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A la lecture de "Tous coupables", groupe Mialet,

Publié le mardi 7 janvier 2003 | https://banpublic.org/a-la-lecture-de-tous-coupables/

J’ai pris le livre rédigé par le Groupe Mialet dans la meilleure des dispositions d’esprit possible : je suis a priori avide de dénonciations de la prison et du système judiciaire, et plus on sera nombreux pour faire péter tout cela, moins de temps cela prendra ! Même si j’ai un faible pour les Robins des bois et autres voleurs au grand cœur, j’avais décidé d’oublier les pedigrees des auteurs, selon le vieux principe : Non bis in idem. Le Groupe Mialet regroupe en effet ceux qu’on a appelés les « VIP de la Santé » : chefs d’entreprise, hommes politiques, hauts fonctionnaires, … bref, du beau linge !

Ce n’est pas la lecture de la Préface, signée par Véronique Vasseur, qui aurait pu me réconcilier avec la médiatique (ex-)Médecin-chef de la Santé… Elle affiche son grand cœur, sa « même compassion pour tous » (p. 8), ce dont je me permets de douter depuis la lecture de son précédent livre, mais j’en ai déjà fait la critique, alors passons… Véronique Vasseur a tendance à s’égarer déclarant d’abord que les « personnalités » ne profitent d’aucune faveur en prison (p. 7), avant de reconnaître que la prison est « à double vitesse, suivant qu’on est puissant ou misérable » (p. 9). Deux pages pour un retournement de veste, c’est du vite fait ! Sérieusement, ce double discours dit tout des difficultés à être cohérent lorsque, d’une position dominante, on veut à la fois défendre ses potos… euh, pardon ! les détenus, et ne pas réellement remettre en cause l’institution carcérale.
Au fil des pages, on savoure les petits avantages – quoiqu’en ait dit V. Vasseur…–. Et on se dit, tant qu’à aller en prison, mieux vaut être, par exemple, un ancien ministre. Rien de nouveau sous le soleil. En effet, tout en lisant les récits de leurs malheurs respectifs, on note, par exemple, que l’une de ces personnalités a le privilège de quitter le secteur « hommes » de la Souricière (cellules d’attente du Palais de Justice de Paris) pour aller au quartier des « femmes », nettement moins sordide et par ailleurs géré par des religieuses (p. 37).
Mais on peut tout de même être navré de la surprise – indignée – de ces messieurs lorsqu’ils découvrent les conditions de garde à vue, puis de détention. Leur perpétuelle surprise et leur naïveté à revendiquer ce qui leur semble bien légitime – comme, au cours de la garde à vue, de prendre un peu de gurosan, histoire de se remonter le moral (p. 30) – fait rire les flics (p. 32). Moi aussi, mais « jaune » ! On a l’impression qu’ils n’ont jamais vu de la peinture qui s’écaille, des chiottes crados, qu’ils ont toujours eu affaire à des personnes dévouées, polies, et prêtes à leur obéir.
Ces messieurs semblent ne jamais s’être intéressés au monde et à ses milles malheurs. Il a fallut à ces grands enfants (« dis, Maman, c’est quoi un pauvre ? ») la prison pour leur ouvrir les yeux. Tant mieux pour eux, pour leur âme ou leur karma… Mais ce genre d’imbécillités, cet autisme au monde, réussiraient presque à me convaincre qu’il faille foutre les magistrats en zonzon pour leur apprendre le sens de leur métier.
Le livre Tous coupables se veut réflexif. Alors ces messieurs s’interrogent… Ils s’interrogent sur le travail carcéral : « mais doivent-ils [les détenus] être esclaves, au services d’entreprises privées qui les exploitent sans vergogne ? » (p. 152) Ces messieurs ont tous été des hommes de pouvoir. Ils ont tous eu sous leurs ordres des salariés exploités – on ne me fera pas oublier les salaires mirifiques de tous ces PDG des grands groupes privés ou publics –, travaillant dans des conditions honteuses et/ou précaires… Et ils osent venir donner des leçons ? Puis, ils font les bégueules en s’interrogeant sur les relations prisonniers – matons : « Faut-il que les gardiens tutoient les détenus ? » (p. 153). On est heureux d’apprendre que ces patrons ne tutoieront plus les secrétaires, que les relations de pouvoir en entreprise ne sont pas ce qu’on en dit. La vertu offensée est une position confortable, mais ne soyons pas dupes !
Les ex-VIP ont souvent le verbe haut et parlent abondamment d’humiliation. Celle-ci se nourrit surtout de leur déchéance de leur statut passé, des positions sociales qu’ils occupaient, aux milles conforts auxquels ils ne prêtaient pas même attention... A travers tout cela transparaît quelque chose de fort déplaisant : le sentiment que ces messieurs s’offusquent principalement parce qu’ils vivent leur arrestation comme un crime contre leur caste, et non parce qu’ils contestent le système. Ainsi, l’un s’oppose à la prise de photo anthropomorphique, et le commentateur approuve : « il n’a quand même pas estourbi père et mère ! » (p. 38). Moi, je réponds : « quand bien même ? »
Pour finir de m’énerver, il y a cette expression écœurante : « les usagers des services judiciaires et carcéraux » (p. 16, p. 212). A moins qu’il ne faille lire les « usagés » ? Personnellement, je ne serais jamais une « usagère », car pour cela il faudrait que j’y trouve « mon compte ». Pour ma part, je n’ai jamais trouvé que les mots « taulard », « prisonnière », etc. – bref, la réalité brutalement nommée – soient impolis… On pourrait appeler les matons des « agents d’ambiance » qu’ils n’en resteraient pas moins des « matons » ! Les gros mots n’existent pas et les saloperies ne gagnent rien à n’être pas nommées.
Ces messieurs ne sont pas abolitionnistes, ils sont pour l’amélioration. Ils le disent et le répètent : « il ne s’agit pas de détruire les prisons » (p. 152), parce que, comme l’explique fallacieusement – mais au niveau zéro de l’innovation idéologique – M. Spitakhis : « les prisons sont nécessaires » (p. 117). Ce genre d’affirmation est une manipulation : c’est un postulat, non le produit d’un raisonnement ! Mais ces messieurs n’ont pas tous l’air d’accord, car M. Boucheron affirme : « je crois que la peine de prison est une peine perdue » (p. 197). Ouf ! Et s’ils ne sont pas abolitionnistes, ils affirment qu’« il ne devrait pas y avoir plus de 20 000 ou 25 000 personnes sous les verrous » (p. 209). C’est déjà ça de moins… Encore un effort, CAMARADES !
Parfois, ces gens-là ont de drôles d’idées : Vasseur évoque comme un privilège d’avoir un « surveillant pour 10 personnes maximum (à titre de comparaison : un surveillant pour une centaine de détenus dans les autres blocs) » (p. 9). Il ne faut pas se leurrer, leur programme est la restauration de l’autorité de l’Etat, qui passe notamment par la discipline en détention : « il faut des sanctions efficaces et restaurer l’autorité de l’Etat […] il faut repenser la prison, la réorganiser de l’intérieur autour de la réinsertion, de la rééducation pour certains, avec une grande rigueur et plus de discipline » (p. 11). Heureusement, le culot n’a jamais tué personne, alors ces messieurs peuvent se permettre – sans rire – le laïus connu d’avance (pp. 216-217) sur la perte des repères et de l’autorité naturelle des parents, des chefs d’entreprise et des hommes politiques.
On découvre aussi dans ce livre le bilan que tire Vasseur du cirque qu’elle a – en grande partie – initiée en 2000 : « beaucoup de bruits et d’indignation pour que la montagne accouche d’un puceron » (p. 10). Certes, c’est déjà un bel effort de lucidité. Mais, il aurait fallu aussi comprendre l’utilisation, par la sphère médiatico-politique, de quelques trublions, assez complaisants pour ne pas remettre en question l’existence même du système carcéral, assez loquaces et arrogants pour s’accaparer le débat (au détriment des prisonniers et de leurs proches !), bref, la contestation telle que la met magistralement en scène la Démocratie.
Alors, quand les membres du Groupe Mialet jouent la modestie en évoquant le « privilège de pouvoir s’exprimer pour eux, mais surtout pour les autres » (p. 16), je leur réponds :
NE VOUS INQUIETEZ PAS ! NOTRE LIBERATION, ON LA PREND EN MAIN !

GWENOLA RICORDEAU
ricordeaugwen@aol.com