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Le régime ouvert de détention peut-il être étendu dans le champ pénitentiaire français ?

Rapport remis à Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat à la Justice, par Paul-Roger Gontard, doctorant en droit pénal, le 2 avril 2010

INTRODUCTION

« Le terme "établissement ouvert" désigne un établissement pénitentiaire dans
lequel les mesures préventives contre l’évasion ne résident pas dans des obstacles
matériels tels que murs, serrures, barreaux ou gardes supplémentaires. »
Congrès Pénal et Pénitentiaire International de La Haye, Août 1950.

Ce modèle d’établissement pénitentiaire fut le premier sujet d’étude du Congrès des
Nations Unies en matière de prévention du crime et de traitement des délinquants -
Genève, 1955.

Depuis, de nombreux pays ont largement utilisé ce modèle dans leurs systèmes
pénitentiaires nationaux. Bien que la France ait connu plusieurs expériences de ce
régime, elle ne possède aujourd’hui qu’un seul établissement qui puisse encore
répondre à cette définition.

Pourtant, ces prisons sont plus que jamais des réponses pertinentes aux actuelles
préoccupations en matière de répression pénale :

- Efficacité.

- Modernité.

- Respect des Droits fondamentaux de l’Homme.

- Economie de moyen.

- Intégration territoriale.

- Lutte contre la surpopulation carcérale.

Pour ne citer que ces quelques exemples de leurs nombreux avantages.

Par certains côtés, ces établissements reviennent à l’essentiel des peines privatives de liberté. Comme le présentait déjà Cesare Bonesana marquis de BECCARIA en 1764, « Parmi les peines et la manière de les infliger, il faut choisir celle qui, proportion gardée, doit faire l’impression la plus efficace et la plus durable sur l’esprit des hommes et la moins cruelle sur le criminel ». Les peines de prisons effectuées dans les établissements pénitentiaires ouverts font partie des sanctions pénales les plus fidèles à cette doctrine.

Dès lors, compte tenu des résultats affichés par ce régime tant en France que dans les pays de l’Union Européenne ; compte tenu des exigences de modernisation de nos modes d’exécution des peines qui accompagnent les dernières réformes législatives et recommandations conventionnelles édictées ces dernières années ; compte tenu enfin du besoin de transformer l’image sociale de nos prisons, il paraît nécessaire de s’interroger sur la faisabilité d’un développement de l’utilisation du régime ouvert de détention dans notre champ pénitentiaire national.

Afin de répondre à ce questionnement, il sera tout d’abord primordial de comprendre
les éléments fondamentaux qui structurent ce modèle pénitentiaire.

Puis, la nécessité de sélectionner certains détenus qui accompagne ce régime doit
nous permettre d’évaluer l’ampleur de la population pénale qui pourrait utilement en
bénéficier.

Enfin, il faudra observer le fonctionnement des établissements pénitentiaires ouverts
par le prisme du cadre règlementaire qui pourrait leur être applicable, afin d’établir
son seuil de légalité.

Ainsi, après avoir observé le fonctionnement de ce régime et comparé ses différentes utilisations en Europe ; après avoir comptabilisé la population à laquelle il lui serait permis de s’adresser ; et après avoir évalué la légalité de ce régime dans notre ordre règlementaire Français, il sera temps de conclure en disant s’il est pertinent, opportun et possible de développer le champ d’application du régime ouvert de détention en France.

1. LE REGIME CARCERAL OUVERT EN EUROPE

1.1. Histoire et Fonctionnement du modèle carcéral ouvert européen
1.1.1. Origines et premiers développements du modèle carcéral ouvert en Europe
1.1.1.1. Le Colonel Manuel MONTESINOS, et le pénitencier de Valencia
1.1.1.2. Le Capitaine Alexander MACONOCHIE, et la prison de Norfolk Island
1.1.1.3. Sir Walter CROFTON, et le système irlandais
1.1.2. Définition et caractéristiques systémiques du modèle
1.1.2.1. Une définition évolutive et flexible
1.1.2.2. Caractéristiques majeures du fonctionnement

1.2. Exemples d’utilisations du modèle en Europe, dans les pays frontaliers de la France et sur notre territoire
1.2.1. Utilisations nationales en Europe du régime pénitentiaire ouvert
1.1.2.1. Pays à forte proportion d’utilisation
1.1.2.2. Pays à faible proportion d’utilisation
1.1.2.3. Pays à l’utilisation de modèles voisins
1.2.2. Exemples de prisons ouvertes dans les pays frontaliers de la France et sur notre territoire
1.2.2.1. Les exemples français du XXème siècle
1.2.2.2. Quelques exemples européens du modèle ouvert de détention

2. LA SELECTION DES DETENUS

2.1. Eléments de profilage des détenus adaptés au régime ouvert de détention
2.1.1. Les qualités des détenus
2.1.1.1. Une personnalité présentant un risque limité
2.1.1.2. Une démarche volontaire
2.1.2. Eléments matériels de profilage
2.1.2.1. Exemples européens de choix de population
2.1.2.2. La population pénale française pouvant bénéficier du régime ouvert de détention

2.2. Organisation et mode de sélection des détenus en France et en Europe
2.2.1. La sélection en France
2.2.1.1. La sélection nationale et le CNO
2.2.1.2. Préconisations dans l’hypothèse d’un développement de la sélection
2.2.2. L’évaluation et la sélection dans quelques pays européens
2.2.2.1. L’évaluation pré-sententielle
2.2.2.2. L’évaluation post-sentencielle

3. LE CADRE REGLEMENTAIRE

3.1. Cadre règlementaire supranational
3.1.1. Cadre normatif international
3.1.1.1. La Recommandation ONU de 1955
3.1.1.2. Normes internationales sur le traitement des détenus
3.1.2. Cadre règlementaire européen
3.1.2.1. Extraits de normes européennes en lien avec les établissements carcéraux ouverts
3.1.2.2. Analyse globale de normes européennes pouvant favoriser l’ouverture d’établissements carcéraux ouverts sur le sol français

3.2. Cadre règlementaire national
3.2.1. Un modèle conforme au droit pénitentiaire français
3.2.1.1. La conformité du régime ouvert de détention avec la loi du 24 novembre 2009
3.2.1.2. La conformité du régime ouvert de détention avec le code de procédure pénale
3.2.2. Un modèle sans reconnaissance institutionnelle
3.2.2.1. Un vide qui s’est creusé
3.2.2.2. Un espace à combler

4. ELEMENTS PRATIQUES DE FAISABILITE

4.1. Choix matériels accompagnant la création de nouveaux établissements ouverts
4.1.1. Eléments de sécurité
4.1.1.1. Moyens matériels de sécurité
4.1.1.2. Contrôle social
4.1.1.3. Décisions Administratives
4.1.2. L’activité proposée aux détenus
4.1.2.1. La formation des détenus
4.1.2.2. Le travail
4.1.2.3. Autres activités complémentaires

4.2. Eléments d’environnement et d’implantation des établissements ouverts
4.2.1. L’environnement d’implantation géographique
4.2.1.1. Le lieu d’implantation
4.2.1.2. La première périphérie
4.2.1.3. La deuxième périphérie
4.2.2. Les liens avec les décideurs et la population environnante
4.2.2.1. Une nécessaire concertation
4.2.2.2. Un bénéfice réciproque

CONCLUSION



La culture humaniste de notre pays nous enjoint de ne jamais oublier qu’un criminel n’en reste pas moins Homme. Cela signifie, pour la question pénitentiaire, que la protection de sa dignité, élément majeur de l’identité Humaine, doit être au mieux préservée y compris pendant le temps carcéral de la peine.

Punir ne signifiant plus nécessairement devoir souffrir dans nos sociétés modernes, l’enjeu d’un établissement pénitentiaire ouvert est de démontrer que la sanction peut être associée à un lieu où l’on apprend les gestes et les comportements de la vie en société : respect des règles et des horaires de travail, élaboration d’objectifs personnels, reconquête de sa propre dignité de citoyen, participation et responsabilisation au sein d’une communauté de vie.

Le seul centre de détention français bénéficiant de ce régime, CASABIANDA, a montré par sa longue histoire que cet enjeu pouvait être remporté. Or, son existence unique sur notre territoire montre le retard relatif pris par la France face à ses partenaires européen dans l’utilisation de ce modèle.

Il est temps pour les décideurs de ne plus voir CASABIANDA comme une expérience ; après 60 années d’existence, ce centre ne peut plus légitimement être considéré comme expérimental ou pilote.

Il faut donc aujourd’hui tirer les conséquences pour notre territoire de l’utilisation de ce modèle en France, ainsi que des nombreuses autres utilisations du même type en Europe.

Or, ces résultats montrent que les prisons ouvertes sont une véritable réussite dans la recherche d’un minimum de contrainte pour un maximum de sécurité.

En outre, les buts de la peine étudiés par le prisme d’une prison ouverte concilient un certains nombre d’intérêts qui peuvent être compris de tous :

 

  • L’amendement du détenu : il est plus facile pour un prisonnier de repenser à son crime et de prendre pleinement conscience des conséquences de ses actes dans un lieu qui lui laisse le temps de le faire. Or, le bruit, la promiscuité, voire les angoisses que génère l’enferment cellulaire, entraînent une focalisation de l’esprit du détenu sur ses propres souffrances, plus que sur celles subies par la victime.

  • La préparation à la réinsertion : L’amendement participe à la prise de conscience de culpabilité, ce qui est un point essentiel dans un parcours de réinsertion. D’autre part, une prison ouverte favorise la resocialisation, l’apprentissage et la pratique d’une activité économique, tous facteurs d’une réinsertion réussie. Enfin, un régime ouvert de détention est profitable pour l’état de santé physique et moral d’un condamné, éléments indispensables lorsqu’il faut reprendre une place active dans la société.

  • La lutte contre la récidive  : parce qu’ils ont été sélectionnés au préalable, la majorité des détenus qui passe par une prison ouverte n’aurait, quoi qu’il en soit, jamais récidivé. Pour les autres, la bonne préparation à la réinsertion sera un facteur positif dans la lutte contre la récidive.

  • La rétribution des victimes  : La peine n’étant pas une vengeance, il serait erroné de mesurer la satisfaction des droits des victimes d’après la rigueur des conditions de détention d’un condamné, c’est pourquoi les prisons ouvertes ne pourront pas être accusées sur ce point de contrevenir aux intérêts des victimes. De plus, les conditions d’incarcération dans une prison ouverte permettent aux détenus, grâce à leur travail, de percevoir un revenu, et donc, de fait, de pouvoir payer plus facilement les intérêts civils d’une victime.

  • La lutte contre le suicide en détention : les chiffres européens nous ont montré que le suicide était une exception en prison ouverte. Un élément non négligeable dans la lutte qu’ont engagé les pouvoirs publics contre ce danger de la prison.

  • Un coût journalier de détention inférieur à la moyenne : tant par les moyens qu’ils mobilisent que par le revenu qu’ils génèrent, les établissements pénitentiaires ouverts coûtent moins cher à la société que leurs homologues fermés.

  • Un autre intérêt public, l’environnement : la protection de l’environnement par la lutte contre les feux de forêt, l’utilisation des énergies renouvelables, l’agriculture responsable, la lutte contre les pollutions, tous ces exemples sont des orientations que l’on peut facilement prendre dans la conception d’un nouvel établissement pénitentiaire.

     

Tous ces éléments nous montrent la modernité de ce modèle, et son adéquation aux enjeux qui occupent actuellement la société en général et le monde pénitentiaire en particulier. La prison ouverte est donc une réponse qu’il faut envisager développer dans notre pays.

Le rapport que nous venons de faire sur la faisabilité de développement de ce régime de détention en France nous permet d’affirmer qu’il peut trouver une place naturelle dans notre système pénitentiaire français.

Non seulement les aménagements règlementaires nécessaires à son développement sont minimes, mais plus encore les résultats des expériences françaises et européennes en cette matière nous encouragent à en multiplier les utilisations.

En outre, la plupart des éléments structurels nécessaires à l’ouverture de nouveaux établissements conformes à ce régime sont d’ores et déjà existants sur notre territoire.

Qui plus est, le besoin affiché par la France d’individualiser au mieux les peines de ses condamnés offre l’opportunité au régime ouvert de détention de compléter les réponses déjà existantes tant en matière de régime d’exécution de peine que d’aménagement de celles-ci.

Ce sont donc, d’après les estimations de population que nous avons effectué à l’occasion de cette étude, au moins trois ou quatre nouveaux établissements pénitentiaires utilisant ce régime qui pourraient utilement être implantés sur notre territoire.

Toutefois, l’ensemble de ces éléments positifs ne doivent pas nous faire oublier les difficultés rencontrées par les expériences françaises du présent et du passé, et certains risques révélés par les statistiques étrangères.

Ces résultats nous enjoignent de sélectionner avec application les populations orientées vers ces établissements. C’est à cette première condition que l’efficacité et la pérennité de ce modèle carcéral pourront être assurées dans notre champ pénitentiaire.

De plus, ces expériences réclament, comme deuxième condition, une répartition cohérente d’établissements ouverts sur notre territoire afin de faire accepter par les détenus un éloignement raisonnable de leurs proches tout en tirant profit des atouts pour leur réinsertion apportés par ces établissements. Une réparation par ailleurs concertée avec les décideurs et les populations locales.

Qui plus est, cette répartition doit tenir compte de la double contrainte constituée par le besoin d’un accès nécessairement aisé aux services publics sociaux et de santé, tout en préservant un éloignement raisonnable des grandes infrastructures de transport. Deux nouvelles conditions favorisant un risque d’évasion maîtrisé tout en maximisant l’utilisation des moyens disponibles pour favoriser la réinsertion.

C’est l’équilibre constitué par ces quatre conditions qui permettra, en fin de compte, l’acceptation sociale des risques découlant d’une prison sans barreau. Parce que ce risque sera limité grâce aux contraintes que nous venons d’évoquer, mais aussi compensé par les bénéfices tirés par la société et les détenus en termes de réinsertion et d’humanisation des prisons, il pourra devenir, aux yeux de la société, un risque acceptable.

« Parmi les peines et la manière de les infliger, il faut choisir celle qui, proportion gardée, doit faire l’impression la plus efficace et la plus durable sur l’esprit des hommes et la moins cruelle sur le criminel. » écrivait BECCARIA au XVIIIème siècle. Les prisons ouvertes, comme stricte application de ce principe, visent à limiter les contraintes à leur strict nécessaire, tout en rationalisant et en maximisant les moyens mis en œuvre pour lutter contre de nouvelles infractions.

C’est pourquoi, à la suite de cette analyse, la question n’est plus pour nous de savoir s’il est possible de créer de nouvelles prisons ouvertes en France, mais plutôt quelles prisons ouvertes seraient les plus utiles à notre pays.

Cette étude devra donc être poursuivie pour tenir donc compte des éléments matériels qui devront accompagner le développement de ce régime en France, afin de maximiser les chances de réussite de nouvelles prisons ouvertes sur notre territoire.

 

 

 
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• Synth ?se du rapport - Le r ?gime ouvert de d ?tention peut-il ?tre ?tendu dans le champ p ?nitentiaire fran ?ais ?, (PDF - 629.8 kio)
• Rapport - 2 avril 2010 - Le r ?gime ouvert de d ?tention peut-il ?tre ?tendu dans le champ p ?nitentiaire fran ?ais ?, (PDF - 2.8 Mio)