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Histoires de vie : Que dire de Sylvia, par J-M Carré

Que dire de Sylvia ?

Que dire de Sylvia, une des plus anciennes, 32 ans, devenue mère à l’âge de 16 ans à la suite d’un viol collectif, et que ses parents empêchèrent d’avorter ? Depuis cette époque, elle nourrissait une haine profonde de la société, que chaque incarcération ne faisait qu’amplifier. A chaque sortie, elle voulait se venger un peu plus de ce qu’elle subissait en prison. Meneuse de la grande révolte de la maison d’arrêt de Fleury, elle ne voulait pas oublier son aversion d’un monde qui ne lui semblait pas respectable par ce qu’il détruisait l’individu. Elle voulait continuer à vivre « libre », même s’il lui fallait pratiquer la prostitution rendue encore plus dure en raison de son homosexualité, pour payer la nourrice de son enfant pendant ses séjours en prison. La dernière fois que je l’ai accompagnée à sa sortie de prison, elle était attendue par le responsable d’une imposture, ce qui lui avait permis d’obtenir une libération conditionnelle. Plusieurs fois déjà, elle était passée par ce genre d’institution, ne donnant apparemment pas les résultats escomptés. Quelques mois après, comme sa cure était considérée comme terminée et surtout qu’il y avait la nécessité de laisser la place à un autre patient, elle se retrouva une fois de plus dans la rue. Qu’y avait-il alors de changé fondamentalement dans sa vie, si ce n’est un sevrage qui avait déjà eu lieu pendant sa détention ? Avait-elle un travail, un logement, une famille, plus que lorsqu’elle était sortie de prison ?

En quelques semaines, dans une solitude récurrente, elle retourna peu à peu vers ceux qui savaient ce qu’était la prison, qui étaient à même de la comprendre, ou du moins de l’écouter. Ceux-là, immanquablement, vivaient du trafic de drogue et lui en offraient. Quel toxicomane, dans une situation psychologique difficile, serait capable de résister longtemps à de la came exposée devant lui ? En quelques semaines, on est à nouveau accro. C’est le moment ou les dealers demandent de payer. Si on est pas une voleuse, il ne reste que le tapin, et pour supporter le tapin, il faut prendre de la drogue, donc en avoir sur soi, fréquenter les dealers, et quand la police le décide, se faire facilement arrêter, se retrouver devant le tribunal qui ne supportera pas une fois de plus qu’une récidiviste ne veuille pas accepter les règles et les lois de la société... Et repartir vers un nouveau séjour.

A sa sortie de cure, juste avant qu’elle ne retrouve ses compagnons de la marge, j’ai revu Sylvia. Pendant son incarcération, par chance croyait-elle, elle avait rencontrée le responsable de l’ANPE-sortants de prison qui lui avait promis de l’aider à trouver un « vrai » travail. Je l’accompagnerai à ce rendez-vous. L’endroit était délabré, triste, jaunâtre, situé dans une impasse ! Le responsable était heureux de la voir, persuadé qu’il allait faire une bonne action et donner tout son sens à son activité philanthropique .

Il commença à taper sur son ordinateur et à jouer de son téléphone, poussé par la volonté de Sylvia d’accepter n’importe quel travail. A chaque appel, la scène devenait plus surréaliste : sa liste semblait totalement obsolète tellement les échec se succédaient aux échecs. Exaspérée, Sylvia lui proposa d’abandonner, mais il était persuadé qu’il allait trouver. Suivit une offre d’emploi de « gondolière » (terme poétique pour nommer les femmes qui remplissent les présentoirs dans les supermarchés ! ) qui se révéla comme les autres déjà occupé, puis un travail de serveuse dans la restauration, mais Sylvia, à 32 ans, était considérée comme trop âgée… après une demi-heure de tentatives infructueuses, le responsable de l’ANPE essaya en désespoir un stage en parfumerie. A la suite d’une hésitation de l’interlocutrice, il insista en arguant de la situation pénale de Sylvia et des droits qui en découlaient. Sylvia s’énerva car elle l’avait prévenu qu’elle ne voulait en aucun cas qu’il fasse mention à quiconque de son passé. Le résultat fut de toute manière semblable aux autres : un refus. En dernier recours, l’interlocutrice imposa la nécessité pour la candidate de parler une langue étrangère, ce qui avait peu de chance d’être le cas de Sylvia.

Lorsqu’elle quitta, dépitée, le bureau de l’ANPE, elle me confia qu’elle n’avait plus qu’à retourner sur le trottoir. Que de toute façon rien ne changerait jamais pour elle. Au moins là, elle n’avait rien a demander à personne, elle pouvait gérer sa vie comme elle l’entendait, quelques soient les difficultés, les risques, les violences et le mépris que les gens pouvaient montrer à son égard.

J.-M. C.

Jean-Michel Carré a réalisé sept films sur l’univers carcéral et ses conséquences : Femmes de Fleury, Prière de réinsérer, Laurence, Galères de femmes, Vive la liberté, Les enfants des prisons, Les matonnes, Yannick et une série de trois courts métrages sur les problèmes de santé en prison. Ces filmes sont disponibles aux Films Grain de Sable, 206 rue de charenton 75012 (tel 01 43 44 16 72).

Le texte est issu de son article, publié dans Prisons : quelles alternatives ?, Panoramiques, Édition Corlet, n°45, 2000, p 144-157.