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Les journaux de détenus (1967-2010)

L’étude de deux publications réalisées dans les centres de détention initiés par les réformes de 1975, Drôle d’immeuble au Centre pénitentiaire de Caen et A Contre courant au Centre pénitentiaire de Liancourt, pose la question de la singularité de telles initiatives ou de celle d’un phénomène culturel répandu dans les établissements pénitentiaires à la fin du XXème siècle. Une recherche va donc être entreprise dans le cadre de l’Institut de recherche interdisciplinaire Homme et Société (IRIHS), de l’Université de Rouen, en relation étroite avec l’ANR "Sciencepeine", "Sciences, savoirs et exécutions des peines au XXe siècle" afin d’effectuer un repérage et une numérisation des journaux de détenus publiés dans les établissements pénitentiaires durant les dernières années du XXe siècle et aux débuts du XXIe. Une attention particulière sera portée sur les deux grands centres de détention normands, le centre pénitentiaire de Caen et le centre de détention des Vignettes, au Val-de-Reuil, dans l’Eure. Cet article n’a pas la prétention d’analyser tous les aspects de cette presse très particulière puisque ce sera l’objectif d’une recherche de plus grande ampleur. Il tend à compléter les deux articles sur les publications de Liancourt et de Caen, et à identifier quelques traits majeurs de ces publications.

Recherches antérieures

Les travaux sur ces fanzines, sur cette presse confidentielle sont, à notre connaissance, rares. Grâce à la gentillesse et à l’aide efficace des documentalistes du Centre de documentation de la Direction de l’administration pénitentiaire, rue du Renard à Paris, et du Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines à Agen, j’ai pu repérer plusieurs mémoires et articles sur ce sujet. Dès 1982, Philippe Danne rédigea un mémoire dans le cadre de sa formation d’éducateur à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire alors sise à Fleury Mérogis, L’animation en milieu carcéral : fabrication d’un journal au centre des jeunes détenus de la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan [1]]. Ce mémoire pionnier fut suivi d’un second mémoire d’éducateur, Marie Réverdy, en 1984, sur le journal des prisons Saint-Paul et Saint-Joseph de Lyon, L’Écrou, auquel il est fait souvent référence, notamment dans les récits de Louis Pérégo. Il aborde les premières années d’une publication qui n’est conservée dans les dépôts publics mentionnés ci-dessus qu’à partir du n°16 de 1985 [2]. Le centre de ressources d’Agen conserve également deux mémoires (ou projets d’action ou encore projets professionnels) de conseillers d’insertion et de probation en formation. Steeve Amant a rédigé en 2004 Des Clés pour mieux comprendre le monde : la création d’un journal au centre pénitentiaire de Maubeuge. Gwendola Roche, Ingrid Lemaire, Kelly Clain ont rédigé en 2008 Atelier journal à la maison d’arrêt. En mai 2009, Le Passe murailles, publication du Genepi, le groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées a consacré un dossier aux médias en prison. deux articles présentent des journaux réalisés en détention, Hector, journal de la prison de Villeneuve lès Maguelones, maison d’arrêt et établissement pour mineurs et Tolerrance, journal de la maison d’arrêt de Laval. Ces références bibliographiques initiales présentent les traits essentiels de cette presse de derrière les murs mais aussi les actions éducatives, culturelles, de réinsertion qui sont à l’oeuvre dans les ateliers d’écriture et de confection de ces journaux. La presse carcérale a donc été encouragée par l’administration pénitentiaire dès les années 80, a été prise en charge par les associations sportives et culturelles des prisons et fut aidée par des bénévoles, comme les étudiants du Génépi.

L’ampleur d’un corpus

Au terme d’une recension préliminaire, en croisant les différents fonds disponibles [3] avec les indications du dépôt légal, nous avons identifié, pour l’heure, 73 titres publiés entre 1967 et 2009. Myosotis semble le titre le plus ancien [4]. Il fut confectionné dans la maison centrale d’Eysses, devenue depuis centre de détention. 43 titres proviennent de maisons d’arrêt, donc d’établissements pour prévenus et pour les courtes peines d’emprisonnement. 14 titres proviennent de centres de détention, établissements pour condamnés présentant des gages de réinsertion. 11 titres proviennent de centres pénitentiaires ( établissements disposant le plus souvent d’un quartier maison d’arrêt, d’un quartier centre de détention et parfois d’un quartier pour mineurs). 6 titres proviennent des maisons centrales de sécurité (établissements pour condamnés où le primat est la sécurité). Est-il pertinent d’effectuer une distinction entre les publications en fonction de la nature des établissements ? Les centres de détention et les centres pénitentiaires hébergent des détenus condamnés à de longues peines et où les activités culturelles sont développées afin de favoriser la réinsertion sociale. C’est l’assurance d’équipes rédactionnelles de détenus assez stables et de solides associations pour le développement culturel. Au centre de Liancourt, la revue A Contre-courant naît en février 1985 et fonctionne régulièrement jusqu’en 2000. De février 1985 à mai 1992, cinquante numéros furent publiés.

Les comités de rédaction

Il est rare de lire des informations sur le mode de de fonctionnement de la rédaction des journaux et sur la diffusion en interne ou à l’extérieur. Les articles sont soumis à la censure de la direction de l’établissement et des éducateurs accompagnent les initiatives des détenus. C’est le cas pour Quand, lancé en l’an 200 par deux détenus du centre pénitentiaire de Caen, encadrés par un référent. Le journal de 24 pages était tiré à 350 exemplaires et était vendu à l’extérieur. En juin 2004, trente numéros avaient été confectionnés. L’éditorial du n°23 de novembre 2003 précisait les objectifs de la rédaction : "Le journal Quand est réalisé par les détenus du centre pénitentiaire de Caen. Il est la "voix des longues peines". Il a pour but de faire découvrir la réalité carcérale, au-delà des clichés et des idées reçues. Il a été créé pour vous permettre d’avoir accès au quotidien carcéral exprimé par ceux qui le vivent". La consultation de plusieurs exemplaires de ce journal montre un important décalage entre les ambitions de l’éditorial et le contenu de la publication, car rares sont les informations concrètes sur le vécu dans ce centre de détention réunissant principalement des auteurs de crimes sexuels. Guy L. dans le n° 14 de Cosmopolite, publié en janvier 2002 à Saint-Martin-de-Ré précise que le directeur ne souhaite pas de courrier des lecteurs et "ne veut pas que le journal soit un vecteur de revendications". En 1995, Le 18bis publié dans la maison d’arrêt Saint-Michel de Toulouse, précise que chaque semaine quatre à six détenus se réunissent dans la salle de cours avec l’institutrice de l’établissement pour discuter des articles et de leur mise en page. Le Canardéchaîné du centre de détention de Tarascon était produit en 1995 au sein d’un "atelier-journal" du service socio-éducatif.

Titres de journaux et titres d’articles sont fréquemment l’occasion de clins d’oeil à la liberté, à l’évasion, mais tout demeure sous contrôle. La publication du centre pénitentiaire d’Aiton, en 1995, était intitulée M’Aiton les voiles. Dans la maison d’arrêt de Laval, en 1995 également, le journal s’appelait Tolerrance. Dans la maison centrale d’Ensisheim, c’était en 2001 L’Echappée belle, dans la maison d’arrêt de Vannes, de 1987 à 1990, Libévasion, à la même époque dans la maison d’arrêt d’Amiens, Librechange. Les quelques informations réunies ici sont notoirement insuffisantes pour saisir l’élaboration et la confection matérielle de ces journaux. Une enquête complémentaire devra être menée auprès de personnels de l’Administration pénitentiaire et auprès de détenus ou d’anciens détenus, comme nous avons pu le faire à propos de Drôle d’immeuble, du centre pénitentaiaire de Caen.

Vie quotidienne et formations professionnelles

Les publications de détenus offrent des conseils et services pour mieux vivre en détention. par ce biais, ils nous offrent des indications précieuses sur certains aspects de la vie quotidienne. Tam Tam de la maison d’arrêt d’Angers publie les tarifs de cantine du mois de juillet 1995. Les recettes pour cuisiner en cellule, et donc pour améliorer l’ordinaire, ne sont pas rares dans les publications. La Libre pensée du centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur mentionne en août 1995 l’arrivée de trente réfrigérateurs et le montant de la location mensuelle : quarante francs. L’Inconnu (n°5, 2002) du centre de détention de Toul indique les précautions à prendre pour faire fonctionner les réfrigérateurs que les prisonniers peuvent louer. Il y est également question de conseils pour naviguer sous Windows, puisque les détenus peuvent s’acheter des ordinateurs. Les nouveaux livres acquis par la bibliothèque de la maison d’arrêt de Chaumont sont présentés dans le n°4 du Barizien libéré en mai 1995. Même démarche dans L’Echo des cellules de la maison d’arrêt d’Orléans en 1998. Ce ne sont que quelques exemples puisés dans les publications conservées à la bibliothèque de la Direction de l’Administration pénitentiaire. Cosmopolite d’août 1995 à Saint-Martin-de-Ré présente les stages de formation en maçonnerie, métallerie, peinture et celui de tailleur de pierres. On peut parler d’une tradition professionnelle dans cette prison, car dès les années cinquante, à l’époque où les relégués récidivistes séjournaient dans la citadelle et dans la caserne Thoiras durant trois années, des formations de cimentiers boiseurs étaient proposées à ces détenus sans qualification professionnelle pour rejoindre les chantiers de la reconstruction. En 1995 le stage est intitulé CMBA : Construction, maçonnerie en béton armé. L’auteur de l’article, Nounours, un détenu, relate les difficultés rencontrées. Seuls cinquante détenus sont occupés. Les indemnités versées ne leur permettent que de cantiner. les matériaux manquent. Il s’interroge sur la pénurie de travail dans les ateliers et écrit : "les stages ne sont-ils pas un palliatif au chômage en détention ? " Dans les prisons de la Réunion, le Galet incite les détenus à suivre les ateliers de lecture, d’écriture et d’alphabétisation pour lutter contre l’illettrisme. Le même journal, en 2002, propose une interview du formateur "peinture" qui décrit le stage ( deux et demi par semaine, pendant douze mois) et le taux de 95% de réussite au CAP. Aux côtés des formations qualifiantes, les journaux signalent les conférences en relation avec les difficultés éprouvées par certains prisonniers. A plusieurs reprises, il est fait mention des conférences de l’association des Alcooliques Anonymes, de la mobilisation contre le Sida ( en 1995 principalement [5] ), de la participation au Téléthon. Dans le n°21 d’Oxygène du centre de détention de Caen, il est signalé qu’une nouvelle thérapie est mise en place avec un spécialiste des abus sexuels et de la maltraitance.

Informations et conseils juridiques

L’actualité judiciaire et pénitentiaire figure dans plusieurs journaux. Les rédacteurs interviewent des Juges de l’application des peines ( M’Aiton les voiles, n°12, juin 1995, Le Canardéchâiné, n°19, mai 1995, CD Scoop, dans le N°3 de 1993, publié au centre de détention de Villenauxe-la-Grande), des visiteurs de prison. Des dossiers sont consacrés aux modalités complexes de la libération conditionnelle, comme dans Quand, publié à Caen en novembre 2003, aux suspensions de peines, aux grâces et amnisties, à l’aide juridictionnelle, aux peines de sûreté. Hermes, publié en 1995 dans la maison d’arrêt de Nancy donne des conseils pour "mieux gérer sa propre détention provisoire" et offre un lexique juridique. La question de l’acquisition de la nationalité française et du sort des étrangers, risquant l’expulsion, est abordée à plusieurs reprises, comme dans Tollerrance d’avril 1995. "Humaniser l’univers carcéral" est le titre d’un article de Cosmopolite, publié en janvier 2002 à propos des rapports parlementaires des deux assemblées sur l’état des prisons françaises. Dans ce même exemplaire, il est question des Unités e vie familiale projetées alors à titre expérimental dans les prisons de Rennes, Poissy et Saint-Martin-de-Ré. Les suicides en prison sont évoqués en 2004 dans Quand, avec la présentation de statistiques. Dans les maisons d’arrêt les journaux viennent en aide aux détenus primaires, désarçonnés par les complexités des procédures. dans les centres de détention, il est plus souvent question des moyens d’abréger une longue peine ou de bénéficier de mesures d’aménagement de peines. A Contre courant de Liancourt expliquait même aux détenus comment calculer leur reliquat de peine à effectuer.

Doléances et revendications

Comme nous l’avons indiqué, l’écriture est contrainte, contrôlée, censurée, mais certains chefs d’établissements tolèrent l’expression de doléances. Dans le n°3 de CD Scoop, publié au centre de détention de Villenauxe-la-Grande en 1993, une "boite à questions" permet aux détenus d’émettre quelques critiques sur le fonctionnement de l’établissement. Les prisonniers se plaignent de l’absence d’une structure d’accueil pour les familles venant les visiter aux parloirs, de durées de visites trop courtes et aux horaires trop stricts par rapport aux contraintes posées par les horaires de la SNCF. Le centre de détention est en effet situé à quinze kilomètres de la gare de Nogent-sur-Seine et à vingt kilomètres de la gare de Provins, sans transport collectif entre ces gares et le centre de détention. Les détenus déplorent l’absence d’une assistante sociale dans la prison. Les postes téléphoniques leur semblent en nombre insuffisant et ils ne comprennent pas les restrictions horaires d’appels le week-end. Ils déplorent également de ne pas pouvoir passer des commandes au catalogue de La Redoute. Le pourcentage de jeunes incarcérés dans l’établissement étant particulièrement élevé, ils espèrent plus e mesures de semi-liberté et de placements en chantiers extérieurs. La "boîte à questions" renseigne sur le dialogue entre les détenus et la direction de l’établissement, ce que d’autres journaux mentionnent également, puisqu’il y est question du regret des audiences "systématiques" avec le directeur. Lire une telle liste de doléances est assez exceptionnel dans cette presse sous contrôle, mais cette appréciation demande à être vérifiée avec l’ensemble du corpus. La Libre pensée du centre pénitentiaire de Lorient-Ploemeur exprime une revendication en 1995 : des parloirs plus longs pour les condamnés à de longues peines. L’accès aux soins dentaires, plus rapidement et en cas de rage de dents revient fréquemment dans les doléances. Oxygène, du centre de détention de Caen, en octobre 1995, recourt à l’humour pour plus d’hygiène : "Des souris et des hommes. Le parc animalier du CD voit sa faune prospérer". Il y est fait allusion aux blattes mais aussi à l’arrivée de "Mickey Mouse et de sa tribu".

Cette première lecture, complémentaire aux analyses de A Contre courant et de Drôle d’immeuble, et effectuée principalement sur des journaux publiés autour de 1995 ne vise qu’à présenter des axes de réflexion. Il en est bien d’autres, en particulier sur le corpus de textes "d’évasion", récits de voyages, présentations de pays, de villes, d’expériences, sur les poèmes, les mots croisés, les devinettes etc... La recherche s’annonce riche si nous parvenons à saisir les effets l’engagement dans l’écriture sur la réinsertion et pour la recherche d’emploi.

Jean-Claude Vimont.

http://www.criminocorpus.cnrs.fr/sq...

[1] Mémoire conservé au [

2’>Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines L’Écrou compta 44 numéros de 1983 à 1993, vérification effectuée à l’aide du catalogue de la Bibliothèque Nationale de France

[3] A la bibliothèque de la Direction de l’Administration pénitentiaire, les journaux disponibles datant presque tous de 1995 avaient été réclamés aux directions régionales de l’A. P. par la sous-direction de la réinsertion.

[4] Le centre de ressources d’Agen dispose de dix exemplaires, du n°29, publié en 1967 au n°41 publié en 1969. Le catalogue de la BNF signale un n°6 paru en 1973 et une cessation de parution en 1974.

[5] La manière dont ces journaux abordent la maladie du SIDA mérite une étude systématique, questionnaires, conseils, interviews.