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(2009) Pierre V. Tournier « Suicide sous écrou »

Publié le jeudi 3 septembre 2009 | https://banpublic.org/2009-pierre-v-tournier-suicide/

« Suicide sous écrou »

 N’hésitant pas à me répéter (principe pédagogique de base), je reviendrai sur ce que j’ai déjà écrit (ACP n°143-144 du 15 juin 2009), en réponse à deux courriels reçus de lecteurs qui réagissaient à la publication, par mes soins, de données européennes sur le sujet. Cette statistique comparée mettait en évidence l’existence d’une forte sursuicidité carcérale dans notre pays par rapport aux Etats de l’Union européenne (données de 2006, ACP n°142 du 8 juin 2009).

 Rappel 1. « Les chiffres ne parlent pratiquement jamais d‘eux-mêmes. Personnellement, je ne sais pas pourquoi le taux de suicides dans les prisons françaises est deux fois plus élevé que dans l’ensemble des prisons de l’Union européenne. Vous avancez une explication : « le scandale des conditions de détention en France ». Soit. Les conditions actuelles ne sont pas acceptables, en particulier du fait de la surpopulation que connaissent depuis tant d’années les maisons d’arrêt. Cela peut, à l’évidence, favoriser les conduites suicidaires. Mais l’analyse des écarts entre tel ou tel pays nécessite d’avoir des données précises sur les populations détenues : structure par sexe, âge, catégorie pénale, infraction poursuivie ou sanctionnée, etc., mais aussi sur l’état de santé psychique de ces populations. Je ne prendrai qu’un exemple. D’après la statistique du Conseil de l’Europe (SPACE), la France est l’un des pays où l’on observe la plus forte proportion, parmi les condamnés détenus, d’auteurs de violences sexuelles : au 1er septembre 2007, 18 % contre 6,3 % en Espagne, 7,1 % en Italie 7,5 % en Allemagne, 11% en Angleterre et Pays de Galles, etc. Il faudrait, évidemment, pouvoir examiner de près ce que recouvrent ces pourcentages (problème de qualification juridique), mais quand on sait que le risque suicidaire est particulièrement élevé chez les personnes poursuivies ou sanctionnées pour ce type de contentieux, on a ici une piste intéressante. ».

 Rappel 2. « Il ne me paraît pas rationnel de considérer, sans examen approfondi, que l’importance du taux de suicides dans les prisons françaises soit de la seule responsabilité de l’administration pénitentiaire (voir supra) […] Certes, dans tel ou tel cas, sa responsabilité - et la responsabilité de ses agents - peut être directement engagée. Ainsi, par exemple, la France a pu être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le 15 octobre 2008, pour violation des articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) de la CEDH. Mais je sais aussi que les responsables de la DAP sont fortement engagés sur le terrain de la prévention du suicide. Personnellement, je n’ai qu’un reproche à faire à la DAP sur sa politique : son manque de transparence en matière statistique et son manque de volonté (apparente ?) quant à l’analyse scientifique du phénomène ».

***

 Je n’ai rien à retirer de ce que j’ai écrit en juin dernier et j’approuve bien évidemment la décision de Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, de publier, désormais les données sur les suicides sous écrou deux fois par an. Encore faut-il aller au delà d’un « simple recensement » et engager, au plus vite une analyse de cette particularité française (taux de suicide de 16 p. 10 000, en 2006) en tentant de savoir ce que recouvre de tels écarts entre pays, par exemple avec l’Espagne (taux de suicide carcéral de 4,8 p. 10 000 en 2006) avec l’Angleterre (8,6), l’Allemagne (9,6) et même l’Italie (13).
 
 Mauvaise foi ?

 Mais parler de « simple recensement », c’est évidemment ignorer tous les problèmes méthodologiques posés par toute statistique sur les conduites suicidaires et sur les suicides en particulier. Il faut avoir l’outrecuidance de M. Patrick Marest, délégué général de l’Observatoire international des prisons (OIP), pour prétendre tenir une statistique en « temps réel » des suicides perpétrés en prison (Libération du 18 août 2009, p. 12).

 Une fois de plus, l’OIP a voulu mettre en accusation l’administration pénitentiaire en publiant une note interne intitulée « Bilan provisoire des suicides 2008 » (daté du 6 janvier 2009). Et l’OIP de parler de « suicides camouflés » (site de Marianne), suivi, sur ce terrain, par le vice-président du groupe socialiste du Sénat et de celui de l’Assemblée nationale. Ces derniers affirment, sans ambages, dans un communiqué « Non seulement la France détient le lamentable record européen des suicides en prison mais le chiffre officiel se révèle être un mensonge… En effet, selon l’Administration pénitentiaire, les seuls suicides reconnus (81 tout de même en un an !)(1) sont ceux qui interviennent par pendaison ! C’est la seule conclusion à laquelle on parvient en prenant connaissance du document interne à cette administration que l’OIP vient de publier. C’est à l’évidence avec beaucoup de mauvaise foi que l’Administration Pénitentiaire refuse d’admettre une réalité nettement plus inquiétante. Un certain nombre de décès accidentels survenus après ingestion de médicaments devraient être reclassés en suicide après examen des résultats d’autopsie ».

 Que trouve-t-on de si scandaleux dans ce document ? « Le nombre de suicides en 2008 est de 115 suicides pour l’ensemble du territoire : 109 se sont produits en détention, 6 hors de détention (4 sous PSE, 2 en milieu hospitalier), sous réserve de validation par « la commission de suivi des actes suicidaires (CSAS) ». Dans un cas sur trois, il s’agit d’auteurs d’infraction à caractère sexuel (AICS). On lit plus loin que 107 suicides ont été perpétrés par pendaison. Sur les 109 suicides recensés en détention, la note précise que 15 décès ont eu lieu à l’hôpital. Par ailleurs, la note précise, qu’au 31 décembre 2008, 131 décès (hors suicides) ont été recensés dont 85 sont qualifiés de « autres » (ni morts naturelles, ni homicides). Et l’auteur de préciser : « Il convient de noter que les décès survenus suite à une ingestion médicamenteuse nécessiteraient un examen des résultats d’autopsie et, pour un certain nombre d’entre eux, une possibilité de reclassement en suicide. Il est à noter que les décès suite à une tentative de suicide ne sont pas comptabilisés lorsque le décès intervient après une levée d’écrou : deux de recensés en 2008) ».

 Quels enseignements en tirer ?

1. - Il est bien précisé que l’administration pénitentiaire ne comptabilise pas uniquement les suicides perpétrés en détention mais l’ensemble des suicides sous écrou (y compris sous placement sous surveillance électronique ou en milieu hospitalier).

2. - Contrairement à ce qu’affirment les parlementaires socialistes, l’administration pénitentiaire ne comptabilise pas uniquement les suicides par pendaison : pour 2008, 115 suicides dont 107 par pendaison. 8 suicides recensés ont donc été perpétrés par un autre moyen.

3. - L’administration pénitentiaire comptabilise bien les suicides en détention même si le décès a lieu à l’hôpital (15 décès en 2008).

4. - L’administration pénitentiaire fournit même un chiffre concernant les décès qui interviennent après une levée d’écrou, suite à une tentative (2 en 2008).

5. - Reste la question majeure de savoir comment on décide qu’un décès sous écrou est un suicide avéré (suicide = action de causer volontairement sa propre mort) et non un homicide, un décès naturel ou accidentel. Et quels sont les délais nécessaires pour le faire ? La question se pose évidemment tout particulièrement pour les décès par ingestion médicamenteuse ou à la suite d’une overdose. Sans être un médecin généraliste, un psychiatre, ou un médecin légiste, on peut comprendre la nécessité - et la difficulté – d’établir, dans ces cas, l’existence d’une volonté de mourir, en l’absence de lettre laissée par le détenu, le sujet n’ayant pas eu nécessairement une vision objective des risques pris. C’est une question très largement traitée dans la littérature scientifique (2).

 En cas de décès sous écrou, le procureur de la République est informé (Art. D280 du code de procédure pénale). Il se rend sur place s’il le juge nécessaire et se fait assister de personnes capables d’apprécier la nature des circonstances du décès […]. Sur ses instructions, une enquête aux fins de recherche des causes de la mort est ouverte. […]. A l’issue d’un délai de huit jours à compter des instructions de ce magistrat, ces investigations peuvent se poursuivre dans les formes d’une enquête préliminaire. Le procureur de la République peut aussi requérir information pour recherche des causes de la mort. (Art. 74 du CPP). Dans certains cas, la procédure peut durer des mois. Mais c’est à tort que la Garde des Sceaux a affirmé, dans le Journal du Dimanche (23 août 2009) que « tout décès intervenant en détention fait l’objet d’une autopsie sous contrôle du procureur ». Cela n’a rien de systématique.

 Proposition en matière de transparence

 Pour éviter les polémiques stériles, je préconise la publication, début janvier de l’année n d’une statistique provisoire de l’ensemble des décès sous écrou, selon la cause, du 2ème semestre de l’année n-1 et d’une statistique consolidée du 2ème semestre de l’année n-2 (après collecte des informations manquantes auprès du parquet).
 De même, début juillet de l’année n, seraient publiées une statistique provisoire de l’ensemble des décès sous écrou, selon la cause, du 1er semestre de l’année n et d’une statistique consolidée du 1er semestre de l’année n-1 :

Date de publication 
* 15 / 07 / 2009

— > Statistique provisoire : 1er semestre 2009

— > Statistique consolidée : 1er semestre 2008
* 15 / 01 / 2010 

— > Statistique provisoire : 2ème semestre 2009 

— > Statistique consolidée : 2ème semestre 2008
* 15 / 07 / 2010 

— > Statistique provisoire : 1er semestre 2010

— > Statistique consolidée : 1er semestre 2009
* 15 / 01 / 2011 

— > Statistique provisoire : 2ème semestre 2010

— > Statistique consolidée : 2ème semestre 2009
* 15 / 07 / 2011 

— > Statistique provisoire : 1er semestre 2011

— > Statistique consolidée : 1er semestre 2010
* 15 / 01 / 2012 

— > Statistique provisoire : 2ème semestre 2011

— > Statistique consolidée : 2ème semestre 2010

 Nous avons bien parlé d’une statistique de l’ensemble des décès survenus sous écrou, quelqu’en soit la cause. On entend souvent la phrase suivante à propos des personnes que l’on incarcère : « de toutes façons, ils sortiront bien un jour ». Ce n’est pas vrai pour tous. En 2008, 246 décès sous écrou ont été recensés, toutes causes confondues, pour une population moyenne de 66 700 personnes sous écrou, soit un taux de mortalité de 3,7 p. 1 000. Nos concitoyens sont en droit d’en connaître les causes.

Pierre V. Tournier
extrait ACP 148-149

(1) Il s’agit, en réalité du nombre de suicides enregistrés depuis le 1er janvier 2009 (Libération du 19 août 2009).

(2) Bien évidemment, ces question ne concernent pas uniquement la prison : « La limite des statistiques de mortalité par suicide tient notamment à la difficulté d’identifier avec certitude l’intentionnalité de l’acte, aboutissant à une sous-déclaration des suicides. Les décès sont alors codés selon le cas dans la rubrique « causes inconnues et non déclarées » ou « traumatismes et empoisonnements à l’intention non déterminée » de la Classification internationale des maladies, 9e révision », Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, « Suicides et tentatives de suicide en France. Une tentative de cadrage statistique », Etudes et Résultats n° 109, avril 2001.
 

- 2. - Collier de perles..

« La gauche comme la droite auront rivalisé d’incurie, d’indignité. Leur programme : ne rien faire, gérer l’abandon, provoquer le pourrissement, en espérant secrètement que prisons et banlieues s’autonettoient, se vident elles-mêmes, par pendaisons, mutilations, overdoses ou chutes de scooter », Jean-Marc Parisis, écrivain, journaliste, etc. (Libération, 22-23 août 2009).

« On en a marre que la ministre commande des rapport à l’AP pour analyser ses propres dysfonctionnements. C’est comme si on avait demandé à Louis XVI de rédiger la Déclaration des droits de l’homme », Patrick Marest, OIP (Libération 18 août 2009).

« On a condamné à mort 1 000 personnes ces dernières années », Dr. Louis Albrand, ancien conseiller de Rachida Dati (Libération 18 août 2009).

« [Les journalistes] prennent tout l’univers informatif de l’OIP les yeux fermés puisque çà fait quinze ans que ça fonctionne bien sur ce registre », Patrick Marest, OIP, Le Passe Murailles, n°18, mai-juin 2009, lettre du GENEPI sur « Médias et Prison ».

« La France pratique une politique pénale rigide […]. Ce qui explique qu’elle ait le taux de récidive le plus élevé d’Europe : 60 % », Dr. Louis Albrand (Le Monde, 19 août 2009) (1).

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(1) Le taux de retour en prison dans les cinq ans qui suivent la libération est d’environ 40 %. C’est le taux de non retour qui est de 60 % ! Quant aux comparaisons européennes en la matière, nous avons beaucoup écrit sur le fait qu’elles sont quasi impossibles à mener, pour de multiples raisons méthodologiques assez évidentes.
Source : Annie Kensey et Pierre V. Tournier, Prisonniers du passé ? Cohorte des personnes condamnées, libérées en 1996-1997 : examen de leur casier judiciaire 5 ans après la levée d’écrou (échantillon national aléatoire stratifié selon l’infraction), Paris, Ministère de la Justice, direction de l’administration pénitentiaire, Coll. Travaux & Documents, n°68, 2005, livret de 63 pages + CD ROM.

 Pierre V. Tournier, Réflexion méthodologique sur l’évaluation de la récidive : recension des enquêtes de récidive menées depuis 1980 dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, Paris, CESDIP, Etudes & Données pénales, n°56, 1988, 59 pages.

 Pierre V. Tournier, Evaluation de la récidive des infractions pénales. Questions de méthode, Revue suisse de criminologie, n°1/2008, 3-8.