville, l’éducation artistique, l’ensemble des projets de développement culturel avec les collectivités, toutes les actions inter-ministérielles dans lesquelles on trouve les projets en milieu carcéral dont l’enveloppe s’élève à 220 000 francs à peu près.

Milko Paris : Y-a-t’il une évaluation des projets en place ?

Emmanuelle Schweig : Il y a un suivi, oui. L’évaluation des projets culturels est toujours très compliquée dans la mesure où c’est toujours une auto-évaluation et l’évaluation se fait au cours d’une réunion de travail ou lorsqu’on va voir le travail. Il m’est arrivé d’arrêter de soutenir un projet après avoir vu un spectacle insatisfaisant.

Jean-Christophe Poisson : Est- ce que vous avez une estimation des projets qui sont organisés de façon autonome par l’administration pénitentiaire ?

Emmanuelle Schweig : Non. J’ai connaissance de certains projets, je sais qu’ils existent et point. Je ne sais pas vraiment par qui ils sont menés, et comment ça se passe.

Audrey Chenu : Comment se fait-il que vous ne soyez pas au courant de ce qui se fait en matière de culture ?

Emmanuelle Schweig : Il y a des associations à l’intérieur des établissements qui mènent leur politique, qui développent leur propre projet, qui n’ont pas besoin de financement et qui ne font pas appel à la Drac. C’est vrai qu’on est un peu hors champ, on ne les connaît pas.

Anne Toussaint : En matière culturelle, il y a deux façons de fonctionner : il y a des associations internes qui sont en fait gérées par des associations socio-culturelles.
 
Audrey Chenu : A Fresnes, je n’en ai jamais entendu parler.

Laurentino Da Silva : Ce sont celles qui gèrent toutes les activités : échec, etc...

Anne Toussaint : C’est une association qui gère en fait les allocations de téléviseurs. Quand vous louez la télévision, ,c’est une association qui gère l’argent et qui en fait, le reverse aux intervenants.

Milko Paris : Une association est censée faire connaître ses bilans financiers.

Jean-Marc Van Rossem : j’ai une explication : ces associations vont bientôt disparaître. Ce sont des associations para-admnistratives qui faisaient en fait de la gestion de fait. Pourquoi elles ont existé ? : parce que les budgets de la fonction publique étaient insuffisants Donc il y a eu la création de ces associations para-administrative pour une souplesse de gestion mais qui touchaient de l’argent de leur propre administration et permettaient de récupérer de l’argent d’autres Ministères pour avoir des financements croisés. Aujourd’hui, il y a une réforme là-dessus, sur le fait qu’elles n’avaient pas de but associatif. C’était en fin de compte une structure juridique qui avait été créée pour la souplesse de gestion. Ca a permis de développer certaines choses, notamment l’action culturelle. C’est pour ça que la Cour des Comptes a mis son nez là-dedans et qu’il y a eu une commission d’enquête du Sénat et puis maintenant, c’est clair, on va supprimer ces associations pour les remplacer par autre chose qui vont être les groupements d’intérêt publics (GIP) et qui feront que les choses seront gérées et contrôlées par les différents Ministères subventionneurs. Elles garderont une certaine forme de souplesse de gestion mais elles seront plus contrôlées. et c’est vrai que ça n’avait pas vraiment une vraie vie associative. Si on prenait une association avec ses différents adhérents, en fin de compte il y avait 4-5 adhérents.

Hafed Benotman : Et de l’argent était pris aux prisonniers aussi !C’est-à-dire que en interne, c’est aux détenus de payer tous les mois, que ce soit pour le sport ou pour l’activité culturelle. A chaque fois qu’on s’inscrivait, il y avait une espèce de bon de cantine culturelle : on donnait de la monnaie et quand cette espèce d’association se réunissait, il n’y avait jamais un prisonnier ou une prisonnière qui était présent.

Jean-Marc Van Rossem : Normalement, vous auriez dû être membre de cette association. Pour aller dans le même sens que ma collègue de la Drac, c’est vrai qu’il est difficile de savoir exactement ce qui se fait et c’est vrai que chaque Maison d’Arrêt ou Centre de détention a sa propre politique. Il y a des choses qui sont gérées par la région et d’autres choses qui sont gérées par le lieu lui-même et il est très difficile de tout répertorier. Certainement que certaines actions passent au travers de chaque administration et pourquoi pas, ça laisse une certaine forme de liberté.

Audrey Chenu : Par exemple, si un groupe de musique vient faire des concerts en détention, doivent-ils passer par vous ?

Emmanuelle Schweig : A la Drac, on ne soutiendra pas les concerts en détention.

Audrey Chenu : Un atelier de musique ?

Emmanuelle Schweig : Il faut que ce soit construit, avec un projet. Il y a d’abord la démarche artistique qui est évaluée. C’est ce sur quoi nous baserons nos interventions. A partir du moment où la personne est artiste, on va regarder son projet et voir par rapport au milieu pénitentiaire, comment le projet s’inscrit dans la politique de l’établissement. On se rapproche des services pénitentiaires d’insertion et de probation et on voit comment ils reçoivent ce projet et comment il peut être mené sur du long terme et servir une démarche culturelle plus générale à l’établissement pénitentiaire.

Milko Paris : En fait, si je comprends bien, tous les projets sont sous tutelle d’un artiste ?

Emmanuelle Schweig : Sous tutelle d’un artiste reconnu.

Milko Paris : C’est-à-dire un artiste qui n’est pas prisonnier, c’est ce que ça veut dire si j’entends bien. Demain un artiste prisonnier, ne peut pas, et la Drac ne finance que des projets sous la tutelle des artistes du dehors.

Hafed Benotman : Prenons un exemple, si demain Mozart assassine sa femme et se retrouve en prison et qu’il veut créer un atelier de musique, il fait un dossier avec - admettons Engels qui est pédophile ou qui est dans la même cellule et qu’ils l’envoient à la Drac. A eux deux, ils demandent un financement, est- ce que la Drac a la capacité de financer ?

Emmanuelle Schweig : Pas seule.

Hafed Benotman : Pourquoi ?

Emmanuelle Schweig : Parce que c’est à l’intérieur. Si le détenu doit être rémunéré, nous ne maîtrisons pas tout ça, c’est du ressort de l’administration pénitentiaire.

Hafed Benotman : Quand il va aux ateliers et qu’il gagne 3,50 frs, il autogére son petit travail et donc pourquoi il pourrait pas être seul en cellule et composer de la musique classique et être rémunéré de la même façon.

Jean-Marc Van Rossem : Je vais répondre avec une réponse très administrative. Malheureusement, nous avons des lois en France et un fonctionnement des deniers publics. On ne peut pas verser de l’argent de la fonction publique n’importe où et n’importe comment. Il y a des règles très strictes . Ce n’est même pas nous qui le versons, nous ne donnons qu’un avis favorable et après c’est Bercy qui fait le chèque ou le mandatement et ça passe aussi par un financier qui peut à un moment donné bloquer les choses. Pour verser de l’argent qui vient des fonds publics, il faut une structure juridique derrière.

Hafed Benotman : Et ça finit toujours dans la poche d’un individu ! L’artiste touche son chèque. Si un artiste incarcéré à la capacité pédagogique de créer un atelier avec ses co-détenus et de le faire fonctionner, on peut suivre la même logique pour que le chèque finisse dans la poche de ce détenu.

Audrey Chenu : Même sans chèque, on n’a pas le droit de faire un truc pareil.

Maryse Aubert : Si j’ai un membre de ma compagnie qui est incarcéré, qui a des compétences artistiques reconnues, ma compagnie va demander à la Drac le subventionnement d’un projet. Est-ce que le détenu va pouvoir mener le projet quelque soit le type de rémunération ? Est ce que le fait qu’il soit à l’intérieur le rend crédible pour soutenir un projet artistique ?

Milko Paris : Apparemment non.

Hafed Benotman : C’est une piste à creuser. Je voudrais donner un petit exemple par rapport aux intervenants. Je prends l’exemple des fresques murales, c’est vachement beau. Il y a une annonce qui est faite pour l’atelier peinture. L’artiste arrive, il a ses détenus, il distribue un litre de lait à chacun parce que la peinture est toxique. Il leur montre ce qu’ils doivent faire et les artistes peintres deviennent des manoeuvres en bâtiment. C’est une activité culturelle et je me dis que par rapport à la fresque, nous avons d’excellents tatoueurs à travers les prisons qui sont capables de faire une fresque sur un mur. Je me dis pourquoi un artiste qui viendrait nous faire 6 belles vagues avec un monochrome dégradé, dégradant, serait rémunéré pour faire bosser 6 manoeuvres pendant 3 heures. C’est pour ça que c’est une piste à creuser d’aller chercher intra-muros des artistes qui y sont déjà.

Maryse Aubert : C’est intéressant ! C’est pour ça que ce que je vous ai dit, ce n’était pas par hasard. Dans mon groupe, il y a un détenu qui avait des qualités d’acteurs extraordinaires, que je souhaiterais à sa sortie garder comme acteur et travailler avec lui. Et je me dis comment de l’intérieur, lui, peut-il agir avec ses talents d’artistes réels ? C’est pour ça, ce n’est pas de la dérision, c’est réel !

Hafed Benotman : Il est condamné ?

Maryse Aubert : Il est encore en préventive, mais ça fait un moment et des fois, ça peut durer des mois, des années mais peu importe. Comment moi qui rencontre de l’extérieur un artiste qui correspond tout à fait à une activité artistique puisque moi aussi j’ai un outil employeur. En association, on peut être employeur. Dans quelle mesure cette personne de l’intérieur peut remplir un rôle en tant qu’artiste ?

Jean-Marc Van Rossem : Je me demande si ce que tu dis ce n’est pas par rapport à la qualité d’artiste ou à la qualité de la personne, de ce qu’elle peut faire. Si on est dans une position comme ça, on rentre dans une impasse. Je m’explique : on ne travaille qu’avec l’intérieur. Pour moi, la position de l’artiste, l’intérêt qu’elle a aussi c’est quelqu’un qui vient de l’extérieur à un moment donné et qui vient amener quelque chose qui vient de l’extérieur. C’est important cette relation de l’extérieur à l’intérieur de la prison ; comment peut-on réfléchir sur l’intérieur à l’extérieur ? Par le biais de ces passerelles, si l’on ne travaille que par l’intérieur, n’y-a-t-il pas risque d’assèchement ?

Audrey Chenu : Excusez-moi, le problème, c’est qu’il n’y pas assez d’intervenants. Comme il n’y a pas assez de gens et que ça coûte trop cher de les faire venir en prison, c’est mieux de s’organiser de l’intérieur. Ce n’est pas du tout concurrentiel, il y a des besoins et il n’y a pas assez d’intervenants par rapport à la demande.

Hafed Benotman : C’est peut-être une phrase toute faite que je vais dire, mais sur mes quinze années , je me suis aperçu d’une chose ; et quand Jean-Christophe est arrivé à Melun, nous avons eu un conflit cérébral par rapport à ça : c’est que le lien intérieur-extérieur passe par un filtre qui est l’administration pénitentiaire donc l’intervenant extérieur plein de vie, plein de foi qui a envie de faire bouger les murs, quand il rentre, passe par ce filtre. La plupart du temps, quand il arrive dans la prison, à part la moelle épinière et un petit bout de cerveau, il ne reste plus grand chose et l’intervenant extérieur vient s’enfermer dans la prison. Quand ça devient alimentaire au bout de 10 ans et qu’il continue a venir donner son petit cours de guitare et à chaque fois voir les détenus changer, nous avons l’impression que ça devient une espèce de bâtard.

Emmanuelle Schweig : Excusez moi, c’est autre chose . Là, vous parlez d’intervenants extérieurs mais nous, les projets qu’on soutient à la Drac, ce sont des artistes qui à l’extérieur ont une activité artistique propre et s’investissent dans un art. Ils sont là, et il y en 3 qui sont ici soutenus par la Drac Ile de France et vous ne pouvez pas les cataloguer comme intervenants qui vivent de la détention. Peut être que les intervenants dont vous parlez existent, je n’en doute pas .

Hafed Benotman : Il y a ceux qui sont payés par l’administration pénitentiaire.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Il y a différentes formes d’actions culturelles en détention et dans d’autres milieux hors des milieux artistiques traditionnels. Que ce soit le montage de projets lourds, et je parle du théâtre où on passe plusieurs mois avec une équipe et parfois avec beaucoup d’argent. Le projet peut être richement doté. Gatti en 89 a été richement doté. Entre des projets comme ça et à l’autre bout le cours de guitare qui a lieu depuis 10 ans, il y a tout une palette de possibilité. Un des obstacles du travail de Bapaume, c’est qu’on s’était mis dans la position d’être ressource et ce n’est pas forcément la même position que de dire "moi, je veux faire un film dans ces conditions avec un groupe de prisonniers". C’est de dire qu’il y a un nombre de détenus qui se met en route là-dessus et nous, on va leur proposer nos ressources. C’est une autre possibilité. Il me semble qu’à chaque fois, il faut se garder de faire des grandes généralités sur tout ça. Lorsqu’on n’a pas assez de visibilité sur la multiplicité des choses qui se passent en prison, il y a des choses qui vont vraiment très en profondeur dans le sens que l’on souhaite tous et qui permettent de révéler les choses et il y en a d’autres qui sont de l’ordre de l’animation socio-culturelle de bas-étage. Il faut bien le dire, c’est comme ça que ça fonctionne. Chacun est à sa place, tout le monde est bien à la place qu’il lui convient et personne ne pose de question. Nous sommes d’accord pour dire que ce sont des interventions qui sollicitent des artistes ou la capacité artistique. J’entends bien ce que tu dis mais ça doit être une des possibilités pour qu’on tente de mettre en place des choses comme ça et il est vrai que des détenus qui se mettraient ensemble pour mettre en place un projet, c’est une impossibilité. Comment est-il possible de générer un projet de l’intérieur de la prison, que ce projet soit artistique ou autre ?

Milko Paris : Ce n’est pas la loi qui l’interdit, ce sont les individus, c’est-à-dire les services sociaux, l’administration.

Jean-Christophe Poisson : Guillaume voudrait dire quelque chose.

Guillaume Fournier : Je voudrais rebondir sur ce que tu disais, sur le fait que les artistes doivent venir de dehors sur des opérations ponctuelles. Je pense qu’il n’y a pas d’adéquation entre la qualité du travail et la durée. Il y a des artistes qui restent en résidence en prison sur des très longues périodes, qui animent un atelier depuis 5 ans, qui est un atelier fondé sur l’échange et donc ça n’empêche pas d’avoir sur un parcours quelque chose qui va se renouveler au niveau artistique, parce qu’un canal de télévision c’est quelque chose qu’il faut alimenter en permanence avec des nouvelles choses. Je m’adresse à la Drac, je ne vois pas pourquoi des projets qui s’inscrivent dans la continuité ne pourraient pas bénéficier du soutien de la Drac au motif que ce ne sont pas des événements très limités dans le temps. Ce qui là, en l’occurrence, n’est pas le cas puisqu’il n y a pas de fin prévisible.

Emmanuelle Schweig : Mais ça existe.

Guillaume Fournier : Ce serait plus ponctuel avec un artiste qui travaille à l’extérieur, qui va venir faire des choses à l’intérieur et qui va repartir à l’extérieur. Ce qui est complètement intéressant.

Emmanuelle Schweig : De toutes façons, c’est le cas pour l’artiste, il sort toujours. Ce que je voudrais dire, c’est qu’on tente de s’appuyer sur les équipements culturels qui existent, qui sont soutenus par le Ministère de la Culture et de les impliquer dans l’action culturelle en milieu carcéral. Leur dire, sur votre territoire, il y a telle prison, et les inciter à entrer dans les établissements pour investir et y développer les projets. C’est plutôt de cet ordre là.

Guillaume Fournier : Maintenant, c’est vrai que les projets qui sont en forte perméabilité avec l’extérieur sont des choses qui sont toujours très enrichissantes. Si Les institutions peuvent construire en interaction à l’intérieur, des projets qui se répondent à l’intérieur et à l’extérieur, par exemple un musée peut inclure dans le parcours d’une exposition itinérante un passage à l’intérieur d’un établissement pénitentiaire, on peut imaginer un tas d’autres choses

Jean-Christophe Poisson : Je voudrais passer la parole à Klavdij Sluban.

Klavdij Sluban : Je voudrais parler des risques qu’il y a en prison de faire son truc depuis 10 ans. Je dois dire que je me reconnais bien dans le petit guitariste. J’espère que vous vous rendez compte en disant cela que vous allez tout à fait dans le sens de la politique actuelle. Il y a eu un changement politique récemment et en prison on est entrain de réduire le nombre d’interventions. C’est à dire justement celle du petit guitariste qui venait depuis 10 ans, c’est le discours de l’administration pénitentiaire actuellement, justement, puisqu’il a un monopole, puisqu’il a sa petite place au chaud : on va le casser et ils sont entrain de le casser. Je n’ai pas la qualité d’être guitariste, je suis le petit photographe qui vient du 95. J’ai mis en place un atelier et c’est vrai que vous avez devant vous le représentant officiel. Est-ce qu’il faut automatiquement jeter la pierre aux personnes qui font la démarche de venir dans un cadre où on pourra discuter ouvertement. Il y a énormément d’aigreur, de frustration donc nous avons envie de déverser tout ça, mais si on parle de l’art, c’est subjectif. Mais ensuite, si on parle à un moment donné de donner de l’argent, un chèque à des artistes qui vont en prison parce qu’ils ont fait eux même la démarche de demander une subvention, là aussi c’est un critère subjectif. Il y a des projets qui seront acceptés, d’autres qui ne le seront pas et ce qui se passe en bout de course, c’est que tous les projets de long terme sont en train d’être cassés parce qu’il y a des subventions extérieures à l’administration pénitentiaire et que ces subventions permettent une certaine autonomie au sein de la prison. Ca veut dire que ces para -associations qui existaient et qui subventionnaient certains projets qui ne passaient pas par l’extérieur, finalement tout ça est en train de se regrouper, de se structurer comme des gros monopoles. C’est-à-dire que ne seront dans un temps très court plus en vigueur dans les prisons, que des projets financés par l’administration pénitentiaire. Les critères seront ceux que l’administration pénitentiaire va choisir et ce ne sera plus les gens de l’extérieur qui diront « moi, je suis un projet depuis plusieurs années, la personne dont je vais voir le travail - que ce soit du cinéma, du théâtre ,de la photo, quel que soit le domaine des arts - j’en assure le suivi à ma manière, suivant ma sensibilité. Ce ne seront plus ces gens qui vont donner la possibilité de faire ces projets, ce seront des gens qui seront formés par l’administration pénitentiaire et qui vont dire "je vais permettre la mise en place de ce projet en prison". Si vous permettez, la question c’est de savoir dans quoi s’inscrit tout ce que nous faisons ici. Moi, je suis photographe, j’ai décidé de faire un travail en prison. La mémoire, qu’est-ce que c’est ? Qu’est ce qu’une mémoire en prison, qu’est ce qu’il reste d’un passage en prison ? Je pensais que la photo dans un lieu tellement immuable qu’est une prison, c’est bien ! Les murs changent. Les gens imprègnent de leur passage un lieu donc j’ai trouvé intéressant de mettre ce projet en place, pas en tant que photo-journaliste que je ne suis pas, mais en tant qu’auteur. Je me base sur le réel, je fais des photos à partir du réel et avec ma sensibilité. J’ai mis ça en place, il y a 8 ans et ce projet une fois de plus, je l’ai alimenté de ma sensibilité et surtout de mes exigences photographiques originelles. Avec les jeunes du Centre de Jeunes Détenus qui participent à mon atelier, il y a une exposition après chaque atelier et ensuite ils reçoivent une sorte de diplôme qui est très fictif. On en a fait deux : un sur lequel la prison n’est pas indiquée, ça peut leur servir à l’extérieur s’ils le désirent et surtout, j’ai demandé à des photographes reconnus de venir également soutenir ces projets en venant tout simplement regarder les photos et donner des conseils . Tout ceux à qui j’ai demandé de venir sont venus et il y en a qui viennent depuis 95. Et ça peut être critiqué et ça l’est parce que l’administration pénitentiaire s’aperçoit que c’est un projet qui est complètement en autarcie. Nous n’avons pas besoin de l’administration pénitentiaire pour que matériellement ça continue. Il y a eu à l’intérieur et à l’extérieur une exposition de photographies. Le but c’était toujours de faire quelque chose, une reconnaissance extérieure qui dépasse les exigences du cadre administratif et pénitentiaires à proprement parler. Et c’est très difficile parce qu’on échappe à ce contrôle. D’un autre côté, ce que je voudrais dire, c’est que personnellement, je n’ai pu faire ce que j’ai fait jusque là qu’en m’appuyant sur des gardiens volontaires qui comprennent la portée d’une telle démarche.

Hafed Benotman : Des gardiens volontaires, je n’ai pas compris ?

Maryse Aubert : C’est un paradoxe

Klavdij Sluban : Surveillants si vous préférez et étant donné que ce que je demandais, c’est que l’activité se déroule d’une manière relativement ouverte au sein de la prison. C’est à dire que vous avez 5 ou 6 gars qui pourront avec des appareils photos se balader dans la prison. S’il n’y avait pas des surveillants qui soudain se rendaient compte que finalement, ça pouvait être quelque chose de constructif, ça n’aurait pas pu marcher. S’l n’y avait pas la juge d’application des peines qui, à un moment, n’avait donné son autorisation quand il y a eu l’exposition extérieure pour que les jeunes y aillent, il n’y aurait pas eu cette possibilité. Je me suis toujours appuyé sur des gens qui étaient prêts à soutenir une démarche comme ça. Mais le problème, c’est qu’on est tout de même fragilisé dans une telle démarche. Je ne sais comment fonctionnent les autres artistes mais moi je n’ai jamais participé à des débats, à des colloques parce que tout simplement c’est quelque chose qui se fait de manière extrêmement linéaire, ponctuelle. C’est soit une grosse structure à un moment, ça a été accepté et puis ...

Hafed Benotman : Et depuis ça roule sans problème !

Klavdij Sluban : C’est vrai que le petit guitariste, s’il n’a pas une exigence personnelle à faire partager, c’est quelque chose qui est plutôt de l’animation que de la création artistique. Peut être que c’est un autre débat sur la qualité des artistes intervenant en prison.

Hafed Benotman : Je ne parlais pas de la qualité des artistes parce que quelqu’un qui joue de la guitare, joue de la guitare selon l’oreille du type. On juge de la qualité de quelqu’un. Maintenant la scie musical, je ne trouve pas ça joli mais il y a pire. Ce que voulais dire par rapport au petit guitariste et puis je vais mettre des gros guillemets parce que ce n’est pas péjoratif pour le petit peintre, le petit photographe. C’est qu’aujourd’hui, il vous tombe quelque chose sur le figure, c’est ce que vous avez dit tout à l’heure, c’est qu’on va le jeter au bout de 5 ans, 6 ans, 7 ans de présence. Pourquoi on va l’éjecter ? Parce que pendant tout ce temps, il n’a pas confronté son art politiquement à l’administration pénitentiaire. Il s’est installé dans son petit confort et ce que vous avez dit par rapport aux 5, 6 jeunes qui se baladent avec leurs appareils-photos, c’est le Centre de jeunes détenus. Maintenant tenter de reproduire, de former un autre photographe avec votre manière de voir, ce système-là : envoyez-le à la centrale de Clairvaux ou au grand quartier de Fleury-Mérogis, vous allez voir que ce n’est plus du tout la même chose. Vous fonctionnez dans le Centre de jeunes détenus avec des jeunes qui rentrent et qui sortent, qui ne restent pas très longtemps. Maintenant le petit guitariste du grand quartier de Fleury-Mérogis quand il s’installe en bas et qu’il y a 5, 6 détenus qui arrivent et qu’ils jouent un peu de guitare, j’aimerais bien moi que le mec du quartier d’isolement descende quand il s’inscrit mais on ne le laisse pas venir. Le petit guitariste, il ne fait rien pour batailler, pour aller le chercher. Il ne fait rien du tout. Quand l’activité commence à 14 heures et qu’on ouvre les portes à 15 heures pour les prisonniers inscrits aux activités, le petit guitariste, il ne dit rien.

Emmanuelle Schweig : Il n’y a pas que lui. Je suis désolée.

Anne Toussaint Je ne suis pas d’accord avec toi. Excuse-moi. Il n’a pas les clefs.

Hafed Benotman : C’est un exemple ! c’est simplement pour dire que l’intervenant extérieur quand il rentre à l’intérieur de la prison, il s’enferme dedans, il ne se confronte pas politiquement, il ne prend pas une position politique.

Jean-Marc Van Rossem : On ne demande pas à un intervenant d’être un militant politique, on lui demande d’être un artiste.

Anne Toussaint : Rentrer en tant qu’artiste dans une prison, c’est déjà un acte politique. Avant de commencer à créer un art, c’est créer un espace de mouvement, de pensée et de résistance et c’est contradictoire avec le fonctionnement même de la prison. En tant qu’artiste quand on rentre en prison, on est toléré. Tu es toujours dans un système de résistance et tu es toujours en train de travailler dans ce que, moi, j’appelle l’implicite.

Hafed Benotman : Dans ce que l’administration pénitentiaire vous donne.

Anne Toussaint : Partout, c’est comme ça.

Hafed Benotman : Pourquoi, il n’y a pas de Détenus Particulièrement Surveillés dans les activités culturelles ?

Anne Toussaint : Tu crois qu’un artiste qui va dans une friche industrielle, il ne va pas non plus s’enfermer ? Après tu choisis ton endroit de travail.

Audrey Chenu : Par rapport ce que tu as dit tout à l’heure, il y a un truc clair, il y avait deux profs de philo, un prof de philo normal qui venait et il se plaignait parce qu’il n’avait pas les détenus. Moi je me disais, « c’est normal, si tu ne te plains pas, tu ne les auras pas » et François Chouquet qui à une politique tout à fait différente. Quand les matons n’appellent pas les détenus qui doivent venir à son cours, il va les chercher presque jusqu’en haut. Ca fait chier les matons mais il ne faut pas lâcher l’affaire ! C’est aux profs, aux intervenants de réagir parce que nous ne pourrions jamais dire : "on est inscrit au cours ", ils ne nous écoutent pas. C’est aux intervenants d’aller jusqu’au bout. Il a raison Hafed, c’est possible, c’est s’investir politiquement que faire ça.

Jean-Christophe Poisson : Ca dépend des établissements et des personnels.

Hafed Benotman : Il ne faut pas généraliser.

Audrey Chenu : J’ai donné un exemple.

Anne Toussaint : Si on s’enferme à discuter de tout ça, on ne va jamais avancer. Je pense que tous, autour de la table, on est quand même là pour une raison bien précise et on ne va pas être dans un ressassement.

Milko Paris : La question posée tout à l’heure sur la possibilité de subventionner des détenu(e)s artistes n’est pas une question polémique, c’est une question qui doit être posée en parallèle des interventions des artistes que vous êtes. C’est une piste possible et ça ne réduit pas le travail que tu fais avec les jeunes du Centre de jeunes détenus, pas du tout. Ensuite, je pense que la critique est absolument nécessaire, qu’elle soit positive ou négative. Il faut qu’elle soit continue parce que s’il n’y a pas de critique, il n’y a pas de créativité. Je pense qu’un certain nombre d’entre nous ne serait pas ici, ou seraient morts, ou serait sur d’autres territoires et d’une autre manière. Ne prenez pas pour une critique négative les questions qu’on pourrait poser peuvent être négatives, ça c’est une chose. Je n’ai pas l’impression d’être venu pour rien autour de cette table parce que pour moi c’est la première fois que d’ancien(ne)s détenu(e)s interviennent dans une table ronde sur cette problématique. D’habitude, ce sont des spécialistes qui s’expriment à notre place sous prétexte que nous ne savons pas nous exprimer. Je pense que c’est positif et de toutes façons, de cette discussion jusqu’à présent, il s’est quand même dégagé un certain nombre de pistes. Elles seront reprises sûrement dans les actes. Parce que quand tu parles tout à l’heure de ce qui se fait au niveau de la santé qui est sectorisée, je pense qu’un musée ou une région doit prendre en main les prisons pour faire des interventions culturelles avec des moyens humains et financiers. Evidemment, en amenant les personnes emprisonnées vers le haut et vers les activités socio-culturelles. On pourrait tout à fait, dans un cadre légal ou juridique, d’une coopérative ou d’une association loi de 1901 rémunérer les personnes emprisonnées dans le cadre d’une formation ou d’un emploi pour qu’ils (qu’elles) soient personnes-ressources référentes dans la prison au nom du Ministère de la Culture ou de je ne sais quoi. Donc, il y a des choses possibles ; il n’y a pas eu que du négatif autour de cette table. De toutes façons, on ne peut pas parler et construire des pistes ou un projet global s’il n’y a pas une discussion sur tous les aspects des interventions de chacun(e), s’il n’y a pas quelques questions polémiques ou virulentes. Je n’ai pas eu l’impression qu’il y a eu beaucoup d’agressivité. Un certain nombre d’entre nous, vu les conditions dans lesquelles ils-elles sont aujourd’hui, pourraient être très agressifs et ne le sont pas. Ce qui est déjà une forme de respect qui fait qu’on se réunisse. Il est nécessaire d’échanger la parole et cette parole ne peut pas s’échanger dans une espèce d’anesthésie où on ne poserait pas les questions polémiques

Emmanuelle Schweig : Moi, ça ne me dérange pas la polémique ou l’agressivité mais, encore une fois, c’est ce que disait Anne. Nous sommes réunis pour essayer d’avancer dans le suivi de ces projets culturels en milieu carcéral et vous voyez bien le contexte aujourd’hui. Au niveau de l’Etat, il y a la PJJ et la Drac Ile-de-France, c’est tout, et je suis venue dans un esprit d’ouverture. On ne peut pas au niveau de l’Etat tenter de modéliser les démarches d’insertion à partir d’un artiste. Ce n’est pas ce que va demander la Drac à un artiste quand elle va le soutenir pour un projet artistique en détention. Qu’il y ait des passerelles qui s’installent avec l’administration pénitentiaire autour de cette démarche d’insertion : tant mieux. Je pense que c’est ce vers quoi il faut tendre. Mais aujourd’hui, on n’en est pas à demander à un artiste quand il va faire un atelier théâtre, photo ou audiovisuel de s’occuper de l’insertion de chaque participant de l’atelier.

Jean-Christophe Poisson : Francine a une question à poser.

Francine Oyane : On nous parle de la culture en prison donc j’ai juste une question à poser à tous les intervenants parce que je n’aurai plus l’occasion d’avoir autant d’intervenants devant moi. La culture à l’extérieur coûte la peau des fesses. Essayer d’avoir une place pour aller au théâtre ou à un concert : c’est la croix et la bannière. Alors essayer d’imaginer à l’intérieur maintenant, est- ce que vous avez pensé aux personnes qui travaillent en prison, est-ce que ceux-là parce que nous le savons, ce sont les mêmes qui vont aux activités. C’est à dire que ce sont les personnes qui vont à la photo, à la guitare mais il y a aussi ceux qui travaillent qui aimeraient avoir accès à la culture. Est-ce que vous avez l’intention de penser à ces personnes ?

Jean-Christophe Poisson : On en a parlé ce matin à 9h et 1/2.

Francine Oyane : Je n’étais pas là ! vous avez dit quoi ?

Jean-Christophe Poisson : Anne voudrait prendre la parole.

Anne Tousaint : Il y a un truc qui me choque par rapport au Ministère de la Culture. Pourquoi il y a un budget spécifique de la culture en prison ? Par exemple pourquoi moi qui suis au niveau de l’audiovisuel pourquoi je ne vais pas voir le conseiller audiovisuel, on dit culture en prison, culture à l’hôpital, pour moi un projet que je vais proposer à l’intérieur est le même que celui que je vais faire à l’extérieur. Il n’y a pas de différence ! La culture en prison, c’est la culture . Plus on recherche des partenaires, plus on multiplie les partenariats c’est à dire que sur un projet culturel, il faut qu’on trouve de l’argent. Si c’est à Paris, il y a la ville et le Conseil Général. Il faut que ce soit intégré comme un projet sauf que c’est la prison.

Emmanuelle Schweig : C’est lié à l’organisation de la Drac Ile de France qui est une Drac importante. Dans d’autres régions, ça ne se passe pas comme ça. Il y a un peu moins de 10 ans à la Drac Ile-de-France a été créé le service du développement culturel qui a pris en charge toute l’action culturelle. D’un côté, la création artistique est suivie par le conseiller sectoriel que tu connais : Théâtre, danse, art plastique et autres. Et d’un autre, il y a le service de l’action culturelle qui est transversal. Et les projets que nous soutenons à l’intérieur de ce service doivent, par le biais d’une pratique artistique, faire en sorte qu’un public très éloigné de l’offre culturelle ou d’une démarche artistique puisse avoir accès à la création artistique. C’est un peu la médiation. Ce service s’occupe de tous les dispositifs des politiques interministériels : la politique de la ville, l’éducation artistique à l’école, les emplois-jeunes, le milieu hospitalier et carcéral. A terme, il se peut que chaque service sectoriel prenne en compte cette démarche d’action culturelle au côté de la création artistique. Dans des régions moins importantes, le conseiller théâtre ou cinéma peut également s’occuper de l’action culturelle.

Jean-Christophe Poisson : Jean-Pierre veut intervenir.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je voudrais intervenir à la suite du problème que posait Emmanuelle Schweig sur la question de l’accompagnement qui suit un projet artistique, en disant qu’au fond ce n’est pas ce qu’on peut demander à un artiste. C’est une vraie question que je pose comme ça ; je me demande si au fond, ce n’est pas ça l’essentiel. Dans la dimension culturelle du travail artistique, il faut dire comme ça, il n’y a pas aussi cette capacité à fabriquer de l’humanité. Parce que j’ai entendu quelqu’un dire « j’ai tissé du lien avec quelqu’un alors que j’étais dans un endroit où il n’y avait plus de lien ». C’est une histoire d’hommes, un problème de mélancolie comme dirait Pérec, mais derrière, est-ce que c’est seulement accessoire ? C’est vrai que dans le travail que je fais, je rencontre exactement le même problème ; des problèmes de limite au fond. Est-ce que l’artiste est simplement dépositaire du savoir-faire concernant la manipulation de matière ou de savoir s’y prendre pour aboutir à un résultat ou est-ce que c’est quelqu’un qui va savoir tisser et retisser et aller au-delà de ce qu’il va pouvoir être, cette dimension presque pure de l’artiste. Dés qu’on va mettre des qualificatifs, on va sortir des grossièretés, une dimension sociale, une dimension psychologique, une dimension humaine, je ne sais pas !

Emmanuelle Schweig : Mais est-ce qu’il en a les compétences ?

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Est-ce que ce sont des compétences qui sont en jeu ? parce qu’au fond, on pourrait se poser la même question avec les surveillants. Tous les intervenants de la prison ont normalement une responsabilité, à mon un sens, si la prison a encore un sens, ce serait bien de permettre à des gens qui sont sortis de l’espace public si je puis dire de retisser des liens quels qu’ils soient. Pour re-fabriquer Il faut bien que ce travail soit assumé quelque part. Il me semble que les compétences, oui, est-ce qu’il y a une compétence ? est-ce que c’est une question de personne ? Est-ce que ce n’est une question de dispositif ? Est-ce qu’au fond, le travail des artistes quand ils ne sont pas compétents sur ces questions là ne devraient-ils pas être accompagné ?

Emmanuelle Schweig : Je suis d’accord pour ça.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je reviens à ce groupe de travail. Comment peut-on faire pour que les artistes ne soient pas isolés, largués dans un endroit qui est un endroit où à la fois il faut être et où on ne peut pas rester. C’est ce qui est compliqué. S’installer en prison, c’est impossible et ne pas s’installer, c’est ne pas aller au bout. Il y a un moment où c’est facile d’aller faire un truc et après on se casse. Là, on peut parler de l’histoire du guitariste. J’ai souvenir comme ça d’un spectacle de Noël, où les détenus disaient « joyeux noël ! » et nous, on partait : c’était le 23 décembre. On ne les a plus revus après. A l’inverse, c’est pareil. On est dans des espaces hautement contradictoires et chaque fois qu’on va aborder un truc, on va se le prendre dans la gueule. Un retour de bâton immédiat qui va venir de l’un ou de l’autre parce que si quelqu’un n’a pas compris ce que c’était la dialectique du monde, il faut aller en prison et là on comprend tout de suite parce qu’on en prend plein la tronche des deux côtés. Y compris sur cette question de la position de l’artiste, il me semble qu’on doit aussi se pencher sur comment on fait pour aller au delà de ça, vers des histoires singulières qui peuvent être multiples au fond. C’est tout le problème du champ éducatif aussi. Il me semble que nous tous, ici, si on est artiste, c’est parce qu’on a rencontré des gens et qu’à un moment ou à un autre, il y a quelqu’un qui a déclenché, qui fait que tu t’es dit : il y a quelque chose de possible pour moi. Je peux vivre quelque chose dans mon existence qui peut prendre sens dans cette dimension. On ne peut pas évidemment traiter du nombre, effectivement je me bats beaucoup la-dessus. On ne peut pas être dans la statistique. A quoi ça sert ce qu’on fait, est-ce qu’on peut mesurer l’effet de ce qu’on produit ? Je ne crois pas . En revanche, on peut mettre en place du lien et ça, ça se voit. Cela rend raison de tout un projet et ça suffit d’avoir pu produire quelque chose qui ressemble à ça. Ca suffit même si pour d’autres, cette expérience aurait été moins forte, moins riche ou plus secrète. La question étant et j’y reviens, on ne peut pas faire l’économie de penser la transition entre des choses qui sont contradictoires, le dedans le dehors, entre l’artistique et le reste. Quand on est artiste, on est obligé de le prendre en compte. Si on ne le prend pas en compte personnellement, il faut le prendre en compte avec un dispositif. Et quel dispositif ? C’est une question et je n’ai pas forcément de réponse. Dans la pratique, j’essaye de faire des choses et je ne suis pas sûr d’avoir des résultats.

Jean-Christophe Poisson : Anne.
 
Anne Toussaint : Le terme dispositif me gêne un peu. J’ai rencontré différentes personnes qui venaient faire des choses différentes en prison. Il y a différentes façons d’y rentrer et de mettre en place un projet. Il y a des gens qui n’ont pas de projet et qui ont pour projet de travailler sur la matière prisonnier,

Hafed Benotman : ça c’est grave

Anne Toussaint : sur le prisonnier comme leur sujet de travail et il y en beaucoup.

Hafed Benotman : C’est le danger que je dénonçais tout à l’heure, c’est très grave.

Anne Toussaint : Il y a des artistes qui y vont avec la fascination des prisonniers et ceux qui y vont par pure compassion. Il y a ceux qui y vont comme pompiers, qui participent à ce qui se fait beaucoup dans les villes, les quartiers. Pour eux l’activité culturelle, artistique sert de contrôle social et il y a ceux qui viennent avec un vrai projet. C’est à dire un projet qui n’est pas forcément construit, bétonné dès le départ, une proposition je dirais. Et cette proposition ne pourra exister qu’à partir du moment où il y aura un travail commun, collectif, une existence singulière de chacun dans le projet. Et là, effectivement, on pourra parler de la rencontre, de la prise de risque de chacun à sa place .Là, il va peut être naître quelque chose ou peut-être pas.

Hafed Benotman : C’est pour ça qu’il faut défricher et recenser les différents intervenants, non pas pour faire des jugements ou des procès mais pour voir plus clair.

A Toussaint : Je dirais que c’est comme - j’ai tendance peut être à faire rapidement des rapprochements - les maisons de la culture dans les quartiers. Si j’ai envie de faire de la danse, la prof de danse ne me plaît pas, finalement, j’y vais pas. C’est la même chose avec les gens qui sont à l’intérieur parce que je n’ai jamais entendu quelqu’un de l’intérieur dire le mec qui fait de la guitare, ce n’est pas intéressant.

Hafed Benotman : Il faut savoir une chose simple, c’est que quand on fait une activité culturelle, c’est du même domaine que l’activité psychologue, l’activité sport, l’activité partie civile. C’est à dire que vous êtes un petit point en plus dans le dossier pour permettre d’acheter sa liberté parce qu’en prison, la liberté se marchande.

Anne Toussaint : C’est aussi contradictoire. On peut très bien de l’intérieur avoir aussi des exigences.

Hafed Benotman : Non, on n’a plus d’exigence., on est tellement habitué. C’est ce que tu disais tout à l’heure, le détenu devient une matière à psychologie, une matière scientifique, une matière théâtrale, une matière musicale. Il devient une matière, il n’y a plus rien.

Anne Toussaint : Pas tout le temps non plus.

Hafed Benotman : Pas tout le temps mais dans des cas très rares.

Anne Toussaint : On peut réagir de l’intérieur.

Hafed Benotman : Si quelqu’un réagit de l’intérieur, ce n’est pas compliqué il se retrouve en transfert.

Jean-Christophe Poisson : Klavdij voudrait dire quelque chose.

Klavdij Sluban : Moi je voudrais partager l’émerveillement de Francine. C’est la première fois que je suis autour d’une table où il y a autant d’acteurs culturels et de détenus réunis ensemble et je trouve que c’est une belle chose. Est ce que Jean-Christophe qui est l’organisateur de tout ça, peut nous dire s’il n’y a pas un moyen de fédérer çà ?

Jean-Christophe Poisson : C’est la grosse question qui se pose. François Chouquet a utilisé une expression ce matin qui m’a un peu ébranlée. Il a dit que j’avais autorité pour proposer les choses. Je n’aucune autorité. La réunion autour de cette table est complètement informelle, un peu instinctive. On voit à travers le déroulement de la parole qu’on est tous sur les même sujet de manière profonde. Fédérer ? Oui, mais pourquoi, comment ? Est-ce que c’est possible ?Je prends la suite de Jean-Pierre, les liens vous tombent dessus et les rencontres, on les accepte ou on les refuse. Essayer de mettre en commun des moyens pour que ces rencontres puissent être irriguées à l’extérieur et surtout débouchent sur une autonomie à travers une multitude de rencontres nouvelles. Ca, c’est mon objectif. Avant de tenter de restructurer la journée de détention sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir. Le fédérer, très certainement. Ca veut dire quoi ? Un centre de ressource des activités artistiques. Ca veut dire de la réflexion, de l’écrit. Techniquement, de la transmission de CV de détenus, de l’accompagnement concret et physique de projet de personne sans pour autant que chacune des compagnies qui intervient recrute tout les participants qu’ils rencontrent. C’est absolument impossible. Notamment, c’est pour cette raison que j’avais suscité la présence du Ministère de la Culture pour que le tissu des scènes nationales, les centres dramatiques régionaux, les cinémas subventionnés para-municipaux soient informés de la possibilité de recruter des personnes sortant de prison et qui y ont conçu une envie réelle. C’est un thème que tu m’avais proposé d’illustrer aujourd’hui et j’aimerais bien que tu reviennes sur ce que tu m’as dit, quand on s’est vu il y a 15 jours, par rapport aux gens qui ont trouvé le désir de faire quelque chose. Je passe la parole à Jean-Pierre.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Une des questions fondamentales de la réunion qui nous réunit ici, c’est pourquoi un artiste va se retrouver dans cette situation alors qu’il peut rester sur sa scène, dans son atelier ou dans son studio ? Il me semble qu’on ne peut pas aller trop loin là-dedans sans réfléchir sur les conséquences des pratiques culturelles et artistiques de toutes ces interventions. Je veux dire par là que je ne fais pas du théâtre appliqué à la détention, à l’hôpital psychiatrique ou aux quartiers. Je pense qu’aller dans ces espaces là contribue à élaborer, a transformer les pratiques culturelles et artistiques dont je suis l’auteur. Je ne sais pas qui parlait d’auteur : c’est notre ami photographe qui s’en va.

Klavdij Sluban : On est en train de monter une expo qui aura lieu demain au Centre de jeunes détenus et je dois y aller.

Milko Paris : Je peux l’exposer sur notre site, c’est gratuit. Comme ça tout le monde aura la possibilité de voir tes photos.

Audrey Chenu : Dans notre journal également.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je pense que les pratiques dont nous parlons, n’ont de sens que dans la mesure où elles sont le signe d’un engagement réel de l’artiste en tant que tel. Je ne reviens pas sur la dimension politique, j’élargirai cette idée qu’en allant faire ce que nous faisons dans ces univers modifient de façon profonde mais essentielle les démarches, les conceptions de notre propre pratique artistique. Pour dire très vite puisqu’on parle de théâtre, j’ai le sentiment qu’en allant faire du théâtre en détention, et dans tout espace où l’existence se manifeste d’une manière forte et violente, j’ai le sentiment qu’on retourne à l’essence de notre propre activité et c’est ça qui nous anime profondément. Autrement dit, on parlait des démarches tout à l’heure, ce qui fait la différence avec ce fameux professeur de guitare. Ce qu’il y avait derrière ça, c’était l’absence de démarche au fond. Quand Emmanuelle Schweig parle de ce que la Drac dit n’être pas possible d’identifier ou de demander. Est-ce que oui ou non, nous avons quelqu’un qui est au moins dans la tentative même s’il n’est pas capable de le faire, de présenter une réelle démarche de création et qui pense que sa création n’est pas quelque chose qui est dans sa tête mais qui se fait avec d’autres pour, non pas en direction de, mais avec, et que ça fait partie de l’aspect essentiel de ce qu’il a le projet de faire en tant qu’artiste. Que ce soit pour moi peintre, photographe ou metteur en scène, j’ai le sentiment que ça doit être une démarche commune. Après nous avons tous le droit de ne pas y arriver, c’est une des caractéristiques de la position où on est. Pour paraphraser quelqu’un : « on est supposé oser échouer » et ça, il faut l’avoir en tête. La question de l’aboutissement et du résultat doit toujours être en second par rapport à la démarche et au mouvement qui vous anime pour tenter d’arriver. C’est une première chose à laquelle je tiens beaucoup pour distinguer les pratiques qui peuvent être par ailleurs utiles pour d’autres. Une pratique artistique dans ces espaces-là devrait correspondre à ce type d’intention et c’est la relation même à la nature même de notre propre travail. Une deuxième chose que je voudrais dire, avant d’arriver au point que Jean-Christophe souhaite que j’évoque, concerne la situation de l’univers carcéral et je suis de plus en plus enclin à penser qu’il faut le penser avec le reste du monde. Ca signifie par là que le travail que je fais dans les quartiers me paraît être en correspondance étroite avec cet univers là. Pour des raisons simples d’ailleurs, c’est que dans ces quartiers, beaucoup de gens ont été en prison ou vont y aller, hélas ! Ce sont des trajectoires qui existent et auxquelles on est confronté et que finalement le travail qu’on va faire à l’extérieur ou à l’intérieur nous permet déjà de mettre en route quelque chose de cette circulation. Et je crois que c’est peut être ça qui au fond va dans le sens d’un travail qui ne nous enferme pas nous-mêmes : nous penser comme des circulateurs, des gens qui fabriquent du mouvement : je crois profondément à ça. Effectivement, si on arrive à l’intérieur à fabriquer du mouvement et que ce mouvement ait tendance un peu à rendre les murs poreux, à faire en sorte que les distinctions dedans-dehors ne soient plus si évidentes, qu’un détenu puisse dire après l’atelier « pendant un moment, je n’étais plus là », il s’est fabriqué un espace qui n’était plus un espace carcéral mais l’espace à côté de sa propre nature que l’on réussit à créer en montant telle scène ou en répétant tel moment, j’ai le sentiment qu’on touche à quelque chose qui est juste. Je parlais de dispositif tout à l’heure mais le mot aurait été agencement dans le sens de quelques uns de nos vieux maîtres. Agencement, ça veut dire notre capacité à mettre en relation des groupes, des personnes, des turbulences. Le mot turbulence vient du cameraman qui est derrière en train de filmer et qui m’a donné cette idée que je trouve très juste. Notre boulot, c’est de faire de la turbulence . En partie pour les jeunes car si on n’est pas capables de créer du mouvement, de les embarquer dans du mouvement, ça ne fonctionne pas. On crée une turbulence avec tout ce que ça veut dire comme caractère incertain au résultat improbable et d’être en liberté et de sortir toujours de frôler le bord des cars. Frôler le bord, ça veut dire poser des questions tout le temps. Ca veut dire ne pas refuser les contradictions, les polémiques et les problèmes. Quand il y a des hommes et des femmes qui veulent travailler ensemble, il faut leur poser la question de leur travail commun. Je vous garantis que ça, c’est un vrai tabou de faire travailler en détention des hommes et des femmes ensemble.
Poser la question de savoir comment on peut faire un spectacle à l’extérieur, ça c’est un autre problème et chaque fois on se frôlera au cadre que la prison essaye de maintenir, on sera dans cette relation de porosité qui me semble fondamentale. Et ça se fait par des turbulences qui sont extrêmement fatigantes, coûteuses et absolument nécessaire si on veut se positionner comme artiste en prison.
Le point sur lequel je veux dire deux mots parce que c’est celui qui me préoccupe le plus et je n’ai pas non plus la réponse là-dessus, c’est à quoi on sert et qu’est ce qu’on fabrique dans ces espaces ? C’est la même réponse au fond, à quoi ça sert le théâtre ? J’ai le sentiment que faire du théâtre en détention ou dans un quartier pose la même question que celle de faire du théâtre tout court. C’est ça la question. Qu’est-ce que c’est cette action, cette activité, à quoi elle correspond ? J’aurai une tentative de réponse en disant que nous sommes des machines à fabriquer du désir, on met en place des machines à fabriquer du désir. Je m’explique : au fond ce qui se manifeste sur scène, c’est quelque part l’apparition du sujet, c’est ce qui est en jeu sur scène. C’est que tout à coup, une personne c’est ce qu’on rappelle être l’origine du théâtre, un protagoniste qui s’oppose face au choeur et qui tout à coup est seul dans sa nature même, la seule à prendre le risque absolu de la scène et du coup a éprouvé le sentiment et le désir de l’existence. C’est pour vous dire que dans le travail que nous faisons en tant qu’artiste, on est peut être et on doit peut-être demeurer antérieurement à toutes les autres questions qu’on pourrait éventuellement nous poser sur l’employabilité, sur la formation. Sur toutes ces questions qui, dans la plupart des cas, pour les gens avec qui nous avons travaillé ne peuvent même pas encore être posées. Dans les quartiers et en détention, je rencontre des gens dont le problème fondamental est quelle est la nature de mon désir d’existence ? Pourquoi est-ce que je flambe à risquer de me tuer sur la route dans des petits bolides ? nous avons récemment un jeune garçon de 19 ans qui s’est tué dans un virage. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il est allé chercher si ce n’est lui même et comment nous, dans notre propre travail, on est capable d’aller solliciter ça ? Solliciter cette capacité à désirer être et ça, c’est antérieur à la formation. Quand on se pose la question de savoir vers quel métier ça conduit tout ça Monsieur ? Je n’en sais foutrement rien puisque c’est son affaire au fond. A partir du moment où le désir d’existence a surgi dans la tête et le corps du garçon, tout est possible et derrière, à un moment ou à un autre, ce sera son choix de décider s’il peut entrer dans tel ou tel espace. De savoir oui ou non, quels sont les pièges qui lui sont tendus par le quartier, la famille, par l’usine et je ne sais quoi. Tout ce qui nous arrive à nous autre à un moment. Comment va-t-il se déterminer par rapport à ça ? Et je pense que le travail que nous faisons relève de l’éveil, du réveil d’un désir, de son accompagnement et lorsqu’il survient, il est étonnant. J’ai en mémoire quelques personnes qui n’étaient jamais montés sur scène et qui ont découvert ce qu’Artaud appelle la faim de la scène. Tout à coup, le désir d’être, de ne plus la quitter, de recommencer et de revenir en ne se posant pas du tout les questions d’emploi, d’intermittence, de droit, de boulot. Simplement le désir d’être là et de sentir que c’est là le lieu où on existe vraiment. Notre travail est d’accompagner ça, de le traduire, mais, comme tout metteur en scène au fond. Comme tout metteur en scène, il est là pour le faire surgir et lorsque ça surgit, ça se voit. De ce point de vue, je compte beaucoup sur la visibilité, ça se manifeste. Il y a un spectacle au bout, ça se voit au spectacle, si je puis dire, ce qui s’est passé là-dedans. Ca se voit dans les productions qui sont données, ça se voit dans les discours qui sont tenus derrière que quelque chose s’est passée et que la personne a pris conscience du désir et de sa réalité, quand elle se l’est approprié, c’est une victoire immense. Même si elles ne sont pas nombreuses, c’est immense ! Je ne parle pas d’insertion, cette question du désir peut se manifester de mille manière y compris le désir d’aller mener la vie qu’on a envie de mener, mais ne pas être sujet de sa vie mais être auteur de ses propres jours. Comment nous pouvons tenter de contribuer à ça ? Le parallèle avec le choix d’une position d’artiste qui est aussi une grande question me paraît aller dans le même sens. Ce n’est pas un hasard si dans le domaine culturel, les intervenants culturels sont peut-être mieux à même plus que d’autres de produire ce dont je parle dans ces espaces où la misère règne, la solitude, la difficulté de vie est la loi. Je crois qu’il y a un rapport entre les deux. Un rapport entre le risque vital pris par l’artiste et parfois le risque mortel que prennent les personnes avec qui nous travaillons dans les espaces où elles se trouvent. Nous nous rencontrons dans cet espace, dans ce travail et c’est ce qui fait cette correspondance entre des positions qui sont loin d’être faciles et en tout cas posent l’une et l’autre la question radicale du désir. Je ne dis pas que le désir est simple parce qu’il vient à l’insu de ceux avec qui nous travaillons. Ca ne naît pas comme ça.
J’ai le souvenir de quelques détenus qui étaient venus en atelier théâtre parce qu’on avait un projet de spectacle. Au début, ils étaient là pour toutes les raisons qu’on a données : ça donnait des points, ça permettait de parler aux copains, d’échanger les cigarettes et autres choses. Comme l’animateur était cool, on pouvait regarder par la fenêtre, parler aux autres détenus dans la cour et que tout à coup on peut parler ensemble, on peut délirer. Et puis soudain la chose prend parce qu’on réussit à ouvrir des possibilités, nous avons réussi à rendre les mots possibles là où il n’y en avait pas. Si nous avons permis par le travail culturel d’ouvrir des mondes possibles, alors on permet au désir de surgir là où il peut et doit surgir. Ca nécessite un accompagnement, je ne sais pas comment l’appeler cet accompagnement, est-ce qu’il est social, psychologique, psychanalytique, philosophique ou je ne sais trop comment. Il n’est payé par personne. Tout à l’heure, je parlais de clause de non abandon parce qu’il ne faut pas lâcher cette relation qui est née. On ne peut pas la lâcher et en la lâchant pas, on va être obligé d’aider, de contribuer à ce que ce désir émergeant trouve quelque part une voie de sortie. Ce serait très grave d’avoir fait naître du désir et de dire comme dans la chanson « désolé, ça ne va pas être possible ». On parlait tout à l’heure de l’envie d’être comédien, qu’est-ce que je fais avec ça ? D’abord on va se dire métier bouché, c’est le chômage, tu te rends compte pour avoir tes heures ? Au nom de ça, on va se dire « non mon petit gars, ma petite fille , il faut que tu te trouves autre chose. Tu te débrouilles très bien au théâtre mais ce n’est pas pour toi ». On ne peut pas dire ça. Alors, quel agencement, quel dispositif on va mettre en oeuvre pour que ce désir qui est né puisse trouver quelque part une traduction qui va être sur scène, qui va être ailleurs ? Je n’en sais rien. Ce sera à chacun de nous, à l’acteur lui même de le décider. Il y a des acteurs qui jouent très peu, il y en a qui ne jouent jamais, il y en a qui jouent beaucoup. Quelle histoire on va mettre en route dans sa tête pour qu’une histoire puisse se voir. Dans les quartiers, on l’a l’impression que ce que disent les jeunes « c’est que l’histoire est jouée d’avance ». On leur dit d’avance ce qui va arriver et au fond on leur a dit que le monde était trop petit pour leur désir. Donc le truc est joué, on n’a même plus de questions à se poser. Nous, on vient en disant non que ce n’est pas vrai, le monde n’est pas joué. Et partir du désir qui se réveille, de l’envie d’exister qui survient alors peut advenir quelque chose qui ne pourra pas entrer dans les statistiques, qui ne pourra pas être modélisable. C’est ça une des grandes difficultés des choses auxquelles nous avons affaire. Le modélisable, c’est l’éducation nationale qui fabrique de l’éducation, c’est modélisé sauf que ça ne marche pas. Pour un pourcentage, ça marche bien pour d’autre, mais Il y en a plein pour qui ça ne marche pas. Nous sommes vraiment peut être une singularité comme artistes, c’est qu’on est sûr de ne pas rentrer dans le modélisable et ça pose un problème de catégorisation. J’en ai déjà parlé avec la DRAC. Où nous poser, comment nommer ce qu’on fait, où nous disposer ? Ce n’est pas simple et il me semble que si on commence à ne plus jouer ce jeu d’être des stimulateurs de désirs, de fabriquer autour de nous des mondes, on ne fait pas notre boulot de l’artiste. Je ne sais pas ce qu’on fait. La question de l’usage social des pratiques artistiques, je ne répugne pas à la poser. Je ne supporte plus l’idée de l’art comme supplément d’âme, ce n’est plus possible ! Je ne supporte plus qu’on continue à faire comme si le monde que moi, j’ai l’impression de rencontrer de temps en temps, n’existait pas. Je ne dis pas que je le rencontre bien, je dis que je tente de le rencontrer et que cette tentative, on ne peut pas ne pas tenter de l’essayer. Les gens qui vont dans cette direction sont dans ce sens. Même si ce sont des espaces compliqués, contradictoires, Dieu sait s’ils le sont et on l’éprouve tout le temps. On ne peut pas ne pas s’y confronter dans son parcours. Excusez-moi, c’est une histoire entre moi et moi.

Jean-Christophe Poisson : C’est une belle histoire.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : Je ne sais pas si je suis clair . Au fond, j’ai envie de décliner des dizaines d’exemples entre une fille qui découvre ce que c’est que d’avoir la peur au ventre sur scène, ce garçon qui apprend le français à Fleury-Mérogis en lisant Don Quichotte. Nous avons des moments de grâce. Je n’exagère pas en disant ça. Le problème, c’est qu’ils ne sont pas forcément reproductibles et il y a en répétition des vrais moments, des vrais moments de théâtre pour moi. Je n’ai rien à enlever à ça ; Je n’ai pas de bémol à mettre comme « il faut bien remettre ça dans les conditions ». Non ! C’était d’authentiques moments de théâtre. Derrière, qu’est-ce qu’on fait ? Comment on le travaille ? Ca fabrique de l’humanité et je crois que c’est possible de faire ça. Dernier point pour que je puisse terminer la-dessus, je pense que dans nos différentes positions de théâtreux, de plasticiens, là où on se définit. Je reviens à l’idée du réseau, il faut éviter de jouer le jeu de la concurrence, le jeu des jalousies mais "qu’est ce qu’il fait l’autre, est ce qu’il est bon ou il ne l’est pas". Je veux dire qu’il y a tant de travail à faire. A partir du moment où on peut partager les choses, on peut, les uns et les autres, se faire évoluer dans ce travail. Il ne faut surtout pas rester tout seul. Moi, j’ai beaucoup souffert dans mon travail parce que je me suis trouvé projeté dans des univers où je n’ai pas eu autour de moi les gens qui m’aidaient à penser ce que je faisais. Je l’ai fait par intuition, par foi et ce sont des espaces tellement compliqués qu’on se confronte à des choses qui nous dépassent ou qui peuvent être aussi bien magnifiques que dramatiques. Tant qu’on peut s’étayer les uns les autres, tant qu’on peut fabriquer des partenariats pour faire en sorte qu’on se mette des guides, des bouquins quitte à polémiquer, quitte à se disputer, je pense que c’est indispensable pour faire avancer notre travail. Il n’y a rien de pire pour le fameux guitariste, c’est qu’il est tout seul. Si un jour, il pouvait venir discuter avec nous, probablement qu’on aurait des choses à se dire, probablement qu’il y aurait des choses à fabriquer et probablement qu’on s’apercevrait qu’au départ il avait un super projet. Quand j’écoutais le photographe, il s’est présenté comme le fameux guitariste, ce n’est pas vrai. Il a présenté une démarche de quelqu’un qui est venu faire un truc et faire ça sur 10 ans , pourquoi pas ? Ca peut avoir un sens comme bosser pendant 8 mois en détention avec les détenus pour faire un spectacle. C’est une autre histoire mais quel sens on est capable de mettre dans les choses et c’est ce dont nous sommes porteurs.

Milko Paris : Je voulais juste dire une chose. Ce n’est pas un témoignage, ça rejoint les histoires de rencontre dont nous parlons à cette table. On s’est rencontré, il y a une dizaine d’années avec Jean-Pierre, ...

Francine : à chacun son intervenant...

Milko Paris : ...et je pense que cette rencontre a fait ce que je suis aujourd’hui en partie. Notre rencontre m’a amené à une certaine humanité, à me poser un certain nombre de questions. Je ne me considère pas réinséré, ni ré-insérable, le problème ne se situe pas là, mais Il y a un certain nombre de questionnements qui ont eu des réponses grâce à cette rencontre et notamment le travail commun avec Jean-Pierre et d’autres personnes, Geneviève Guilhem, par exemple. Effectivement, je pense, contrairement à ce que pensaient certains intervenants, plus il y en aura mieux ce sera. Ca multipliera les rencontres, ça ne réglera pas tous les problèmes mais ça permettra de poser des questions beaucoup plus profondes et porteuses de sens. Et ça c’est essentiel.
 
Jean-Christophe Poisson : Je vais passer la parole à Guillaume Fournier pour qu’il témoigne sur le temps réservé à l’éducation. 

Guillaume Fournier : Je veux parler de la manière dont s’organisent les dispositifs de formation universitaire en prison et après on reviendra sur l’artistique. En ce qui concerne les dispositifs de formation universitaire, pour être technique, il y a principalement une université, Paris 7 Jussieu, qui dispose d’un département spécialisé dans l’enseignement et qui est, à l’origine, un département destiné à toutes les personnes empêchées, c’est à dire les personnes qui pouvaient être institutionnalisées : aussi bien à l’hôpital pour les longues durées qu’ incarcérées. Petit à petit, il s’est avéré qu’il n’y a plus que le département destiné aux personnes incarcérées qui a survécu parce qu’il était très difficile de travailler en milieu hospitalier, encore plus qu’en prison. Ca laisse imaginer que dans les autres institutions, il y a les mêmes questions qui se posent et parfois de manière encore plus difficile. Le dispositif est le suivant. Ce que j’ai connu à La Santé c’est, d’une part, des cours qui sont organisés avec plusieurs niveaux. Il y a un premier niveau qui est un diplôme d’équivalence : le DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires) qui est l’équivalent du bac et qui fait double emploi avec une antenne de l’éducation nationale qui est un système de formation qui prend en fait de l’alphabétisation et théoriquement jusqu’à la terminale qui est une espèce de collège-lycée pour adulte. L’université prend en charge des gens qui ont un niveau bac. Après il y a 3 voies possibles :
Une première qui existe à La Santé avec un DEUG de lettres. Ce sont des classes qui sont organisées avec des petits groupes de 10 et 20 personnes.
Il y a des étudiants qui suivent des cursus particuliers comme c’était mon cas, des gens qui vont être suivis de manière personnelle. J’ai terminé des études de droit. Ca va des études par correspondance qui existent déjà et qui sont proposées par l’éducation nationale jusqu’à une prise en charge complètement individualisée avec des professeurs universitaires qui viennent spécifiquement avec un régime adapté.
Il y a un troisième dispositif qui est un dispositif d’université de culture générale ouverte à tous qui, en revanche, n’est pas diplômante : c’est l’organisation de cycles de conférences sur des thèmes de sciences humaines et qui va un peu au-delà. Il y a un cycle à La Santé, un autre à Fresnes chez les femmes et un autre à Poissy.
En terme statistique, ça recouvre au niveau national quelques centaines de personnes, tout confondu en incluant le système des conférences. Ca touche relativement peu de personnes pour deux raisons, d’abord parce que ça n’intéresse pas tout le monde et ce n’est pas accessible pour des gens qui sont là pour une courte durée et ne s’ inscrivent dans un processus universitaire que les gens qui vont rester plusieurs années. Et l’immense majorité des détentions sont des périodes courtes, inférieur à 6 mois. Nous sommes une petite minorité avec des périodes qui s’écoulent sur plusieurs années : c’est la première raison. La seconde raison est plus injuste. Comme on disait ce matin, pour pouvoir prendre du temps, pour exercer des activités non rémunérées, il faut pouvoir se le permettre. En prison, on ne peut pas vivre sans argent ou très mal. Quand on n’a pas de moyens de subsistance et qu’on n’est pas assisté par des gens à l’extérieur, que ce soit la famille ou autre , on est obligé de travailler. Comme dans la vie courante, on ne peut pas faire 150 choses, c’est encore plus vrai en détention puisque la journée est assez réduite : 6 ou 7 heures utiles au grand maximum.

Jean-Christophe Poisson : Le temps disponible pour les activités est de 6 heures par jour ?

Guillaume Fournier : Il est un peu moins de 3 heures le matin et 4 heures l’après-midi à peu près. A La Santé, c’était comme ça. On est sur des horaires de 9h à 11h30.

Audrey Chenu : 2h et 1/2, ce n’est pas 4 h.

Guillaume Fournier : Sans rentrer dans les détails, ça fait des journées pas très très longues. Il y a un problème d’organisation de la journée qui fait qu’on ne peut pas faire plusieurs choses. Il y a un problème donc de moyens et de droit commun qui fait que les étudiants qui sont en détention ne peuvent pas avoir droit à un régime de bourse. On pourrait éventuellement déplafonner les conditions d’âge de telle manière que le choix s’offre véritablement et qu’on ne retrouve pas en prison une reproduction d’inégalités sociales qui fait que les gens qui ont déjà une certaine éducation et viennent d’un certain milieu puissent se permettre de poursuivre ou d’entamer un cycle d’études et que les autres n’y aient pas accès. Ca, c’est un premier point. Est-ce que vous avez des questions sur la partie universitaire ?

Jean-Christophe Poisson : Une petite question. Seul quelques centaines de personnes sont concerné par ce dispositif universitaire au niveau national. Est-que toutes les académies ou les universités sont sur un même pied d’égalité au niveau de la proposition ou est-ce qu’il y a des foyers sur le territoire où il y a vraiment une action ?

Guillaume Fournier : Il y a un foyer qui est Paris et il y a un département qui est celui de Paris 7. Comme le département de Paris 7 est à Paris, il va beaucoup à la Santé, un peu moins à Fresnes et encore moins à Poissy qui est très loin de Jussieu.

Audrey Chenu : Je connais quelqu’un qui est à Einsisheim qui fait le DAEU et il a des professeurs d’université de Strasbourg qui sont en partenariat avec la Maison Centrale et qui donnent des cours. C’est un truc que je connais comme ça. Il doit y en avoir d’autres, mais très peu. La plupart des universités en Province ne le font pas. A Caen, il y avait des professeurs qu’on avait motivé pour venir mais comme il y a eu des embrouilles avec l’administration pénitentiaire, ils ont décidé de laisser tomber. Maintenant, ils le font de façon individualisée. Quand il y a un étudiant qui est sérieux, ils l’aident mais c’est très ponctuel. Ce n’est pas ce qui donne l’envie aux autres de poursuivre des études.

Guillaume Fournier : Quand il n’y a pas de présence universitaire, c’est le centre scolaire qui dépend de l’éducation nationale et qui prend en charge les études universitaires. Donc en fait qui répercute les cours par correspondance universitaires aux gens qui sont disponibles et qui s’arrêtent à la licence. Alors qu’à Paris 7, il y a une prise en charge qui est à tous les niveaux : du niveau bac au doctorat. Ca va sur toutes les matières puisqu’il à Jussieu y a des sciences humaines et des sciences dures. A part les mathématiques, aucune science expérimentale n’est accessible en prison. De ce point de vue, la principale revendication, c’est de pouvoir trouver des modes de financement des études. Il y a également un problème qui se pose pour les gens, c’est celui des débouchés puis qu’on a accès essentiellement dans les filières diplômantes, aux études qui offrent des débouchés dans l’enseignement. Et l’enseignement, contrairement à une rumeur, l’enseignement supérieur n’est pas fermé aux anciens prisonniers. Les postes de titulaires sont fermés mais il y a énormément de postes de vacataires qui peuvent être disponibles. Le problème reste que quand nous avons étudié l’histoire ou les lettres, à part l’enseignement, il n’y a pas énormément de débouchés même si ce sont des choses qui permettent de garder une liberté d’esprit et qui permettent de lutter contre le phénomène délétère d’institutionnalisation qu’on connaît pendant les périodes d’incarcération relativement longues. En ce qui concerne l’activité culturelle, nous avons mené une expérience à La Santé et je vais raconter ce qui s’est fait. Il y a à la Maison d’arrêt La Santé depuis le début des années 80, depuis en fait l’arrivée de la télévision car la télé en prison a été organisée sur le mode d’un dispositif technique assez particulier puisque les chaînes de télévision extérieures sont captées et ensuite redistribuées via un réseau câblé à l’intérieur de l’établissement. Ce qui a permis d’intégrer dans la plupart des établissements des réseaux câblés. Ces canaux internes de télévision pour la plupart rediffusent en boucles des oeuvres de fictions commerciales, des films hollywoodiens qu’on peut retrouver sur les autres chaînes. C’est une offre à double emploi, puisqu’il y a Canal+ dans la plupart des établissements. Ce qui s’est fait à la prison de La Santé, c’est qu’il y a quelqu’un, qui s’appelle Alain Moreau, qui est un plasticien qui est venu au début des années 80 pour travailler sur la création vidéo avec des groupes de prisonniers. Il a commencé à travailler sur un système de vidéo-lettres, c’est à dire qu’il filmait des prisonniers qui émettaient un message pour leurs familles, puis il allait dans les familles filmer leurs réponses avec une caméra et ils ramenait les cassettes et un système de correspondance vidéo s’est installée. Dans le même temps, il s’est posé la question de savoir que diffuser sur le canal intérieur qui existait. Donc les travaux qui étaient produits par ces différents ateliers ont commencé à alimenter de manière irrégulière le canal de télévision. En 1997, 10 ans plus tard quand Alain Moreau avait terminé ce qu’il avait à faire, il a demandé à Anne Toussaint, ici présente, de prendre la suite de ce travail. De prendre en charge à la fois la création vidéo et la distribution sur le canal intérieur. Anne a constitué un groupe de prisonniers dont j’ai fait partie. On s’est immédiatement posé la question de redéfinir la manière dont on allait faire fonctionner le canal interne, qui avait un fonctionnement un peu anarchique parce qu’il n’était pas conçu comme une chaîne de télévision. Il y avait un travail et une étape à franchir la-dessus et nous avons mis en place une véritable chaîne de télévision. Nous diffusons des programmes acquis en grande partie à l’extérieur mais également des productions internes. Ces productions sont de 2 types : il y a, d’une part, des projets lourds qui sont la réalisation occasionnelle de documentaires de création, une production qui s’étale sur plusieurs mois, je pourrais dire une année ; et d’autres qui sont des émissions de flux , des émissions de plateau où on reçoit un invité pour débattre. Ce sont généralement des réalisateurs qui viennent présenter plusieurs de leurs oeuvres et d’autres programmes de film qui sont des présentations ponctuelles de programme, d’annonce à caractère pratique. C’est un travail qui est à la fois culturel et technique. Sur le programme de diffusion, il y a un problème éditorial qui se pose. Gérer un canal de télévision, c’est un peu alimenter un ogre. On reçoit énormément de matière donc régulièrement, en permanence il faut se poser la question de savoir ce qu’on lui donne à manger. Est ce qu’on va le nourrir avec des choses sophistiquées, des choses faciles. nous avons décidé d’alimenter notre bête avec les meilleurs produits disponibles sur le marché. On s’est orienté essentiellement vers le documentaire de qualité à travers un partenariat avec Arte, qui nous alimente à la fois en programmes et en interviews des gens qui viennent présenter leur travail. Ceci est la partie artistique. Du côté technique, ce sont des gens qui restent sur des périodes relativement longues. On s’autoforme à la technique, des techniques qui permettent d’exploiter un canal. Il y a un poste qui est spécifié à la gestion technique des diffusions. La question ne s’est pas posée dès le début parce que ce n’était pas le but de faire un atelier de formation professionnalisée mais il s’est trouvé que beaucoup ont manifesté le désir et se sont retrouvés à travailler dans le secteur de l’audiovisuel. Ce qui fait le lien avec le thème de nôtre atelier.

Jean-Christophe Poisson : Est-ce que ce lien et l’expérience dont vous parliez, les anciens qui se sont retrouvés sur ce même thème à l’extérieur, vous avez construit un partenariat avec des écoles de cinéma ?

Anne Toussaint : Ce sont des démarches complètement individuelles, des gens qui ont postulé, qui ont passé un concours pour rentrer dans une école de cinéma, notamment Arnaud à Rennes. C’est une démarche personnelle.

Jean-Christophe Poisson : Vous les avez guidé au moins, en tout cas j’imagine.

Anne Toussaint : Après tu donnes un certain nombre d’adresses mais si tu veux, moi je n’ai pas pris de contacts avec une école de cinéma en disant : "Il y a quelqu’un qui a passé 2 ans dans mon atelier vidéo, qui a des compétences. C’est lui-même qui a fait la démarche.

Guillaume Fournier : C’est la création du désir ! Sur le dispositif de création, à proprement parler, nous avons produit un film qui s’appelle "SANS ELLE"en 2000. *** C’était presque une commande d’un festival au début, celui de Gentilly. Le thème était « cinéma au féminin ». Anne s’est dit « je suis embêtée, je n’ai que des hommes », et alors l’idée qui est née était que nous parlions des femmes dans un film documentaire et ce sont des séquences qui sont très variées puisque certaines sont en plan séquence et d’autres, ce n’est pas de l’animation mais quelque chose de très stylisée. Anne et Hélène Guillaume qui est plasticienne et qui a co-réalisé le film avec nous ont assemblé les séquences pour en faire un film d’un peu plus d’une heure. C’est un film qui a eu son petit succès et qui a été primé dans des festivals. Il a été beaucoup diffusé dans le tiers secteur. C’est le type de projet qui nécessite un an de travail, qui se fait en plus ou en dehors du travail de programmation du canal. Nous avons mis en chantier un deuxième film.

Jean-Christophe Poisson : E tu continues à oeuvrer de l’extérieur ?

Guillaume Fournier : Nous avons mis en chantier un deuxième film avec un groupe d’étudiants de Sciences Po. Le thème est le regard croisé des deux institutions et des deux groupes de personnes : ce groupe d’étudiants de sciences po et le groupe de prisonniers. C’est de savoir comment eux se considèrent les uns et les autres. Dans la première phase, il y a un échange de vidéogrammes sans que les deux groupes se rencontrent et petit à petit vont à apprendre à se découvrir, à déconstruire les représentations fausses qu’ils ont les uns par rapport aux autres. Voilà, il est en cours de création et je ne sais pas comment en dire plus parce qu’on est un peu au milieu du guet mais les premiers vidéogrammes qui ont été tournés sont très jolis. Je suis sorti il y a un peu plus d’un an, nous avons commencé à mettre ce projet en place au tout début de cette année. Nous avons rencontré pas mal de difficultés auprès de l’administration de La Santé, soit disant parce que j’étais un ancien prisonnier et que ça posait un certain nombre de problèmes - Je ne vois pas lesquels -. Il y a le fait que l’ancien directeur de La Santé, Monsieur Jégo, était sur le départ et qu’il ne pouvait pas s’engager sur des projets. Ca nous a un peu retardé mais maintenant, ça commence à se débloquer au niveau administratif.

Anne Toussaint : Juste trois précisions sur le film SANS ELLES. Nous sommes 9 auteurs et nous avons tous un contrat d’auteur et les noms et patronymes sont au générique.

Guillaume Fournier : Pour ceux qui veulent.

Anne Toussaint : Il y en a un qui n’a pas accepté. De toute façon, il y a des contrats d’auteurs qui ont été signés avec « Les yeux de l’Ouïe » qui est l’association opérateur des ateliers video, qui ne travaille pas qu’en prison. C’est une association qui a un objectif et qui fait de la diffusion et de la création audiovisuelle. Ce n’est pas non plus une maison de production qui travaille pour la télévision, c’est un peu une association qui travaille sur l’image, les écritures et qu idiffuse souvent des films de jeunes auteurs ou peu diffusés dans le circuit actuel. L’idée de départ, par rapport à l’idée d’investir un canal de diffusion, n’était pas de faire une télévision carcérale, donc de ne pas faire une télévision de proximité où on va filmer le quotidien de la prison, où la personne qui est dans la cellule quand elle regarde le canal et où elle revoit la prison dans une sorte de mise en abîme de la prison mais de plutôt travailler sur la question de la télévision.
Pourquoi je trouve intéressant de travailler dans ce lieu là et le média télévisuel, c’est que pour moi la télévision en prison fait partie du dispositif carcéral. L’idée c’est de proposer d’autres programmes, d’autres films qui ne sont pas diffusés sur les chaînes généralistes. C’est de donner une approche du cinéma qui donne à penser et qui n’est pas forcément un cinéma consommé. A La Santé, il y a une particularité, c’est qu’il a 60 nationalités différentes donc c’est aussi de pouvoir diffuser du cinéma étranger en langue étrangère. L’idée, c’est de pouvoir donner une existence à la multi-culturalité qu’on ne retrouve pas sur les chaînes généralistes. Comme l’a dit Guillaume, il y a trois axes. Il y a l’axe qui fait partie d’un cahier des charges (élaboré conjointement par la DRSP, le SPIP, la direction de la prison et la DRAC) qui est l’information et là justement on ne prend pas le parti pris de la télévision de proximité qui va remettre en scène la vie carcérale mais on essaie de développer les questions de l’accès au droit en essayant de faire venir des avocats, des gens de l’ANPE... Des choses qui peuvent donner des ouvertures et peut-être dynamiser, je ne sais pas, c’est peut être une utopie.
Par rapport au travail de programmation, chacun d’entre nous cultivons notre regard et c’est à partir de ce travail de programmation qu’on a fait « SANS ELLE ». On va parler du désir parce qu’à force de regarder des films, il y a un moment donné où nous avons envie d’en fabriquer. « SANS ELLE » est vraiment né de ça. On travaille beaucoup avec les festivals et les partenaires extérieurs pour alimenter aussi la programmation et donc à un moment donné il s’est posé la question suivante dans le groupe : « nous, on regarde toujours les films des autres, mais pourquoi on en fabriquerait pas ? ». C’est là, à mon avis, que se créé la nécessité. Pour rentrer dans un acte de fabrication et de création, il faut qu’il y ait au départ de la nécessité. Ce n’est pas quelqu’un qui arrive et qui dit on gère un projet de film : « qui veut venir travailler sur ce projet ? ». C’est vraiment des choses qui sont discutées. Ce film « SANS ELLE » appartient à chacun et maintenant que tout le monde est sorti, chacun organise dans sa région, la diffusion du film. C’est aussi important que l’objet réalisé puisse appartenir à ceux qui l’ont fabriqué. On va jusqu’au bout de la démarche.

Milko Paris : Il peut être diffusé sur le net ?

Laurentino Da Silva : Quel est le support de votre film ?

Anne Toussaint : En beta ou en numérique. Je ne sais pas si on peut le passer sur le net, mais par contre on peut le voir en projection. Ce qui est intéressant aussi, c’est que ce film a une existence en dehors des colloques sur la prison, en dehors des circuits dans les festivals de cinéma. C’est ça qui est important dans le travail qu’on fait, c’est le statut de l’oeuvre qui est produite. Il ne faut pas que tout ce qui est produit à l’intérieur de la prison soit stigmatisé prison et puis on en sort pas dedans comme dehors. Ce qui manque dans le travail artistique qui est fait en prison, c’est des vraies critiques que ce soit dans la production théâtrale, qu’il y ait des critiques de cinéma, de théâtre qui viennent aussi regarder le travail et que ça passe par les journaux.

Guillaume Fournier : Il ne faut pas sous prétexte que ça vient de la prison, que l’on se prive d’un regard d’appréciation, de critiques qualitatives. Nous avons vu dans un festival en Belgique, il n’y a pas très longtemps, des films qui avaient été tournés en prison et ce sont des choses lamentables, des ramassis de poncifs. Personne ne disait rien parce que tous les gens qui étaient là étaient pétris de bonne intention. Après tout, si c’était minable, ce n’est pas grave, c’est fait par les prisonniers, donc ça ne peut pas être bien. C’est juste pour les occuper et pendant ce temps-là ils ne font pas autres choses. Il ne faut pas avoir cette espèce de compassion mal placée que ce soit pour les produits culturels comme pour tout le reste. De dire qu’en prison on n’est pas capable d’avoir une production économique de choses sophistiquées et qu’on est obligé de rempailler des chaises ou de trier des clous alors que dans les prisons, il y a des ateliers de PAO, des ateliers d’artisanat. Je pense notamment aux Murets dans le sud qui travaille pour l’aérospatiale et qui produit des pièces de très haute qualité, ça prouve bien que si on demande à des prisonniers de faire un travail qui soit à qualité comparable avec ce qui se fait dans le monde libre, nous avons en retour un travail comparable avec ce qui se fait dans le monde libre, et c’est même parfois mieux. Pour l’action culturelle, on doit sortir de cette non évaluation qui ne fait que renvoyer au prisonnier son indigence supposée et entretenue.

Anne Toussaint : Ce qui est particulier, c’est que la fabrication est différente. Comme tu disais aussi Jean-Pierre, comme ce n’est pas un projet d’auteur au départ, on bouscule effectivement la fabrication d’une oeuvre puisque ce n’est pas un artiste qui vient et dit : « moi, je suis metteur en scène, je vais faire un casting ». On se heurte alors aux questions de diffusion et les films se retrouvent dans les programmations atelier. Ce qui est intéressant dans le fait de travailler en prison ou dans d’autres territoires, c’est que ça interroge aussi le cinéma et son écriture. Quand on va travailler en prison, on est dans un rapport de temps et d’espace qui est complètement différent. Le cinéma c’est aussi de l’espace et du temps donc on va travailler sur des écritures qui vont être aussi différentes, mais qui vont aussi amener quelque chose dans le cinéma lui-même. Ce là où je voudrais arriver, c’est qu’à partir du travail que nous faisons ensemble, faire aussi avancer la question du théâtre et du cinéma en général et la question des représentations.

Jean-Christophe Poisson : c’est ce que Nicolas Roméas évoquait ce matin, ce que tu disais aussi Jean-Pierre.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : C’est vraiment une bonne chose pour l’artiste de savoir ce que c’est qu’un auteur et qu’on s’est pincé, cela va de soi. Pourquoi l’écriture ? Il y a beaucoup d’ateliers d’écriture en prison. Qu’est ce qui se passe quand on produit ? Ce n’est pas une question de droit mais le problème de la définition de ce qu’on peut appeler une signature d’auteurs. L’auteur collectif, une somme d’individus apporte une oeuvre sur un contrat d’auteurs et ce n’est pas négligeable pour l’auteur de réfléchir sur ça.

Anne Toussaint : Je me confronte aussi au problème du droit à l’image. Il y a une tentative qui est menée sur le droit à l’image du prisonnier et moi j’ai tendance à dire que c’est à la personne de décider. J’ai été consultée sur le droit à l’image. D’un autre côté, quand je vois certaines productions audiovisuelles qui sont faites en prison où le prisonnier devient la matière première, je me dis que c’est peut-être bien aussi que l’image soit protégée. On pourrait aussi discuter ensemble de cette question. Ca fait partie aussi de ce dedans-dehors.

Audrey Chenu : ce n’est pas la peine de faire faire n’importe quoi au détenu. Il faut parler avec les détenus.

Guillaume Fournier : Ca aussi, ça rentre dans l’exigence de qualité. Si on ne tolère pas de qualité médiocre, ces choses-là n’arrivent pas.

Anne Toussaint : Non, ce n’est pas la même chose, tu peux avoir une excellente qualité et une intention mal maîtrisée.

Milko Paris : C’est le détournement de la jeune femme basque à qui on a volé un scénario. Un intervenant extérieur vidéaste qui faisait des formations, s’est approprié son scénario. C’est du vol mais aussi du viol. Je pense que cette question doit être posée dans le contrat d’auteur. Ca protège les prisonniers et puis c’est leur matière. Leur dignité aussi est protégée. L’aspect l’éthique c’est important.

Anne Toussaint : On pourrait créer un comité d’éthique sur les pratiques culturelles. Ou plutôt un groupe de réflexion sur les rapports art/institution. Au travers de cette réflexion on aborde les questions du temps (temps du travail, temps de la création, temps en détention), la question du positionnement de l’artiste, de l’institution, la question du statut des œuvres (droit d’auteur...), la question du suivi (les suites à donner à cette mise en mouvement)

Milko Paris : Je pense que c’est à faire parce que le-la détenu(e)-prisonnier(e) devient anonyme comme un fantôme à partir du moment où des intervenants extérieurs s’approprient le travail ; le-la prisonnier(e) devient une espèce de matière comme cela.

Jean-Marc Van Rossem : Le prisonnier est un objet, il est institutionnalisé. Comme le malade à l’hôpital, c’est quelqu’un qui est là pour recevoir un traitement.

Milko Paris : Un objet existe quand même, c’est de la matière. Le-la prisonnier(e) à qui on vole ses droits d’auteur n’est rien ; il n’est pas identifiable donc ça c’est encore plus grave. Je pense que le fait de créer un comité d’éthique doit être un des premiers pas et on doit se poser cette question de l’éthique et des pratiques.

Jean-Christophe Poisson : Je vais poser une question au Ministère de la Justice et à la DRAC. Est-ce qu’il y a une réflexion transversale sur l’éthique au niveau des intervenants à part au niveau individuel ?

Anne Toussaint : Ca veut dire quoi ? C’est très délicat et après c’est du contrôle. Ce n’est pas « on va dire ça, c’est bien, ça, ce n’est pas bien ». Il faut mener une réflexion.

Jean-Christophe Poisson : Il faut la faire partager.

Anne Toussaint : J’aimerai bien qu’il y ait un lieu qui soit situé avec des artistes, des gens qui ont vécu des expériences, des ex-prisonniers, bien que je n’aime pas beaucoup ce terme ,des institutionnels, et des chercheurs (sociologues, philosophes...)

Guillaume Fournier : Tu veux dire des gens qui ont vécu une expérience carcérale ?

Milko Paris : Si tu exprimes un sentiment en disant « je n’aime pas ce terme » , le problème c’est que nous, on le vit tous les jours. On nous le rappelle tous les jours. On aimerait ne pas dire ex-prisonnier(e), mais quotidiennement, on nous le rappelle, avec tous les interdits, les problèmes de papiers, etc. Quand tu dis qu’il ne faut plus qu’on emploie ce terme, ce n’est pas si facile. On n’existe pas en tant qu’individu, en tant qu’être humain, on existe comme ex-prisonnier(e).

Jean-Marc Van Rossem : Je ne sais pas si nous avons une éthique dans l’administration, mais moi je vais vous dire comment je fonctionne par rapport aux projets culturels mais c’est vrai qu’il y a des exigences. Quand j’entends parler de la qualité, c’est vrai qu’on ne se réserve pas le droit de censure. Quand on parlait de qualité, qui juge la qualité à un moment donné ? C’est une question qui se pose. Moi, je m’attache à la démarche, c’est ce qui m’intéresse dans un projet d’action culturelle. C’est sur ça qu’on essaye de savoir qui vient intervenir mais il y a aussi des gens qui interviennent qui ont peu de passé. Est-ce qu’on bloque tout de suite en disant s’il n’a pas de curriculum derrière avec un tas de productions, on ne permet pas aux gens de pouvoir faire. Il y a toujours un aléatoire. Il y a un moment donné où c’est la confiance sur laquelle je travaille. Quelle démarche on va proposer ? Quel cadre ? Je vais m’attacher au cadre mais c’est vrai que le contenu à un moment donné, je le laisse m’échapper volontairement : ce qui est la liberté de l’artiste et c’est important. C’est vrai qu’à un moment donné on peut laisser faire des choses dans un sens qui vont peut être nous dépasser : ce sont les risques. Sinon, c’est vrai qu’on pourrait être dans des choses beaucoup plus rigides, et dirigées, mais ne va-t-on pas tomber dans des standards culturels ? Moi je rêve d’une commission dans mon institution où il y aurait à la fois des artistes et des institutionnels peut être un peu majoritaires mais il y aurait un éclairage artistique sur ce problème de l’action culturelle à un moment donné peut être aussi avec le Ministère de la Culture.

Hafed Ben Otman : Et quelques ex-prisonniers.

Jean-Marc Van Rossem : Absolument ! C’est vrai qu’on ne travaille pas qu’avec des détenus. Je travaille aussi avec des hommes libres.

Milko Paris : C’est quand même une des rares fois où il y a autour d’une table autant de détenu(e)s. Il n’y a pas que des ancien(ne)s puisqu’il y en a encore qui sont sous écrou.

Laurentino Da Silva : Moi, je suis encore en conditionnelle.

Milko Paris : C’est la première fois, je veux dire que ça n’arrive jamais. Il n’y a toujours des réticences.

Jean-Marc Van Rossem : Je pense qu’on a besoin de se retrouver. Moi, j’apprends beaucoup de choses même si je connais un peu le milieu carcéral. Le cadre et la maison où je travaille me donne une certaine liberté mais aussi avec des limites. Je peux travailler jusqu’à ses limites.

Jean-Christophe Poisson : Emmanuelle Schweig.

Emmanuelle Schweig : C’est vrai par rapport à ce que tu disais précédemment et c’est là l’intérêt des partenariats à mon sens entre les différentes administrations. Le Ministère de la Culture est à même d’avoir un avis sur un projet artistique ou un artiste mais ce n’est pas un avis personnel. En théâtre, il y a des groupes d’experts qui existent ; les pièces de théâtre sont vues par des directeurs de scènes nationales, des conseillers théâtre et autres. Deux fois par an, ces experts se réunissent et se prononcent sur le projet artistique des différentes compagnies. Là, il y a une perméabilité, à mon avis, à trouver entre les administrations pour faciliter ce genre d’échange. Avec la Protection judiciaire de la jeunesse, nous avons très peu de contact de façon générale, mais ce rôle-là on le tient avec la direction régionale des services pénitentiaires ou les Services pénitentiaires d’insertion et de probation avec lesquels on collabore sous cette forme d’échange. Après sur l’éthique, nous ne menons pas de réflexions particulières si ce n’est une fois de plus l’exigence artistique que nous avons par le biais du choix des artistes.

Jean-Christophe Poisson : L’heure tourne et comme il est prévu qu’on interrompe cette journée à 18 heures, je voulais vous dire que nous avons vraiment recadré le travail aujourd’hui et je trouve cette proposition d’Anne Toussaint sur un groupe de veille éthique extrêmement intéressante. Demain, sur le plan théoriques des journées, nous aurons avec nous Catherine Hayache qui est vice-présidente de l’application des peines en Essonne et il y aura une intervention beaucoup plus précise sur l’éthique de l’intervenant artistique en détention avec une contribution d’Emmanuelle Schweig.

Emmanuelle Schweig : Je ne sais pas si j’ai d’autres choses à ajouter sur ce thème.

Jean-Christophe Poisson : Est ce qu’on arrête tout maintenant ou est ce qu’on se revoit demain ?

Milko Paris : On va partir du fait qu’il faut qu’Hafed Ben Otman s’exprime demain matin, on peut déjà dire que cette rencontre sera alimentée par des actes et les questionnements et qui seront peut être diffusés via le site ou d’autres créneaux.

Jean-Christophe Poisson : Par la Villette en premier.

Milko Paris : Nous n’avons ni de problème de légitimité ni de quoi que ce soit. Et ensuite Ban Public propose de rassembler et de diffuser sur son site un certain nombre de discussions autour des problèmes culturels en prison. C’est notre vocation, comme c’est un média et qu’Internet circule très bien et c’est lisible partout, la porte est ouverte à ceux qui voudront s’exprimer.

Jean-Christophe Poisson : Concrètement en pratique, qui sera là demain ? C’est pour les repas. De toutes façons, on va orienter le travail demain matin sur une préfiguration concrète d’une action
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Hafed Ben Otman : La question de l’éthique a été abordée, partagée. On risque de se répéter. Ce qu’il y a, c’est que la culture, moi je la mets la mettre sur un plan politique. On dit souvent que les prisonniers font des activités et que ça leur permet de s’évader. Pour moi, une évasion, ce n’est pas une activité théâtrale parce ce qu’on ne s’évade pas dans sa tête. La culture en prison est faite pour se confronter à la réalité, à toutes les souffrances et à tous les bonheurs qu’un homme ou une femme peut découvrir à l’intérieur de lui. Je rejoins Jean-Pierre Chrétien-Goni. Sur l’éthique, ce qui me gêne dans les intervenants, et vous l’avez saisi un peu, ça revient aussi à la production des oeuvres et on s’aperçoit parfois que cette phrase dégueulasse qui ressort de la bouche de certain : en aparté "ce n’est pas mal pour des détenus". C’est une phrase qui m’écoeure. De la même façon que quand quelqu’un sort de prison, qu’il a été un peu assisté à l’intérieur, on peut lui sortir "avec tout ce qu’on a fait pour toi".L’éthique, j’ai envie de la placer sur ce terrain parce qu’à l’intérieur je crois qu’il faut créer des groupes de résistance artistiques, culturels et intellectuels. Commencer à penser, c’est commencer à désobéir. Que l’enfermement intérieur soit un tout petit peu plus ouvert dans la tête des gens incarcérés afin que cette liberté qu’ils trouvent à l’intérieur de la prison ils puissent l’exporter à l’extérieur pour faire changer l’extérieur qui par la suite fera changer les choses à l’intérieur. L’art non révolutionnaire n’existe pas. Si c’est pour se faire plaisir, 15 ans d’onanisme c’est bon ! C’est ce que je voudrais aborder demain matin si vous le voulez. J’ai donné la bande annonce.

Jean-Christophe Poisson : Demain après-midi dont le point initial est un peu défunt, intervient François Hulot qui est secrétaire général de l’UGSP -CGT, c’est à dire de la CGT pénitentiaire.

Audrey Chenu : Il a les couilles de venir celui-là.

Jean-Christophe Poisson : Ce n’est pas l’esprit du moment. Sinon tu vas le flinguer directement dans son bureau.

Audrey Chenu : C’est étonnant. C’est une vraie surprise.

Jean-Christophe Poisson : Il vient pour parler de deux sujets que je lui ai soumis qui sont les minimas sociaux en prison pour savoir la position de la CGT car ce sont les gens qui sont les plus documentés.

Laurentino Da Silva : La CGT ? A un moment, on donnait des salaires décents aux détenus à Melun et c’est justement la CGT et les différents syndicats qui s’y sont opposés.

Jean-Christophe Poisson : Ca m’étonnerait que ce soit la CGT. Ce sont des minoritaires. La CGT, ce sont des gens qui sont en opposition avec les syndicats majoritaires. Et d’autre part, pour parler d’un sujet qui est assez fondamental. Je voudrais annoncer à tous les participants à cette table que l’utopie que je poursuis, et que je vous ai proposée qui est celle de faire de la prison une université ne peut pas exister sans une évolution des personnels de surveillance, et de transformer ces personnels de surveillance en personnel d’encadrement et que le métier de surveillants soit un métier qu’ils ont choisi et non pas dans lequel on atterrit après une cascade d’échecs personnels. C’est la raison pour laquelle François Hulot sera là pour en parler. Il parlera demain après-midi parce que c’est un Monsieur qui est partout en France en permanence sur beaucoup de fronts, qui se mobilise beaucoup sur les conditions de détention. Ce sera très intéressant car c’est le seul moment demain après-midi où il peut venir. La journée de demain est maintenue et je pense qu’on prolongera l’idée d’Anne.

Anne Toussaint : Je ne serai pas là.

Jean-Christophe Poisson : C’est dommage parce que tu as quand même levé l’idée d’un comité d’éthique.

Anne Toussaint : C’est un grand mot. On peut l’appeler autrement.

Jean-Christophe Poisson :Je fais un tour de table, est ce que Monsieur Van Rossem sera là ? Madame Emmanuelle Schweig ?

Emmanuelle Schweig : Je serai là, mais pas l’après-midi.

Jean-Christophe Poisson : Le matin, c’est quand même important parce que je pense que la réflexion s’amorce vraiment. Autrement dit tout le monde est là ? 10 Heure ?D’accord ! Si vous voulez, on peut commencer à 10 heures si vous préférez ? On prend date pour ça.

Jean-Pierre Chrétien-Goni : A quoi sert cette réunion aujourd’hui si quelque part on ne retrouve pas quelque chose ? J’ai le souvenir, il n’ y a pas très longtemps d’une réunion sur le cadre d’intervention en prison. C’est le Centre National du théâtre qui avait réuni 30 personnes. On avait parlé comme on l’a fait aujourd’hui. Et plus rien derrière.

Milko Paris : Attendez ! J’avais juste une information à vous passer maintenant, malheureusement, je n’ai pas pris les papiers. Le 24 novembre au théâtre du Nord-Ouest, il y aura une pièce de théâtre jouée par un certain nombre de comédiens qui sont là, mise en scène par Jean-Christophe Poisson et écrite par Hafed Ben Otman. Hafed a écrit cette pièce qui fait le tour des problématiques carcérales. Le matin aura lieu un débat autour des suicides en prison. Interviendront les familles des prisonniers qui sont décédés pour certains d’une mort suspecte. Le débat durera 2 heures et l’après-midi à partir de 14h- 14h30, il y aura la pièce qui s’appelle Le numéro sortant. De toute façon, vous pouvez trouver l’information pour ceux qui ont Internet sur le site dans la rubrique agenda.

Jean-Christophe Poisson : Je voulais simplement préciser qu’il faut qu’on écrive dans l’ordre du plan d’action, il faut prendre date pour se revoir, peut être pas forcément dans des grands symposiums, mais au moins qu’on puisse se revoir pour essayer d’avancer et de fixer un objectif concret. Il y a la publication de tout ce qui a été dit qui va être fait, c’est une chose. Maintenant, il faut aller plus loin. Comment aller plus loin, où et pourquoi ? Je pense qu’on le dira demain matin.

 
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• Actes du colloque, (Word - 420 kio)