Publié le mardi 21 janvier 2003 | https://banpublic.org/sida-et-prison-article-du-journal/ C’est au service de Didier Sicard, professeur de médecine interne à l’hôpital Cochin, qu’est rattachée l’Unité de consultation et de soins ambulatoires de la maison d’arrêt de la Santé. Dans chrétiens & sida n° 24 de février 1999, il décrit le double enfermement qu’est le sida en prison, et les problèmes particulier qu’y posent la prévention, le dépistage et le traitement de la maladie. Il y a prison et prison Etre en prison à Cuba avec un sida n’est pas la même chose qu’à Fresnes ou à Rome. Etre dans une maison d’arrêt en préventive ou dans une centrale n’offre pas les mêmes contraintes, être incarcéré pour la première ou la sixième fois ne crée pas le même bouleversement, être seul ou entouré d’amis ou d’une famille, être un intellectuel ou un manuel... bref il n’y a pas deux détenus qui vivent leur situation de la même façon, même s’il y a peu de domaines où l’humain vive autant sa condition présente sur le plan physique et mental à travers des réflexes d’une humanité commune. Dépistage et secret Il est interdit de faire un dépistage sauvage de l’infection VIH à tout être humain, donc à tout détenu, mais il est fondamental de permettre simultanément à un détenu de connaître sa sérologie et au médecin de l’établissement d’éventuellement l’ignorer. C’est un droit essentiel de l’individu d’avoir accès à un dépistage anonyme où l’équipe qui dépiste n’est pas celle qui soigne. Un sujet a le droit de se savoir VIH positif, de se voir dépister et de ne pas le dire à l’établissement pénitentiaire. Un sujet a le droit absolu de taire son état VIH positif. Certes, il peut être parfaitement légitime pour un médecin d’apprécier la gravité d’une infection respiratoire à l’aune de la connaissance d’une sérologie VIH positive. Des maux de tête inhabituels peuvent faire demander un scanner cérébral chez un tel sujet, scanner qui ne serait pas demandé en l’absence de sérologie positive. Les arguments doivent tout de même être tempérés. C’est le rôle du médecin de prendre sans cesse conscience que cette maladie en prison est une maladie différente des autres. Il faut que le détenu sache que le médecin est dépositaire d’un secret absolu. Cette situation peut parfois être jugée choquante, mais ce n’est pas pour cela que l’on doit passer outre. Ainsi, par exemple, un sujet coupable d’une agression sexuelle devrait pouvoir être dépisté de façon immédiate et automatique, compte tenu des thérapeutiques préventives proposées aux victimes dans le cas d’une sérologie positive de l’agresseur. Dans la plupart des cas, l’agresseur accepte cette sérologie de dépistage, mais on ne peut la lui imposer de force, même si, pour la femme qui a fait l’objet d’un viol, cette ignorance de la sérologie de l’agresseur est insupportable. Pour la justice cette sérologie ne peut être obtenue que par proposition, pas par contrainte. Il en est de même pour les policiers. Certains cas ont concerné des policiers agressés, mordus par des agresseurs. Ces violences à agents de la force publique ne justifient pas que le dépistage sérologique soit une mesure coercitive. Ce secret qui devrait être réel et qui n’est que potentiel relativise les chiffres, en les minorant peut être, de 1 à 3% de présence de sujets infectés par le virus VIH dans les prisons françaises. La question des seringues Ce n’est pas parce que la Commission Européenne des Droits de l’Homme demande à voir les dossiers des malades atteints de sida qu’elle en a le droit. L’objectif avancé de respect des droits de l’homme peut ainsi être en contradiction avec les droits d’un détenu. Il faut se méfier des bonnes intentions de quelque commission que ce soit. Maintenir le secret d’une telle infection dans un milieu aussi clos que l’univers carcéral est en fait une gageure. Une consultation réservée aux malades VIH est une rupture du secret, secret qui se heurte tout de même à quelques difficultés pratiques. On peut concevoir qu’à l’intérieur d’une prison la présence de seringues soit vécue comme une menace potentielle par les surveillants, avec ses conséquences sur la volonté de savoir le statut sérologique de chacun derrière les barreaux. En France, les traitements de l’infection du sida sont distribués aux détenus dans des conditions relativement satisfaisantes, nonobstant le problème du secret. Les trithérapies, les quadrithérapies ont été administrées dans des conditions proches de celles des sujets libres et il serait faux de dire que les détenus n’ont pas bénéficié des progrès thérapeutiques. La question se pose cependant lors de la sortie. Certaines sorties sont de véritables expulsions de la prison avec expulsion du pays. La prison, qui a pu constituer un moment un havre, est alors à la source d’une rupture thérapeutique. La situation est paradoxale : une prise en charge médicale bien faite lors de l’incarcération se trouve brutalement compromise par la libération. Certes, les médecins peuvent rédiger des certificats médicaux soulignant le risque vital d’une expulsion, mais souvent les détenus sortent avant que le médecin n’ait pu être entendu ou avant une dernière consultation médicale. Lorsqu’une prison a incarcéré un détenu, elle en devient responsable et on ne peut l’expulser dans un pays où il n’aura pas le même accès thérapeutique. C’est une des contradictions de la médecine contemporaine et de l’incarcération actuelle. Médecine et noblesse La loi de 1994 a été la source d’une grande avancée sur la présence de la médecine au sein des prisons ; elle a permis l’autonomie, tout au moins apparente, mais souvent réelle, des médecins par rapport à l’administration, elle a permis que les UCSA (Unité de consultations et de soins ambulatoires) constituent une avancée des droits de l’homme. Il est en effet inconcevable que le médecin en prison soit un auxiliaire de la justice. |