Ban Public
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Enquête - "Suicides en milieu carcéral"

Publié le jeudi 21 novembre 2002 | https://banpublic.org/enquete-suicides-en-milieu/

Enquête réalisée par Julie Serfati pour Info Sans Frontière

SOMMAIRE

Opération Paris Parloirs : samedi 13 et dimanche 14 avril 2002, à la Bastille
description de l’opération
communiqué de presse
dossier d’enquête
présentation de notre enquêteur
le constat
chiffres et statistiques
étude de cas
les prisons suicidaires
témoignages (anciens détenus, administration pénitentiaire, syndicats, ONG acteurs sociaux)
sources et contacts
Annexes

OPERATION PARIS-PARLOIRS : samedi 13 et dimanche 14 avril 2002 à la Bastille

Les parloirs à ciel ouvert

Informations sans frontières et Ban public, une association d’anciens détenus, ont décidé de sortir la prison de la prison et d’installer place de la bastille, le temps d’un week-end, les premiers parloirs à ciel ouvert à Paris.

Cette action est une invitation au débat et au dialogue. Pour les passants, bien sur, mais aussi pour les candidats à l’élection présidentielle qui sont invités sur place.

Des intellectuels, des spécialistes, des avocats, des médecins, des acteurs sociaux (visiteurs de prison, associations) seront présents à nos cotés.

Les ex détenus et les familles des victimes viennent de toute la France pour témoigner, expliquer.

Le premier observatoire du suicide en prison www.prison.eu.org

C’est à l‘occasion de cette opération que sera lancé le premier observatoire du suicide en prison. Géré par l‘association Ban public, le site constituera une base documentaire sur le sujet.

Son principal objectif est d’établir une comptabilité macabre certes mais exacte, établissement pénitentiaire par établissement pénitentiaire, des suicides en milieu carcéral. Jusqu’à ce que l’administration pénitentiaire accepte de publier des chiffres précis et vérifiés par des autorités extérieures.

Le réseau Ban public et l’appel à témoin du 13 et 14 avril permettront d’alimenter la base de donnée. Informations sans frontières s’engage à émettre un communiqué de presse pour chaque nouveau suicide.

L’enquête vue par Juliette

« Quand Informations sans frontières m’a proposé cette enquête sur le suicide en milieu carcéral, je n’ai pas hésité une seconde. Le défi était pourtant de taille : constituer, en quelques jours, la liste noire des établissements pénitentiaires avec le nombre de suicides chaque année.

Ni les membres d’Informations sans frontières ni moi ne doutions de l’omerta que nous allions rencontrer.

Je me suis rapidement rendu compte qu’il était impossible d’obtenir ces chiffres. La commission d’enquête du Sénat en rapportait un certain nombre en 1999. Depuis, les seules personnes qui sont en possession de ces chiffres font partie de l’Administration pénitentiaire. Et il n’est pas question d’en faire part à une journaliste, surtout si elle ne travaille pas pour un " grand titre ".

En passant par une amie sociologue, j’ai tout de même réussi à me procurer un rapport resté plus ou moins confidentiel, rapport qui porte très précisément sur le suicide en prison. Mais on n’y trouve pas non plus le détail du nombre de suicide par établissements.

Sur cette question là au moins, le constat était clair : silence absolu, secret d’état, omerta.

En parallèle, je tachais de recueillir des témoignages de toutes les personnes qui sont liées à la détention : anciens détenus, proches et familles de détenus, de " suicidés ", regroupés ou non en association, surveillants, médecins, psychiatres, assistantes sociales, visiteurs de prison et correspondants de détenus, aumôniers des prisons, directeurs d’établissements.

C’est finalement tous ces interlocuteurs qui m’ont permis de comprendre la problématique du suicide en prison. Chacun, à sa façon, m’a apporté des éléments de réponse, sortes de pièces d’un puzzle macabre...

Bien sûr, le suicide " n’est " que l’un des problèmes qui existent en détention. Mais il est un révélateur de tous les autres, qui touchent aux conditions de détention : enfermement, violences physiques et sexuelles, privation de droits fondamentaux, etc."

Le silence de l’Administration pénitentiaire

« Les chiffres existent. Simplement, l’Etat, par la voix de l’Administration pénitentiaire, ne souhaite pas les rendre publics. Un peu comme si la presse avait tort de s’intéresser à ces questions.

Je suis passée par le service des statistiques qui m’a fait savoir que ces chiffres n’étaient pas diffusés. J’ai essayé de les obtenir au titre de la recherche, demandant à une amie thésarde de faire la demande. Comme expliqué plus haut, elle obtenu un rapport mais le bureau des Etudes, de la prospective et du budget lui a fait toujours la même réponse : pas de chiffres détaillés.

Il se peut qu’une partie de ces chiffres apparaissent dans les rapports annuels de l’AP. Auquel cas il faudra attendre plusieurs années pour avoir des données récentes car le rapport 2000 est seulement en train d’être imprimé, selon l’administration pénitentiaire. Les chiffres récents sont bien trop sensibles, trop " stigmatisants ", selon une responsable de l’AP, pour être mis sur la place publique.

Un travail de très longue haleine, sur une année, peut-être plus, pourrait sans doute permettre de récupérer une partie des chiffres des suicides en prison. En tissant un réseau avec les personnels d’établissements, les associations, les aumôneries, etc, autant de gens qui pensent que communiquer peut permettre de résoudre les problèmes. »

L’ENQUETE : le constat : 1 suicide tous les trois jours

Le nombre de suicide en prison augmente depuis 1991 alors qu’il a plutôt tendance à diminuer en milieu libre.
On dénombre :

  •  95 suicides en 1992,
  •  101 en 1993,
  •  101 en 1994,
  •  107 en 1995,
  •  125 en 1999,
  •  121 en 2000
  •  et 104 en 2001

    Entre 1980 et 1999, le nombre de suicides en détention est passé de 39 à 125, soit une augmentation de 200% [1]

    Au terme d’un mois d’enquête, un constat : il est presque une mission impossible d’obtenir le sombre décompte des suicides par établissement pénitentiaire. 104 : tel est le chiffre officiel [2] des suicides en détention pour l’année 2001, un chiffre probablement en-dessous de la réalité si l’on tient compte des détenus qui ont été transférés dans des hôpitaux avant de décéder des suites d’automutilations ou de tentatives de suicide.

    Selon le dernier rapport de l’Administration pénitentiaire (1999), les taux les plus importants sont enregistrés en maison d’arrêt, où la densité de population carcérale est plus élevée (les maisons d’arrêt reçoivent des prévenus et des condamnés dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à un an). Il y a davantage de suicides dans les établissements sous-encadrés et le taux de suicides augmente avec le surpeuplement et l’ancienneté des établissements.

    Pour la 1ère fois, l’administration a été condamnée en décembre 2001 après le suicide d’un détenu : l’avocat Maître Etienne Noël a fait condamner l’Etat pour "faute lourde" dans l’affaire Thomas. Théoriquement, l’administration pénitentiaire est garante de l’intégrité physique des personnes qu’elle incarcère, souligne Nicolas Bourgoin, auteur de la seule étude publiée sur le suicide en détention. Mais dans les faits elle n’avait jamais été désignée comme responsable d’un suicide.

    Un groupe de travail, constitué en 1996, a défini une politique de prévention du suicide avec la mise en place de 11 sites pilotes dans différents établissements pénitentiaires français les plus sensibles. Une circulaire de mai 1998 rappelait aux chefs d’établissements leur rôle en matière de prévention des suicides, notamment dans la période d’accueil des détenus, phase de risque suicidaire important. Cependant les mesures ont été assez peu appliquées et le " Rapport du comité national d’évaluation du programme de prévention du suicide en milieu carcéral ", resté relativement confidentiel s’est soldé par un constat d’échec en février 1999. La directrice de l’administration pénitentiaire annonçait en mars 2000 la création de deux groupes de travail sur la mise en œuvre des dispositifs de lutte contre le suicide en prison.

    L’ENQUETE : Chiffres et statistiques

    Le suicide en prison en chiffres
    3 tentatives de suicide par jour.
  • 3 décisions de grève de la faim par jour.
  • 1 suicide tous les 3 jours.
  • Les personnes incarcérées se suicident 7 fois plus que les personnes libres.
  • Il y a 10 fois plus d’auto-agression en prison qu’en milieu libre.
  • Les suicides ont augmenté en 20 ans, passant de 39 en 1980 à 104 en 2001.
  • Plus de 90% des suicides ont lieu par pendaison.

    Profil du suicide en prison
  •  Les cols-blancs se suicident davantage que les cols-bleus, qui se suicident eux-mêmes davantage que les personnes sans emploi. 
  • Les personnes vivant en couple et/ou ayant des enfants se suicident davantage en prison, à l’inverse de ce qui se passe à l’extérieur. 
  • Le suicide est plus répandu chez les détenus de plus de 40 ans de nationalité française.
  •  On constate un fort taux de suicides chez les retraités, les illettrés et les personnes qui sont allées à l’université.

    Conditions de suicide en prison 
    - La moitié des suicides a lieu la nuit.
  •  Le samedi est le jour où se produit le plus grand nombre de suicides. 
  • 60% des personnes incarcérées qui se suicident sont en attente de jugement
  • 1/3 des suicides ont lieu dans le premier mois de la détention. 
  • 90% des suicides ont lieu en maison d’arrêt
  • De nombreux suicides se produisent lors de transferts et de séjours au quartier disciplinaire.

    Source : Rapport sur les suicides de détenus (1998-1999), Direction de l’administration pénitentiaire, et l’étude de Nicolas Bourguoin : Le suicide en prison, logiques sociales, L’Harmattan, 1994

    L’ENQUETE : Étude de cas

    Le suicide de Thierry Sbaiz

    Le 23 octobre 1996, les gendarmes de la Brigade de Val-de-Reuil sont saisis d’une enquête concernant les viols dont aurait été victime le détenu Thierry Sbaiz de la part de son codétenu. Une information est ouverte mais deux ans plus tard presque jour pour jour, le juge d’instruction rend un non-lieu. M. Sbaiz fait appel et le codétenu est renvoyé devant la cour d’assises de l’Eure.

    Thierry Sbaiz présentait des troubles psychiques importants, qui se concrétisaient par des tentatives d’automutilation, de suicide et des dégradations dans sa cellule (incendies, etc). Le 5 mars 2000, après avoir mis le feu à sa cellule, Thierry Sbaiz est placé au quartier disciplinaire. Le même jour, le préfet de l’Eure prend un arrêté pour hospitaliser le détenu au Centre spécialisé d’Evreux. Le médecin chef y rédige un certificat médical indiquant que l’état de Thierry Sbaiz ne lui permet pas d’être convoqué au tribunal.

    Finalement, Thierry Sbaiz se présente au tribunal, autorisé par l’expert mandaté par la cour d’assises. Le 8 mars 2000, il est pris d’un malaise durant l’audience et conduit à l’hôpital d’Evreux. Il est reconduit le lendemain au centre de détention du Val-de-Reuil. Dans le même temps, l’auteur des viols est condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour ces faits.

    Le 15 mars, Thierry Sbaiz est condamné à 45 jours de quartier disciplinaire pour les incendies de sa cellule les 4 et 5 mars. Le 27 mars, les surveillants le découvrent inerte et constatent qu’il a incendié son matelas pour mettre fin à ses jours.

    Source : Etienne Noêl, avocat au Barreau de Rouen

    L’ENQUETE : Les prisons suicidaires

    La liste noire : Rapport d’enquête du Sénat (1999)

    Nombre de suicides en 1999 pour nombre de détenus (taux de suicide)
    Fresnes : 5 pour 1854 détenus (27 pour 10 000)
    Fleury-Mérogis : 6 pour 3333 (18 pour 10 000)
    Rennes : 5 pour 350 (143 pour 10 000)
    Lyon : 7 pour 616 (114 pour 10 000)
    Loos lès Lille : 3 pour 999 (30 pour 10 000)
    Rouen : 2 pour 785 (26 pour 10 000)
    Marseille (les Beaumettes) : 3 pour 1563 (19 pour 10 000)
    Angers : 3 pour 389 (77 pour 10 000)
    Grasse : 5 pour 623 (80 pour 10 000)
    Villeneuve lès Maguelonne : 3 pour 673 (45 pour 10 000)
    Paris-La Santé : 3 pour 1230 (24 pour 10 000)
    Toulouse : 5 pour 464 (108 pour 10 000)
    Douai : 3 pour 581 (52 pour 10 000)

    En 1999, ces 13 maisons d’arrêt, les plus importantes de France, ont concentré 43% des suicides. Il faut pourtant rapporter les chiffres à la taille des maisons d’arrêt et au nombre de détenus. Le taux de suicide est d’environ 240 pour 100 000, soit 24 pour 10 000.
    Ce rapport du sénat est la seule source qui puisse permettre de se faire une idée sur la répartition géographique des suicides dans les prisons françaises. Jusqu’à aujourd’hui l’administration pénitentiaire a toujours refusé de communiquer à la presse des éléments précis et exhaustif sur la répartition géographique du suicide carcéral en France .

    L’ENQUETE : Témoignages

    Henri Gaumé, visiteur de prison depuis 7 ans - "Il manque des gens pour encadrer et soutenir les détenus"
    Leslie Laroche, femme de détenu, présidente du Collectif pour la défense des familles et proches des personnes incarcérées"Certains suicides pourraient être évités"
    Bernard Stehr, pasteur, aumônier à la maison centrale de Poissy (Yvelines) et dans les prisons d’Ile-de-France depuis 20 ans"Il y a au moins deux fois plus de suicides que l’on dit dans les prisons françaises"
    Sophie Baron-Laforêt, médecin psychiatre en prison"On a ouvert les portes mais pas encore les mentalités"
    Philippe Carrière, psychiatre en prison"Les choses n’ont pas vraiment avancé depuis les analyses de Michel Foucault"
    Pierre Satet, président de l’association Suicide Ecoute"Il faut libérer la parole des détenus"
    Guy de Saint-Maur, président du Courrier de Bovet, association nationale des correspondances avec les détenus"Nous aidons les détenus à rester en vie"
    Momo, membre de la FLIDD [3], ancien détenu

    Aziz, permanent juridique au MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues), a été incarcéré 24 mois pour une affaire de stupéfiants

    Jeannette Favre, présidente de l’Union nationale des Fédérations d’associations de familles de détenus, assistante sociale en prison pendant 15 ans - "La famille est toujours prise en compte de manière complètement subsidiaire"
    Milko Paris, membre de l’association Ban Public, ancien détenu - "Je dis qu’on pousse les détenus à se suicider"
    Etienne Noël, avocat au barreau de Rouen
    Franck Desfontaines, surveillant en détention, représentant syndical UFAP - "Ceux qui veulent vraiment se suicider y arrivent sans problème"

    L’ENQUETE : Contacts et sources

    Les associations

    Association Suicide Ecoute
    5, rue du Moulin Vert
    75014 Paris
    01.45.39.93.74
    Association qui propose une écoute téléphonique anonyme aux personnes désespérées. L’association n’intervient pas en milieu carcéral mais pourrait très bien le faire si l’administration pénitentiaire l’y autorisait.

    Groupe Mialet
    01.39.76.78.57
    Groupement d’ex détenus ayant connu les quartiers dits " VIP " des prisons françaises.

    Association nationale des visiteurs de prison
    Catherine Coéroli, déléguée générale de l’association
    5, rue du Pré aux Clercs 75007 Paris
    01 42 61 69 82
    fax : 01 44 55 36 68 

    Collectif de défense des familles et proches de personnes incarcérées
    Leslie Wisse-Laroche

    Visiteurs de prison
    Henri Gaumé
    02.47.65.47.62

    Observatoire international des prisons
    31 rue des Lilas
    75019 Paris
    01.44.52.87.90
    Association de défense des détenus.

    APMMP (Association pour la promotion de la médecine en milieu pénitentiaire)
    Dr Deroussent : 03.89.78.85.00 

    Union fédérale autonome pénitentiaire (surveillants)
    85 route de Grigny
    91170 Ris-Orangis
    01.69.02.41.41

    ARAPEJ
    Insertion réflexion prison
    01.43.56.94.70

    Philippe Carrière, psychiatre
    02.96.87.18.60

    Etienne Noël, avocat à la cour d’appel de Rennes
    02.35.07.19.18

    Sophie Baron-Laforêt, médecin psychiatre
    04.68.84.66.00
    Auteur d’articles sur le suicide en prison.

    Les sites Internet

    · Le site de l’Observatoire international des prisons :
    www.oip.org

    · L’association Ban Public, base documentaire sur les prisons :
    www.prison.eu.org

    · L’association de promotion de la médecine en milieu pénitentiaire :
    www.medecine-penitentiaire.com

    · Un site consacré aux prisons, riche en liens :
    http://prisons.free.fr

    Les sources institutionnelles 

    · Les chiffres clés, les textes importants, sur le site de l’Administration pénitentiaire :
    http://www.justice.gouv.fr/minister/mindap.htm

    · " Prisons : une humiliation pour la République " : le rapport du Sénat
    www.senat.fr/rap/l99-4492/l99-4492.html

    Après deux de travail d’un groupe constitué de médecins et de personnes de l’administration pénitentiaire, la Circulaire du 29 mai 1998 adresse aux chefs d’établissements des recommandations susceptibles de prévenir le recours au suicide chez les détenus.

    En mai 2000, Martine Viallet, de la Direction de l’administration pénitentiaire, transmet aux directeurs d’établissements pénitentiaires une note sur la prévention du suicide en milieu carcéral :
    http://www.multimania.com/medpen/doc/pdf/a0000148.pdf

    · Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les prisons françaises :
    http://www.prison.eu.org/rubrique.php3?id_rubrique=14

    Bibliographie

    Annexe 1 :
    Recommandation n° R (87) 3 sur les règles pénitentiaires européennes

    Annexe 2 : Les chiffres de la Comission d’enquête sénatoriale

    Annexe 3 : Textes réglementaires français

     

[1Source : Administration pénitentiaire

[2Source : Administration pénitentiaire

[3Association des familles de détenus contre l’insécurité et les décès en détention.