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TA Rouen, 26 mai 2005 (n°0301855)
Responsabilité de l’Etat pour des violences entre prisonniers partageant la même cellule

Publié le samedi 16 janvier 2010 | https://banpublic.org/responsabilite-de-l-etat-pour-des/

[…] le régime de droit commun de détention d’un détenu est celui de l’emprisonnement individuel, celui à deux ou trois détenus par cellule ne constitue qu’un régime dérogatoire lequel impose à l’administration pénitentiaire de s’assurer que la promiscuité des détenus ne génère pas entre ces derniers de risques pour leur intégrité physique, sexuelle ou morale ; […] M. Jean-François P. est fondé à soutenir que les conditions de son placement à la maison d’arrêt de Rouen ainsi que le défaut de surveillance de l’administration pénitentiaire ont permis à ses deux détenus d’exercer à son encontre des violences physiques continues ; que ces fautes sont de nature à engager la responsabilité de l’Etat […] M. Jean-François P. se borne à solliciter, en la présente instance, la réparation de son seul préjudice moral né de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Rouen ; […]

Tribunal administratif de Rouen, 26 mai 2005, N° 0301855

Vu la requête, enregistrée le 23 septembre 2003, présentée pour M. Jean-François P., demeurant [...], par Me Etienne Noël, avocat au barreau de Rouen ; M. Jean-François P. demande au tribunal de condamner l’Etat à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des violences qui ont été exercées à son encontre lors de sa détention à la maison d’arrêt de Rouen ;

Vu la mise en demeure adressée le 30 septembre 2003 à Me Noël, en application de l’article R. 612-2 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu la décision du bureau d’aide juridictionnelle, en date du 20 octobre 2003, admettant M. Jean-François P. au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale ;

Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 12 mai 2005

  • le rapport de Mme Macaud, conseillère,
  • les observations de Me Noël, avocat, pour M. Jean-François P.,
  • les conclusions de Mlle Gauthier, commissaire du gouvernement.

Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. Jean-François P. a été incarcéré à la maison d’arrêt de Rouen du 4 avril 2001 au 21 mai 2001 pour purger une peine de deux mois de prison ferme suite à la révocation partielle d’un sursis avec mise à l’épreuve ; que M. Jean-François P. a été victime de violences graves de la part des deux codétenus qui partageaient sa cellule et ce, jusqu’au 15 mai 2001, date à laquelle M. Jean-François P. a été hospitalisé suite à un malaise dû aux violences physiques qu’il subissait ;

Sur la responsabilité

Considérant qu’aux termes de l’article 719 du code de procédure pénale alors applicable, et dont les dispositions figurent désormais à l’article 717-2 du même code : « a Les condamnés sont soumis dans les maisons d’arrêt à l’emprisonnement individuel de jour et de nuit ... Il ne peut être dérogé à ce principe qu’en raison de la distribution intérieure des locaux de détention ou de leur encombrement temporaire ou des nécessités d’organisation du travail » ;
et qu’aux termes de l’article D. 83 du code de procédure pénale : « Le régime appliqué dans les maisons d’arrêt est celui de l’emprisonnement individuel de jour et de nuit dans toute la mesure où la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale » ;
qu’il résulte de ces dispositions que le régime de droit commun de détention d’un détenu est celui de l’emprisonnement individuel et que celui à deux ou trois détenus par cellule ne constitue qu’un régime dérogatoire lequel impose à l’administration pénitentiaire, dans une telle hypothèse, de s’assurer que la promiscuité des détenus ne génère pas entre ces derniers de risques pour leur intégrité physique, sexuelle ou morale ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. Jean-François P., qui souffrait d’alcoolisme et se trouvait dans un état psychologique dégradé à la date de son incarcération, a été placé, du 4 avril 2001 au 16 mai 2001, dans une cellule avec deux autres détenus, l’un détenu provisoirement, dans l’attente de son procès en cour d’assises d’appel, pour avoir exercé des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner et condamné pour ces faits à une peine de onze années de réclusion criminelle par la cour d’assises de Seine-Maritime, l’autre incarcéré pour des faits de vol avec violence et des faits de violence par conjoint ; que l’administration pénitentiaire ni ne soutient, ni ne démontre, qu’en l’espèce la distribution intérieure des locaux de la maison d’arrêt de Rouen ou son encombrement imposait l’emprisonnement de M. Jean-François P. dans une cellule qui comptait déjà deux détenus et ne justifie pas davantage de la nécessité de cet emprisonnement collectif durant l’intégralité de la période d’incarcération de M. Jean-François P. ; qu’il est constant que M. Jean-François P. subissait des violences quotidiennes de la part de ses deux codétenus, violences qui ont été à l’origine de l’hospitalisation de M. Jean-François P. le 21 mai 2001 ; que l’administration pénitentiaire ne saurait soutenir que rien dans le comportement de M. Jean-François P. ne permettait de suspecter les violences commises à son encontre dès lors qu’il résulte de l’instruction que M. Jean-François P. ne sortait pas en promenade, qu’il ne participait à aucune activité, que son état moral se dégradait et que son aspect physique s’était modifié, les deux codétenus de M. Jean-François P.. lui ayant rasé le crâne contre sa volonté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. Jean-François P. est fondé, dans les circonstances de l’espèce, à soutenir que les conditions de son placement à la maison d’arrêt de Rouen ainsi que le défaut de surveillance de l’administration pénitentiaire ont permis à ses deus détenus d’exercer à son encontre des violences physiques continues ; que ces fautes sont de nature à engager la responsabilité de l’Etat,

Sur le préjudice

Considérant que, contrairement à ce que soutient le ministre de la Justice, il n’y a pas lieu de tenir compte, pour déterminer le montant de l’indemnisation que M. Jean-François P. sollicite, de celle qu’il a obtenu suite au jugement du tribunal correctionnel en date du 3 mai 2002 condamnant les deux codétenus de M. Jean-François P. à lui verser une somme de 1 573,31 euros au titre du préjudice matériel et du pretium doloris dès lors que M. Jean-François P. se borne à solliciter, en la présente instance, la réparation de son seul préjudice moral né de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Rouen ; que, dans les circonstances de l’espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. Jean-François P. en lui allouant une somme de 3 000 euros ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’Etat est condamné à verser à M. Jean-François P. une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il a subi du fait de ses conditions de détention à la maison d’arrêt de Rouen ;

Décide :

Article 1er : L’Etat est condamné à verser la somme de 3 000 (trois mille) euros à M. Jean-François P. en réparation du préjudice qu’il a subi.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. Jean-François P. et au garde des Sceaux, ministre de la Justice.