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Ahmed, surveillant de prison pour 1537 euros par mois

Ahmed, surveillant de prison pour 1537 euros par mois

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En plein conflit entre les gardiens de prison et Rachida Dati, Ahmed dévoile ses finances et son quotidien pour Eco89.

Horloger. C’est peut-être cela qui explique les doigts longs, fins, presque des doigts de femme d’Ahmed El Hoummass, surveillant à la prison de Fresnes. Des doigts que l’on imagine davantage manipulant avec minutie des engrenages que des clés de cellules.

Si, dans sa première vie, ce jeune homme de 30 ans a bien été horloger en Suisse, il s’amuse de cette remarque sur ses mains :

« Horloger… il ne faut pas m’imaginer derrière un microscope. Je fabriquais les pièces. »

Un emploi bien payé (3500 euros) qu’il perd en 2001 suite à un plan social qui sacrifie en priorité les travailleurs transfrontaliers.

Au chômage, Ahmed remplit un dossier sur Internet pour devenir gardien de prison. « Une pub à la télé », dit-il. Il n’y croit pas trop alors. Deux mois après, une convocation arrive. Il réussit l’écrit, un QCM, et se prépare à passer l’oral. « Mes parents étaient contre », se souvient-il. Il y va. Au programme : épreuve sportive, test psychologique et entretien de motivation :

« On m’a demandé si j’étais pour la peine de mort. Ils ont insisté : “Et si un criminel tue un membre de votre famille ? ” Il testent notre résistance au sentiment de vengeance. C’est parce qu’on est amené à surveiller de grands criminels. »

En 2003, après une formation de neuf mois à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (Enap) d’Agen, Ahmed choisit de travailler à la prison de Fresnes. Un surveillant alterne 4 jours de travail et 2 jours de repos.

« Ça, c’est pour la théorie. On travaille beaucoup plus que 6 heures 50 par jour parce qu’on est en sous-effectif. Je travaille environ 170 à 175 heures par mois. »

Petit emploi du temps d’une journée en prison :

07h15. On s’assure que tout le monde est là et bien vivant. On distribue de l’eau chaude, du pain (un pour la journée) et de la confiture
10h00. Une ration (yaourt ou fruit) est distribuée
11h00. Après leurs activités (médecin, sport, cours), les prisonniers réintègrent leurs cellules
11h30. Distribution des repas
12h30. Contrôle des cellules
12h45. Fermeture d’étage
13h00. Nouveau contrôle.
14h00. On accompagne les détenus au parloir
16h00. Retour en cellule
16h30. On fait la distribution du courrier
17h15. On fait la distribution des repas
18h30. Fin des repas
19h15. Ronde de fermeture, celle qu’on appelle « la ronde des feux »

Après la « ronde des feux », les surveillants déposent les clés. Plus aucun trousseau n’est disponible. « Ça limite les bavures éventuelles. La nuit, l’effectif est réduit… », commente Ahmed.

Les journées les plus difficiles, dit-il, sont celles de la douche. Le lundi, le mercredi et le vendredi, les surveillants accompagnent des groupes de six détenus jusqu’aux cabines de douches (six places). Là, il faut attendre un quart d’heure. Et recommencer pour les 120 détenus dont chacun a la charge.

Revenus : un revenu mensuel de 1 997 euros

Après six ans, Ahmed est parvenu à l’échelon 4. L’avancement d’échelon se traduit par une augmentation de salaire. Un débutant touche 1 250 euros net. Ahmed gagne 1 537 euros par mois. En fin de carrière, le salaire d’un surveillant de prison s’élève à 2 100 euros net.

Sont compris dans son salaire un supplément familial (127 euros) et la mutuelle du ministère de la Justice (80 euros). La prime de risque constitue 30% de ce salaire. Une aide au loyer de 45 euros est également inclue dans le salaire pour compenser la différence des prix des loyers entre la région parisienne et la province.

Tous les ans, en décembre, une prime de 750 euros est versée aux
surveillants. Et une prime annuelle de 8 euros. « Pour les chaussures.
On les use. »

Marié et père de trois enfants (7 ans, 4 ans et 10 mois), Ahmed touche une allocation familiale de 460 euros par mois. Sa femme ne travaille pas, elle est candidate à un agrément de nounou. Au total, il touche donc 1997 euros.

Dépenses fixes : 1 725 euros

Loyer : 680 euros
« Des logements nous sont réservés à proximité de la prison. J’ai un T4 de 80m2. Je suis originaire de Besançon. Là bas, je payais 337 euros pour un T5. J’ai de la chance, car certains vivent plus loin et payent des loyers très élevés et ont des frais de transport, ce qui n’est pas mon cas.

« Dans le domaine, il y a aussi des foyers avec des chambres à 350 euros par mois (douches et sanitaires) ou à 175 euros par semaine (douches communes). C’est plus pour ceux qui font la navette et qui sont là uniquement la semaine. »

Assurance automobile et habitation : 80 euros. Crédit auto : 300 euros
« Je dois payer encore 3 ans. Je ai acheté ma voiture à Besançon. A l’époque, je travaillais en Suisse, je gagnais 3500 euros par mois. J’avais un autre train de vie, je ne me rendais pas compte. Quand je suis retombé, j’ai échelonné le crédit. »

Gaz, électricité : 100 euros. Frais de cantine : 50 euros
« Au restaurant administratif, ils servent le petit déjeuner pour 1 euro. Les autres repas coûtent 2 euros 80. »

Cotisation syndicale : 15 euros. Courses, gazoil : 400 euros
« On a toujours vécu dans le rouge ».

Un métier usant et précaire

La lutte actuelle qui oppose les gardiens de prison à la Chancellerie
ne concerne même plus les salaires : « Au point où on en est, on veut
surtout des effectifs en plus. On est épuisés là. »

Il raconte une surpopulation telle que les relations entre détenus et surveillants se cantonnent à des « bonjour » rapides. Trois ou quatre personnes enfermées dans une même cellule, les matelas à même le sol, l’exiguïté et la saleté ont vite fait de transformer des désaccords sur un programme télé en méchant conflit :

« Ça part très vite. Pour des clopes, du shit… Quand il y a une histoire de shit, on doit le signaler et faire un rapport. Mais bon, c’est un peu tard… Il faudrait s’occuper de la façon dont on introduit le shit en prison. »

A leur quotidien de violence s’ajoutent les suicides de détenus. En 2008, 115 personnes se sont suicidées en prison, soit une hausse de 20% de suicides par rapport à 2007. La France détient le triste record européen. En 2005, Ahmed a découvert un homme pendu à son drap :

« Je l’ai décroché et j’ai sifflé - on a toujours un sifflet. Les autres sont arrivés. Il a été sauvé. C’était un cas de choc carcéral. Un type emprisonné pour un petit délit qui n’a pas supporté le milieu carcéral, être avec des grands criminels… Quelqu’un qui n’aurait pas dû être là. »

Des primes supprimées lors d’un arrêt maladie

Les surveillants réclament aussi l’arrêt des suppressions de prime lors d’un arrêt maladie. La prime de risque représente quasiment un tiers de leur salaire. Pour Ahmed, un arrêt maladie équivaut à 400 euros de moins sur son salaire. Comme beaucoup, il travaille même lorsqu’il est malade :

« Cette histoire de prime, c’est leur solution pour lutter contre l’absentéisme. Ils devraient plutôt interroger les raisons de notre absence. Quand un type se prend une droite et se fait exploser la gueule, il a besoin de se reposer. Il y a quinze jours, une jeune surveillante a décroché un pendu, on lui a sucré sa prime parce que le médecin lui a dit de prendre une semaine de repos… »

Avec de telles conditions de travail, pourquoi rester ? Parce qu’il n’y a pas mieux et que le métier offre une certaine sécurité. Pour cinq années effectuées, les surveillants de prison gagnent une année de cotisation. Et peuvent ainsi espérer arrêter à 50 ans. C’est ce qui retient Ahmed :

« C’est normal, c’est comme à l’armée ou à la police. On veut partir tôt parce que ce sont des métiers usants. »

On devient rarement gardien de prison par conviction. Comme Ahmed, beaucoup y arrivent après un licenciement. A Fresnes, on se souvient avoir vu arriver plusieurs ex-salariés de Metaleurop en 2005. Ahmed n’en doute pas : « Les Clairoix et tous ceux qui perdent leur boulot aujourd’hui, dans des deux ans, ils seront là. »

Source : Eco89