Ban Public
Le portail d’information sur les prisons
La « peine privative de liberté » dite « peine de prison » « peine d’emprisonnement », « réclusion » ou détention serait-elle illégale et anticonstitutionnelle ?

Le 4 mai 2012, le Conseil Constitutionnel français a rendu une décision historique au nom du respect des Droits de l’Homme. Il a supprimé l’infraction de « harcèlement sexuel » considérant qu’elle n’était pas suffisamment précise ; ne respectant pas le principe de légalité des délits et des peines comme l’exige l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 .
Cette décision permet d’attirer l’attention sur une autre notion juridique, celle de la peine privative de liberté. Appelée également peine de prison et peine d’emprisonnement, elle souffre également d’imprécision et de flou. Et pourtant il ne s’agit pas d’une peine récente : elle date de plus de 200 ans !

Cette peine est définie par « tautologie ». A savoir de la même manière que l’infraction d’harcèlement sexuel qui, comme l’a souligné le Professeur Roseline Letteron, était définie comme « le fait de harceler autrui » (article 222-23 du Code pénal). Puisque la privation de liberté est définie comme l’état d’arrestation ou d’emprisonnement, et ces états sont définis comme privations de liberté.
Ainsi la peine privative de liberté et la prison sont prises comme des synonymes, des expressions à contenu équivalent (articles 131-1 à 131-3 du Code pénal).

Pourtant cette équivalence pose un défi de légalité majeur. Si avant 1970, cette équivalence pouvait être défendable, aucune précision n’ayant été donnée à la liberté visée par ces peines, si bien que leur contenu pouvait être celui réalisé par l’organisation et le fonctionnement de la prison, la situation a depuis changée.

La précision apportée depuis lors, que cette peine doit être limitée à la seule privation de la liberté physique, a accentué le problème de légalité. A l’imprécision de la peine privative de liberté, s’est ajouté le fossé entre le sens limité de cette peine et la réalité carcérale.

C’est un lieu commun de dire que la prison dépasse, encore aujourd’hui, de loin la simple privation de liberté physique. Tous les rapports institutionnels, toutes les études, toute personne intervenant en prison le constatent et l’affirment : la prison a des conséquences multiples, globales sur la personne.

Si bien que la prison en tant que modalité d’exécution de la peine privative de liberté, parce qu’elle n’est pas la seule (le bracelet électronique, l’assignation à résidence, la semi-liberté, le sont également), comporte une grande partie d’arbitraire : celle de privations de libertés qui ne font pas partie de la condamnation.

Plus encore, à ce constat, s’ajoute un autre défi : la prison est-elle réductible à la seule privation de liberté physique ?
Nous, nous craignons que la réponse soit négative.
La prison est une institution fermée de vie collective forcée et englobant l’organisation de la totalité des aspects de la vie des résidents. Elle ne règle donc pas que la liberté de déplacements. Elle règle l’exercice de l’ensemble des libertés fondamentales de la personne. Même si cela n’est pas, ou plus, par volonté punitive, la nécessité organisationnelle apporte des restrictions qui s’ajoutent à la privation de la liberté d’aller et venir.

En ce sens, la prison constitue un défi non seulement pour le principe de légalité des peines mais aussi pour la démocratie entière : elle constitue une institution totalitaire au cœur des démocraties. Totalitaire au sens politique du terme dès lors que son régime d’organisation et de fonctionnement est à l’opposé des principes politiques de liberté, à savoir ceux d’autonomie et de vie privée et intime. Tant qu’elle est organisée comme système clos, soumis à une surveillance totale et ininterrompue des personnes, organisant minutieusement et exhaustivement tous les comportements, tout geste, déplacement, parole et contact tant à l’intérieur qu’avec l’extérieur, le tout soumis à des autorisations préalables et sous la menace des sanctions, elle constituera un régime d’organisation totalitaire. Cette organisation entraîne la suppression de l’autonomie et la fin de la discontinuité entre vie privée et vie publique, qui sont les deux piliers des régimes garants de la liberté.

Ce problème étant lié à la notion de liberté (« ce mot détestable qui a plus de valeur que de sens », selon Paul Valery ), et à sa principale modalité de mise en application, la prison, il faut inventer d’autres notions de peines et d’autres modalités d’exécution qui puissent rendre adéquat le contenu matériel avec le contenu légal.

Vers la fin de la « peine privative de liberté » dite « peine de prison » ou « peine d’emprisonnement » ?

Tenant compte de ces constats, les solutions que peuvent être proposées sont les suivantes.

° Suppression des expressions peine de « prison », « d’emprisonnement », de réclusion ou de détention, dans le code pénal et le code de procédure pénale , étant totalement privées de sens juridique précis.

° Fin de la tautologie entre prison et peine privative de liberté : la prison n’est qu’une des modalités d’exécution de la privation de liberté.

° Suppression de la sanction de privation de liberté. La peine privative de liberté ne pouvant pas avoir de sens juridique précis et l’exercice des droits fondamentaux ne pouvant, selon la CEDH, subir que des restrictions et non de privations, il faut envisager à la remplacer par des sanctions restrictives de liberté. Elles peuvent être nommées « restriction de la liberté de circulation » ou « placement sous surveillance physique » avec des degrés de restriction ou de surveillance précisés par la loi.

Les modalités qui, aujourd’hui, répondent le mieux à une telle limitation sont : le bracelet électronique, l’assignation à résidence, la semi-liberté, le placement extérieur. Parce que la personne dispose du temps et de la liberté suffisants pour gérer l’ensemble des autres aspects de sa vie : travail, santé, école, famille, vie citoyenne etc.
Le recours à des états de privation temporaire de liberté pourrait être réservé à un usage de sanction disciplinaire en cas de violation des obligations des peines restrictives de liberté.

De telles notions permettent d’assurer l’efficacité de la peine en termes de protection de la sécurité des victimes et de la société, ce qui est en réalité au cœur de l’efficacité actuellement recherchée par la punition, tout en respectant le principe de légalité des peines.

Est-ce utopique ?

Ce qui peut faire apparaître comme utopique une telle perspective, serait notre incapacité à imaginer une société sans prison, notre incapacité de passer outre le poids des évidences.

A ce propos, Beccaria, dont l’influence a beaucoup pesé dans l’abolition de la peine de mort, écrivait :
« L’histoire des hommes est un immense océan d’erreurs, où l’on voit surnager çà et là quelques vérités mal connues. Que l’on ne m’oppose donc point l’exemple de la plupart des nations, qui, dans presque tous les temps, ont décerné la peine de mort contre certains crimes ; car ces exemples n’ont aucune force contre la vérité qu’il est toujours temps de reconnaître. Approuverait-on les sacrifices humains, parce qu’ils ont été généralement en usage chez tous les peuples naissants. Mais si je trouve quelques peuples qui se soient abstenus, même pendant un court espace de temps, de l’emploi de la peine de mort, je puis m’en prévaloir avec raison ; car c’est le sort de grandes vérités de ne briller qu’avec la durée de l’éclair, au milieu de longues nuits de ténèbres qui enveloppent le genre humain » (César BECCARIA, Des délits et des peines).

Et plus près de nous, de citer Marc Ancel. Après avoir milité pour faire de la prison une « institution utile », il avait a fini par s’interroger sur la légitimité de son existence en la qualifiant d’institution périmée, et pour cela abusive, en rejetant sa justification du seul fait qu’elle existe :
« La défense sociale demande, écrivait-il, à la fois la révision des valeurs et un effort de dépassement. Révision des valeurs d’abord, car elle suppose un examen critique de toutes les institutions existantes, sans que celles-ci puissent être justifiées par le seul fait qu’elles existent. Il n’y a rien de plus respectable, disait déjà Voltaire, qu’un ancien abus. Il n’y a rien de plus respecté pourrait-on dire, qu’une institution dont on ne se demande plus si elle n’a pas perdu sa raison d’être. Or un système de droit périmé, et plus encore un système anachronique d’application des peines, constituent en fait une oppression de l’individu, ou tout au moins une méconnaissance de son droit fondamental à se réaliser et à s’épanouir dans son milieu social » (La défense sociale nouvelle, Paris, Cujas, 1981).

Il est alors temps de songer à tourner la page de cette peine dans l’histoire des pénalités : reconnaître son illégalité et la déclarer anticonstitutionnelle. La peine privative de liberté est une notion juridique floue et la prison est un cancer pour la démocratie. C’est un modèle d’organisation de la vie humaine qui, considéré comme compatible avec les principes de la démocratie, tend à s’étendre vers le reste de la société.

Ban Public
Georgia Bechlivanou-Moreau
Docteur en Droit
Avocate

Pour aller plus loin :
Georgia Bechlivanou-Moreau, « Le sens juridique de la peine privative de liberté au regard de l’application des droits de l’Homme dans la prison », Thèse de Doctorat, Paris 1-Panthéon Sorbonne, 2008

« Symbole et Verbe au sein du droit. A propos des lieux fermés et de la notion de privation de liberté dans la jurisprudence européenne », in Mélanges offerts à Jacques VELU, Bruyland, Bruxelles, 1992.